19.03.2008
28 décembre 1999 au matin
Aussi loin que pouvait porter le regard, par-delà l’étendue d’eau qui recouvrait les vastes prés communaux et qui miroitait sous le soleil oblique, jusqu’au canal et bien plus loin encore, si loin qu’on apercevait sur le ciel bleuté des clochers de village qu’on n’avait jamais vus d’ici, les peupliers si hauts, si fiers, et qui d'ordinaire dans les marais habillent l'horizon, gisaient maintenant, impeccablement alignés, comme posés là par une main monstrueuse. Ils avaient en chutant soulevé d’énormes blocs de terre et ces blocs s’élevaient très haut dans l’air, accrochés à leurs racines qui serpentaient et dégoulinaient de la tourbe détrempée.
A l’emplacement de chaque arbre, un grand trou, glaireux comme un tombeau, s’ouvrait à ciel ouvert.
- C’est effroyable, finit par murmurer Quentin
- Oui. Mathilde mesurait aussi l'ampleur du désastre. Elle s’appuyait sur son bras.
En direction de Mauzé dont on apercevait maintenant les premiers toits, les peupleraies inondées étaient broyées et les arbres jetés avec violence, pèle-mêle dans l’eau. Certains avaient été sectionnés à mi-tronc et ils laissaient pendre des lambeaux pitoyables de bois, telles des plaies barbares.
Quentin crut deviner alors une ambiance anormale, mystérieuse presque, qui planait et jetait sur tout ce désordre un éclairage plus dramatique encore. Il regardait tous ces arbres foudroyés, il regardait au loin dans la brume évanescente des clochers, il scrutait les bosquets de frênes et de broussailles qui semblaient avoir moins souffert mais au travers desquels on voyait tout de même de grands frênes effondrés sur les sous-bois. Il cherchait à comprendre, dans ce paysage meurtri, l’impression confuse d’une étrange mélancolie déployée en filigrane, comme si quelque chose échappait à sa conscience.
Quelque chose comme une absence. Une immobilité aussi.
Il chuchota enfin :
- Il n’y a pas un oiseau.
Pas un pigeon en effet, pas une corneille, pas une tourterelle, pas le moindre pinson traversant le ciel de son vol saccadé, pas un bruissement d’ailes, pas un merle, pas un pépiement et pas un mouvement sur les champs dénudés.
Tout ce silence inquiet avait pénétré l’âme du bûcheron, habitué à vivre avec toutes les animations discrètes et tous les petits murmures de la vie sauvage.
Quentin eut un frisson.
- Ils ont dû partir ailleurs, chassés par le vent, dit Mathilde
- Je ne sais pas. C’est étrange…On dirait la mort...
A l’emplacement de chaque arbre, un grand trou, glaireux comme un tombeau, s’ouvrait à ciel ouvert.
- C’est effroyable, finit par murmurer Quentin
- Oui. Mathilde mesurait aussi l'ampleur du désastre. Elle s’appuyait sur son bras.
En direction de Mauzé dont on apercevait maintenant les premiers toits, les peupleraies inondées étaient broyées et les arbres jetés avec violence, pèle-mêle dans l’eau. Certains avaient été sectionnés à mi-tronc et ils laissaient pendre des lambeaux pitoyables de bois, telles des plaies barbares.
Quentin crut deviner alors une ambiance anormale, mystérieuse presque, qui planait et jetait sur tout ce désordre un éclairage plus dramatique encore. Il regardait tous ces arbres foudroyés, il regardait au loin dans la brume évanescente des clochers, il scrutait les bosquets de frênes et de broussailles qui semblaient avoir moins souffert mais au travers desquels on voyait tout de même de grands frênes effondrés sur les sous-bois. Il cherchait à comprendre, dans ce paysage meurtri, l’impression confuse d’une étrange mélancolie déployée en filigrane, comme si quelque chose échappait à sa conscience.
Quelque chose comme une absence. Une immobilité aussi.
Il chuchota enfin :
- Il n’y a pas un oiseau.
Pas un pigeon en effet, pas une corneille, pas une tourterelle, pas le moindre pinson traversant le ciel de son vol saccadé, pas un bruissement d’ailes, pas un merle, pas un pépiement et pas un mouvement sur les champs dénudés.
