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28.10.2017

On cause de la pomme et de son pommier

littérature,écriturePan Feuilly vient de  croquer mon livre et de s’en faire l’écho ici, sur son blog Marche romane.
Qu’il en soit vivement remercié
Depuis dix ans maintenant, lui et moi nous lisons.
Nous nous lisons, devrais-je écrire pour plus de clarté grammaticale, mais ce n’est pas beau à l’oreille silencieuse d’un lecteur… En tout cas pas à la mienne.
Bref, nous sommes des amis.
D‘aucuns penseront alors : oui, d‘accord, mais c’est là de l’entre-soi, du copinage, de la critique de complaisance.
On peut dire comme ça. Mais on devrait surtout dire que, petits auteurs que nous sommes, nous n’avons point l’heur de fricoter avec les grands et les moyens médias, que nous ne connaissons ni Onfray le philosophe vedette, ni Moix le méchant névrosé, ni le nostalgique Zemmour, ni le sympathique Naulleau, ni tout autre personnage chroniqueur portant loin la parole de l’écrit, et que nous sommes dès lors bien contraints de nous auto-publiciter.
Nous ne prétendons cependant pas forcément au talent. Nous disons simplement - et ce n’est pas rien - que l’occasion ne nous est guère donnée de prendre à témoin le grand public pour qu’il juge lui-même si nous sommes de lamentables grimauds ou de vrais écrivains.
Et nous sommes des milliers dans ce cas.
En nous fermant le bec, on gagne alors un temps fou pour promouvoir « les élus du sérail », qu’ils nous arrivent parfois de lire et dont nous pouvons dire alors, pour une bonne part d’entre eux, que nous leur sommes supérieurs à bien des égards…

Ceci étant dit, avec une pointe de dépit quand même mais aussi un soupçon de jubilation, je remercie ici publiquement Loïc Jouaud, qui préside aux destinées des Editions Cédalion.
Je le remercie pour le travail de diffusion qu’il fournit, sillonnant sans relâche les routes pour déposer en librairie, démarcher, faire connaître.
Il me disait ce matin encore : vous êtes dans la plus grande librairie de Tours "La boite à livres" et à Amboise "C'est la faute à Voltaire".
Je sais qu’il y a des tourangeaux parmi les lecteurs de L’Exil des mots. Cette nouvelle leur fera plaisir,du moins l’espèré-je.
Là encore les fâcheux et les fâcheuses, avec leur manie de donner un avis sur tout ce qu’ils ne connaissent pas vraiment, vont dire : Ben ! quoi de plus normal pour un éditeur que de distribuer son livre ?
Juste un mot de réponse : si les petits éditeurs comme Loïc Jouaud avaient les moyens de se payer un distributeur en abandonnant au passage 33 pour cent de leur chiffre, sans doute le feraient-ils.
Dont acte.

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23.10.2017

Des paysages et des hommes

littérature,écritureL’automne flamboie.
Le jaune des bouleaux, le vert des pins et le rouge des chênes se disputent la vedette. Une huile au couteau. Une palette épaisse et si rude qu’il faut prendre du recul, sortir un peu de soi pour en goûter tout le langage. Pas comme cette aquarelle subtile de nos rivages où les vapeurs océanes diluent les couleurs et liquéfient la lumière qui ruisselle dans l’espace vide d’entre les choses, mais aussi sur ces choses elles-mêmes et sur nous-mêmes. Les paysages de bords de mer fusionnent le spectateur et le spectacle dans un même flux réfléchissant le monde.
Les paysages continentaux, eux, sont plus extérieurs, modelés par la terre et par une intelligence rustique entre les arbres. Le bouleau est un pionnier. Il arrive le premier au gré d’une saute septentrionale du vent et il dit que c’est là qu’il faut planter une forêt, que le sol est riche et que le sable est assez stable. Le Polonais est un forestier. Il sait lire entre les troncs. Il souscrit aux indications du bouleau et plante là les pins qui feront des maisons, des granges, des fermes et des clôtures.
Les forêts de l’est sont les gisements des bâtisseurs.
Le chêne rouge cependant a observé tout ce manège. C’est un erratique, un apatride, on ne veut pas trop de lui ici, trop lent, beaucoup trop flâneur dans sa croissance. Alors il s’incruste, passager clandestin des essaimages, magistral parasite des sylvicultures, arbre de proie.

Tout ce muet panachage de l’éclaireur du nord, du pin de construction et du bel intrus sans papiers, accompagne de lumière la route où cahote un cheval.
Il est attelé à une sorte de carriole étroite tout en longueur, avec deux essieux, celui de l’avant savamment articulé. Deux sacs de blé dur y bringuebalent. Ils s’y promènent exactement. Derrière la carriole, piaffe le Renault flambant tout neuf d’une société ouverte au soleil couchant, quarante tonnes en route vers la construction des paysages nouveaux, un demandeur d’autoroutes, un qui n’aura que faire de la lecture des bouleaux.
Car les époques ici se côtoient sans s’agresser, ne se poussent pas du coude, se superposent comme les sédiments, se font des signes, sans moquerie, sans marque de supériorité et sans dédain. On sait bien que tout ça, ça va, d’accord, mais que ça peut venir aussi et on a l’air de penser qu’on ne sait pas trop bien qui, du cheval remorquant ses deux sacs de blé ou du Renault tractant ses quarante tonnes, est finalement à contretemps.

Les champs sont immobiles. On dirait que personne ne vient les éventrer et les bousculer dans leur torpeur. Ils sont comme des trapèzes, et c’est pas pratique, un trapèze. Ils sont aussi comme des triangles, ça a des angles aigus difficiles à entretenir, les triangles. A des quadrilatères difformes et sans angles droits, qu’ils ressemblent parfois. Rarement, très rarement, ils sont ces rectangles pragmatiques des grandes cultures de l’ouest et qui, vus d’avion, dessinent si bien la terre en un jardin impeccablement entretenu.
Un jardin à la française.

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19.10.2017

Prendre le monde au mot

f.JPGLes mots voyageurs, tels les feuilles d'automne, sont dispersés tout autour de nous, à notre disposition de curieux. C’est à nous de fureter, de soulever les apparences et de les découvrir. Comme des chercheurs de bolets à l’été finissant et sur les sentiers peu fréquentés des sous-bois, tant et tellement inutiles qu’ils en viendraient à disparaître, repris par la broussaille. Pour progresser, il  faut y écarter l’épine noire et le genêt bourru.
C’est le premier plaisir du promeneur, trouver son champignon, dans un coin secret déserté des hommes, le chapeau gras et luisant sur un talus moussu et sous un rai humide de fine lumière, comme s’il ne s’était appliqué à pousser là que pour ce chercheur, jusqu’à lui venu.
Le second plaisir est un plaisir de bouche, flatter le palais du fruit de la découverte, le secret de la cuisson étant à la discrétion du seul cueilleur. Un fait du prince.
Le dernier plaisir est de savoir s'arrêter devant les plus beaux, ceux que nous savons être mortels.

Il en va de même pour les mots.
Que seraient-ils si nous ne nous en faisions pas les découvreurs et ne les cuisinions pas selon notre appétit ? Des concepts purs, des produits, des récitations et des leçons, voilà ce qu'ils seraient ! Les mots ne sont plaisirs que s’ils ouvrent sur les paradis à jamais perdus de nos printemps en culottes courtes. Les mots doivent babiller, sentir le lait et le commencement de la grande aventure.
Ils doivent être dits avec la voix lactée.
Ecoutez bien quelqu’un qui parle avec des mots fermés, avec des leçons. Il vous dira des choses intelligentes, raisonnables, indéniables, vérifiables. Mais il ne vous dira jamais de belles choses, qui souffleraient sur l'âme.
Seuls les conteurs et les affabulateurs savent ouvrir les mots sur des horizons perdus. Un jour, ou une nuit, ils diront le mot « mort ». C’est toujours  leur dernier mot. Le seul mot fermé. Le seul qui  n’admette pas la métaphore.

Mais tant qu’il y a promenade sous les étoiles, nous filons la métaphore.
Une vie c’est d’abord pour moi cette figure de style souveraine dont dépendent toutes les autres et les mots que nous croisons de nos pas, les mots qui désignent nos espaces, sont d’abord des figures de style.

10:14 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

16.10.2017

C'est un village et son église

littérature, écritureSaint Sauveur.
Tout le monde sait qui est le Saint Sauveur. Un peu partout sur le sol de France, des hameaux, des villages, des bourgades, des cités sont désignés par l’insigne antonomase, tant on imagine mal un lieu-dit s'adjugeant le nom de Jésus Christ. Il y aurait là comme une forte présomption pour le blasphème.
Chacun de ces Saint Sauveur a cependant dû, pour être sauvé de la confusion, prendre un deuxième nom, comme notre  état civil et ses deux, voire trois prénoms, afin que nous ne fussions pas associés, surtout dans des cas  extrêmes, avec un homographe.
Saint Sauveur d’Aunis, Luz Saint Sauveur, Saint Sauveur d’Aix en Provence, Saint Sauveur en Puisaye, patrie de Colette, j’en passe et de tout aussi éloquents, la liste est longue. Et il en est un, particulier, qui
eût pu se nommer Saint Sauveur en Deux-Sèvres, tout simplement, puisqu'il est construit dans le Bressuirais. Mais il s’y serait déroulée une énigme tellement extravagante que les deux, l'énigme et le village, en sont joliment passés à la postérité toponymique.

