26.04.2014
Ceux qui savent
Je ne saurais vous dire si c’est affligeant ou rassurant : le petit paysan des rives du Bug a exactement le même comportement, dans une certaine situation, que celui de Charente-Maritime, pourtant à 2500 km de distance.
Quelle culture, quel réflexe comportemental les unit donc ? Et par les voies ancestrales de quelle communication ?
Du temps que je vivais au bord de l’Océan, donc, je cultivais un petit potager. Tout petit, où s’égayaient tomates, poireaux et autres carottes nouvelles… Quoi que je fasse cependant de mon divertissement, le paysan d’à côté venait s’appuyer sur la clôture, tordait la bouche, secouait la tête, souriait, haussait les épaules et se faisait gentiment goguenard :
- Sont grandement plantés assez près, tes poireaux !
Je rectifiais et les espaçais un peu plus, bien conscient qu’il connaissait mieux que moi l’art de se nourrir des fruits de la glèbe.
Et deux jours plus tard :
- Sont grandement plantés assez loin les uns des autres, qu’il disait alors, en reniflant fort et en faisant celui qui est un peu dépité par mon dilettantisme !
Bref, selon lui, j’avais pas l’œil. Je ne savais pas planter des poireaux…
Ou alors :
- T’as pas bêché trop profond, dis-donc ! A dounneront rin tes patates !
Ou encore :
- Hum… Une drôle d’idée. T’en n’auras pas. Ta terre est trop sec.
Ça, c’était pour la mâche semée au quinze août sur terre bien tassée.
Je trouvais ça sympa, finalement. Une sorte de condescendance du professionnel devant celui qui s’amuse. Une façon aussi de communiquer, de faire voir à son avantage qu’il prenait en considération qu’un type comme moi, toujours à gratter sa guitare ou à lire des conneries dans les livres, veuille bien se pencher un peu sur la terre, comme lui, pour y faire pousser des affaires.
Hé ben, là, en Pologne, figurez-vous, copie conforme… Pas pour le jardin, je n’en fais pas, trop de sable, mais pour un poulailler que je construis, ayant eu l’idée – farfelue selon certaine dame- d’élever quelques gélines.
Il faut dire que j’en vois de toutes les couleurs. J’ai du mal à imaginer la géométrie dans l’espace pour la concrétiser dans des assemblages savants de planches, d’angles, de dimensions, et cette satanée bulle du niveau qui ne consent qu’après moult et coléreuses contorsions de l’artisan à rester enfin stable ! Mais ça prend forme, ça prend forme. Je ne dis pas que l’équilibre des forces y est impeccablement respecté, mais bon, ça tient la route.
Passe alors un voisin, allant vers la forêt où il récolte son bois. Il s’arrête, me lance un cordial cześć ! (salut !), s’appuie à la clôture, examine et :
- Hum…L’est un peu trop p’tit, ton poulailler !
- Bah ! Pour quatre poules et un coq, ça suffit...
- Oui, mais les planches sont trop minces. Elles auront froid… Tu sais que chez nous l’hiver est méchant !
- Bon…
Ça m’ennuie, ça, oui…
- Ta clôture est pas assez haute… Elles voleront par-dessus…
Je demande :
- Tu pourras me donner un peu de paille ?
- De la paille ? Non, non , non ! Il faut du foin. C’est plus chaud. Faut pas mettre de la paille. Je te donnerai du foin. Ça leur tiendra mieux le cul au chaud ! hahahahaha !!!!
Quand les poules mangeront du foin, disait ma mère pour signifier «jamais de la vie. »
Ben voilà, j’y suis désormais au jamais de la vie !
Heureusement, me dis-je sur l’air de celui qui a évité une catastrophe, que ce sympathique voisin, n’a pas tout vu ! Car un orage a éclaté mercredi soir, zébrant la campagne d’une forte pluie mêlée de grêle rageuse.
J’ai couru me mettre à l’abri sous ma construction dont je venais juste de terminer le toit. Grosse déception : il y pleuvait quasiment autant qu’au jardin.
J’avais fait se croiser les courants à l’envers, ceux du haut dessous ceux du bas !
J’ai refait.
En remerciant in petto Jupiter de sa bienveillante vigilance.
05:58 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Délicieuse évocation ... on apprend à tout âge.
J'en ai fait l'expérience aussi
Lorsque j'ai eu mon premier jardin, il y a 35 ans, mon grand-père est venu en visite et a eu un bon sourire amusé à la lecture du cahier que je tenais jour après jour selon les saisons.Echecs, réussites dont j'étais certaine, pauvre innocente que je suis,que l'année suivante, je pourrais en tirer les leçons.
C'était sans compter avec les aléas climatiques, gels, sècheresse, pluies et j'ai vite compris que chaque année, tout est à repenser selon les cadeaux de la météo.
Vivement une photo des poules et leur coq! Amitiés Anne-Marie
Écrit par : Emery Anne-Marie | 27.04.2014
D'accord, c'est un récit du réel. Mais ça pourrait être une nouvelle. Et ça m'a fait rigoler - j'ai dans l'oreille encore les quelques mots et l'accent de nos paysans charentais-maritimes...
Écrit par : Marc V. | 07.05.2014
Ah, Marc, quel plaisir de vous revoir sous ces quelques lignes !
Ceci dit, je vous lis aussi mais ne laisse guère trace de mon passage.
Tenez, pour vous et pour vous entrainer à la langue de votre aïeule, je crois me souvenir :
http://www.bialabp.edu.pl/aktualnoci/1132-spotkanie-autorskie-z-bertrandem-redonnetem.html
Amitiés.
Écrit par : Bertrand | 07.05.2014
Quelle mémoire ! Mais l'aïeule en question était... hongroise (je "m'avais gouré", quand je vous en ai parlé...). Au demeurant, cela n'aurait rien changé : je ne lis ni le polonais, ni le hongrois. Je me contente du français - et c'est déjà pas toujours si simple... !
Écrit par : Marc V. | 07.05.2014
C'est même parfois très compliqué...
C'était une plaisanterie, mon lien, vous l'aurez compris. Mais une plaisanterie sérieuse puisque je suis effectivement invité à venir parler de mes quelques livres dans une bibliothèque polonaise.
L’exercice risque d'être chaud (!)
Quant à parler le hongrois, langue non indo-européenne, comme le finlandais d'ailleurs, aie, aie, ouille, c'est coton !
Écrit par : Bertrand | 08.05.2014
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