09.07.2014
Réquisitoire -3 -
Septembre égrena jour après jour les poussières d’une chaude fin d’été.
Sur l’horizon cependant le soleil fléchissait et, soudain, surgirent les brouillards d’octobre. La forêt s’embrasa et sur ses lisières les ombres s’allongèrent.
La Toussaint accueillit bientôt les premières grosses gelées de l’hiver ; la pluie et le gris du ciel prirent d’assaut la petite vallée où, chaque matin, Florent guettait maintenant le facteur qui lui apporterait à n’en pas douter, vu la maigreur squelettique de ses revenus, la nouvelle de ce que la République française, ouvrant ses bras secourables, prenait en charge les frais de justice d’un procès ridicule où l’avait acculé un escroc sans honte ni honneur.
Il guetta trois mois. Alors, de guerre lasse, il se fendit d’un coup de fil au greffe du tribunal où dormait son dossier : ça tombait bien ! Le susdit dossier était à l’étude mais, hélas, il manquait des renseignements et on allait lui renvoyer pour qu’il le complète.
Bizarrement, après quasiment un trimestre de silence, on lui renvoya sa demande dans les quarante huit heures…
Dans une case prévue à cet effet, Florent porta donc les revenus de sa compagne comme l’exigeaient les gens de là-bas, ce qui, à moi, me paraît complètement illégal puisque ce sont des revenus exclusivement polonais et exclusivement soumis à l’impôt polonais et qu’ils n’ont dès lors pas à intervenir en l’état, surtout à charge, pour une demande formulée par un citoyen français en son pays.
C'est ce qu'il me semble... Il eût fallu sans doute se renseigner plus avant.
Bref… Sur ce arriva Noël, puis le Nouvel an et janvier allait tirer sa révérence quand, enfin, Florent, après cinq mois d’atermoiements, reçut sa réponse : Refus net et sans bavures, plafond dépassé de 20 euros.
Cinq mois d’attente pour s’entendre dire M… dans une formule administrative !
Contre mauvaise fortune, Me Fortuna fit bon gré. L’enrobé affirma que ce serait bien dommage de déclarer forfait maintenant car la partie était quasiment gagnée d’avance. Elle était en tout cas, fort plaidable.
Il fit donc cadeau du montant de la TVA, c’est-à-dire qu’il demanda 600 euros, mais TTC, cette fois-ci. En plus, magnanime, il dit qu’il ne ferait pas assigner la partie adverse par un huissier ce qui éviterait, mon brave et bon monsieur, des frais supplémentaires.
Florent était allé trop loin dans sa démarche. Il avait trop attendu, trop espéré et il lui semblait effectivement inconcevable d’abandonner. Un ami qui nous est commun, un homme de bon cœur, un grand lecteur en même temps qu'un excellent camarade, lui avança les 600 euros.
Florent était désormais dans la position du tireur qui, ayant chargé son arme, met en joue, retient sa respiration et attend son gibier. Il attendait, il attentait, guettant le moindre bruit…
Mais Me Fortuna ne donnait plus signe de vie, trop occupé sans doute à soutenir d’autres causes rémunératrices, celle-ci ayant déjà porté ses fruits. On était déjà en mars, Florent envoyait mail sur mail. Rien…. Le baveux se taisait.
Il se fendit quand même d’un mail agacé : « Cher Monsieur, il convient d’attendre. Salutations… » et, aussitôt, en guise de parole reniée, il expédia la note d’huissier pour assignation à la partie adverse, soit 66 euros !
Florent était plongé jusqu’au cou dans le mensonge et le merdier. Il ne pouvait plus reculer. Il était pris au piège… Les chapeaux mous, ça ne rigole pas… Fallait payer. Assez vite. Avant que la note ne devienne plus salée par le jeu tout en finesse des intérêts de retard.
Je lui avançai les 66 euros… Il en était à près de 3000 zlotys d’investissement.
Le moral flanchait. L’œuf dans le cul de la poule prenait les allures d’un produit de luxe d’une épicerie fine.
Enfin !
Florent s’écria si fort que je dus brusquement éloigner le portable de mon oreille. Enfin ! Ça passe le 17 mars !
J’étais heureux pour lui…. Heureux de sa joie. Cette affaire dans laquelle il était plongé depuis sept mois maintenant n’avait que trop duré et Florent, le pauvre Florent, le doux rêveur, s’était endetté jusqu’au cou.
Trop duré ? Mais vous rigolez ?! Nous n’en sommes encore qu’aux amuse-gueule.
Florent, lui, croyait atteindre aux rivages.
Il avait pourtant devant lui un océan à traverser ; un océan dont il ne soupçonnait rien ; un océan agité par des vents contraires soulevant des montagnes, des vagues et des écumes d’une imbécillité crasse !
Affaire à suivre...
10:53 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture, justice | Facebook | Bertrand REDONNET
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