Sept cent trente-deux fait partie de ces dates qui se gravent dans nos cerveaux d’écolier et ne s'en effacent plus, on ne saurait trop dire pourquoi.
C’est donc cette année-là que Charles Martel arrêta les Arabes à Poitiers. Plus tard, on étudie plus sérieusement alors on dit les Sarrasins. On situe aussi plus précisément le théâtre des opérations, entre Poitiers et Tours, à Moussais exactement, d’ailleurs nommé depuis lors Moussais-La-Bataille.
Toujours est-il que les armées musulmanes ayant été défaites et leur commandant en chef Abd el Rahman ayant succombé au combat, un important groupe de Sarrasins et leurs familles, fuyards désemparés, s’étaient réfugiés en l’église de ce Saint Sauveur en Deux-Sèvres, à quelque quatre vingts kilomètres à l’ouest du champ de la fatale bataille.
Respectueux du Saint Lieu et des célestes lois qui le protègent de toute violence, les habitants les assiégèrent mais ne les attaquèrent pas. Ils promettaient aussi la vie sauve aux Berbères s’ils leur rendaient incessamment le lieu de leur culte.
Les vaillants guerriers Arabes, voulant faire savoir leur ténacité et leur ferme intention de résister jusqu’au dernier, transmirent un beau soir aux assaillants qu’ils ne se rendraient que s’il y avait du givre aux arbres le lendemain matin.
Or, nous étions au mois de mai. Les habitants reçurent donc le message comme une facétie, du style « quand les poules auront des dents »,  et donc comme une indéfectible volonté de ne pas abdiquer.
Ils se préparèrent ainsi à tenir un très long siège devant leur église.
Il advint alors ce miracle que le jour se leva sur une campagne toute blanche et que le givre brilla aux branches des arbres, comme autant de petits cristaux ou de poussières d’étoiles miroitant sous les premiers rayons de l’aube.
Hommes de parole et d’honneur, les Sarrasins médusés se rendirent, les assiégeants persuadés qu’il s’agissait là d’une intervention de la Divine Providence et les assiégés accusant sans doute une félonie du hasard.
Hommes de parole et d’honneur itou, les habitants laissèrent la vie sauve aux Sarrasins qui s’éparpillèrent alors avec leur famille sur les territoires alentour, où ils élirent pour la plupart domicile et où, qu’on me pardonne cet épilogue en conte de fée, s’établit aussi leur descendance.

Si vous traversez un jour ce bout de la Gâtine, vous ne pourrez qu’arrêter un moment votre regard sur cette périphrase, Saint-Sauveur-de-givre-en-mai, qu’on dirait avoir été écrite par le langage tout en allégories des Indiens de l’Amérique du nord.

13:40 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

07.10.2017

Articles

Il y eut celui-ci, sur Loudun, puis cet autre, sur Niort :

 

IMG_5292.JPG

 

 

17:10 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent |  Facebook | Bertrand REDONNET

05.10.2017

Un plus un, plus un autre

littérature,écritureLes feuilles à l'agonie d’un érable solitaire, jauni, se balançaient dans l’air, tout autour.
Des feuilles lourdes, imprégnées de brouillard.
C’est toujours comme ça, l’automne. Avec un vent froid, pas encore coupant, juste menaçant et qui pénètre les vêtements. Qui fait frissonner l'intérieur, par anticipation.
Du silence aussi. Seulement ponctué, de loin en loin,  par le croassement d'un grand corbeau qu'on ne voit pas, caché derrière des brumes.
Oui, c’est toujours comme ça dans les cimetières de l’automne. Du silence. Pas encore définitif, juste prémonitoire, et qui pénètre l’âme.
Le ciel était gris. Le ciel est toujours gris dans les brouillards d'octobre au-dessus des cimetières.
Devant la tombe recouverte de chrysanthèmes aux vives couleurs, une comme le sang, une comme le soleil, une comme la neige, trois hommes baissaient la tête.
C’est toujours comme ça dans les cimetières de l’automne sous un ciel gris devant une tombe, quand le vent est froid et qu’il y a du silence : des hommes baissent la tête. Pas complètement encore. Juste une inclinaison.
Le croyant priait, tout à sa douleur mêlée d’espoir. Douleur contradictoire, quand la conviction de l'esprit est vaincue par l'affliction du coeur. Il invoquait son Dieu et demandait pardon.
C’est toujours comme ça, quand on a un Dieu : on demande pardon.
Le croyant approximatif, le croyant social, priait aussi, plus ostensiblement que l’autre, et il joignait les gestes à ses murmures, se signait et se re-signait encore avec frénésie. Parfois, sa pensée trop libre s’évadait de son maintien, il songeait qu’il faisait froid, bientôt l'hiver, et que le monde était bien cruel d'avoir mis là son tendre ami… Puis il revenait à ce qu’il savait le mieux faire devant une tombe : il murmurait.
C’est toujours comme ça quand on est approximatif : on murmure. On vit tout, même la mort, en équilibre entre le silence et la parole.
L’athée, lui, ne savait quoi faire de ses mains, de ses pieds, de sa tête, de ce froid, de ce gris, de ce silence, de ces murmures. Son front était baissé, mais avec le secours de la volonté. Il fouillait dans ses poches, trouvait ça inconvenant, tapait du pied, se grondait in petto de n'être point décent, regardait ailleurs des oiseaux qui furetaient sur les allées désertes du cimetière, et revenait sur le nom de son ami gravé dans la pierre, entre deux branches de buis transies.
Il déplorait la fuite du temps. Fuite qui tue. Et cet horrible, cet inconcevable, ce terrifiant plus jamais tournoyait dans son cœur comme tournoyaient dans l’air les feuilles jaunies de l’érable mouillé.
Des larmes ruisselaient le long de ses joues délabrées qui tremblaient.
C’est toujours comme ça quand on est athée : on n’a rien à répondre à l’absurdité des choses.
Alors il arrive que des larmes ruissellent, suivent les rides des joues, mouillent le menton et tombent dans un inconsolable vide.
Celui du mort comme le sien propre.

 

14:22 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

30.09.2017

Le monde m'emmerde et la littérature

b21.jpgC’est bien vrai, ça.
Je l’aime
néanmoins de toute ma vie, ce monde, parce qu’il a le seul mérite qui vaille : il existe et je vis dedans.
C’est la raison pour laquelle j’use à son encontre d’un doux euphémisme : il m’emmerde. Je pourrais tout aussi bien dire : il me fait chier.
Oh, mot malpoli ! Mot tabou ! Mot honni ! Mot que nous  employons pourtant à tour de bras, tous les jours, n'importe quand, pour n’importe quoi, voire pour n’importe qui, mais que jamais, jamais - ou si peu -  nous n’osons écrire.
Vieux comme le monde, ce vocable
directement tiré du latin cacare, est l’orphelin répudié des textes "littéraires", banni par les classiques qui voulaient laver, comme on le sait, plus blanc que n'est le blanc.
Il avait pourtant ses lettres de noblesse dans toute la littérature médiévale et il était aussi l’ami de Rabelais et de Montaigne.
Le tabou est donc assez récent. Nous usons le plus souvent d’une langue épurée dont nous ne savons même pas les origines de la censure.
Même Brassens, après avoir demandé qu'on l'excusât pour avoir employé le mot "enculer" - J’suis désolé d'dire enculer  -  n’a jamais poussé la provocation langagière jusqu'à mettre les cinq lettres abominées en musique. C’est dire !
Faut-il donc rayer des dictionnaires les noms de Rabelais et de Montaigne ? Je dis cela, parce qu’Alain Rey et Sophie Chantreau*, à propos de chier, relèvent avec malice cette aberration :
« Sa vulgarité l’a fait négliger des dictionnaires usuels, qui passent discrètement sur ses emplois figurés et les locutions qu’il a suscitées. »
Et quelles expressions ! Se faire chier, ça va chier, chier du poivre - 
belle allégorie du voyou en cavale qui vient de fausser compagnie aux mouchards et aux  flics - envoyer chier, chier dans les bottes de quelqu’un... J'en passe et de tout aussi salaces. 
Je ne suis pas trop d’accord, en revanche, avec l’explication donnée par les susdits Alain Rey et Sophie Chantreau pour l'expression chier dans les bottes de quelqu'un : ennuyer, importuner quelqu’un, disent-ils.
Dans l’usage que j’en ai eu comme dans celui dont j'ai été témoin, l’expression signifiait, "faire un sale tour à quelqu’un", "lui être déloyal".
Céline a certainement, quelque part, réhabilité le mot. Je ne saurais dire de mémoire, je ne l’ai pas sous les yeux… Je me souviens tout de même avoir plusieurs fois rencontré chez lui le néologisme « chierie».
Rimbaud quant à lui, avec violence, avait réintroduit le tabou :

O justes, nous chierons dans votre ventre de grès !

A part ça, du moins à ma connaissance immédiate, silence radio à tous les étages.
Je ne l’emploie moi-même jamais, sinon oralement comme tout le monde.
Bon, j’arrête de vous faire chier avec ça.

