24.06.2008
L'imaginaire est à tous
Je ne chercherai pas à me procurer le livre « Contact » de Cécile Portier et quand bien même celui-ci viendrait-il un jour et par hasard jusqu’à moi, que je ne le lirais pas.
Non pas que je préjuge qu’il soit un mauvais livre. Bien au contraire. Je fais toute confiance à son éditeur, François Bon qui, soit dit en passant, est en même temps le mien sur Publie.net.
Par ailleurs, ce qu’en dit Anne Sophie Demonchy invite à la lecture.
L’interview qu’en donne l’auteur est très bonne aussi.
Alors quoi ?
Alors ce livre, j’aurais pu l’écrire et j’ai longtemps été tenté de le faire.
Non pas que je préjuge qu’il soit un mauvais livre. Bien au contraire. Je fais toute confiance à son éditeur, François Bon qui, soit dit en passant, est en même temps le mien sur Publie.net.
Par ailleurs, ce qu’en dit Anne Sophie Demonchy invite à la lecture.
L’interview qu’en donne l’auteur est très bonne aussi.
Alors quoi ?
Alors ce livre, j’aurais pu l’écrire et j’ai longtemps été tenté de le faire.
Différemment bien sûr. Ce livre, ce récit, dans ce que j’en entends, je l’ai vécu au plus profond de moi et je ne veux pas courir le risque de me revoir sur des mots qui ne seraient pas à moi.
Je me vois donc contraint, puisque j’ai commencé, d’entrer un instant dans le vif de mon existence.
Je me vois donc contraint, puisque j’ai commencé, d’entrer un instant dans le vif de mon existence.
Un matin de mai 2005, au volant de ma voiture, j’ai pris la décision de tout bousculer de ma vie. Les remous de l'amont n’ont aucune importance ici.
Sur la banquette arrière, il y avait une brosse à dents, du dentifrice, un ou deux jeans et des pulls, quelques livres, dont Zo d'Axa, Vaillant et Maupassant, ma guitare et des partitions de Brassens.
Mon monde se réduisait à ça et à l’intérieur de cette voiture. Une Audi A4, pour être tout à fait précis.
Sur la banquette arrière, il y avait une brosse à dents, du dentifrice, un ou deux jeans et des pulls, quelques livres, dont Zo d'Axa, Vaillant et Maupassant, ma guitare et des partitions de Brassens.
Mon monde se réduisait à ça et à l’intérieur de cette voiture. Une Audi A4, pour être tout à fait précis.
A un carrefour en rase campagne, le destin m’attendait et n’admettait plus la tergiversation.
A droite, c’était le retour chez moi, vers l’océan, là où étaient ma famille, mes amis, tout ce que j’avais construit, un boulot, ma langue et mon pays aussi. A droite, c’était la continuité de ce que je vivais depuis plus de trente années, c’était le chemin balisé où était inscrite une histoire sous mes pas .
A gauche, c’était Poitiers, Paris, la frontière allemande, l’Allemagne, toute l’Allemagne, puis une autre frontière encore, la Pologne, toute la Pologne.
A gauche, c’était Poitiers, Paris, la frontière allemande, l’Allemagne, toute l’Allemagne, puis une autre frontière encore, la Pologne, toute la Pologne.
Jusqu’ici, à la frontière biélorusse. A gauche, c'était l’abandon d’un pays, l’effondrement des repères, le schisme, la voie grand ouverte vers l’inconnu.
Je suis resté scotché à ce stop de longues, de très longues minutes. Du coup de volant que j’allais donner dépendait tout le reste de ma vie. Un millième de seconde.
Un couperet. Une réponse claire. Des instants où la réflexion creuse encore plus les fossés, écroule les mondes, incendie les certitudes, des instants de solitude extrême, comme peut-être, je n’en sais évidemment rien encore, on peut en éprouver face à la mort.
Et moi, c’était vers la vie que je voulais fuir.
Je suis resté scotché à ce stop de longues, de très longues minutes. Du coup de volant que j’allais donner dépendait tout le reste de ma vie. Un millième de seconde.
Un couperet. Une réponse claire. Des instants où la réflexion creuse encore plus les fossés, écroule les mondes, incendie les certitudes, des instants de solitude extrême, comme peut-être, je n’en sais évidemment rien encore, on peut en éprouver face à la mort.
