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20.10.2008

Polska dzisiaj - chantier en cours -

P3250003.JPGA vingt kilomètres de la frontière, c’est un village d’une centaine d’âmes.
J’y habite.
La forêt est en arc de cercle tout autour et la morne solitude des champs ne s’ouvre qu’à l’est béant. Par là s’engouffre l’hiver continental.
Le vent mord jusqu’au sang et les fumées de cheminées fuient en se couchant sur les toits.
Notre maison est en bois. Nous l’avons entièrement reconstruite mais nous n’avons pas ceinturé la cour. Par une prairie brumeuse, elle se prolonge ainsi jusqu’à la lisière des pins.
C’est la première fois que j‘habite à champs ouverts. Sans frontières. C’est mon espace Schengen à moi et les limites n’en sont matérialisées que chez le notaire. Les notaires sont, partout, les garde-frontières de la propriété privée, plus sûrement armés que tous les soldats du monde.
Le chevreuil qui sort parfois des bois pour venir brouter sous ma fenêtre, il s’en fout, lui, du notaire. Il ne sait pas s’il est dans ma cour ou sur des champs anonymes.
Il pacage les premières pousses du printemps ou les dernières de l’automne là où elles sont. 
Quand on ne sait ni lire ni écrire on est partout chez soi. La terre est une maison et un ventre chaud. C’est seulement après que les choses se gâtent terriblement.
Je regarde l’animal. Quelle intuition lui indique soudain ce regard posé sur sa peau, même filtré par les carreaux ? Il lève la tête, il interroge les brouillards immobiles de son œil inquiet et en trois bonds regagne le couvert des bois.
Des errances nocturnes aussi.
Un matin de février, des empreintes sur la neige maraudaient jusques sous mes fenêtres. Elles avaient longtemps fureté dans la cour, elles avaient fait de larges cercles, dessiner des allées et venues, de savants détours, de prudentes tergiversations, puis enfin étaient venues piétiner devant la maison. C’étaient de grosses empreintes.
Un lynx a certifié un voisin. Ça m’a fait sourire. Sans doute le loup des temps modernes.
La bête des Vosges, m’a taquiné un ami à qui je racontais. Rochelais d’adoption, l’ami, mais ses premiers mots et ses fantômes sont restés accrochés aux versants de la vieille montagne. Quand il ne savait ni lire ni écrire encore.
L’air ce matin-là était figé à moins vingt-trois. L’orme gigantesque sur ma gauche touchait le ciel de ses grands moignons gelés, tout ruisselants de lune. Il était quatre et demi.
L’hiver, je me lève très tôt pour allumer les gros poêles de faïence.
Je suis un étranger égaré au milieu d’une campagne glacée qu’enveloppe l’obscurité moribonde d’un matin de février.
Au village, on ne me parle pas.
On me fait un signe de la main, ou de la tête, ou alors de rien du tout, en la baissant, la tête. La plupart des Polonais ne comprennent pas ce que je fais là. Ce n’est pas dans ce sens que se font les exils. Qu’est-ce qu’il y a ici ? Rien. De la forêt, des terres de pauvre sable, des vieillards échine meurtrie, de la neige et du vent.
En France, il y a des sous, de belles femmes et du soleil. Alors, qu’est-ce que je fais là ?

Le vent miaule dans les bras dénudés de l’orme. Quelle cassure s’est faite en moi pour que je sois tellement au chaud dans cette solitude ? Moi le bagarreur, le taquineur, le buveur, le plaisantin, le libertin, le facétieux, le couche-tard, le turbulent ?
Un jour peut-être, je saurai la cassure.
Les cassures les plus profondes nous apparaissent évidentes, souvent, qu’une fois seulement refermées.
Quand on a cessé de les vivre.

16:13 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

C’est fascinant cette cabane en bois en bordure de la forêt, sans aucune clôture, sans rien.
Amusant, parce que sans rien savoir de cela, j’étais justement occupé sur un texte qui dit exactement cela : la cabane, la forêt, les loups. Imaginaire chez moi, réalité chez toi. C’est sans doute pour cela que tu es là, parce que cela répond aussi à une certaine conception que tu te faisais de la solitude.

Mais cela doit être dur. Moins 23 l’hiver ! Et ces villageois qui ne parlent pas et pas seulement à cause du problème de la langue. Heureusement qu’une fée vit dans ton antre. C’est d’ailleurs pour elle que tu te lèves tôt, pour que se répande la chaleur « des gros poêles de faïence » et qu’elle ne soit pas gelée au sortir de ses rêves.

Écrit par : Feuilly | 21.10.2008

De ces gros poêles de faïence, Stasiuk dit, dans "Le Corbeau blanc" : "Comme au temps de François-Joseph..."

Écrit par : B.redonnet | 22.10.2008

La cassure devrait pouvoir se réduire complètement dans un lieu habité par l' amour , ce qui semble d'aprés le commentaire de Mr Feuilly , être le cas ....
Un jour nous comprenons nos cassures , le pourquoi, le comment , que l'on soit trés loin de chez soi ou bien tout proche ...

Écrit par : Débla | 27.10.2008

Les commentaires sont fermés.