* Dictionnaire des Expressions et Locutions - LE ROBERT - Collection "les usuels"

Image : Philip Seelen

15:18 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

25.09.2017

Rencontres

IMG_6379.JPGDéférence gardée envers le vieil Hugo sur qui je renchéris, ce mois de septembre est tout en pleurs.
Le ciel s’obstine, soit à pleurnicher, soit à vraiment sangloter. Quelques rapides éclaircies, jaune pale, tentent bien de temps à autres d’essuyer ses larmes. En vain. La déprime règne sur tout l’espace céleste.
Cette grisaille cependant fait le ravissement des cueilleurs de champignons.
Il y en a partout. Des cueilleurs comme des champignons… Les premiers déboulent du moindre sentier herbeux, du moindre routin de sable et, le nez baissé, ils arpentent les sous-bois gorgés d’humidité. Les seconds envahissent jusque sous les tilleuls de ma cour, s’incrustent sous le vieil et bel ormeau, colonisent l’emplacement d’une vieille grange où, l’été, je laisse mon bois sécher.
Et je les vois revenir de leur quête, les ramasseurs ! je les croise au cours de mes balades sur la prairie riveraine, le vent déjà frais sur leur visage enjoué. Leurs paniers sont remplis de beaux  bolets, bruns ou rougeâtres, qui luisent grassement et sentent toutes les senteurs des vieux fourrés. On échange quelques mots, non, ils n’ont pas de vers, ils sont jeunes et encore fermes, c’est vraiment une belle météo pour les champignons ! Grzybowa pogoda...
Ils me regardent gentiment, un peu étonnés de ce que, moi, je marche sans panier sous le bras et ne ramasse rien. Que l'air du temps qui passe.
Je me demande s’ils ne se demandent pas pourquoi. Avec bienveillance.
S’ils s’en inquiétaient, je leur dirais qu’il y a trop longtemps que j’ai fait ma révolution néolithique, que c’était loin d’ici, à l’autre bout du continent, et que je ne me souviens plus très bien comment on cueille les champignons.
Mais qu’avec des mots qu’ils ne liront jamais, je saurai raconter à des hommes qu'ils ne verront jamais que je les ai croisés et que nous nous sommes fraternellement salués aux portes de l'automne

Image : Marian Tomkowicz. Merci à lui !

19:58 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

20.09.2017

Les maquisards

soldats maudits.jpgRégulièrement, comme tant d’autres petites mains anonymes, j’ouvre un nouveau fichier…
Et la première lettre, le premier mot, bientôt la première phrase d’une idée de projet s’inscrivent à l’écran.
La gestation sera plus ou moins longue. Des mois ? Des années ? La création littéraire n’a pas de lois biologiques qui pourraient la rassurer sur son destin.
De plus, elle compte dans ses poubelles une foule de morts-nés, brouillons  inaudibles, fœtus difformes au verbe boiteux.
C’est ce que nous appelons « écrire ». Nous écrivons ! Diantre ! La belle affaire que voilà !
A qui ? Et qui donc nous lira  ? Et puis, pour dire quoi ?

Ces jours derniers, une dame me disait par mail gentil  : "Ce fut un ravissement de vous lire, monsieur Redonnet." Un monsieur, lui, renchérissait  : "Quel régal que votre dernier livre !" Un autre, une autre encore : "Merci pour ces pages trempées dans une écriture que nous pensions définitivement jetée aux orties."
Je les remercie. Je devrais être flatté, content de ma Pomme, peigner fièrement mes moustaches dans le miroir, et me sourire en coin.
En lieu et place, j’en reste songeur.
Parce que si ce que disent ces quelques lecteurs et lectrices est vrai ; s’ils ne sont pas de pauvres fous, dans quel monde me suis-je donc fourvoyé qu’il y en a des milliers et des milliers d’autres qui n’en ont strictement rien à foutre de ce que j’ai pu écrire de la culture Campaniforme, de l’exil, des Soldats maudits et de la grande forêt primaire de Białowieża ?
Et je ne suis pas un cas isolé, loin s'en faut. Tous ceux qui écrivent dignement le savent bien.
En fait, en lisant ces quelques courriers, je comprends que nous avons pris le maquis.
Que nous sommes cachés dans des broussailles épaisses, guettant la survivance.
Pendant qu’autour de nous voltige l’accablante réalité d’une époque qui, sans être ni plus décadente, ni plus sordide, ni plus méchante, ni plus pourrie qu’une autre, n’a tout simplement plus besoin de notre écriture pour se penser, se comprendre et, même, se rêver.
Nous avons pris le maquis à l'envers : nous voudrions occuper une place qui n'est plus à nous depuis fort longtemps et qui est, on ne peut plus légitimement, habitée par d'autres.

Avant d’ouvrir un nouveau fichier et d’y inscrire une première lettre, un premier mot, une première phrase, nous devrions avoir ça à l’esprit.
Mais nous nous en garderons bien, le propre de la folie - et de sa vanité - étant de ne pas tenir compte des réalités.

Illustration  : Soldats maudits en Pologne

littérature,écriture

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17.09.2017

Tout le monde, il a bien sa pomme qui tombe pas loin du chausson?

9791096617050(2).jpgBon, c'est bien...
Il vous est aussi loisible d'aller faire un tour du côté d'Onuphrius... Pour un enterrement...
La nouvelle que j'y  publie a l'air d'une galéjade... Pourquoi pas, me direz-vous avec juste raison ?
Pourtant elle dit aussi que de ce côté-ci du temps, on compte toujours le temps.
On le sème. Derrière ou devant soi. On en voudrait récolter du bon grain.
On le sème comme, côté face, la semeuse de nos anciennes pièces de 1 franc semait.
Et on est un peu effrayé de ce qu’il ne repousse pas très vite. Le sillon serait-il vierge au creux duquel nous le jetons ?
Ou alors, s’il repousse, ce sont uniquement des limites, toujours des limites.
Car son rôle est de fuir, nous dit le vieil adage depuis la nuit des temps.
Cela dépend pourtant. Cela dépend de la saison. Il y a des saisons où il musarde, d’autres où il trottine, d’autres où il se met à courir et d’autres encore, les dernières, où il s’enfuit littéralement.
Au moindre bruit un peu suspect du cœur ou de la poitrine, il détale et jamais plus ne revient.

Alors, de ce côté-là du temps, on ne compte plus le temps.

 

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10.09.2017

La figue tombe toujours assez loin du prunier

9791096617050(4).jpgOui, j’ai un peu changé le titre pour ne pas risquer de vous lasser.
Car je sais bien d’expérience qu’un lecteur, ça se lasse assez vite… Pas qu’ça à faire, à la fin !
Bon, mais je voulais quand même dire que mon ami Frédéric Constant, un homme d’une gentillesse et d’une culture littéraire exquises, par ailleurs Directeur de la Médiathèque de l’Institut français de Varsovie, allait commander La poumme qui cheut pas lin dau poumma…
Le livre transitera par Edukator, la librairie française de Cracovie… J’espère qu’il y fera une halte.
Et puis, sans rapport aucun, un homme qui habite en Israël, Jean-David Herschel, a eu la bonne idée d’ouvrir une revue littéraire qui me semble de très louable tenue. Onuphrius.
Je collaborerai à cette revue et vous aurez donc, dimanche 17 septembre, une nouvelle de ma pomme (non, non, pas celle du livre ! l’autre) en ligne.
Jean-David commandera également mon livre.
Pologne, Israël, le voilà donc promis à une carrière internationale, ce livre…
Au moins deux de ses exemplaires… Gageons cependant que ça ne suffira pas !

Il me semble aussi que Jean-David recherche des nouvellistes qui voudraient bien participer et dont le style s'inscrirait quelque peu dans la tradition de la nouvelle française du 19ème siècle.
Alors, si le cœur et la plume vous en disent…
En attendant, je vous signale que  La Pomme … etc.… est disponible… voir textes plus bas... etc.

10:47 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

04.09.2017

Lectures

P9012888.JPGJe me souviens très bien que François Bon me disait, en substance et en 2006, « ouvre un blog, sois présent dans l’espace numérique car tout se passera bientôt  là. »
En dépit de notre brouille, je lui en sais gré. Et même s’il s’est un peu trompé, c’est vrai que beaucoup de notre écriture est médiatisée par le net, à tel point que je pense que si je n’avais pas suivi son conseil, je n’aurais pas écrit tous ces textes qui aujourd’hui en constituent l’ossature.
Beaucoup, donc, certes. Mais l’essentiel ?
Depuis que L’exil existe, j’ai publié six livres. En dix ans.
Et, quoique j’en aie fait la promo à chaque fois sur ce  blog, la plus grosse part de leurs lecteurs n’est pas venue de là. Car si seulement un de mes visiteurs sur deux achetait (et lisait) mes livres-papier, alors ils seraient tirés à nombre respectable d‘exemplaires.
Tout se passe donc comme si, très schématiquement, il y avait des gens qui lisaient des textes courts, rapides, sur les sites, mais pas les  livres dans la longueur.
Comme si, en fait, ce n’était pas une écriture qui plaisait, mais une façon de l’offrir.

Avec La Pomme ne tombe pas loin du pommier, je viens pourtant de récidiver, comptant emmener les lecteurs de l’exil vers  les pages d’un nouveau livre, comptant les promener côté cour de ma passion d’écrire.
Rien n’est alors moins certain que l‘utilité de cette « démarche ».
J’ai l’impression, grosso modo, de conseiller à Paul d’endosser le costume de Pierre.
Mais je peux aussi me lourdement tromper.
Cela m’arrive assez souvent.

16:57 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

03.09.2017

La Pomme est tombée...

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Disponible sur commande chez votre libraire, dans certains espaces culturels Leclerc et sur le site de l'éditeur, frais de port offerts, ICI.