Et moi, c’était vers la vie que je voulais fuir.
Voici donc exactement le récit que j’en fis à un ami, mot pour mot, virgule pour virgule, quelque temps après, une fois que le coup de volant eut été donné, comme dans un état second, à gauche.
Il s’agit là d’un copier/coller daté du 18 décembre 2005.
« Ce stop, vois-tu, semblait avoir été posé là pour moi seul et comme limite où devaient s’exprimer, sans qu’aucune dérogation ne soit permise, en même temps la fin de la duplicité et le commencement du courage à vouloir vivre sa vie, à droite comme à gauche.
Le ciel de mai était gris, froid, bas et moche. Je voyais des corneilles bousculées par le vent et qui planaient sur les blés en herbe. Une responsabilité énorme pesait sur mes épaules, depuis toujours peu portées à les recevoir, les responsabilités. Si je prenais à gauche, on pleurerait à droite et inversement.
Que s’est-il passé exactement ? Je ne saurais aujourd’hui trop bien te le dire. Je me souviens avoir hurlé de joie une fois que la voiture eut bondi à plus de cent cinquante à l’heure vers l’entrée de l’autoroute. J’ai hurlé de joie parce que je fonçais vers une décision prise, irrémédiable et franche. Vers d’autres horizons dont je ne connaissais pas encore la couleur et que j’habillais simplement d’espoir.
Aujourd’hui, installé dans cet hiver que la neige englouti, à plus de 2500 km de tout ce que fut jusqu’alors ma vie, dans une langue où je n'entends que des chuintements, heureux et reposé, je me demande souvent ce qui se serait passé si j’avais tourné le volant à droite.
Je ne le saurai jamais. Je mourrai sans le savoir.
Peut-être un jour, pour tuer cette frustration, écrirai-je un texte où je referai l’histoire, je me ferai apocryphe. Un texte où le personnage tournerait à droite. Je ne sais pas si je le ferai hurler de joie devant la fin de l’indécision.
Parce que nous sommes des êtres inachevés, des prétentieux qui nous croyons maîtres de nos destins alors que nous ne comprenons rien à la mise en scène de notre propre histoire. Nous sommes suspendus aux quarts de secondes passionnels….» etc.
Je n’écrirai jamais ce texte. Ni Cécile Portier, ni François Bon n‘y sont pour quelque chose.
La littérature écrit le monde en mouvement. Ce sont là des concepts de forte liberté. Le monde n’appartient à personne, pas plus que la littérature.
Nous avons une fâcheuse tendance à croire que notre aventure sous les étoiles est unique, exceptionnelle et que l’imaginaire qui s'en nourrit nous appartient.
C’est d’une vanité dramatique.
Tout cela est universel.
Et pour conclure, quand il se trouve des hallucinés(ées) assez bornés(ées) pour croire lire chez un autre des bribes de leur imaginaire, ils ou elles ne sont bien souvent que de pitoyables personnages.
D’une grotesque fatuité.
Ce sont des imaginaires dont les lumières ne portent pas plus loin qu’une lampe pour les cagouilles, bref des imaginaires sans imagination.
Ce sont des imaginaires dont les lumières ne portent pas plus loin qu’une lampe pour les cagouilles, bref des imaginaires sans imagination.
Je souhaite évidemment longue vie et bonheur au livre de Cécile Portier. Du fond du cœur et pour plein de raisons, indépendantes les unes des autres.
08:55 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
j'ai justement lu la moitié de "Contact" ce matin très tôt, je le finirai peut-être ce soir, je pense que son existence ne vous empêche en rien d'écrire votre histoire, les écritures et les expériences ne sont jamais les mêmes, l'une ne remplace pas l'autre...
Écrit par : ms | 23.06.2008
Tiens. J'ai ressenti aussi un peu quelque chose comme ça, à la lecture de ce texte. C'est donc qu'il parle.
Écrit par : PhA | 23.06.2008
Bien sûr. Il n'y a jamais remplacement.Il y a des expériences qui,au contraire de vous Martine, je pense sont universelles et que la littérature c'est ces choses universelles portées et confrontées (friction au monde dirait François) aux mouvances du monde, telles que vécues par chacun.
Il n'y a dans mon texte aucun dépit, bien au contraire.
