05.08.2016
De l'idéologie comme idéologie
Au cours de discussions diverses, il m’est maintes fois arrivé de me rendre compte que lorsque je prononçais le mot «idéologie», mon interlocuteur entendait bien autre chose que ce que je voulais lui dire.
Pour lui en effet, à chaque fois, idéologie signifie un système homogène d’idées, voire d’idéaux, une conviction éthique, morale, politique, humaniste ou non, mais guidant une action et présidant à une façon d’être.
Par exemple et pas par hasard: un jour, je dis l’idéologie socialiste dans le corps d’une conversation avec un camarade. Ce camarade m’interrompit et voulut me rectifier.
- Les socialistes n’ont plus d’idéologie.
- Hélas, si ! Ils n'ont même que ça ! que je m'esclaffai à sa grande surprise.
Ce camarade, comme bien d’autres, avait tout bonnement confondu idéologie et poursuite d’un idéal, alors que l'idéologie est une grille de lecture du monde, une grille établie une fois pour toutes par des idées et qui n’est plus adaptée à ce monde, sinon pour l’interpréter à l’envers.
Dès lors, ce n’est plus le monde qui est lu par la grille mais la grille par le monde, lequel doit donc, à coups d’erreurs, d’omissions et surtout de mensonges, venir corroborer coûte que coûte la justesse de la grille.
L’idéologie n’est donc pas une idée. C’est même tout le contraire d’une idée en ce qu’elle est une force matérielle qui, victorieuse d’autres idéologies, s’impose ou tente de s’imposer à tous comme mode de vie et comme mode de pensée.
L’idéologie est un raccourci dont le dessein est une justification a posteriori ou une condamnation a priori de l’état du monde.
C’est, à mon sens, Shakespeare qui la définit le mieux, je ne me souviens même plus dans quel texte : Si les faits disent le contraire, nous modifierons les faits.
Mais c’est un vieux débat, que j’illustrerai ainsi.
Être situationniste en 1970, c’était se sentir viscéralement concerné par la justesse et l’intelligence d’une théorie pourfendant l’idéologie. C’était la sentir vivre en soi, l’avoir éprouvée dans ses propres frictions au monde.
L’être en 2016 - alors que cette théorie n’a plus aucune complicité avec la réalité quoiqu’elle ait laissé derrière elle les stigmates toujours signifiants de sa tentative de destruction du monde spectaculaire, - c’est lire ce monde avec une grille de lecture qui a abandonné la recherche théorique pour se faire idéologie.
Quant à l’idéologie libérale, je ne vous en parle pas : vous la vivez tous les jours.
Elle se vit comme le syndrome de Stockholm: l’anormalité des choses est vécue comme une incontournable normalité et cette anormalité remet en cause, non pas les choses, mais l’individu qui les ressent comme anormales.
12:49 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | Bertrand REDONNET
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