*

" [...] eussiez-vous connu mon père que vous seriez aussi interloqué que moi car si je le revois nettement, là-bas chez nous, sur la plaine charentaise, en travailleur débonnaire, avec une fourche, un râteau ou un sarcloir entre les mains ; si je le revois également au cul de ses chevaux tenant fermement les mancherons de la charrue, il m’est impossible de l’imaginer une seconde avec une mitraillette, une grenade, un couteau ou une arme quelconque entre les mains. Non, ça, c’est absolument impossible. Et puis…
Zbyszek s’arrêta tout net et fixa un nœud sur le parquet du sol, les yeux exorbités, l’air parfaitement ahuri. Une image venait brusquement d’enflammer son cerveau et de couper l'évocation. Une image fugace, oubliée. Non. Pas oubliée. Ce n’était même pas un souvenir. C’était un reflet onirique, extérieur, et c’était il y avait bien longtemps… Plus de cinquante ans sans doute. Le môme tenait la main de son papa et tous les deux marchaient allègrement sur les blés en herbe, tout verts, ondulant sous un impalpable souffle du vent de mer. Ils marchaient, heureux, comme quand on marche sur des nuages. Tout à coup, des oiseaux sauvages avaient déboulé de dessous leurs pieds, des perdrix sans doute, des faisans peut-être, en tout cas dans un claquement violent d’ailes effarouchées. L’enfant avait sursauté et jeté un grand cri. Le père avait aussitôt lâché sa main et mis un genou à terre. Un poing plaqué contre sa hanche, l’autre bras légèrement replié et mis en avant, comme tenant quelque chose, il avait hurlé, en polonais, « Salauds ! » et puis « tatatatatatatatata »…
Un fusil mitrailleur. L’incoercible réflexe d’un guerrier. Pas celui d’un chasseur."

*

" [...] Il étendit le bras et montra alors la forêt qui devant eux grossissait, dont on voyait maintenant les premiers grands arbres, leurs ramures courbées sous des amoncellements blancs.
- La mémoire, monsieur, notre mémoire commune, c’est cela… A vous comme à moi, comme à tous les hommes de la plaine européenne. Du haut de ces grands sapins, s’amusa-t-il à parodier, voulant sans doute faire montre de quelque culture ou plutôt établir une complicité de bon aloi avec son passager, ce ne sont pas quarante siècles qui nous contemplent, mais bien quarante millénaires. Dans chaque élément de cette création de Dieu, il y a quelque chose de sacré qui s’impose à notre âme et la fait s’incliner devant les grands mystères du Début.
Au commencement, la terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, dit le Livre... "

 

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29.08.2017

Historique anecdote

littérature Je vous livre une anecdote lue dans une revue historique polonaise, "Mòwią wieki", Les siècles racontent.
Les Polonais, qui ont longtemps cru que Napoléon victorieux des empires centraux et du tsar de toutes les Russies serait leur libérateur, vouent malgré tout une grande admiration à l'empereur. Ils sont à son propos friands d’anecdotes.
Celle-ci pourtant dénote,
peu glorieuse qu'elle est  :

Après qu’il eut donné le signal de la retraite devant Moscou incendié et quasiment vidé de ses habitants, l’empereur vit son armée,
délabrée et harcelée par les cosaques, s’effilocher et se traîner lamentablement dans la neige et le froid des vastes  plaines de Russie.
Lui, noblesse oblige, avait pris
la fuite loin devant tout le monde, avec une petite escorte et sur un traîneau.
Arrivé au Dniepr, il demanda à son guide de s’enquérir s’il y avait beaucoup de déserteurs français qui avaient déjà franchi la rivière.
Et le guide, renseignements pris, de  répondre avec déférence :

- Non, Sire, vous êtes le premier.

C'est certainement là l'occasion unique que pourrait avoir un jour Macron de ressembler à Napoléon ! ! littérature,écriture,histoire

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28.08.2017

Cohérence des contradictions

Depuis mes années de lycée, depuis ma première barbe contestataire, mes premiers livres dits subversifs, la rencontre avec mes premières amours, j’abhorre la vilénie du monde politique alors que rares sont les jours où je ne tiens pas un propos ayant peu ou prou trait à la politique.

J’aime la camaraderie, l’amitié, l’ambiance bon enfant, les tapes fraternelles sur l’épaule, la complicité avec un frère humain… et c’est par amour que je me suis éloigné de trois mille kilomètres de toute possibilité d’amitié.

La vieillesse m'épouvante et je désire ardemment vivre longtemps.

Je ne déteste rien plus que les intrigants et les intrigantes et je m’y intéresse beaucoup parce que, justement, ils m’intriguent.

Quand je rencontre une de mes qualités - j’en ai deux ou trois, pas plus - chez un autre, je la trouve insipide, voire superflue. En matière de qualité, il me faut de l’inédit. Ou alors un défaut remarquable.

Je voue à la chance d’exister un véritable culte, j’éprouve un immense bonheur à vivre ; je salue chaque jour qui se lève en levant les bras au ciel,  et j'ai bien failli raccourcir ma vie - presque un an déjà - au motif on ne peut plus débile de faire de la fumée avec des cigarettes.

Je voudrais un monde plus juste, plus humain, plus sensible et lorsque je m’imagine ce monde je me dis que je n’y ferais sans doute pas autre chose que ce que je fais dans celui-ci. Pire. Que je m'y ferais encore plus chier pour n'avoir plus aucune raison de le critiquer.

Quand je me fantasme riche je me vois en train de redistribuer partout mon argent à ceux qui souffrent de son manque. De cela, je suis certain, je le ferais. Je me vois monter une fondation, financer une foule d’initiatives généreuses, aider des malades, financer l'édition de livres de qualité, bref, inverser l’usage courant du fric, le détourner de son cours...
Et il m’arrive d’avoir un geste agacé pour un pauvre bougre dont la main ne me réclame qu’une misérable pièce.

Je suis athée. Athée depuis le début. Enfin, plus exactement, je crois que je suis athée...
Et je pense en même temps que si la mort est véritablement la fin de la vie, alors, forcément, logiquement, intrinsèquement, il est absolument inconcevable que la vie n’ait pas été, elle aussi, la fin de quelque chose.
Parce que nous ne sommes pas qu’une machine montée de toutes pièces, ces pièces-là fussent-elles un spermatozoïde, un ovule et un hasard.
Il faut laisser cela à ceux qui ont fait un dieu du matérialisme réponse-à-tout, bref, il faut laisser cette idée à ceux qui sont dans l'incapacité d'en avoir une.

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25.08.2017

Le grand mouvement des choses

littérature,écritureToutes les couleurs, toutes les senteurs et toutes les tiédeurs du mois de mai enchantèrent une nouvelle fois les campagnes. Les jeunes céréales sur la plaine ondoyèrent sous les va-et-vient des respirations océanes, les bois du Fouilloux abandonnèrent enfin leurs sombres nudités pour des costumes plus seyants en verts multiples, chatoyants pour les érables, lumineux pour les noisetiers, tendres et clairs pour les châtaigniers, plus prononcés et plus austères pour les grands chênes aux galbes ancestraux.
La rivière, de plus en plus fine, de plus en plus tapie au fond de son lit, scintilla encore un peu sous les premières lueurs de l’aurore, se changea bientôt en un minable ru verdâtre, avant de disparaître, vaincue par l’éclat des zéniths.
Les grands peupliers en agitant leurs feuilles en forme de cœur escortèrent son départ, la menthe sauvage et les herbes folles assiégèrent son lit et des vaches normandes, blanches aux poils hirsutes tavelés de marron, vinrent pâturer son cercueil.

La canicule enflamma bientôt le ciel et fit sur les champs ocre jaune et couleur d’or danser des courants d’air diaphanes. Accablés de touffeur, les bois du Fouilloux perdirent de leur superbe et prirent une teinte poussiéreuse. Les hommes coupèrent la paille, battirent le grain, de grands mouchoirs à carreaux noués autour de leur cou. Ils montèrent au grenier des sacs pesants qu’ils portaient sur leur échine, arc-boutés sur des échelles de fortune, puis, leurs granges rassasiées jusqu’aux charpentes, ils parcoururent, le fusil sur leur hanche appuyé,  la plaine en chaume derrière la caille et le pouillard.
Ils éventrèrent à nouveau la terre et déversèrent au sillon les espoirs d’un lointain froment, furetèrent dans les sous-bois pour débusquer la bécasse et les feuilles autour d’eux tourbillonnèrent de toutes les couleurs, tels de silencieux adieux.
Le vent chargé de pluie et de brumes réapparut tout enveloppé de gris, la rivière reconquit peu à peu son lit, gonfla, gronda et recouvrit bientôt tous les prés alentour, les sous-bois des bosquets et les chemins trop bas.


Sur les rivages extrêmes de sa crue, une fine couche de glace miroita comme un diamant brisé, des fumées se couchèrent sur les toits et les hommes, leurs membres fourbus, revinrent s’asseoir au coin des cheminées, moroses, un mégot éteint pendouillant à leurs lèvres attristées.
Ils guettèrent ainsi, longtemps, par-dessus la grisaille obstinée des vieux toits d’écurie, les premiers clins d’œil du grand mouvement des choses et de la fuite circulaire du temps.
Que l'on aime et qui pourtant nous tue.

Extrait de "Les Champs du crépuscule"

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21.08.2017

La guerre

littérature,écritureDu minuscule croisement où il rejoignait la route communale et se mourait ainsi dans le goudron et le gravier éparpillé, le petit chemin de terre longeait la rivière jusqu’à la laiterie coopérative, aux abords de laquelle il rencontrait une autre route goudronnée.
Une départementale, cette fois-ci.
Il était donc condamné à n’être qu’un petit trait d’union, insignifiante voie entre deux vraies voies où, déjà, roulaient fièrement quelques automobiles. Lui, il n’avait d’utilité que pour les charrettes et les chevaux, jouant alors leurs derniers rôles.

