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27.03.2008

Je voulais y aller

781592849.JPGJ’avais pointé l’endroit sur ma carte. Tout juste une cinquantaine de kilomètres de chez moi.
Je voulais y aller.
Palper de mes yeux cette forêt de folies et de sang.
Peut-être parce que ce nom sur ma carte, si près de ma maison, m’effrayait. Peut-être pour autre chose. Je pensais aussi à Stasiuk dans sa quête de la tombe de Jakub Szela. Je pensais aussi à sa complicité avec une vieille  carte recollée.
Nous y sommes allés.
Nous avons pris par Włodawa, sur la frontière ukrainienne. Le ciel était bas et gris avec une lumière d’une tristesse sans nom, une tristesse de Pâques et de dimanche après-midi au bout du monde.
Nous nous sommes arrêtés pour photographier la première cigogne de retour sur son gros nid. Ça sent le printemps ?
Mal lui en prit à notre première cigogne. Le lendemain sera une tempête de neige, un blizzard, le pays englouti.
Notre cigogne avait-elle mal lu sa carte des étoiles ?

Nous avons longtemps longé la frontière à travers une forêt épaisse sur une route approximative. Au fur et à mesure que nous approchions, il y avait de la brume mélancolique dans l’air sans un mouvement. La lumière grisâtre descendait du ciel entre les arbres.
Les villages sont pauvres ici, dénudés, comme figés dans l’absence de lumière. Je trouve que c’est inquiétant : pas une âme qui vive.
Je le dis. D me dit que c’est une région pauvre et que c’est l’hiver encore.

Et puis au détour d’un virage qui n’en finit pas, le village que nous cherchons. Perdu, secret, camouflé, on le dirait complètement inhabité. Que du silence tout pâle. Sommes-nous bien dans un des plus hauts lieux de la barbarie humaine ?
Rien ne l’indique. Je suis pourtant chamboulé. Mon instituteur disait ce nom avec effroi. Je me souviens. Ou alors ce silence, cette grisaille, cette immobilité, c’est cela qu’il faut voir, toucher et lire. Comme une damnation qui pèserait là.
Nous traversons le village. Nous n’avons pas vu un humain. Peut-être n’y a t-il plus d’humains ici et que ces maisons en bois, là, accablées de solitude effrayante, viennent d’ailleurs.
Nous nous enfonçons longtemps dans la forêt par un chemin de terre. La voiture cahote. Il fait sombre. Il fait froid.
Et puis soudain les rails posés là, comme jetés dans la forêt. Je les ai déjà vus ces rails à nuls autres pareils. Ce sont des rails rouillés, qui ne sortent de nulle part, ou alors des entrailles de la terre. Des rails courbés sous le poids du sang transporté. Deux parallèles sinistres sur la broussaille des lieux. Les chemins de fer de la honte.
Nous arrêtons là. Nous descendons de voiture.
Deux ou trois maisons dont une à moitié écroulée, abandonnée aux halliers, de briques rouges, d’un rouge insolent qui détonne, qui crie presque sur le  ton délavé de tout.
La gare. C'est la gare. Là où ils débarquaient. Fusils dans le dos, crocs répugnants des chiens au mollet.
La gare et tout autour, pas un bruit, pas un pas, pas un oiseau, pas un souffle de l’air, pas un rideau qui ne se soulève aux fenêtres comme mortes.
La pancarte est dégoulinante de rouille.
Longtemps je me suis  arrêté devant cette pancarte. Prononçant le mot à voix basse, à voix haute. Je twisterais le mot s’il fallait le twister…Pendant que je lis et que je relis ces trois syllabes, la gamine s'amuse à me prendre. Elle a l'âge des histoires qui amusent. Pas encore de l'histoire. Surtout quand elle a cette couleur de ciel.
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Le musée est fermé. Tout est fermé ici. Nous sommes dans un espace fermé au reste du monde, bouclé au fin fond des forêts, prisonnier de ses drames, un enclos infernal.
Pourquoi là ?
Il me semble que je ne retrouverai pas le chemin du retour.
Nous avançons. Les monuments sont là. Je regarde le ciel noir entre les hauts pins et les bouleaux.
Il me semble entendre gémir de la douleur.
La nôtre aussi que nous transmettent nos mains.
Nous nous taisons.
Un groupe de quatre ou cinq personnes arrive que nous croisons sur le petit sentier qui mène à des pierres posées sur le sol avec des noms, des noms, des noms et des prénoms, avec de la mémoire qui murmure enfin dans tout ce paysage pétrifié de tristesse. Ce groupe que nous croisons,  premiers traits d'union avec la réalité meurtrie de ce dimanche.
Des gens qui bougent. Je soupire. Personne n’a oublié.
Je regarde encore le ciel.
Faire taire ce couteau qui serre mes amygdales.
A quand l’espoir d'un grand soleil et des éclats de rire, de rire, de rire ?

Ici sont les griffes de la cruauté.
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10:53 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

JUSTE UN CHANGEMENT D'UNIFORME

Les poètes ne souffrent pas à Sobibor
Ils voient la nature à l'oeuvre
Ils entendent Zoran Music dire
Nous ne sommes pas les derniers
Ils voient les bourreaux d'hier
Devenus bourreaux aujourd'hui
Venir fleurir hypocritement
Les tombes des victimes d'hier
Pour s'exonérer de celles plus nombreuses
D'aujourd'hui et de demain

Écrit par : gmc | 29.03.2008

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