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06.07.2014

Réquisitoire - 2 -

Requisitoire.jpgFlorent m’eût-il consulté avant de prendre la décision d’ester en justice que j’eusse plaisamment paraphrasé Frédéric Dard en le prévenant qu’un plaignant est cuit d’avance si son avocat n’est pas cru.
Ça n’aurait, j’en conviens, pas beaucoup fait avancer ses affaires. Plus sérieusement, j’aurais quand même tâché de l’en dissuader.
Car, comme je le subodorais fortement, après avoir mis les pieds dans ce bourbier, mon pauvre ami n’a pas cessé de s’embourber, alors que tout avait pourtant commencé sous d'agréables auspices. Mais il est vrai aussi que c’est le propre de tout bourbier que de dissimuler son côté sale. Sans quoi il ne piégerait que les suicidaires !
Ainsi, consulté par mail, un avocat répondant au doux et prometteur qualificatif de Maître Fortuna, se montra catégorique après que Florent lui eut exposé les tenants et les aboutissants de ses déboires. Selon lui, c’était simple et, juridiquement parlant, ça coulait de source (de revenus pour lui sans doute) : il y avait eu début d’exécution par ce premier versement effectué en juillet 2010 et ce début d’exécution valait devant une juridiction « reconnaissance de dette ».
Florent exultait. Ah, il allait se le payer, cet enc… d’escroc de voleur de toiles ! Il allait le trainer devant les tribunaux ; il allait jeter sur lui l’opprobre social et lui faire rendre avec force de loi ce qu’il lui devait !
Comme tous les rêveurs de la terre qui n’y connaissent absolument rien aux turpitudes d’un système, qui, même, s’imagine ce système comme tout empreint d’une équitable sagesse, Florent faisait déjà allègrement cuire l’œuf dans le cul de la poule. D’autant qu’il existait, selon l’avisé homme de loi, une juridiction dite de proximité, créée en 2002 par le gouvernement Jospin au dessein de désengorger les tribunaux d’instance embouteillés sous des tonnes de dossiers, tous plus urgents et primordiaux les uns que les autres : un coq qui chante trop tôt le matin, une borne de jardin mal placée, un droit de passage contesté par un voisin sur une parcelle protégée par la loi trentenaire, tapage nocturne après beuverie, chien errant et galeux qui a piétiné trois plants de salades et ainsi de suite…
Cette juridiction de proximité, mon cher Monsieur, vous conclura votre affaire en deux temps trois mouvements et nous allons demander que nous soient comptés, en plus, les intérêts légaux courant depuis le manquement à notre deuxième échéance.
Mon ami Florent n’en était déjà plus à cuire l’œuf dans le cul de la poule : il en était à l’omelette aux fines herbes et aux cèpes!

La première déconvenue, à laquelle, quand même, il aurait dû s’attendre, fut, quarante huit heures à peine après qu’il eut donné son enthousiaste feu vert à son chevalier servant pour entamer la procédure, la réception par mail d’une facture d’honoraires en bonne et due forme et d’un montant de plus de six cent euros, hors taxes bien sûr, à honorer dans les délais les plus brefs et avec des salutations on ne peut plus distinguées.
A ce stade de ma narration, cher lecteur, il te faut empoigner une calculette. Car l’avocat vit en France et en euros alors que Florent vit en Pologne et en zlotys. Fi, donc, des calculs relatifs au cours des monnaies : la facture s’élevait dans l’absolu à 2500 zlotys. Une fortune, soit deux fois le SMIG polonais !
C’est comme si un Français avait reçu une facture de 2800 euros !
De plein fouet fut frappé droit au cœur le velléitaire plaignant !
Il n’avait seulement pas cent zlotys en poche et, tant pis, merde de merde, qu’il les garde les toiles et le fric, ce salaud, qu’il aille en enfer et ce monde est vraiment encore plus pourri que je ne l’imaginais.  Je laisse tomber !
Sage résolution. La colère est parfois bonne conseillère.
Las ! Las ! Las ! C’est là que je suis intervenu, croyant bien faire car voyant bien à quel point mon ami était dépité d’avoir à abandonner ses œuvres aux mains d’un salopard…
Je le regrette beaucoup aujourd’hui.

« Mais, que j’écrivis à Florent, il existe quelque part dans tout ce merdier, ce qu’on appelle l’Aide juridictionnelle avec un grand A, une aide pour les pauvres comme nous-autres qui leur permet de se défendre s’ils sont soudain victimes – plus que d’habitude et de façon plus flagrante encore - d’une escroquerie… C’est l’Etat, le bon Samaritain, qui paye l’avocat et les frais … Fais-en la demande. Avec tes revenus plus qu’aléatoires, ils te l’accorderont à tous les coups. »

Une juridiction de proximité (un peu comme la démocratie de Ségolène Royal), une aide pour les pauvres gens,  que demande le peuple ?
M’inondant de remerciements, Florent repris donc le combat et fit un pas de plus, par ma faute, vers la déprime, en téléchargeant effectivement sur internet un dossier de demande d’aide juridictionnelle…
Ce sera très rapide, lui avait entre temps assuré, quoique sur un ton beaucoup moins enthousiaste et urbain que précédemment, délaissant bizarrement le nous solidaire et complice pour un vous plus distant, Maître Fortune, mis au courant de la démarche.
Nous étions, notez  bien, lecteurs, fin août de l’année dernière.

Affaire à suivre...

13:01 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, littérature, politique |  Facebook | Bertrand REDONNET

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