Cette rivière que le petit chemin  accompagnait en épousant ses caprices, le cadastre la nommait, La Bouleure. Mais son nom s’inscrivait aussi sur des pancartes jaunes ceinturées d’un liseré bleu marine, à chaque pont de pierre où une route avait à la franchir ; des pancartes que les chasseurs s’amusaient par ailleurs à cribler, pour voir si leur fusil était bien réglé, s’il portait trop large ou si au contraire il groupait trop.
Et ils riaient gras, les chasseurs, très fiers de leur puissance de feu.
Les impacts du plomb cependant rouillaient sous les intempéries et dessinaient à la longue comme les stigmates d’une mauvaise vérole. Une blessure gangrénée, infamante.
Le petit chemin, lui, n’avait pas de panneaux qui l’eussent baptisé et identifié dans les documents officiels de la commune. Sa carte d’identité n’était que de tradition orale, Le p’tit chemin de la laiterie, puisqu’il conduisait aux odeurs de lait caillé, de fromages en ferments et de jus de beurre. C’était là son horizon final : des travailleurs au cheveu gras, en salopettes blanches et bottes de caoutchouc, toujours pataugeant dans de grandes flaques opalines.

La laiterie coopérative, seule industrie du canton, décalée dans un monde encore essentiellement attelé au sillon d’une charrue.
Le petit chemin n’existait d’ailleurs qu’aux beaux jours. L’hiver, La Bouleure l’effaçait du paysage et en faisait un lit de débauche, un lit adultérin, quand il lui prenait fantaisie, sous les générosités pluvieuses du ciel, de s’éparpiller sur tous les paysages alentour. Des morceaux de bois mort y flottaient à la dérive et au-dessus, en inscrivant sur le ciel de grands cercles inquiets, les vanneaux huppés piaulaient pathétique dans les brumes du soir.
Ce vieux layon était aussi, certains matins, un détour pour éviter le chemin normal des écoliers, quand les bohémiens surgis de la nuit avec leurs yeux noirs étincelants comme ceux des chats harets, campaient sur un petit tertre herbeux de l’autre berge.
Il était alors le trajet de secours pour se rendre au bourg, le sentier pour contourner les couteaux qui pendaient aux ceintures, les haillons d’une marmaille aux gestes brutaux, les feux de camp, les paniers tressés d’osier, les roulottes bariolées, les petits chevaux mouchetés comme ceux des Comanches et le chant des guitares.
Le chemin des couards et des lâches qui passent au large de la différence... Le chemin de la peur de l’autre. De ces chemins que l’histoire emprunte pour tuer, écarter, massacrer, déporter, anéantir.
Mais c’était un ordre.
Les poules renfermées à double tour, les lapins verrouillés dans leurs cases, les outils de jardin remisés, les bicyclettes entravées, les saloirs camouflés dans la maison, les billets des allocations enfouis plus profondément sous la pile de draps, la dernière précaution était enjointe : Prenez ce matin le p’tit chemin de la laiterie !
Nous obéissions et c’est ainsi qu’un jour de novembre le chemin fit de nous des archéologues.

Un vieil orme d’un autre monde, déjà mort, avec un trou telle une grotte à sa base, gémissait là sans douleur entre le ciel et l’eau. C’était un monument, le dernier arbre du chemin, sa borne sauvage avant qu’il ne disparaisse du paysage. La cabourne, qu’on l’appelait, et un matin de l’hiver que nous nous étions approchés de cette béance disgracieuse qui semblait vouloir fouiller de ses ombres impénétrables les entrailles de la terre, nous aperçûmes un chat-huant qui y somnolait. Nous avions d’abord admiré l’oiseau endormi, les yeux mi-clos, et nous avions dévisagé ses petites oreilles emplumées.
Un souffle discret de cette aube grise faisait frémir le poitrail, d‘un blanc immaculé.
Nous étions des enfants.
Nous avons frappé dans nos mains. Le couche-tard s’est soulevé, a lourdement battu ses ailes, a heurté dangereusement la cime des haies d‘en face, comme l’ivrogne abruti par le sommeil de ses inconduites,  et il s’est évanoui sous les nuages anonymes.
Alors nous nous sommes approchés plus encore avec cette fascination étrange du chasseur et du chien de meute à vouloir respirer l’endroit même où l’oiseau évanescent s’était reposé, comme s’il eût pu oublier là quelque chose de lui, quelque chose de concret et dont nous nous serions saisis. Agenouillés, nous avons scruté et reniflé la senteur humide de la cabourne,  semblable à celle des caves où croupissent les araignées.
Nos yeux comme ceux des fouines se sont peu à peu habitués à l’ombre.
C’est alors que nous avons reculé, épouvantés et en jetant des cris d’orfraie.
C’était étrange, c’était long, c’était rond, c’était rouillé, c’était pointu.
Un obus !  Une bombe !  Une torpille ! Les bohémiens ! Non, les Algériens !  Mais non,  c’est les boches ! La guerre ! Putain, la guerre !
La guerre, celle dont on nous rebattait tant les oreilles, avec des Allemands beuglant des ordres et voleurs de chevaux, de vaches, d’œufs et de lait, était de retour.
Nous avons fui. L’enfant, d’instinct, parce qu’il n’est pas encore un homme, fui la guerre jusque dans sa moindre idée.
Mais le soir,  à pas feutrés pour ne pas déranger la mort qui dormait là depuis si longtemps, avec des précautions rampantes et muettes d’indiens, nous sommes revenus.
La guerre telle un monstre repu était toujours posée sur la terre noire  de la cabourne.
Alors, nous nous sommes peu à peu habitués à cette inquiétante présence d’un passé tumultueux, un passé d’avant nous,  fait de feux et de sang et nous avons juré le secret. L’arbre mort avec la mort lovée à ses pieds est devenu notre totem. Chaque fois que nous sommes passés par là, faisant même un détour pour y parvenir, remerciant les bohémiens de venir bivouaquer chez nous, nous sommes venus veiller sur le sommeil du monstre antique.

Et nous n’avons rien dit, meurtris dans notre chair et comme si nous étions des soldats assassins, quand le tranchant luisant d’une hache est venu par un sale matin de printemps réveiller la colère de notre redoutable idole.
Les membres déchiquetés, le cantonnier Gustave s’est éparpillé sur les herbes et du rouge, beaucoup de rouge, s’est répandu sur le blanc et le jaune des pâquerettes et des boutons d’or.
Car même sous les cabournes innocentes où somnolent des chats huants, la guerre ne dort toujours que d’un œil… 

14:07 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

18.08.2017

Le temps fait beaucoup de choses à l'affaire...

diligence.jpgLorsqu’on croit en avoir terminé avec un  manuscrit qu’on destine à l’édition, on l’a relu moult fois avant de se décider, enfin, à le porter chez l'imprimeur, "comme un enfant de chœur porte un saint sacrement."
Bien sûr. Grammaire, orthographe, musique sémantique des mots, élégance et balancement des phrases, chasse aux orphelines, aux coupures intempestives, recherche des tirets idoines, espaces bien placées, et tout et tout et tout...… On a fouillé partout ; dans tous les coins de l’écriture et on espère  présenter un manuscrit à peine perfectible. Ce qui n’est jamais le cas.
Bien sûr itou.
Mais, par modestie, par négligence ou par humilité coupable, on ne se pose pas la question suivante : et si mon livre en venait à passer les épreuves du temps et était lu longtemps, très longtemps après moi, est-ce que ce que j’ai écrit là, ou là, aurait encore le sens que j’entends donner à mes mots ?
Se poser cette question est évidemment la manifestation d'une outrecuidance particulière, car on se place alors dans la perspective du quasi chef-d’œuvre qu’aucune érosion ne saura altérer. Et cela suppose, en plus, d’avoir une vision futuriste des choses … De se relire post mortem.

Cette réflexion toute bête, se nourrit d’un passage d’une nouvelle de Maupassant - Rencontre, Le Gaulois du 26 mai 1882 - où l’auteur ne se place pas du tout dans une dialectique du temps. Ce qu’il dit alors, le plus sérieusement du monde, prend aujourd’hui les allures d’une alerte  galéjade :

Qui n’a passé la nuit, les yeux ouverts, dans la petite diligence drelindante des contrées où la vapeur est encore ignorée, à côté d’une jeune femme…

Avec ma tête du XXI siècle, j’ai spontanément cru à une plaisanterie, une moquerie, (du style il n’a pas inventé l’eau chaude), avant de relire la phrase et de la resituer dans son contexte historique.
Alors, gardons-nous bien en 2014 d'écrire, par exemple : des villages reculés où Internet est encore ignoré.
Lus en 2145, nous ferions sans doute rire bien malgré nous de bien - improbables - lecteurs.

09:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

05.08.2017

La couverture

bertrand.jpg

A un ami de France qui me disait qu'il n'aimait pas trop mon titre - à juste titre peut-être - j'ai répondu en toute bonne foi, comme d'hab', que si, si, c'était là un bon titre.
Car à une époque où on achète beaucoup sur internet et où, quel que soit le site, il faut ajouter au panier, hé ben quoi de plus indiqué qu'une pomme pour ce faire ?
Une poumme, en Deux-Sèvres...

Se fût-il agi de mettre la main au panier, plutôt qu'au portefeuille, que j'aurais choisi un autre titre, ballot ! que je lui ai dit aussi...
Et vlan ! Non mais !

