14.06.2014
Auprès de mon arbre
Je l’avais découvert un matin du mois de mai et j’avais été à deux doigts - deux orteils plus exactement - de l’aplatir tout net sur l’humus de la forêt.
Je l’avais cependant aperçu juste à temps, sans doute parce que dans cette ombre attristée des grands pins sylvestres, sur le gris des tapis d’aiguilles et parmi des sous-bois chétifs, ses cinq ou six jeunes feuilles, d’un vert lumineux, détonaient tel le coup de pinceau malséant du peintre dont la main dérape.
Il était au ras du sol. Né de l’année. Un mal-né, un bâtard des sous-couches, un zonard de l’orphelinat promis à la souffrance et à la disparition prématurée. Rien autour de sa jeune vie n’avait en effet été disposé pour qu’il y trace un chemin joyeux. L’ingrate nature, la marâtre nature comme chantait le poète à Hélène de Surgères, l’avait jeté là comme pour s’en débarrasser, sur une saute du vent dispersant une graine inutile.
Coincé entre un énorme pin qui s’élevait bien droit comme tous ses congénères et qui, comme eux, touchait de sa tête le bleu invisible du ciel et un robuste sorbier des oiseaux en large floraison, son berceau était bardé d’épines et entouré de concurrents malveillants. Il allait s'étioler avant même d’avoir vu la lumière des jours.
Je l’ai soulevé de terre, soigneusement, je l’ai extirpé de ce sol où, manifestement, il n’avait rien à faire : il n’y a pas de place dans le sous-bois des forêts de résineux pour un érable.
Il était une incongruité, une erreur.
J’ai transplanté l’erreur en mon jardin.
Sans grand espoir pourtant de jouir un jour de son ombre. Planter un arbre au mois de mai, c’est un peu comme donner à boire à un citoyen en train de se noyer dans une fontaine. Le remède peut s’avérer très vite bien pire que le mal.
Alors, au début, il a boudé, il a recroquevillé ses maigres rameaux, il a pâli, il a tremblé, cacochyme, triste, à deux souffles de la mort… Et puis, sa racine jugeant sans doute que, de là, on pouvait peut-être espérer un jour grimper jusqu’aux nuages, il s’est ressaisi, il a ouvert tout grand son maigre feuillage, fait le plein de chlorophylle, s’est redressé, a bu à pleine branche la pluie et le soleil et s’est mis à jouer avec le vent.
Il a maintenant trois printemps inscrits à ses rameaux et il a fière l’allure. A l’automne, avant de s’endormir sous les neiges et le gel, il me fait la fête et, Argonaute résolument sédentaire, sur la pelouse dépose sa toison d’or. Chaque mois de mai, pour l’anniversaire de sa résurrection, il se pare de nouvelles pousses prometteuses et fait le coquet.
C’est un adolescent plein de fougue. On dirait qu’il est désormais de la trempe des grands rustiques qui bravent les aquilons et auxquels tout semble zéphir.
Mais comme il sait bien ne pas être un chêne et que, de surcroit, il n’y a pas de roseau dans son voisinage, il n’en fait pas exagérément montre.
Il vit simplement sa vie d’arbre souverain dans le grand mouvement des choses.
Comme moi qui le contemple en mon jardin, sa terre d’exil et de hasard...
21:27 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
En voilà au moins un qui aura reçu un petit coup de pousse dans la vie. Son sort est meilleur que celui des hommes, confrontés au libéralisme aveugle qui les étrangle.
Écrit par : Feuilly | 16.06.2014
Les commentaires sont fermés.