Écrit par : Redonnet | 24.06.2008
En lisant votre texte, au demeurant très beau, je pense d'abord à l'expérience de vie plutôt qu'à la littérature comme expression de cette expérience. Et en particulier à cette forme (je dis bien cette forme) de courage qu'il vous aura aussi fallu pour tourner le volant - que cela fût à droite ou à gauche, d'ailleurs. Sans doute parce que nous sommes nombreux, majoritaires même, à ne jamais tourner le volant. En le tournant, on sait ce qu'on quitte, pas ce que l'on va trouver ; et nous projetons, avant même d'agir, notre crainte du remord ; nous nous méfions de nous-mêmes, de nos emportements, de la tentation du geste romantique, des limites de notre raison. Alors même que les occasions pour nous de maitriser notre vie, ou au moins de nous donner l'apparence de cette maîtrise, sont en effet assez peu nombreuses. Et que vous sembliez après coup plutôt heureux de ce "choix" ne change rien à l'affaire. Je maintiens donc qu'il y avait du courage, au volant de cette Audi A4, autant que de désir un peu fou, de nécessité destructrice ou de penchant passionnel.
Si les choses se sont bien passées comme vous le dites, alors c'est en effet suffisamment romanesque pour que vous puissiez vous l'approprier en littérature. Tout a été écrit déjà, vous le suggérez, mais cela vaut pour toutes les histoires et pour tous les livres. Je comprends votre souhait de ne pas lire le livre dont il est fait mention ; en revanche, je comprendrai moins bien que vous n'écriviez pas ce qui constitue un tel moment de rupture dans l'existence, vous pour qui le passage à l'écriture semble aussi constitutif de l'existence.
Écrit par : MV | 24.06.2008
Merci, Marc, pour ces mots, cet échange où la gorge se serre.
Denis, auquel nous faisions allusion par ailleurs, et qui me connait bien, avait (c'était pas la première fois), parlé de mon romantisme suicidaire.
Je ne sais pas.
En tout cas, il n'y a pas de courage. Il y a, à certains moments, l'exigence viscérale d'imposer son rêve au réel, de les fondre et de les confondre, ces deux notions du bonheur et de la douleur.
Viennent des fois des chemins qui cheminent dans nos têtes et qu'il faut (qu'il me faut en tout cas) prendre par la main pour savoir jusqu'où, sortis de cette tête, ils proposent d'emmener.
Et nous savons bien que le bonheur, c'est cet absolu de l'éphémère.
Il est le dieu des athées. Qui a sur l'autre l'incommensurable mérite d'exister.
A bientôt
Écrit par : Redonnet | 24.06.2008
Ce que je retiens, c'est l'exigence viscérale.
La liberté est bien un sentiment...
Et Brassens était assis à l'arrière...
"C'était un petit tout petit voilier
Un petit bateau de pêche
On l'avait bâti d'un bout de papier
Et d'un vieux noyau de pêche
Dans un petit port entre deux roseaux
On l'avait mis à l'amarre
Il appareillait dès qu'il faisait beau
Pour naviguer sur la mare
Mais un jour le petit bateau fit un rêve
A son tour il voulut entreprendre un voyage au long cours
Alors il s'en fut magnifiquement
Tout là bas vers les tropiques
La vie qu'il menait lui donnait vraiment
Des idées misanthropiques
En l'apercevant chaque nénuphar
Craignait qu'un malheur n'arrive
Et le ver luisant qui servait de phare
Lui criait rejoins la rive
Mais il répondit d'un air malséant
Je ne crains pas les déboires
Aussi bien le fleuve et les océans
Ce n'est pas la mer à boire
Quel plaisir de voguer ainsi sur les ondes
Quel plaisir de pouvoir naviguer au gré de son désir
Le ciel est tout bleu et le vent léger
Tous ces braves gens divaguent
Je me moque bien d'ailleurs du danger
Car je n'ai pas peur des vagues
Il ne savait pas qu'à côté de lui
Un canard faisait trempette
Pour notre bateau qui était si petit
Cela fit une tempête
Et rapidement je vous en réponds
Les événements se gâtent
L'eau s'est engouffrée dans les entreponts
Adieu la jolie frégate
Sauve qui peut criait le navire en détresse
Sauve qui peut je ne vais plus jamais revoir le beau ciel bleu
Et tout en pleurant sa vie d'autrefois
Le petit bateau chavire
Ça prouve qu'il faut demeurer chez soi
Quand on n'est qu'un petit navire"
Écrit par : françoise b. | 25.06.2008
"Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais. (..........)
....................................................
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir.
Écrit par : Redonnet | 25.06.2008
"Descendre"
Le bateau ivre ne va pas au fil de l'eau.
Mais,
"nous savons bien que le bonheur, c'est cet absolu de l'éphémère.
Il est le dieu des athées. Qui a sur l'autre l'incommensurable mérite d'exister."
Écrit par : françoise b. | 25.06.2008
J'étais un grand bateau DESCENDANT la Garonne
Farci de contrebande et bourré d'Espagnols
Les gens qui regardaient saluaient la Madone
Que j'avais attachée en poupe par le col
Un jour je m'en irai très loin en Amérique
Donner des tonnes d'or aux nègres du coton
Je serai le bateau pensant et prophétique
Et Bordeaux croulera sous mes vastes pontons
(...)
Rassasié d'or ancien ployant sous les tropiques
Un jour m'en reviendrai les voiles en avant
Porteur de blés nouveaux avec mes coups de triques
Tout seul mieux qu'un marin je violerai le vent
Harnaché d'Espagnols REMONTANT la Garonne
Je rentrerai chez nous éclatant de lueurs
Le gens s'écarteront saluant la Madone
En pour par le col et d'une autre couleur
(Leo Ferré, le bateau espagnol)
Ce qui signifie que pour revenir il faut d'abord savoir partir.
Écrit par : Feuilly | 25.06.2008
J'ai lu votre texte il y a quelques jours. Touchée. Je voulais vous le dire, seulement. Est à tous, l'imaginaire, et aussi la difficulté de rencontrer l'autre, où que soit le bout du chemin.
Alors je tourne en rond depuis quelques jours pour vous dire que je suis touchée. Ne sais pas comment le dire, ne pas être intrusive, pas dans la biographie. Et je tombe sur ce petit livre de Rainer Maria Rilke, Notes sur la mélodie des choses :
"En réalité les ponts menant à l'autre, par où l'on vient d'un beau pas solennel, ne sont pas en nous, mais derrière nous, exactement comme dans les paysages de Fra Bartolomé ou de Léonard".
Écrit par : Cécile Portier | 01.07.2008
Soyez sans crainte, Cécile. Vous n'êtes surtout pas intrusive, j'ai mis ce pan, ce déchirement de ma promenade, en public. Il ne m'appartient plus tout à fait.
L'interview que j'avais entendu de vous m'avait donné ce vertige qui vous prend quand un ou une autre, ou un livre, parle quasiment de vous sans ne vous avoir jamais vu.
L'universalité des douleurs et des bonheurs. Après seulement vient ou ne vient pas le talent des mots pour sublimer ou désublimer le magma.
Je ne suis pas de ceux qui établissent une frontière étanche, pratique et rassurante, entre l'imaginaire et le directement vécu. Je dénie à cet imaginaire, en premier lieu au mien, son autonomie, d'où le titre de mon texte ici. L'originalité n'est pas l'autonomie.
Et pour plagier Saint-Ex, les hommes sont toujours dans le vrai quand ils construisent des ponts et toujours dans l'erreur quand ils élevent des murs.
C'est dire si nous nous fourvoyons souvent !
Merci d'etre venue.
Écrit par : Redonnet | 02.07.2008
J'avais lu ce texte à l'époque, gorge serrée et n'avais pas réagi. Cécile Portier l'exprime très bien "pas intrusive dans la biographie"; vous y répondez clairement aussi"ce qui est devenu un texte ne vous appartient plus tout à fait".
Ce qui motive mon commentaire aujourd'hui, c'est le billet que vous adressez aujourd'hui à F dans le Forum de TL. Que je trouve magnifique. Je voulais venir vous le dire dans Exil des mots.
Je ne pouvais pas sur le texte du chat. Aurait d'abord fallu pouvoir dire qqchose sur le texte. Trop d'émotion encore.
J'ai relu " Chez Bonclou ". Ce livre me fascine. L'impression de le découvrir à chaque lecture. En même temps qu'on le sent revenir de tout au fond de soi.
Écrit par : michèle pambrun | 21.07.2008
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