19:09 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

02.08.2017

Ceux dont les maisons ont été incendiées

pogorzelce+17-230,pogorzelce,51.jpgQuand on regarde une carte de la grande forêt primaire, on voit évidemment du vert, du vert, et encore du vert, mais aussi trois petites trouées blanches, à l’Ouest de Białowieża… Trois clairières disposées en pointillés, qui disent trois petits villages : Budy, Teremiski et Pogorzelce.
Trois villages anciens, entourés des ombres sauvages de la plus vieille sylve d’Europe et qui ont dû jadis être habités par des êtres fort ténébreux.
Budy, la niche, mais aussi, et peut-être surtout, la hutte du charbonnier. Devant la meule. Comme dans les Enfants Jéromine. Teremiski, je ne sais pas. Pogorzelce, en vieux slavon, ceux dont les maisons ont été incendiées…
Et c’est ce village qui, après un autre village des rives océanes, sera au centre de la deuxième partie de mon roman La pomme ne tombe pas loin du pommier.
C’est ici que se nouera un destin.
Mais il y a mieux. Plus étrange, je veux dire.
Quand je l’ai écrit, ce roman, à un moment donné j’avais la carte de la Forêt sous les yeux. Pour bien prendre les distances dans ma tête. Et j’ai décrit une petite ferme cloitrée dans l’ombre, d’où un jeune homme, Władysław Asaniuk, serait parti après que sa famille aurait été massacrée par les bolcheviques en furie et en septembre 1939.
Je l’ai vue dans mon imaginaire, cette ferme ancienne. Aux toits de chaume, de style néolithique. La dernière sur la gauche en allant vers Teremiski, juste avant que ne reprenne la Forêt. Je l’ai décrite et j’y suis allé. Elle était là, avec sa vieille grange adossée à l’antique végétation !
J’en suis tombé sur le cul…
Je l’appelle désormais "la propriété des Asaniuk."
J’y vais souvent, à Pogorzelce. Et dans une autre grange ouverte à tout vent, couverte de graffitis, d’affiches, de pancartes et remplie de monde, bat le centre de la contestation du massacre de la Forêt par les populistes au pouvoir. Ils sont nombreux, ils arrivent de partout, ils vont, ils viennent, parlent aux populations, expliquent et bloquent les engins forestiers. La semaine dernière, un journaliste a dû être conduit à l'hopital, sauvagement tabassé par les bûcherons !

Un sympathique gars du cru, quelque peu facétieux, me dit : on a Greenpeace et les autres ont le PIS*.
Pogorzelce, mon pointillé romanesque, entre donc de plein fouet dans l’’actualité.
De là à entrer dans la légende, il y a des abîmes que je me garderai bien d’essayer de franchir.

 

  *Prawo i Sprawiedliwość – Droit et justice – Le parti actuellement au pouvoir

09:49 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

30.07.2017

Votez Brassens !

IMG_4713.JPGIl  y a longtemps de cela, un fat, un con, tout ce que vous voudrez, chef de service en tout cas dans une collectivité départementale, m’expliquait, docte et suffisant, qu’il fallait savoir considérer les choses par le bon côté.
La pauvreté,  les dérives qui vont avec, postillonnait-il, tout ça, était créateur d’emplois, puisque les travailleurs sociaux étaient  de plus en plus nombreux dans nos effectifs.
Et s'il n'y avait pas eu ces pauvres types incapables de joindre les deux bouts du mois, ces alcoolos pataugeant dans le ruisseau, ces chômeurs à la  ramasse, hé ben, peut-être que tous nos travailleurs sociaux auraient eux-mêmes été à la soupe populaire et auraient, de facto, coûté à la société...
Pas vrai, Redonnet ? Dis ?
Là, il y avait eu un petit sourire en coin, un léger battement du sourcil, car mon "penseur" savait très bien que j'aimais moi-même m'accouder aux comptoirs des bistros et n'avait pu s'empêcher de se faire petit juge moralisateur...
      - Dois-je écrire que la misère est créatrice de richesse ? avais-je alors demandé à l’apprenti dialecticien, le crayon levé, prêt à frapper, puisqu’il s’agissait de faire un article pour le vaillant journal interne de la collectivité.
      - Non, non, non ! s’était empressé d’objecter le philosophe à la noix, soudain nettement moins sûr de sa théorie et prêt à me piquer, même, si besoin en était, mon crayon.
Je n’en sus pas plus…
Lui non plus, d’ailleurs.
Je rangeai mon crayon.
Et filai au bistro du coin me rafraîchir, sinon les idées, du moins la luette.


Je vous raconte tout cela par association d’idée. Simplement.
Parce qu’en entendant hier Mélenchon citer Brassens à l’Assemblée Nationale, j’ai trouvé que oui, souvent, les contraires ont l’air de copuler gaillardement pour enfanter une réalité immonde.
Et je trouve aussi que, du point de vue de l’intégrité morale, le député insoumis (de côté) a autant le droit de se servir de Brassens pour argumenter sa carrière que moi des sermons de l’Archevêque de Paris pour justifier ma misère.

Illustration : Philippe Paillaud. Un grand merci à lui.

13:29 Publié dans Acompte d'auteur, Considérations non intempestives | Lien permanent | Tags : écriture, politique |  Facebook | Bertrand REDONNET

19.07.2017

L'écriture de l'impossible conjugaison

925620914_2.jpgJe l’ai plusieurs fois écrit sur ce blog  (mais comment ne pas dire plusieurs fois une même chose en plus de mille textes décousus ?) : on n’écrit sa souffrance ou sa joie qu’une fois seulement qu’on a maitrisé et vaincu la première et une fois seulement qu’on a perdu la seconde.
Pour la souffrance, on n’écrit son mal du monde que lorsqu’on s’est plus ou moins réconcilié avec lui. Je ne dis pas lorsqu’on lui a fait allégeance, ce serait une idiotie, je dis lorsque la force contraignante de sa présence et de notre présence en lui devient secondaire.
Pas absente, mais reléguée dans un second rôle.
Car, à mon sens, quand elle n’est pas l’étoile sans mouvement et sans lueur d’un imbécile heureux, l’écriture est une étoile filante sur le ciel du nous qui est en nous. Une étoile qui traverse un cosmos et l’étoile filante, si je ne m'abuse, n’est belle qu’après coup. Le dixième de seconde où elle déchire les ténèbres bleutées, aucun cerveau n’est capable d’y associer la beauté. Absolument aucun. Même celui d’un attentif allongé sur une chaise longue dans l’unique intention de voir filer des étoiles.
Dans le second dixième de seconde, oui.  T’as vu ? dit l’enfant émerveillé. Il ne dira jamais : tu vois ? Parce qu’il sait conjuguer les verbes avec son lui et il sent bien que la réalité de l’étoile filante n’existe que dans un souvenir- émotion.
L'écrivain ne veut pas savoir faire ça. Il dit : tu vois ? Et il parle de la lueur longtemps après l'étoile.

La fiction ne devrait dès lors jamais employer le moindre verbe au présent, même pour réactualiser un présent passé. C’est un leurre, le présent dans un texte à l’imparfait. C’est un présent imparfait, dans tous les sens du terme ; de la technique de récit, une astuce pour que le lecteur change soudain de chaise et ait l’illusion de voir une deuxième fois l’étoile filante qui traversa, jadis, bien avant ces lignes, le ciel de l’auteur. 
Ça rend vivant, à ce qu’on dit… Comment ça, rendre vivant ? Un texte est une chose morte ou il n’est qu’une interview... C'est la raison pour laquelle sans doute - je m'en suis rendu compte il n'y pas longtemps -, je n'aime pas écrire de dialogues et que j'use et même abuse du style indirect libre.
Pour que le lecteur ne change pas de chaise.
Imaginez un peintre amoureux des siècles passés, des travaux de la campagne d’antan, qui peindrait à la perfection des bœufs au labour, leurs cornes luisantes et leur peau mouillée par l’effort, et, derrière eux, la glèbe éventrée, si grasse qu’on la sent presque avec le nez, tandis que dans le ciel moutonné de blanches nuées, un avion à réaction traverserait le haut du tableau.
Le critique d'art poufferait… L’éditeur non. L'écrivain non plus.

Je rêve dès lors d’un écrit seulement composé au subjonctif, dans l’improbable saisissement d’une fulgurance.
Dans le doute qui met le cerveau en émoi. Qui met une distance entre ce cerveau et ce que lit ce cerveau.
Pas facile. Indigeste même.
Impossible dépassement d'une contradiction entre l'écriture et sa grammaire.

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13.07.2017

La marchandise, le spectacle, les marchés et Cro-Magnon

écriture,société,politique «La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s'annonce comme une immense accumulation de marchandises. »

Première phrase du Capital - Karl Marx - 1867

«Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles. »

Première phrase de La Société du spectacle - Guy Debord - 1967

«Tout le dénuement intellectuel et moral des sociétés dans lesquelles règnent les conditions que nous savons s’annonce comme une immense accumulation de marchés. »

Première phrase d’un ouvrage improbable - 2267

écriture,société,politiqueAvec ces trois phrases rapportées ici comme des raccourcis, nous avons un aperçu de l’évolution vers le néant suivie, et à suivre, par les sociétés : A la marchandise, concrète, lourde de ferraille, d’échanges, de biens de consommation et d’équipement des XVIIIe et XIXe siècles, avaient nécessairement succédé, à partir du milieu du XXe, l’inversion du réel et la prise du pouvoir par l’image dans tous les secteurs de la vie.
La marchandise étant devenue un « jouet » plus qu’un élément de satisfaction des besoins,  le vécu n’avait plus de prise sur le réel que par la médiation de  cette image souveraine.
C’est ce que les situationnistes ont appelé spectacle.
Ce spectacle n’était en fait que la forme encore adolescente du virtuel dans lequel nous vivons et qui prit son plein essor au début des années 2000. Echanges virtuels, jeux de bourses dominant tous les secteurs de l’activité économique des hommes, argent virtuel, économie virtuelle, vie virtuelle, conscience virtuelle du monde à tous les étages, affectivité virtuelle, conflits virtuels, rapports des hommes entre eux virtuels et, comme pierre angulaire de ce nouvel ordre social, comme justification a posteriori, les marchés.