Tout ce silence inquiet avait pénétré l’âme du bûcheron, habitué à vivre avec toutes les animations discrètes et tous les petits murmures de la vie sauvage.
Quentin eut un frisson.
- Ils ont dû partir ailleurs, chassés par le vent, dit Mathilde
- Je ne sais pas. C’est étrange…On dirait la mort...
Ils marchèrent jusqu’au canal. L’eau filait à toute allure et déversait son trop plein entre les cadavres alignés sur ses berges. Quand un arbre s’était abattu en travers de son cours, elle bouillonnait et faisait une cascade d’écume en franchissant l’obstacle.
Quentin s’accroupit et ramassa sous des branchages le corps d’un gros pigeon ramier. Il souffla sur le beau poitrail rose, sur la collerette blanche et sur le dos tout bleu, cherchant une blessure. Il n’en trouva pas. Il reposa l’oiseau, exactement là où il était tombé.
Quentin s’accroupit et ramassa sous des branchages le corps d’un gros pigeon ramier. Il souffla sur le beau poitrail rose, sur la collerette blanche et sur le dos tout bleu, cherchant une blessure. Il n’en trouva pas. Il reposa l’oiseau, exactement là où il était tombé.
Il passa la main sur son front. Il regarda le bleu malade du ciel.
- Ils ont été projetés de leur perchoir. Ceux qui ont voulu s’enfuir ont certainement été fracassés. Ils n’ont plus où se percher dans tout ce chantier, et Quentin montrait d’un geste las le marais sur lequel déclinait la lumière, toute pâle, toute triste, comme la bougie d’une première nuit de deuil et de veille.
- C'est pas vivable un monde sans oiseaux...
Ils rebroussèrent chemin.
- Ils ont été projetés de leur perchoir. Ceux qui ont voulu s’enfuir ont certainement été fracassés. Ils n’ont plus où se percher dans tout ce chantier, et Quentin montrait d’un geste las le marais sur lequel déclinait la lumière, toute pâle, toute triste, comme la bougie d’une première nuit de deuil et de veille.
- C'est pas vivable un monde sans oiseaux...
Ils rebroussèrent chemin.
Sa femme se souleva un peu sur la pointe des pieds et l’embrassa sur la joue :
- Tu ne t’es pas rasé, bandit …plaisanta t-elle.
Il lui sourit. Il se sentait désappointé, fatigué, touché au moral et la colère nouait sa gorge.
- Tu ne t’es pas rasé, bandit …plaisanta t-elle.
Il lui sourit. Il se sentait désappointé, fatigué, touché au moral et la colère nouait sa gorge.
Comme si toute cette hécatombe était profondément injuste et l’eût personnellement atteint. Il aurait aimé faire exploser cette colère, vider la coupe. Mais sur qui ?
- Ils ont de la chance, les gens qui ont un dieu…
- Comment ça ?
Ils marchaient côte à côte sur le chemin humide. La lune se levait sur la tristesse du ciel. La nuit serait froide.
- Rien. Je suis chamboulé et ça me fait dire des conneries.
- Ils ont de la chance, les gens qui ont un dieu…
- Comment ça ?
Ils marchaient côte à côte sur le chemin humide. La lune se levait sur la tristesse du ciel. La nuit serait froide.
- Rien. Je suis chamboulé et ça me fait dire des conneries.
12:40 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Poésie des noms de lieu, en écho à votre ouvrage :
Mauzé-sur-le-Mignon, Saint-Hilaire-la-Palud, Frontenay-Rohan-Rohan, La Foye-Montjault.
La Rochénard, Saint Georges de Rex.
Poésie du marais, où la Sèvre a ralenti son cour, où le temps s’est arrêté. Murmure du vent d’été dans les peupliers. Chaleur de juillet. Sur une barque improbable, comme tous les dimanches, un homme pêche, cherchant à oublier que la jeunesse, déjà, s’en est allée.
Aujourd’hui, il ne vit plus que dans mes souvenirs.
Écrit par : Feuilly | 18.03.2008
Non, je ne suis point de ce pays, mais j'y suis allé souvent enfant car un frère de ma mère y demeurait, étant resté là après l'évacuation de 1940 et s'y étant marié. Il était boulanger et j'allais faire les tournées de pain avec lui, dans la campagne profonde.
Écrit par : Feuilly | 20.03.2008
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