La marchandise, tout le monde comprenait : en premier lieu le prolétaire qui avait les mains dans le cambouis, qui avait du mal à boucler matériellement les fins de mois, voire les fins de quinzaine, et le capitaliste, propriétaire des moyens de production. Monde concret, âpre, misère concrète, matérielle, opposée à une richesse insolente, tangible,  antagonismes concrets, luttes concrètes.
Toutes perdues.

En revanche, Le spectacle, forme plus moderne de la marchandise pour lui permettre de jouer plus intelligemment son rôle d‘asservissement des consciences, peu ont compris.
Sur la vingtaine de pour cent de Français, pour ne parler que d’eux, qui ont lu La Société du spectacle, cinq pour cent, au mieux, ont entendu la critique qui était faite de la réification de leur vie.  Par le spectacle-entremetteur, la marchandise déguisée et accaparant tous les secteurs de la vie, savourait sa victoire à la barbe même de ceux qui croyaient lutter contre elle. Monde compliqué et doucereux, monde d’apparences régnantes, monde du mensonge érigé en vérité définitive, politique de surface, misère qui, dans l’opulence matérielle - quoique inégale - des différentes strates du corps social, change de niveau et devient surtout  intellectuelle, intime, morale, profonde. Jusqu’au désarroi de soi-même : folie, suicide, paranoïa, orgueil démesuré, vie sexuelle atrophiée, résignée.
Luttes pour la reconquête de la dignité de vivre.
Toutes perdues.

Les marchés.
Personne ne comprend, et c’était bien  là le but. Comment s’opposer à et détruire quelque chose qu’on ne comprend pas ?  Le spectacle moribond - pas moribond, mais mutant à son tour comme la marchandise avait muté pour lui donner naissance - ne cesse d’ânonner : faut rassurer les marchés !
Les marchés ? Des fantômes rugissants, surpuissants, monstres dévoreurs, invisibles, occultes, inconnus… Les hommes de la planète complètement à côté de la plaque, ne comprenant rien,  ni de leur organisation, ni de leur but, ni de leur raison d’être sur  terre, ni de quoi il en retourne, ni où, ni comment, ni pourquoi, ni quand leur pauvre vie est jouée sur des écrans d’ordinateur.
Une vie dénuée de vie. Aucun sens. Victoire totale d’un ordre économique désormais établi par-delà les frontières de l’activité pragmatique, monde achevé dans l’obscurantisme, consciences annihilées, visions tronquées, parcellaires, paroles désertes, réactions désordonnées, arts sans art.
Et le plus pathétique c’est que, par une espèce de honte primaire, tout le monde, ou presque, joue à faire semblant d’être heureux, mentant d’abord à quelqu’un qu’ils ont perdu de vue depuis longtemps : eux-mêmes.
Luttes sporadiques, hors sujet, sans enjeu et sans but puisque sans adversaire réellement  identifié.
Toutes perdues. A n’en pas douter.

écriture,société,politiqueMarchandise- Spectacle- Marchés. Une même dictature sous ses formes diverses, évolutives et indispensables à la pérennité de son règne.
Tu dis révolte ?Je te suis.
Tu dis, révolution ?
Je te dis foutaises et gamineries séniles : les hommes n’ont jamais réussi une seule de leur révolution depuis qu’ils sont des hommes.
A part leur révolution néolithique qui, de la cueillette et de la chasse en passant par tous les autres stades, en est justement arrivée aux marchés.
Depuis le début, le sens même de la vie humaine - qui est tout bêtement de vivre pleinement sa chance de vivre - échappe totalement aux hommes et le fait de survivre (de vivre l’illusion de la vie) sur un parcours virtuel nous suffit.
Nous avons, depuis belle lurette, lâcher la proie pour l'ombre.
Confusion dramatique. Ethnologique. Essentielle.
Si tu voulais faire une révolution, il te faudrait quasiment repartir depuis le début. Aux alentours de Cro-Magnon.
Et, dès le départ, indiquer une direction vers où marcher, donner une définition propre du mot bonheur.
Contentons-nous donc, hors résignation, de cueillir ce qui est à notre modeste et égoïste portée.
Bientôt, trop tôt, viendront les ténèbres.

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10.07.2017

Ailleurs...

Couverture-silence.gifLe Silence des chrysanthèmes avait fait d’elle un personnage central.
Parce que c’est ça aussi, la magie des livres et de l’écriture. Faire d’une femme et d’une mère du vulgum pecus, un personnage littéraire, c’est-à-dire un personnage qui cristallise des pensées, des émotions et des sentiments.
Un personnage - du moins l’auteur du livre l’espère-t-il – capable de transcender du réel.
Elle m‘avait enseigné mes premières révoltes. Sans dire un seul mot. Sans donner un seul conseil. Au contraire.
Il fallait juste regarder par quel côté elle prenait la vie. Et comprendre. Et si elle faisait mine de montrer un chemin bien droit, bien fréquenté, il fallait faire semblant d’écouter pour passer outre et suivre, non pas ses indications, mais ses pas qui en prenaient un autre, beaucoup plus joyeux.
Elle a fait un long voyage. Quatre-vingt seize ans. C’est long, mais pas encore assez pour que j’aie eu le temps de lui dire « adieu, ma mère.»
Cette fois-ci, elle n’a pas biaisé. Elle a pris l’inévitable chemin… Celui que nous suivrons tous.

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01.07.2017

L'essentiel

photo_1323903595353-2-0.jpgVous n’avez certes pas fait le tour de la terre, mais vous avez peut-être fait le tour de l’essentiel : car nous sommes tous des bateaux qui nous inventons des ancrages, des ports d’attache, des sémaphores  et  des capitaines.
D’ailleurs, foin des ailleurs !
Et faire le tour du monde, qu’est-ce que cela signifie ? C’est un langage de voyageur, une vision de l’esprit. Voyager, c’est s’arrêter un peu plus loin qu’un autre et voilà tout.
Nous sommes donc des bateaux victimes des caps orgueilleux de l'illusion et ballotés par les vents de la plus sage des résignations.
Tout le contraire des bateaux ivres et des jonques sans rameurs voguant sur des fleuves inconnus. Nous prenons le large, certes, mais par le côté le plus étroit possible de la vague.
Aussi avez-vous constaté, avec une amère délectation, qu’il suffisait de le prendre, ce  large, pour supprimer aussitôt les plages et les rochers.
Les indispensables compagnons de votre "avant" ont agité leurs mouchoirs un moment, tant que votre voile sur le dos tout rond du voyage paraissait encore un peu, puis, n’ayant plus que la vacuité des horizons à offrir à  leurs yeux, ils ont rangé leurs petits chiffons, tourné le dos et cheminé vers le déclin d'un "nous".
Le silence vous a englouti. Comme l’écume le grain de sable. Comme le jour l’étoile des firmaments.
Vous en avez été dépité, vous y avez pensé beaucoup, puis, à votre tour, n’ayant plus que la vacuité des hommes à offrir à votre cœur, vous avez soupiré d’aise et planté là votre libre voyage.
Le choix des solitudes incendie forcément  le poids des habitudes.
Normal : les choix sont toujours moins lourds à porter que les poids.
Vous êtes, en fait, revenu à un point  de départ.  Celui d’avant qu’on s’élance, la barbe naissante et l'esprit et le corps ingénus,  à l’assaut des grands sentiments.
Vous avez de toutes les messes sonné le glas pour parvenir à l'essentiel.
Enfin... c’est du moins ce que vous pensiez.
Avant de comprendre que l’essentiel était multiple, géant et toujours en mouvement.

17:47 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

29.06.2017

Les canicules s'emballent...

hihi.jpgMais que fait donc Sirius, alias Canicula, cette petite étoile qui habite un coin de ciel à proximité toute relative du soleil ?
Même quand les jours déclinent, elle continue  de se coucher et de se lever en même temps que son auguste voisin et, selon les antiques observateurs du "Grand Tout", dont Pline l’Ancien, ce serait bien à ses caprices d'été que nous devrions les périodes torrides.
Y’a plus d’saisons, disaient les vieux - pas si vieux que ça, en fait - de mon enfance campagnarde, en tordant savamment la bouche, en haussant les épaules ou, pour les plus obstinés, en expédiant une chique désappointée au sol.
Ces sympathiques barbares, de quoi donc préjugeaient-ils ? Car ils avaient l’air de tout ce qu’on voudra, sauf de savants prophètes. Certes, ils semblaient avoir du ciel une espèce de connaissance mi-empirique, mi-atavique, mi-tripes-de-poulet et ils lui  demandaient sans cesse
d’arroser ou bien de sécher leurs sillons, mais  je crois bien que leurs prévisions se résumaient tout bonnement à exprimer leurs désirs et besoins du moment.
Ils étaient des situationnistes, finalement,  les vieux de mes jeunes jours.
En tout cas, ils ignoraient totalement l’approche tragiquement scientiste du monde, avec, servies tous les soirs sur un plateau, des nappes d’air en couleur qui circulent,  rouges pour les chaudes,  bleues pour les froides, qui rentrent en collision, tournent autour de la bulle d’un anticyclone ou alors, passant insolemment outre, envahissent telle ou telle partie du céleste territoire.
Plutôt que d'écouter la science cathodique à bon marché, ils interrogeraient Sirius, mes Pline l’Ancien qui crachaient par terre quand  les arbres se desséchaient, que les champs jaunissaient, que les feuilles mouraient à la fleur de l'âge, que les jours se dilataient sous la touffeur, que les jardins s'étiolaient et que les paysages imploraient clémence.
Ils avaient cela de supérieur sur nos contemporains qu'ils croyaient vraiment que leur dépit avait une complicité avec les  étoiles, ces vieux-là. C'était du dépit de haut niveau. Pas du dépit de consommateurs demeurés.

Et que diraient-ils aujourd'hui de ces clowns masqués et costumés qui se réunissent à grand bruit et à grands frais en faisant montre de s’alarmer du climat qui change, sans pour autant jamais dire un mot de la petite étoile ?
Y’a plus d’saisons, qu’ils diraient, et tout serait dit de l'écologie du moment. Une écologie sans parti.
Et ils avaient l’art de ne pas renverser les choses, ces barbares-là. De dire ce qu’ils voulaient, ce qu’ils vivaient, sans pour autant emmerder le monde à faire semblant de se préoccuper d’improbables solutions.
Ils savaient ainsi parler aux nuages. Mais pas à n’importe quels nuages, attention ! Seulement à ceux qui avaient une chance de flotter au-dessus de leurs champs.
En un mot comme en cent,  ils étaient a-politiques. 

26.06.2017

Aube

P7201531.JPGQuatre heures du matin dans les premiers bruissements : la pleine lune flotte encore sur les brouillards de la forêt.
Vous l'avez saluée et pensé qu'elle était une apatride rieuse, là et en même temps là-bas, d'où vous êtes venu, il y a si longtemps déjà.
Vous avez vu sur le silence des champs un renard inquiet qui regagnait à  petit trot le couvert des  bois.
Le ciel était encore tout humide de sa coucherie avec la nuit.
Un coq a chanté, assez loin derrière vous, sans doute chez les voisins regroupés en fratrie, de l'autre côté des pins et du chemin de sable.
Vous avez trouvé que le monde baignait dans un recommencement d'une exquise fraîcheur.
Vous avez souri.
Vous avez embrassé l'aurore d'un geste circulaire et vous avez murmuré, tout ça, même après Treblinka, même après Auswitch,  reste d’une exceptionnelle beauté. Et tout ça, que vous écrivez parfois dans un livre improbable, a-t-il besoin d’être dit et lu autrement que là, en ce moment, vos pieds dans l’herbe sauvage ?
La littérature ne serait-elle qu'une vanité ? Une sorte de laideur intérieure jalouse de la beauté circulaire des choses ?
Vous avez eu enfin cette pensée monstrueuse : que m’importe les mots et que m’importe les cataclysmes, les assassinats, les viols, les meurtres, les génocides, les injustices et la justice !
La seule chose qui vaille la peine que l’on souffre et que l'on aime est la certitude de son propre effondrement final.
Qui effacera les premiers bruissements, la pleine lune qui lorgne, en bas, sur les brouillards de la forêt, les renards qui fuient la lumière, les coqs qui claironnent chez les voisins et ce bonheur de pouvoir encore laisser ruisseler deux larmes d'une émotion atavique.
Ce sont les larmes dont on ne sait pas exactement d’où elles viennent qu’il faudrait écrire !  Mais quel talent nous faudrait-il alors !
Vous vous êtes promis de ne plus perdre une minute de votre vie à écrire un monde qui n’en a nul besoin.
Vous avez dit au-revoir à la lune.
Vous êtes rentré.
Vous avez repris un café.
Et vous vous êtes mis à écrire.

20:12 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

16.06.2017

L'éphémère est éternel

P9180047.JPGLe vent passe qui fait des roulades sur les couleurs du monde.
Hier, tout était blanc et des glaces pendaient tels des moignons d’infirmes aux branches des grands arbres.
Aujourd’hui, tout est vert et les feuillages fredonnent…
Qu’est-ce que c’est ?
Quoi donc ?
Ce sifflement limpide comme les notes du cristal, là-bas, dans les bouleaux rivés aux ombres des lisières.
Ce sifflement ? Ma Belle, c’est le loriot, d’une branche tropicale venu.
Le vent passe… L’écoutes-tu ? L’entends-tu ?
Il passe comme passera l’oiseau. Qui demain, sans un adieu, repartira vers ses terres d’Afrique,  ses soleils de sable et ses poussières d'étoiles.
Les frondaisons d’où il pavoise aujourd’hui jauniront alors, deviendront roussâtres et, rejoignant le sol pour mourir et pourrir, abandonneront la branche à sa nudité, la livreront aux bises et la livreront aux morsures.
Tout deviendra blanc et les glaces pendront tels des moignons d’infirmes aux branches  des grands arbres.
Pour combien de temps encore ?
Quoi, pour combien de temps encore ?
Pour combien de temps encore passera le vent ?
Pour combien de temps encore fera-t-il des roulades sur les couleurs du monde ?
Pour notre temps, ma Belle. C’est tout.
Et c’est cela, l’éternité. Ce Tout.  Un mouvement. Un recommencement surgi de la mort et...

Image : Białowieża

18:03 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

14.06.2017

Le livre

1.JPGL’automne s’annonce précoce…
En effet, La Pomme, qui devait se détacher de sa branche en octobre seulement, a décidé qu’elle couperait le cordon ombilical plus tôt et tomberait dès le mois d’août.
Août est aussi une belle saison pour les fruits, me direz-vous. J’espère en tout cas que celui-ci, ni trop vert, ni trop blet, sera à votre goût et saura flatter votre plaisir.
Sur la quatrième de couverture, peut-être cet extrait :

 « […] En creusant de plus en plus profondément la terre sous nos racines, nous découvrons finalement que nous sommes tous des exilés. Notre identité, celle que nous défendons bec et ongles comme on défendrait un rempart contre l’invasion, n’est que le reflet emprunté à quelques siècles d’histoire seulement. Une esquisse de proximité, une erreur de parallaxe, un portrait brossé avec ce qui est visible, sans fouilles plus lointaines.
Mon père et ma mère ont suivi le chemin des migrations antiques, comme elles contraints par l’adversité. C’est un mouvement perpétuel de va-et-vient sur cet immense jardin planétaire. »

Rendez vous donc, camarades de l'Exil des mots, en août pour ce nouveau partage, si cela vous chante !

16:32 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent |  Facebook | Bertrand REDONNET

10.06.2017

Écriture

poussiere-detoiles.jpgVous écrivez.
Sur cet écran de l'immédiat ou, beaucoup plus solitaire, pour des projets toujours spéculatifs,
au milieu de votre forêt que les neiges recouvrent, que le printemps revigore, que de violents orages échevellent  ou que l’automne enlumine.
Vous écrivez et vous lisez et le temps passe sous vos fenêtres.
Votre rapport au monde et à vous-même se fraie forcément chemin par là. Il est médiatisé par des mots muets.
Vous n’avez plus guère l’occasion de parler, c’est la rançon de la difficulté des langues.
Récemment, vous avez relu certains de vos textes écrits ces dernières années.
Aucun ne vous est apparu achevé. Des ébauches. Mais est-ce qu'un texte peut finir par vous paraître achevé ? Un texte de vous ?
Il est vrai aussi que vous avez dit par ailleurs que l’écriture était en décalage, comme la lumière des étoiles mortes depuis des siècles. Comme aussi une voix depuis longtemps émise, qui a fait son voyage autonome sur la plaine et qu'un écho que l'on n'attendait plus renvoie soudain.
Vous avez même confié à un sympathique journaliste, dans le Poitou, que votre littérature était peuplée de fantômes, certains mêmes dont vous n'aviez pas considéré important de croiser leur chemin du temps de leur vivant.
Et que l'éloignement géographique convoquait ces fantômes.
Dès lors, vous considérez que c'est pure vanité que de vouloir se dire et que de relire des pages nées d'un décalage, au plus-que-passé donc, enflait encore
le contraste et donnait cette impression d'inachèvement perpétuel.
Normal. Les fantômes ne reviennent jamais deux fois sous le même habit.
Vous l'ignoriez ?
N’empêche.
Vous n’écrivez que vos silences et ne lisez plutôt que des morts : depuis que vous ne vivez plus dans votre pays, vous avez relu au moins une centaine de classiques.
Si on vous demandait pourquoi, vous ne sauriez pas répondre. Si. Vous diriez qu’un désir qui a des causes avérées n’en est déjà plus un.

Vous ne serez donc jamais un contemporain. Un exilé, fût-il volontaire, ne peut pas être un contemporain, ni dans sa lecture, ni dans son écriture. Trop de choses de ce qui l'a poussé hors de ses frontières culturelles ne lui semblent pas assez claires pour qu'il ait encore l'énergie de se fourvoyer dans l'éphémère esprit du présent.
Trop de choses aussi sont restées en gestation et trop ont été abandonnées aux défaites.
Son écriture est comme une plante rudérale.
Ne relisez donc jamais ni la lumière de vos étoiles ni la voix de vos fantômes sans avoir à l'esprit qu'un sillon creusé deux fois semble toujours infertile au laboureur.

12:16 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET