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09.07.2014

Réquisitoire -3 -

littérature,écriture,justiceSeptembre égrena jour après jour les poussières d’une chaude fin d’été.
Sur l’horizon cependant le soleil fléchissait et, soudain, surgirent les brouillards d’octobre. La forêt s’embrasa et sur ses lisières les ombres s’allongèrent.
La Toussaint accueillit bientôt les premières grosses gelées de l’hiver ; la pluie et le gris du ciel prirent d’assaut la petite vallée où, chaque matin, Florent guettait maintenant le facteur qui lui apporterait à n’en pas douter, vu la maigreur squelettique de ses revenus, la nouvelle de ce que la République française, ouvrant ses bras secourables, prenait en charge les frais de justice d’un procès ridicule où l’avait acculé un escroc sans honte ni honneur.
Il guetta trois mois. Alors, de guerre lasse, il se fendit d’un coup de fil au greffe du tribunal où dormait son dossier : ça tombait bien ! Le susdit dossier était à l’étude mais, hélas, il manquait des renseignements et on allait lui renvoyer pour qu’il le complète.
Bizarrement, après quasiment un trimestre de silence, on lui renvoya sa demande dans les quarante huit heures…
Dans une case prévue à cet effet,
Florent porta donc les revenus de sa compagne comme l’exigeaient les gens de là-bas, ce qui, à moi, me paraît complètement illégal puisque ce sont des revenus exclusivement polonais et exclusivement soumis à l’impôt polonais et qu’ils n’ont dès lors pas à intervenir en l’état, surtout à charge, pour une demande formulée par un citoyen français en son pays.
C'est ce qu'il me semble... Il eût fallu sans doute se renseigner plus avant.
Bref… Sur ce arriva Noël, puis le Nouvel an et janvier allait tirer sa révérence quand, enfin, Florent, après cinq mois d’atermoiements, reçut sa réponse : Refus net et sans bavures,  plafond dépassé de 20 euros.
Cinq mois d’attente pour s’entendre dire M… dans une formule administrative !

Contre mauvaise fortune, Me Fortuna fit bon gré. L’enrobé affirma que ce serait bien dommage de déclarer forfait maintenant car la partie était quasiment gagnée d’avance. Elle était en tout cas, fort plaidable.
Il fit donc cadeau du montant de la TVA, c’est-à-dire qu’il demanda 600 euros, mais TTC, cette fois-ci. En plus, magnanime, il dit qu’il ne ferait pas assigner la partie adverse par un huissier ce qui éviterait, mon brave et bon monsieur, des frais supplémentaires.
Florent était allé trop loin dans sa démarche. Il avait trop attendu, trop espéré et il lui semblait effectivement inconcevable d’abandonner. Un ami qui nous est commun, un homme de bon cœur, un  grand lecteur en même temps qu'un excellent camarade, lui avança les 600 euros.
Florent était désormais dans la position du tireur qui, ayant chargé son arme, met en joue, retient sa respiration et attend son gibier. Il attendait, il attentait, guettant le moindre bruit…
Mais Me Fortuna ne donnait plus signe de vie, trop occupé sans doute à soutenir d’autres causes rémunératrices, celle-ci ayant déjà porté ses fruits.  On était déjà en mars, Florent envoyait mail sur mail. Rien…. Le baveux se taisait.
Il se fendit quand même d’un mail agacé : « Cher Monsieur, il convient  d’attendre. Salutations… » et, aussitôt, en guise de parole reniée, il expédia la note d’huissier pour assignation à la partie adverse, soit 66 euros !
Florent était plongé jusqu’au cou dans le mensonge et le merdier. Il ne pouvait plus reculer. Il était pris au piège… Les chapeaux mous, ça ne rigole pas… Fallait payer. Assez vite. Avant que la note ne devienne plus salée par le jeu tout en finesse des  intérêts de retard.
Je lui avançai les 66 euros… Il en était à près de 3000 zlotys d’investissement.
Le moral flanchait. L’œuf dans le cul de la poule prenait les allures d’un produit de luxe d’une épicerie fine.
Enfin !
Florent s’écria si fort que je dus brusquement éloigner le portable de mon oreille. Enfin ! Ça passe le 17 mars !
J’étais heureux pour lui…. Heureux de sa joie. Cette affaire dans laquelle il était plongé depuis sept mois maintenant n’avait que trop duré et Florent, le pauvre Florent, le doux rêveur, s’était endetté jusqu’au cou.
Trop duré ? Mais vous rigolez ?!  Nous n’en sommes encore qu’aux amuse-gueule.
Florent, lui,  croyait atteindre aux rivages.
Il avait pourtant devant lui un océan à traverser ; un océan dont il ne soupçonnait rien ; un océan agité par des vents contraires soulevant des montagnes, des vagues et des écumes d’une imbécillité crasse !

Affaire à suivre...

10:53 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture, justice |  Facebook | Bertrand REDONNET

06.07.2014

Réquisitoire - 2 -

Requisitoire.jpgFlorent m’eût-il consulté avant de prendre la décision d’ester en justice que j’eusse plaisamment paraphrasé Frédéric Dard en le prévenant qu’un plaignant est cuit d’avance si son avocat n’est pas cru.
Ça n’aurait, j’en conviens, pas beaucoup fait avancer ses affaires. Plus sérieusement, j’aurais quand même tâché de l’en dissuader.
Car, comme je le subodorais fortement, après avoir mis les pieds dans ce bourbier, mon pauvre ami n’a pas cessé de s’embourber, alors que tout avait pourtant commencé sous d'agréables auspices. Mais il est vrai aussi que c’est le propre de tout bourbier que de dissimuler son côté sale. Sans quoi il ne piégerait que les suicidaires !
Ainsi, consulté par mail, un avocat répondant au doux et prometteur qualificatif de Maître Fortuna, se montra catégorique après que Florent lui eut exposé les tenants et les aboutissants de ses déboires. Selon lui, c’était simple et, juridiquement parlant, ça coulait de source (de revenus pour lui sans doute) : il y avait eu début d’exécution par ce premier versement effectué en juillet 2010 et ce début d’exécution valait devant une juridiction « reconnaissance de dette ».
Florent exultait. Ah, il allait se le payer, cet enc… d’escroc de voleur de toiles ! Il allait le trainer devant les tribunaux ; il allait jeter sur lui l’opprobre social et lui faire rendre avec force de loi ce qu’il lui devait !
Comme tous les rêveurs de la terre qui n’y connaissent absolument rien aux turpitudes d’un système, qui, même, s’imagine ce système comme tout empreint d’une équitable sagesse, Florent faisait déjà allègrement cuire l’œuf dans le cul de la poule. D’autant qu’il existait, selon l’avisé homme de loi, une juridiction dite de proximité, créée en 2002 par le gouvernement Jospin au dessein de désengorger les tribunaux d’instance embouteillés sous des tonnes de dossiers, tous plus urgents et primordiaux les uns que les autres : un coq qui chante trop tôt le matin, une borne de jardin mal placée, un droit de passage contesté par un voisin sur une parcelle protégée par la loi trentenaire, tapage nocturne après beuverie, chien errant et galeux qui a piétiné trois plants de salades et ainsi de suite…
Cette juridiction de proximité, mon cher Monsieur, vous conclura votre affaire en deux temps trois mouvements et nous allons demander que nous soient comptés, en plus, les intérêts légaux courant depuis le manquement à notre deuxième échéance.
Mon ami Florent n’en était déjà plus à cuire l’œuf dans le cul de la poule : il en était à l’omelette aux fines herbes et aux cèpes!

La première déconvenue, à laquelle, quand même, il aurait dû s’attendre, fut, quarante huit heures à peine après qu’il eut donné son enthousiaste feu vert à son chevalier servant pour entamer la procédure, la réception par mail d’une facture d’honoraires en bonne et due forme et d’un montant de plus de six cent euros, hors taxes bien sûr, à honorer dans les délais les plus brefs et avec des salutations on ne peut plus distinguées.
A ce stade de ma narration, cher lecteur, il te faut empoigner une calculette. Car l’avocat vit en France et en euros alors que Florent vit en Pologne et en zlotys. Fi, donc, des calculs relatifs au cours des monnaies : la facture s’élevait dans l’absolu à 2500 zlotys. Une fortune, soit deux fois le SMIG polonais !
C’est comme si un Français avait reçu une facture de 2800 euros !
De plein fouet fut frappé droit au cœur le velléitaire plaignant !
Il n’avait seulement pas cent zlotys en poche et, tant pis, merde de merde, qu’il les garde les toiles et le fric, ce salaud, qu’il aille en enfer et ce monde est vraiment encore plus pourri que je ne l’imaginais.  Je laisse tomber !
Sage résolution. La colère est parfois bonne conseillère.
Las ! Las ! Las ! C’est là que je suis intervenu, croyant bien faire car voyant bien à quel point mon ami était dépité d’avoir à abandonner ses œuvres aux mains d’un salopard…
Je le regrette beaucoup aujourd’hui.

« Mais, que j’écrivis à Florent, il existe quelque part dans tout ce merdier, ce qu’on appelle l’Aide juridictionnelle avec un grand A, une aide pour les pauvres comme nous-autres qui leur permet de se défendre s’ils sont soudain victimes – plus que d’habitude et de façon plus flagrante encore - d’une escroquerie… C’est l’Etat, le bon Samaritain, qui paye l’avocat et les frais … Fais-en la demande. Avec tes revenus plus qu’aléatoires, ils te l’accorderont à tous les coups. »

Une juridiction de proximité (un peu comme la démocratie de Ségolène Royal), une aide pour les pauvres gens,  que demande le peuple ?
M’inondant de remerciements, Florent repris donc le combat et fit un pas de plus, par ma faute, vers la déprime, en téléchargeant effectivement sur internet un dossier de demande d’aide juridictionnelle…
Ce sera très rapide, lui avait entre temps assuré, quoique sur un ton beaucoup moins enthousiaste et urbain que précédemment, délaissant bizarrement le nous solidaire et complice pour un vous plus distant, Maître Fortune, mis au courant de la démarche.
Nous étions, notez  bien, lecteurs, fin août de l’année dernière.

Affaire à suivre...

13:01 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, littérature, politique |  Facebook | Bertrand REDONNET

04.07.2014

Réquisitoire - 1 -

Ensuring-Justice-for-Victims-and-discredit.jpgEn portant à votre connaissance l’histoire malencontreuse advenue à un ami, je veux dénoncer avec force ce poncif érigé en dogme républicain : l’indépendance de la justice.
Mais comprenons-nous bien ! Je veux dénoncer cette indépendance non pas par rapport aux pouvoirs exécutif et législatif - règle sacro-sainte de la séparation, qui, si elle était effectivement de mise, serait un gage réel d’une saine démocratie - mais pour son indépendance totale, jusqu’au mépris du seigneur pour son paysan, par rapport à ceux dont elle a en charge de régler les intérêts conflictuels : les citoyens.
Il manque assurément à cette institution séculaire des comités de citoyens qui, sans pour autant avoir droit de regard sur les instructions en cours, les enquêtes, les tenants et les aboutissants d’une affaire appelée à être plaidée, veilleraient à ce que les tribunaux et tous ceux qui en vivent et gravitent autour, notamment les avocats chafouins, fassent leur métier proprement, en respectant les justiciables plutôt qu’en les traitant comme des sous-merdes et des ignorants.
Cette histoire lamentable est une illustration de ce que la justice ne «souffre pas tant d’un manque de moyens» comme l’affirme avec facilité La Garde des Sceaux, ramenant tout, en bon serviteur d’une République décadente, à une histoire de gros sous, mais bien d’une impéritie, d’un incommensurable orgueil et d’une fourberie époustouflante de ceux qui œuvrent en son sein.
Cette justice est un électron libre, un monstre froid qui n’a de comptes, semble-t-il, à rendre à personne.
Bref, un Etat dans l’Etat qu’il faudra bien un jour que les hommes de bonne volonté retrouvant leur dignité se décident à juger, voire à condamner, à la faveur de ce mouvement de perpétuel boomerang dont se nourrit l’Histoire.

Mon ami s’appelle Florent.
Je l’ai rencontré il y a trois ans. Il habite la Pologne, à deux cent cinquante kilomètres au sud de chez moi.
Le fait d’être tous les deux Français sur une même terre étrangère nous a évidemment rapprochés au début… Mais pour forger une amitié, il faut avoir autre chose à échanger qu’une carte de nationalité.
Florent est un ami pour une foule de raisons.
Je passe là-dessus. Là n’est pas mon propos. Suffit de savoir ceci : l’eussé-je rencontré en Poitou-Charentes qu’il eût été pareillement mon ami.

Il y a un an environ, fin juillet, nous avons passé deux jours ensemble. Chez lui. Il faisait une chaleur épouvantable et nous sortions très peu, quoique son environnement, sauvage et montagneux, soit propice à la balade et à la rêverie contemplative.
Florent, d’ailleurs, le peint avec bonheur, cet environnement, car il a un talent certain pour la peinture, art de l’histoire duquel il est un parfait érudit. Il m’en apprend beaucoup et il est intarissable sur le sujet.
Nous ne sortions pas beaucoup, donc, et mon ami d’ordinaire si disert, était d’humeur plutôt morose. Pas désagréable pour un sou, non, mais plus silencieux que de coutume, comme préoccupé.
Tant que je finis par lui demander s’il avait des ennuis, auquel cas je pourrais peut-être lui donner un coup de main, dans la limite de mes maigres possibilités.
Florent hésita longtemps avant de me confier, avec beaucoup de précautions et en tournant la cuillère autour du pot, comme s’il avait honte ou comme s’il avait l’impression de se mettre à poils, qu’il avait vendu trois toiles à un individu, un périgourdin comme lui, que celui-ci lui avait demandé de lui octroyer la possibilité de payer en trois fois, qu’il lui avait établi un échéancier signé d’un avocat et lui avait fait un premier versement de 3000 euros lors de la livraison.
Mais le terme de la deuxième échéance, également de 3000 euros, était passé et rien n’était venu.
Or, Florent est un homme sans le sou, un homme sans budget fixe, un pauvre qui s'en fout de l'être mais qui comptait cette fois-ci sur son argent pour partir à l'automne respirer un peu l’air du pays dans son Périgord natal, et, même, faire quelques travaux dans sa charmante petite maison. De bois, comme la mienne.
Sur mon insistance, il me montra cet échéancier, effectivement établi par un avocat de Périgueux, Maitre Bartaclay :
8000 euros payables en trois fois, soit 3000 en juillet 2012, 3000 en juillet 2o13 et le solde de 2000 en juillet 2014.

Mais, contacté, le débiteur, avait proprement envoyé promener mon ami. Manifestement, Florent s’était fait entuber de 5000 euros et il n’avait plus que ses yeux pour pleurer n’ayant, lui, signé aucun papier, pas même un certificat de vente.
Du Florent tout craché, absolument ignorant des us et coutumes de la vente à crédit, peut-être même de la vente tout court et, surtout, artiste assez naïf pour être tombé dans un panneau aussi grossier.
Ce dont je suis incapable de le blâmer...

Affaire à suivre...

14:11 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : justice, écriture, littérature, politique |  Facebook | Bertrand REDONNET

03.07.2014

Renart et Chats fourrés

220px-Antoine_Portail.jpgLa sympathie que m’inspire Nicolas Sarkozy n’a à peu près d’égale que celle que m’inspire une épine plantée dans mon talon.
Mais l’honnêteté de ceux qui ont décidé de lui faire rendre gorge m’inspire, elle, que du dégoût.
Sarkozy a une qualité que les autres n’ont pas : il ment mal. Il ment comme un bonimenteur de foire, comme un camelot.
Les autres, en face, mentent avec plus de brio. C’est la raison pour laquelle ce sont eux, plus que l'évident bonimenteur, qui méritent d’être partout dénoncés.
Sauf évidemment pour les petits soldats de plomb socialistes pour lesquels un chat n'est un chat que lorsque cela les arrange. C'est-à-dire chaque fois qu'il s'agit de valider une contre-vérité.

Commençons par écouter une seconde un gars du Syndicat de la Magistrature :

« […] un juge, même syndiqué, n'en est pas moins impartial 

  " L’ancien chef de l’état fait l'amalgame entre la critique par un syndicat, personne morale, d'une politique menée et l'action d'un magistrat directeur d'enquête, dans le cadre de ses fonctions "

Diantre ! Mais qui est donc ce magistral magistrat ? Quel est cet homme ? Qui est ce surhomme ? Quel est ce funambule de génie ? Qui est cet être immatériel, coupé en deux, dichotomique, sans âme ?  De quelle galaxie miraculeuse a t-il été débarqué chez nous-autres ?

Je me souviens plaisamment de certains collègues de l’administration qui, sans doute accablés par l’inconfort  de leur conduite au bureau, disaient :
-         Je ne suis pas du tout comme ça chez moi.
Et moi de leur dire inlassablement :
-         Vous êtes vous dès lors demandé à quels moments de votre vie vous étiez le plus authentique ? Le plus chez Vous, dans votre peau ?  Côté cour ou côté jardin ?
Car un homme est un homme, entier, un Lui indissociable d’un Je, à moins qu’il ne soit un parfait schizophrène.

Alors, Messieurs du Syndicat de la Magistrature, faites votre office, faites-le comme vous voulez, salement ou proprement, mais de grâce ne rajoutez pas à la pollution délétère de notre triste époque la pollution ridicule d’une impossible, d’une inconcevable philosophie pour qui sait peu ou prou ce que veut dire le mot humain.

Je le connais bien votre métier. Souvent je me suis frotté à votre rugueuse hermine.
Et, très récemment, un ami, un grand ami, peut-être le seul qui me reste sous les étoiles de ce monde, m’a fait le récit écrit et affligé d’une mésaventure rocambolesque qui vient de lui advenir après qu'il eut commis la monumentale erreur d’aller vous demander conseil pour une broutille.

Cet ami que vous avez bafoué, méprisé, m’a permis, se disant mal à l’aise dans l’écriture publique,  de reproduire ici son histoire.
Je le ferai
à partir de demain d'ici quelques jours, en trois ou quatre épisodes.
Parce qu’elle mérite d’être livrée  à la publicité
par le menu, son histoire.
Elle vaut, à mes yeux, bien plus que toutes  les professions de foi, les déclarations, l’énoncé des grands principes et surtout, chose que vous connaissez à merveille,  tous les effets de manche…
Elle me navre bien plus que les démêlés de Sarkozy avec vous qui vous emmêlez les pinceaux.
C’est de la vie, de l’empirisme pur, qui, sans appel, vous dénonce et vous accuse, Vous et tous ceux qui autour de vous gravitent en jonglant avec les mots de la  loi...

14:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : politique, justice, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

30.06.2014

7 et 950

littérature,écritureLe 3 juillet, jeudi donc, l’Exil des mots soufflera ses sept bougies.
Sept ans que j’ouvre régulièrement cette lucarne et la nourrit de mes différents textes, celui-ci étant exactement le neuf cent cinquantième.
Avec le recul cela me semble énorme et même un peu fou.
En ces sept années, j’ai publié six livres. Ce n’est pas mal, me direz-vous, mais une broutille quand même, si, en volume et peut-être même en audience, on les compare à ces près de mille textes qui jalonnent ce blog.
Et il y a dans cette activité gourmande quelque chose qui m’échappe : le but. Autant dire l’essentiel.
N’est-ce pas là un des paramètres sournois qui définit l’aliénation à ?
Dans la houle de quels flots  m’évertué-je ainsi à jeter ma bouteille? A quel ou quels besoins répond une telle assiduité ? Quelle volonté préside à une telle pérennité ? Je serais bien en peine de vous le dire, n’ayant jamais été ni assidu ni constant dans mes activités, si ce n’est, justement, dans leur renonciation successive. Jusqu’au paradoxe de la ténacité du velléitaire.
Il faut croire alors – à défaut de comprendre – que toute cette constance relève de l’équivoque expression d’un appétit non satisfait. Peut-être celui de se faire entendre. Quel homme, même celui qui n’a rien d’essentiel à dire – et nous sommes nombreux dans ce cas-là - ne rêve-t-il pas de se faire malgré tout entendre ? D’ailleurs, quand nous prêtons une oreille au brouhaha du monde, qu’entendons-nous qui serait digne d’être écouté et qui nous transcenderait un peu, qui nous élèverait l’esprit jusqu’au jamais-vu-encore, qui ouvrirait d’autres perspectives que les jours cheminant pas à pas derrière les nuits, et inversement jusqu'au froid terminus ?
Les hommes et les femmes qui ont la parole n’ont strictement rien à nous dire.
Alors, le blog… Un balbutiement miniature du balbutiement général ?  Un besoin de balbutier aussi. De barboter dans la mare déjà surpeuplée ? Comme pour ne pas être en reste, comme pour dire, le doigt levé : moi aussi, Monsieur, j’ai balbutié ma  vision des choses.
La vision des choses…Tout écrivain est un homme qui lutte contre l’idée de la mort ; un homme qui a choisi, quelque part, de tenter sa maigre, son infinitésimale chance de frapper à la porte de l’éternité. Un homme qui refuse de façon névrotique l’absolu silence des chrysanthèmes.
C’est comme ça qu’on se découvre mégalomane… Mais la mégalomanie c’est, comme l’utopie, un antidote à la résignation.
Mais je ne dis pas pour autant que je suis un écrivain, miladiou ! Je dis que je voudrais, que j’ai toujours voulu, en être un. Car un écrivain, un artiste en général, porte en lui le drame essentiel de toute existence en ce que son sort dépend essentiellement des autres. Ce sont les autres qui le font ce qu’il veut être.
Il n’y a pas grand-chose de plus pitoyable au monde que l’artiste autoproclamé. Ou frauduleusement proclamé par le spectacle social, ce qui revient strictement au même.
L’Exil des mots est peut-être alors tout simplement – je dis bien tout simplement - l’aveu d’une impuissance de son auteur à être réellement un écrivain.
Par l’inflation, la présence et la constance.
Car ce n’est pas avec un blog – du moins en douté-je fort – qu’on frappe aux portes de l’éternité.

Mais vous vous demandez sans doute ce que j’ai voulu dire. Je comprends. Je me le demande moi-même. Tout cela est décousu, mal maitrisé. A reprendre un jour.
Ce serait  plutôt cela un blog : un atelier.

Image : Philip Seelen

18:32 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

24.06.2014

Samedi 21 juin, Hélène Cadou nous a quittés


"Après la sortie de la Revue 303 – Cadou, Bérimont et l’école de Rochefort ( avec le Conseil régional des pays de Loire), la réalisation du film René Guy Cadou ou les visages de solitude avec Emilien Awada ( Cinergie Production & TéléNantes), Une émission sur France Culture consacrée à Cadou ( émission de Sophie Nauleau, ça rime à quoi ? et dernièrement le cahier d’étude des poètes de l’Ecole de Rochefort-sur-Loire n°4 : René Guy & Hélène Cadou poésie et éternité (Université permanente de Nantes avec Georges Fargeas et  le Petit véhicule), nous continuerons à travailler pour les œuvres croisées de René Guy et Hélène Cadou, deux grands de la poésie française.
LE PAYS  BLEU DE RENÉ GUY OUVRE SA FRONTIÈRE AU PAYS BLANC D’HÉLÈNE ( lisez ce pays chez Rougerie éditeur et Brémont pour l’essentiel). Les deux poèmes vivent  l’amble désormais au-delà des lisières.

Voici une lettre de Benin avec qui nous avons réalisé trois Compact disc sur Cadou. Nous reviendrons sur l’ensemble de nos travaux.
Pour Hélène, infiniment et orphiquement....

                                                                            Luc Vidal - Editions du Petit Véhicule -

 Hélène…

Première rencontre en 1984 (trente ans presque pile), grâce au passeur Luc (Vidal), mon guide dans la découverte de la poésie de Cadou, quelques mois en amont. Cela s’est passé sous les auspices bienveillants de Roger Toulouse, ami peintre des Cadou…
Fulgurance du regard. Radieux, pénétrant, timide, et ce sourire perpétuel aux coins des lèvres, comme une invitation…
Pour tout prologue, je chante « Hélène » et « Je t’attendais ».
Le silence qui suit est perceptible, comme un doux refuge à l’émotion qui plane dans la petite pièce. Quelques larmes coulent sur le visage d’Hélène. Le temps est suspendu. Son regard demeure aussi vif et pénétrant, et le seul mot qui émane d’elle est : « Merci… ». Je le reçois comme un doux assentiment protecteur, moi qui ai osé ce jour là faire chanter les mots de Cadou, en présence même de sa muse inspiratrice !
Voila pour cette première fois

Ensuite, la bienveillance d’Hélène, pudique, ébouriffée parfois de reconnaissance, ne s’est jamais tarie. Elle aimait la vie, le puits profonds de la poésie, le genre humain et son René, d’une même gerbe, d’un même élan. Lumineuse malgré elle dans sa parure de veuve éternelle, ou plutôt d’éternelle fiancée avec son beau prince en poésie parti trop tôt…
Je lui dois cette fidélité à ce qui nous fonde chacun : Cette face de lumière en nous.
Hors du temps, des modes, des sirènes nonchalantes de nos démesures contemporaines.
Hélène demeurait courtoise, distante, dans ses allures de dame du siècle dernier.
Elle devait bien sentir voleter au-dessus d’elle une nuée d’anges malicieux (son regard pétillait si souvent !)…
J’en arrivais plus tard, dans les années 90, à poser mon chant sur les mots d’Hélène aussi, conscient de leur valeur limpide.
A présent, Hélène et René se sont rejoints. Ce doit être la douce fête au paradis…
A moins qu’ils n’en aient profité pour poser l’acte d’une escapade, lui qui lui « avait donné rendez-vous dans le ciel pour des promenades éternelles » (17 juin 1943).
 Je suis ému de leurs retrouvailles, mais aussi, un peu plus responsable d’appartenir au petit carré de passeurs, désormais…

 Morice Benin, le 23 juin 2014.

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20.06.2014

Je me souviens de Georges...

9782913511019FS.gifÊtre un poète dans sa vie, dans son cœur, dans ses tripes, dans son rapport aux autres, dans sa conception vécue du monde, ce n’est pas tant faire rimer des mots et se faire balancer des phrases que de voir les choses comme ça :

« Je me souviens avoir lu quelque part que Georges avait prêté de l’argent à un ami, lequel insistait pour lui donner un reçu :
- Mais si, Georges, il pourrait m’arriver quelque chose.
- S’il t’arrive quelque chose, crois-tu que c’est l’argent que je regretterai ?
Cette anecdote pourrait réunir tous ceux qui courbent l’échine en attendant que s’arrête de souffler l’horreur économique

*

 «Je me souviens que Georges portait volontiers, chez lui, des vêtements en matière synthétique qui n’étaient pas, à mon humble avis, d’un goût parfait. Il s’en fichait d’ailleurs et me disait souvent, (à mon grand dam puisque j’avais basé ma vie sur le sens de la vue) :
- Je ne me sers pas souvent de mes yeux…
Et il ajoutait cette précision que cite André Tillieu (le plus proche de Georges parmi les biographes de Brassens) :
- Sauf pour regarder ceux des autres ».

*

«Je me souviens de cet aphorisme de Georges : Une femme est un cadeau qui vous choisit.»

*

« Je me souviens que Georges m'avait dit (peut-être pour me déculpabiliser) :
- Un artiste - un vrai - n'a de compte à rendre à personne.
»

Pierre Cordier, Je me souviens de Georges, Éditions Arthémus - 1998 -

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18.06.2014

"Le Diable et le berger" sur Solko

Roland Thévenet rend compte de sa lecture récente de mon dernier livre, Le Diable et le Berger, publié en mars dernier à l'enseigne des Éditions du Petit Véhicule.
Il m’avait aussi proposé une petite interview à distance à propos de ce  livre.
Je l’en remercie bien vivement.
Si le cœur vous en dit, vous trouverez tout ça ICI.

Je remercie également mon ami Feuilly de s'en être  fait l'écho il y a quelques semaines.

Nous sommes de petits écrivains boudés par le spectacle culturel.
Alors, on se débrouille entre nous.
Ceci dit sans dépit et même avec joie.

 1324103993.JPG

 

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14.06.2014

Auprès de mon arbre

P6082588.JPGJe l’avais découvert un matin du mois de mai et j’avais été à deux doigts - deux orteils plus exactement - de l’aplatir tout net sur l’humus de la forêt.
Je l’avais cependant aperçu juste à temps, sans doute parce que dans cette ombre attristée des grands pins sylvestres, sur le gris des tapis d’aiguilles et parmi des sous-bois chétifs, ses cinq ou six jeunes feuilles, d’un vert lumineux, détonaient tel le coup de pinceau malséant du peintre dont la main dérape.
Il était au ras du sol. Né de l’année. Un mal-né, un bâtard des sous-couches, un zonard de l’orphelinat promis à la souffrance et à la disparition prématurée. Rien autour de sa jeune vie n’avait en effet été disposé pour qu’il y trace un chemin joyeux. L’ingrate nature, la marâtre nature comme chantait le poète à Hélène de Surgères, l’avait jeté là comme pour s’en débarrasser, sur une saute du vent dispersant une graine inutile.
Coincé entre un énorme pin qui s’élevait bien droit comme tous ses congénères et qui, comme eux, touchait de sa tête le bleu invisible du ciel et un robuste sorbier des oiseaux en large floraison, son berceau était bardé d’épines et entouré de concurrents malveillants. Il allait s'étioler avant même d’avoir vu la lumière des jours.
Je l’ai soulevé de terre, soigneusement, je l’ai extirpé de ce sol où, manifestement, il n’avait rien à faire : il n’y a pas de place dans le sous-bois des forêts de résineux pour un érable.
Il était une incongruité, une erreur.
J’ai transplanté l’erreur en mon jardin.
Sans grand espoir pourtant de jouir un jour de son ombre. Planter un arbre au mois de mai, c’est un peu comme donner à boire à un citoyen en train de se noyer dans une fontaine. Le remède peut s’avérer très vite bien pire que le mal.
Alors, au début, il a boudé, il a recroquevillé ses maigres rameaux, il a pâli, il a tremblé, cacochyme, triste, à deux souffles de la mort… Et puis, sa racine jugeant sans doute que, de là, on pouvait peut-être espérer un jour grimper jusqu’aux nuages, il s’est ressaisi, il a ouvert tout grand son maigre feuillage, fait le plein de chlorophylle, s’est redressé,  a bu  à pleine branche la pluie et le soleil et s’est mis à jouer avec le vent.

Il a maintenant trois printemps inscrits à ses rameaux et il a fière l’allure. A l’automne, avant de s’endormir sous les neiges et le gel, il me fait la fête et, Argonaute résolument sédentaire, sur la pelouse dépose sa toison d’or. Chaque mois de mai, pour l’anniversaire de sa résurrection, il se pare de nouvelles pousses prometteuses et fait le coquet.
C’est un adolescent plein de fougue. On dirait qu’il est désormais  de  la trempe des grands rustiques qui bravent les aquilons et auxquels tout semble zéphir.
Mais comme il sait bien ne pas être un chêne et que, de surcroit, il n’y a pas de roseau dans son voisinage, il n’en fait pas exagérément montre.
Il vit simplement sa vie d’arbre souverain dans le grand mouvement des choses.
Comme moi qui le contemple en mon jardin, sa terre d’exil et de hasard...

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11.06.2014

Lutte des classes et paysages

atv5arbres-or.jpgIls sont de vénérables ancêtres, de vertes estampilles laissées par des temps révolus et on les appelle les têtards ; les frênes têtards.
Hiératiques, ils bordent les conches, les canaux et les moindres fossés du marais mouillé, là-bas, du côté de Niort.
L’été, ils caressent les eaux dormantes de leurs épaisses frondaisons, offrant au promeneur en barque une voûte rafraîchissante et à l’anguille lucifuge la pénombre.
Ils sont une curiosité.
Habitants à part entière des paysages de Lacus duorum corvorum, ils en sont presque une image d’Épinal.
Et on pourrait difficilement les classer : arbres d’ornement ou arbres de métier ? Arbres des caprices naturels ou façonnages des hommes ?
Ils sont sans doute tout ça. Du moins le sont-ils devenus.
Car l’histoire de leurs singulières silhouettes nous ramène aux siècles du seigneur et du manant. Le premier se réservait en effet la part du lion, le grain plutôt que l’ivraie, et il était dès lors interdit au second de couper le moindre frêne sur ses terres. Le hobereau permettait seulement à son paysan de couper les branches. D’émonder.
Ce qui a donné le têtard.
La propriété, c’est le vol, disait Proudhon.
Certes. Dans bien des cas. Mais c’est aussi son histoire, à cette propriété honnie, qui sculpte aujourd’hui nos paysages. Et une fois que le temps a fait son travail de deuil, nivelant les iniquités et les rapports de subordination, il nous laisse ces formes singulières, ces témoins qui ne prennent la parole que si on les interroge de près.
Que si on leur tend l’oreille.

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09.06.2014

Le papillon de nuit

france_affiche_lepen_1974.jpgUn monde d’imbéciles déprimés gouverné par des imbéciles heureux qui se prennent pour de fines intelligences et qui en parodient plus ou moins bien le langage, ne peut que s’enfoncer de plus en plus dans l’erreur dès qu’il fait mine de  comprendre quoi que ce soit de son destin et des petits épiphénomènes politiques qui en balisent le chemin.
C’est une évidence pour moi, qui ne suis pourtant pas plus intelligent ni plus fin qu’un autre, mais qui possède peut-être l’inappréciable avantage de ne se sentir concerné que par un essentiel : la course du soleil autour de ma maison, le bonheur immédiat de ceux (celles) qui partagent avec moi la fuite du temps, l’écriture et le faible écho que peuvent me renvoyer mes quelques livres.

Ainsi, je rigole ce matin de la cacophonie autour d’un énième dérapage minutieusement contrôlé du sieur Le Pen. Les bien-pensants portent plainte, ils ne savent guère faire que ça, s’aller moucher à la pèlerine, les politiques les plus corrompus lèvent les bras au ciel et tordent la bouche dans un ensemble harmonieux et avec une moue imitant parfaitement l’indignation (un fourbe est toujours content de tomber sur plus fourbe que lui, ça le dédouane aux yeux du monde de sa propre duplicité), et tout ça pourquoi ? Pour du vent.
La fausse conscience parle à voix haute, jusqu’à s’égosiller, dans un tumulte masquant totalement la réalité des uns et des autres.
Car le vieux chef d’extrême-droite, lui, suit sa stratégie déclinante, celle qui a toujours été la sienne, c’est-à-dire qu’il cherche, comme il l’a toujours cherché, à éloigner son parti du risque d’accession au pouvoir que lui font courir ceux à qui il en a confié la direction.
Je reprendrai donc ici quelques éléments que j’avais déjà publiés en avril 2012 sur l’histoire récente de l’extrême droite française, éléments que confirment les nouvelles élucubrations de Le Pen autant que l’opposition dont est obligée de faire montre sa fille devant les susdites élucubrations.
Entre le vieillard et ses enfants, la guerre est ouverte et les autres imbéciles heureux qui font mine de s'offusquer ne comprennent rien à rien des enjeux de cette guerre.

Il faut donc d’abord comprendre l’histoire de l’extrême-droite en France depuis les années 60, savoir d’où elle vient et ses objectifs, avant de se lancer dans tout commentaire qualitatif sur ses succès électoraux depuis 1986, dont le dernier aurait eu lieu aux européennes du 25 mai, sous les yeux effarouchés des démocrates frileux et ceux triomphants des nostalgiques atrabilaires des Camelots du roi.
Le Front national est né d’un mouvement que nous connaissions bien lors de nos affrontements de jeunesse sur les campus des années 70, Ordre Nouveau. Ce groupuscule violent, - mais pas plus que nous autres situés à l’autre bout de la galaxie de l'idéologie révolutionnaire, bien au-delà du PCF, du PS et des lénifiants trotskystes- souvent armé de barres de fer et autres frondes, se distinguait d’abord par le courage convaincu dont faisaient montre ses membres, n’hésitant pas à trois ou quatre seulement - je m’en souviens très bien - pour venir provoquer de leurs saluts nazis des assemblées entières où grouillaient des centaines et des centaines de gauchistes de tous bords, certains brandissant le drapeau rouge du stalinisme à la Mao ou du trotskysme emberlificoté, d’autres le drapeau noir du romantisme anarchiste, d’autres le drapeau noir et rouge de l’anarcho-syndicalisme espagnol, et d’autres encore, sans drapeau mais le verbe haut et fier de la théorie situationniste aux lèvres.
Ma sympathie, sinon mon appartenance, allait à ces derniers.
Disons que c’est dans leurs maigres mais fort joyeux rangs, que je comptais quelques valeureux amis,  gardés pendant des décennies.
Plus tard, la frénésie des A.G s’étant apaisée et le souffle de la révolte perdant de son enthousiasme, chacun est devenu apparemment ce qu’il était essentiellement. La plupart laissèrent donc en route leurs fougues pour finir au PCF ou, pour les plus malins, au parti socialiste, d’autres, au contraire, continuèrent la bataille en apaches isolés, avec coups reçus, défaites cuisantes, enfermements psychiatriques ou cellulaires à la clef, marginalisations et, aussi, quelques victoires non spectaculaires engrangées.
De ces victoires de l’ombre qui permettent de rester debout.

Mais revenons aux assemblées post-soixante-huitardes : quand tout ce beau monde s’est dissous, le combat d’Ordre Nouveau, lui, semblait du même coup devoir finir, faute de combattants à combattre. Dans la pensée de ses quelques dirigeants, le moment était donc venu de sortir des caves de la subversion pour venir affronter le monde sur son propre terrain, celui de la politique.
Ainsi ces dirigeants se mirent-ils en devoir de partir à la pêche au notable fascisant capable de leur assurer une aura et une sorte de légitimité sur la scène politique.
Alain Robert et François Brigneau, chefs d’Ordre Nouveau, repérèrent alors un certain Jean-Marie Le Pen, un poujadiste violent, un sacré tribun, un ancien député de la IVe république qui avait abandonné son mandat pour partir combattre en Algérie. Un para qui était revenu de ce combat honteux avec une réputation de tortionnaire et de brutalité.
Tout cela faisait bien l’affaire des jeunes idéologues d’Ordre Nouveau. Leur intention était d’en faire un homme de paille, une potiche, un drapeau, et d’accéder ainsi à la voix publique sous son couvert. Quitte à le jeter par la suite comme un vieux chiffon.
Mais c’était bien mal connaître le bonhomme et ils firent ainsi rentrer un puissant renard dans leur maigre poulailler. Le Pen dira d’ailleurs plus tard : cela ne m’intéressait pas du tout de parader à la tête d’un groupe de jeunes gens énervés.
Son ambition était alors de fonder un grand parti à la droite de la droite.
L'homme était un pragmatique. 
Il phagocytera ainsi tout le monde, après que le gouvernement eut commis l'erreur d'interdire en même temps la Ligue communiste révolutionnaire et Ordre Nouveau pour leurs violents affrontements, bénis par le stratège Le Pen, à la Mutualité en 1973.

L’auteur du premier programme du Front National est alors un jeune loup : Gérard Longuet, plus tard compromis dans des affaires de haute corruption… Dans cette mouvance de jeunes fascistes, venue d’Ordre Nouveau et du mouvement Occident, on trouve aussi un certain Patrick Devedjian. Que du beau monde, donc.
D’autres cadres sont recrutés au FN et je vous laisse apprécier leur honorable  pedigree :
- Victor Barthélémy, engagé volontaire chez les SS,
- François Gauchet, collaborateur qui reprochait à  Pétain d’être trop mou quant aux directives données par Hitler,
- Léon Gautier, ancien milicien, grand chasseur de résistants,
- François Duprat, néo-nazi activiste, assassiné par on ne sait toujours pas qui et dont le FN fera un martyr…

La suite, vous la connaissez. L’ascension du Front National, Le Pen médiatisé éructant ses fantasmes sur la place publique. Ça, il le doit essentiellement à Mitterrand qui, encore plus fin que lui dans l’art de la perversion politique, répond favorablement à sa demande écrite d’être admis sur les plateaux de télévision au même titre que les autres leaders politiques. Le Président socialiste compte sur la montée de l’extrême droite (dont il connaît bien tous les mécanismes et pour cause) pour faire exploser son opposition officielle, la droite parlementaire. La machine est enclenchée. Le Pen fait de l’audience, les médias le considèrent donc comme un excellent client, bien juteux pour leur tirelire et lui offrent régulièrement leurs plateaux.
L’ogre est sorti de sa caverne et crache sur le soleil pâlot de la démocratie désastreuse.

Le même Mitterrand ouvre au Front National les portes du Palais Bourbon avec son bricolage de proportionnelle en 1986 et c’est là que la machine fascisante commence à s’enrayer.
Elle ne s’enraye pas dans la défaite, mais bien dans le succès. Vitrolles, Orange, des mairies sont conquises. Jeune loup montant, Maigret, enthousiaste, s’écrie alors devant le chef : "Nous sommes prêts ! Nous sommes à deux doigts de prendre le pouvoir !"
La vérité toute crue tombe alors des lèvres de Le Pen lui-même, glaçant les espoirs de ses cadres qui n’ont encore rien compris : Dieu nous en garde !
La douche glacée est jetée sur l'ambition chauffée à blanc.
Le Pen ne désire pas le pouvoir, ne l’a jamais désiré. Il s’y perdrait. Ce qu’il veut, c’est conduire son parti, le gérer comme on gère une grosse PME, en chef incontestable, et qu'il  pèse dans le paysage, qu'il soit incontournable, qu'il fasse et défasse des rois, pollue tout le débat qui n’en a pourtant pas besoin tant il est déjà délétère, le pervertisse et l’accable, et que chacun de ces saltimbanques démocrates soit contraint et forcé de se positionner par rapport à lui.
Et toute l'histoire récente lui donne raison. Les susdits saltimbanques n'ayant plus rien à sauver que des apparences s'évertuent chacun dans son coin à se définir comme le plus sincère anti-Le Pen du moment.
On sait pourtant depuis la nuit des temps ce que valent les identités construites sur leur contraire : du vent.
Sur le cadavre en cours de décomposition de ce que les politiques continuent d’appeler arbitrairement la République, sur cette espèce de Directoire mouillé jusqu’au cou par les scandales et les malversations de tout ordre, Le Pen veut être le ver qui grouille et se repaît à son aise.
Il ne veut surtout pas être la chair de ce cadavre-là !
Sa victoire est alors totale quand Chirac, piteux, lui demande une entrevue entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1988.
Mitterrand, lui,  est aux anges : les loups se prennent à la gorge et, lui, d’un œil plus apaisé que jamais, fait mine de veiller à la tranquillité républicaine d’un troupeau d’imbéciles.
Mais le grand victorieux est in fine Le Pen. D’une intelligence redoutable et d’un talent politique remarquable, il a tout compris du spectacle et s’est attribué, à l'intérieur de ce spectacle, le rôle qu’il a toujours voulu y jouer. Étant certain que ses outrances ne seraient jamais applicables dans un programme de pouvoir, il en est d'autant plus fort pour les défendre avec la hargne que l'on sait, maniant en même temps, avec brio, la contradiction et la provocation verbale. Chaque scrutin est donc pour lui une victoire en ce qu'il frôle de très près la ligne entre opposition battue et élection réussie, en prenant toujours grand soin de ne pas franchir cette ligne qui l'enverrait tout nu devant la nation et l'obligerait à mettre en pratique l'impraticable.
Qui le priverait, donc, de la parole. C'est dans l'outrance qu'il est crédible. Le raisonnable en ferait un homme politique du commun.
Sur cette lisière subtile de l'échec
réussi en permanence est l'avenir, la survie, de son personnage politique. Et là seulement. 
Tel le papillon de nuit dans l'expérience constante des limites, Le Pen frôle la lumière le 21 avril 2002, sûr de lui, certain qu'il ne s'y brûlera pas les ailes, sachant reculer au moment précis où il le faudra pour assurer sa survie.

Las ! Las ! Las !
Voilà que sa fille, à laquelle il a confié la poursuite de l'œuvre de toute une vie, a des ambitions tout autres : elle veut du pouvoir, elle veut le pouvoir et être reconnue comme une dame politique honorable.
Pour ce faire, il lui faut à tout prix changer le destin de la statue façonnée par Pygmalion-père.
Le Pen le voit bien et il sait que dans cette voie-là, après quelques succès prometteurs dus à l’impéritie des vrais-faux démocrates, le bateau qu’il a construit de ses mains court au naufrage. Parce que tout parti qui accède au pouvoir est promis à sa chute et à sa désagrégation.
Alors, de temps en temps, il tâche de rectifier le tir, il tâche de remettre le navire à flots, sur le bon cap, et il lâche le pet à peine foireux d'un éternel antisémitisme primaire.
La fille héritière s’oppose aussitôt, scandalisée qu’on vienne
ainsi souiller le costume qu’elle a eu tant de mal à rendre à peu près présentable. Elle traite dès lors le vieux chef de «ringard» qui commet des fautes.
Lequel vieux chef rétorque aussitôt que les fautes viennent de ceux qui prennent les patins des adversaires qu’ils prétendent combattre : on ne s’oppose pas à la démocratie avec un discours de démocrate !
La guerre est donc déclarée. Une guerre intestine entre deux conceptions de l’extrême droite, l'une du siècle passé, l'autre bien contemporainement politique.
De ce conflit qu'ils n'entrevoient qu'à peine se nourrissent tous les autres insectes du clan politique, pour telles ou telles raisons de basse stratégie et qui ne sont, bien évidemment, jamais celles publiquement déclarées.

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07.06.2014

Marc Villemain

littérature,écritureJ’eus récemment le plaisir de rédiger quelques lignes dans le numéro 49 de Chiendents, édité par Les Editions du Petit Véhicule et consacré à Marc Villemain.
J’avais à cet effet été sollicité par Stéphane Beau et je lui avais positivement répondu.
Pour deux raisons.
La première parce que Stéphane est un bon copain. Mais ça ne suffit pas pour avoir envie d’écrire sur commande. Il faut un petit plus. Un grand, plus exactement.
La seconde raison est donc que Marc Villemain est un écrivain à part dans le paysage humain de la littérature, et, même si je ne l’ai rencontré qu’une seule et brève fois, j'y suis attaché.
C’est comme ça. Sa personnalité qui se laisse deviner plus qu’elle ne s’offre ostensiblement, son écriture appliquée, ses choix de vie que dévoile discrètement ce numéro de Chiendents,
sa façon bien à lui de dire son ressenti du monde sans être, comme mézigue bien souvent, ni abrupt ni excessif.
Et puis, Marc a des pas inscrits sur le sol charentais… Il a grandi dans un village que je connais bien ; un de ces villages de sable, d’embruns et de vent, riverains de l’Atlantique.
Ça crée des liens, sensibles dans l’imaginaire seulement, et, partant, peut-être les seuls à ne pas subir l’inéluctable érosion du directement vécu.
Tout cela a fait que…

C’est donc ICI.

19:11 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

03.06.2014

Expérience du hasard, hasard de l'expérience

gb_tyrannosaurus.gifJe vous entretenais récemment de mon coq Chanteclerc- Richelieu et de ses gélines, sujet qui, je n’en doute pas un instant, vous passionne au plus haut point :))
Ce faisant, je prétendais, sur la foi de bien des affirmations scientifiques, que les gallinacés, au premier rang desquels sont les poules et leurs coqs, descendaient en droite et longue ligne du plus terrible et du plus grand des dinosaures carnivores que
la terre n’ait jamais porté,  Tyrannosaurus rex.
D’ailleurs, les observant courir en leur jardin de verdures, les gélines, c’est vrai que j'entrevois dans leur déhanchement un peu pataud comme un lointain écho… Rendons cependant grâce de ce que l’évolution, musardant pendant plus de 65 millions d'années,  ait en cours de route oublié de transmettre les dents et la force colossale des mâchoires !

Les scientifiques ont donc découvert un gène commun aux fossiles du terrible lézard et à la paisible pondeuse.
Bien. Mais il n’en reste pas moins vrai que d’autres scientifiques, d’autres grands paléontologues, tout aussi chercheurs et tout aussi minutieux que les premiers, contestent fermement cette théorie de la poule Tyrannosaure.
C’est normal. Un scientifique qui n’en contesterait pas un autre ressemblerait à un politique qui dirait amen à tout ce que fait et dit un politique du camp contraire. Sauf qu’en matière scientifique ces différentes contestations font peu ou prou avancer la connaissance, tandis qu’en politique elles ne vont qu’empiler des erreurs sur d’autres erreurs.
Mais revenons à nos poules.
Ce qui m’a amusé dans l’argumentation de la partie contestataire, c’est, en manière de vulgarisation, le filage de la métaphore.
Ils disent, oui, vous avez bien découvert un gène commun, mais combien de différents en avez-vous trouvé ?  Et sur combien de spécimens ? Ouvrez Word sur votre ordinateur, mettez un singe au clavier et laissez-le s’amuser. Il va tapoter partout, toucher à tout, et, au bout de plusieurs jours, en farfouillant sur toutes les touches, c’est bien le diable s’il ne finit pas par vous écrire BONJOUR ou MERDE.
Devrez-vous en conclure pour autant que votre singe sait écrire ?

MORALE ou MORALITÉ, comme vous voulez :

Combien de hasards prenons-nous ainsi pour des vérités définitives et combien de vérités définitives dont nous ne voulons pas qu'elles viennent compliquer l'impassible horizon de nos certitudes, taxons-nous de hasards ?
Tout est dans le raisonnement dicté par une volonté de. Par un désir plutôt que par l'allégeance faite à l’empirisme.
Sur ce, je vous laisse philosopher in petto et je m’en retourne à mes dinosaures emplumés.

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30.05.2014

Dessous la création, les ombres...

cures-1789.jpgJe ne connais rien aux gens d’église, je n'ai jamais entretenu avec eux le moindre commerce et j’ai pourtant fait la part belle, dans Le Diable et le berger, au curé d’une paroisse rurale.
D’ailleurs le titre, œuvre de l’éditeur, est un titre à tiroirs. Par allégories en effet, le Berger peut tout aussi bien désigner "le chevrier Guste Bertin" que"l’abbé Michaudeau".
De même pour le Diable.
Miracle de la fiction littéraire, alors que je n’ai jamais éprouvé la moindre sympathie pour un curé, mais pas de haine ni d’aversion non plus - plutôt une pâle indifférence - j’ai créé là, au fil des mots et des phrases s'invitant dans mon esprit, un personnage qui m’est assez aimable.
Je ne l’ai pas descendu à coups d’idées préconçues. Je l’ai fait homme. Ni meilleur ni plus salopard qu’un autre homme.
Je me souviens à ce propos des années de chahut - principalement à Poitiers, Paris et Toulouse - où mes farouches compagnons portaient en eux un mépris viscéral pour le curé, l’abbé, la soutane. Chaque fois qu’ils en avaient l’occasion, ils ne manquaient d’ailleurs pas de donner ardemment corps à ce mépris. De mémoire, je crois me souvenir également que la brochure situationniste de Strasbourg (1966) commençait à peu près ainsi : L’étudiant est, après le policier et le prêtre, l’être le plus méprisé de France.
Moi, je leur disais souvent, à mes amis, que ce mépris-là, si je le comprenais intellectuellement,  je ne le ressentais pas bouillir dans mes tripes.
S’ensuivaient de longues et joyeuses engueulades au cours desquelles ressortaient en filigrane ou explicitement les différences de nos histoires individuelles. Eux, pour la plupart, ils avaient été enfants de chœur, ils avaient été, tout gamins, saoulés d’eau bénite, ils  avaient dû courber l’échine et la tête devant le symbole de la torture et de la souffrance, leurs narines avaient été saturées par l’encens, le sommeil de leurs dimanches matins avaient été brutalement interrompus à l’heure, morose, de la grand’messe.  Le meilleur d’entre eux, même, le plus cher et le plus regretté à mon cœur, avait été élevé dans un orphelinat catholique où il avait été en butte aux pires vexations.
Le mot «frère» résonnait à ses oreilles comme une véritable menace.
Mes compagnons et amis réglaient donc des comptes et je n’avais pour ma part aucun compte à régler de ce côté-là. Ma mère n’insultait pas le curé : elle ignorait complètement son existence, elle ne voyait pas en quoi il pouvait être utile, au point que je ne suis pas même baptisé...
Comment dès lors être animé de rancune envers des gens qu’on n’a jamais rencontrés dans sa chair ? Dans sa tête, oui, mais plus tard. Par les livres, les témoignages de l’histoire et la philosophie. Mais c’est autre chose, on est depuis longtemps sorti du directement vécu pour rentrer dans celui de la conviction abstraite et l’athée n’a nul besoin de jeter l’opprobre sur le clocher pour se convaincre de l’inexistence d’un dieu.
Même s’il est outré par la longue, très longue, trop longue imposture des religions, créatrice d’une morale affligeante, sournoise et hypocrite, source de pouvoir et de mensonges mis en pratique.
Mais, ça, c’est déjà de la politique.
J’ai souvent pensé ou dit ce simple poncif : si dieu existait, il n’aurait pas besoin des religions. Un dieu qui délègue à ce point ses enseignements, qui fait annoncer par des gardiens du temple autoproclamés ses vues et distribue ainsi promesses de récompenses ou de châtiments, est forcément une invention imparfaite de la peur et de l’esprit. Un outil dans les mains des hommes se proposant d’en assujettir d’autres…
Je ne hais donc pas les gens d’église, du moins pas plus que tous les
autres manipulateurs de la planète, et mon personnage fictif, le Père Michaudeau, est né de ce non-sentiment.

La question a posteriori, avec mon livre entre les mains, s’est pourtant imposée à moi : pourquoi un curé ? Pour faire plus scandale ? Pour faire sensation ? Pour critiquer à bon compte ?
Non. Pas du tout. Quand on est lu comme le sont mes livres, à quelque 500 exemplaires (à l’exception de Zozo ou de mon Brassens plus richement dotés) et qu’on en est content, on ne  cherche ni à plaire, ni à déplaire, ni à convaincre. Ces désirs-là sont d’ailleurs révolus en la saison d'automne qu’aborde mon histoire.
Je ne recherche donc que moi-même dans mon plaisir à écrire. Cela me suffit très largement.
Alors, dernièrement, assis en solitaire face à la forêt que le soleil de mai faisait brasiller sur ses plus hautes cimes, j'ai soudain pensé au curé du village de mon enfance. 
C’était lui !  Je l’avais enfin reconnu !
Il allait par les rues, en longue soutane et en rasant les murs, du presbytère à l’église et de l’église au presbytère, qui, comme dans mon livre, étaient curieusement plantés à distance l'un de l'autre.
Il m’intriguait, ce noir personnage. Il me faisait délicieusement peur, comme quelqu’un qui bougerait, qui respirerait, boirait et mangerait mais ne ferait pas vraiment partie du monde. Quelqu’un qui aurait à cacher de lourds secrets dans le livre qu’il maintenait toujours serré sous son aisselle.
Il était, dans mes yeux d’enfant païen, à la fois attachant et ridicule.
Comme les poètes.
Que ma mère n’en parlât jamais me le situait même au-dessus de tous les autres, desquels elle avait souvent à se plaindre : celui-ci pour sa ladrerie, celui-là pour sa richesse orgueilleuse, cet autre pour son ivrognerie et cet autre encore pour ses idées tordues.
Dans tout ça, le curé faisait figure d’anachorète intouchable.
Je ne lui ai jamais souri, à ce fantôme de mes primes années. Je ne lui ai jamais parlé, je ne l’ai jamais salué, il ne m’a sans doute jamais vu. Il est pourtant venu se glisser
sous ma plume, après quelque quarante ans d’une histoire plutôt tumultueuse où il n’a jamais pointé le bout de son nez.
C’est touchant, l’imaginaire, et c’est une chose étrange que d’écrire des ombres à peine entraperçues. Des ombres oubliées. Des ombres trahies aussi, tant on les habille d'une vie  qu'elles n'ont sans doute jamais eue.
Mais peut-être les œuvres de l’esprit ne sont-elles, au final, qu'un jeu subtil entre ces ombres-là et des souvenirs dont on ne se souvient même pas. Un jeu dont l'artiste n'aurait qu'à peine conscience.

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28.05.2014

De l'idéologie parasitaire chez les fourmis

ixus60-fourmi1206293807.jpgUn philosophe américain s’appuyant sur des certitudes scientifiques démontrées, un philosophe de l’empirisme donc - mais dont je n’ai pas le nom sous les yeux - a osé  un grand écart spéculatif entre le cerveau d’une fourmi et le nôtre. Mazette !
Mes sources prennent leur source dans un article de Polytica.

Á première vue, ça pourrait paraître délirant, voire assez désobligeant, n'est-il pas ?
Mais les conclusions de l'intellectuel ne me semblent pas dénuées de fondement,
même si le chemin pour y arriver est assez curieux. Mais en philosophie, comme partout ailleurs, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Un raisonnement n’étant  en effet jamais très raisonnable, dans un CQFD, c’est le dernier mot qui compte, surtout s’il alimente peu ou prou notre propre moulin.

Mais oyez plutôt.
Le champ expérimental est donc une prairie où paissent des moutons.
Facile. Ça court les paysages, ça
. Tant que j'aurais même pu dire la prairie expérimentale est donc un champ où paissent des moutons.
L'’observation, quant à elle, porte sur le comportement des fourmis qui vaquent à leurs occupations dans l’herbe de la susdite prairie. Et voilà qu’on observe maintenant que certaines de ces besogneuses bestioles ont un comportement complètement loufoque et qu’on est bien  amené à se demander pourquoi.
Oui, en voilà une, par exemple, qui tente d’escalader un brin d’herbe folle et qui, arrivée à mi-parcours, tombe par terre. Elle recommence, retombe, elle insiste, tombe à nouveau, elle remet ça et se retrouve encore au ras des pâquerettes et ainsi de suite. Le manège peut durer des heures.
C'est le mythe de Sisyphe chez les fourmis.
Et pourquoi donc ? Parce que son cerveau, a-t-on découvert, est parasité par un micro-organisme à l’état larvaire et que ce locataire indélicat ne peut se développer et atteindre son stade final que dans le foie du mouton. Notez que nous sommes dans l'infiniment petit exponentiel : une fourmi, un cerveau dans une fourmi, un micro-organisme dans le cerveau de la foumi ; un micro-organisme encore plus micro qu'un vrai micro-organisme puisqu'à l'état larvaire !
Bref. Il faut donc que la fourmi soit broutée au plus vite par un ovin pour que la larve devienne adulte et c'est ainsi que ladite larve, question de survie pour elle, s’y emploie sans relâche, commandant sournoisement à la fourmi de se maintenir le plus près
possible du sol et de ne point  escalader les sommets vertigineux de la pelouse.
La pauvre fourmi, complètement aliénée, obéit donc, et, bien qu’ayant fortement envie d’escalader son herbe, adopte le comportement complètement contraire à la réalisation de son désir et se retrouve le cul, si j’ose, par terre, jusqu’à ce qu’une bête ovine passant par là ne l’expédie au fin fond de ses miasmes hépatiques.

Et maintenant, le grand écart du philosophe. L’anthropomorphisme sympathique.
Ce cerveau, c’est le nôtre et ce micro-organisme, c’est notre idéologie, morale, politique, religieuse et cætera et et cætera, qui colonise notre cerveau, tout en nous laissant l’illusion du libre arbitre. Cette idéologie induit un comportement contraire à nos désirs et à notre recherche spéculative du bonheur. CQFD : nous sommes parasités ! Non ? Si, si...
Il y a quand même du  vrai là-dedans et si c’est la philosophie qui vous dérange, ou le mouton, ou la fourmi, ou même la larve microbienne, prenez tout ça comme une allégorie.
Personnellement, ça change ma vision des choses, ça bouscule la hiérarchie de mes analogies spontanées, car les hommes, je les voyais jusqu’alors beaucoup plus dans la peau du mouton que dans celle de la fourmi.
Mais bon…On ne va pas chipoter.

Quant aux micro-organismes larvaires, c’est simple, je les vois partout. Surtout en période électorale.

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26.05.2014

Botanique printanière

littératureParmi tous les arbres que j’aime - et je les aime tous, ces vieux compagnons de voyage, ces grands artistes ciseleurs de paysages dont le visage et l’habit rythment le grand mouvement des choses, - il occupe assurément le dessus du panier.
Cette année, je suis donc gâté, car il fait la fête, il papillote, il arbore ses grappes de fleurs qui pendent et le recouvrent d’une blanche toison, comme d'une neige d’été.
Dans mon jardin que je le laisse envahir, le long des chemins, des routes, des fossés, des ruisseaux, des champs, aux lisières ombragées des forêts.
Il embaume la poussière sablonneuse, l’air bleu et les matins suintés de rosée. Dès les premiers rayons de soleil, il n’est plus qu’un bourdonnement chaotique, ses grappes gourmandées par des milliers de butineuses.
L’aimer, le regarder, l’entendre, le sentir, c’est aussi apprendre son nom et son histoire. Il le tient, ce nom, des frères Robin, jardiniers du roi qui le ramenèrent du Canada en 1600. Et on ignore tant le fait qu’on l’appelle sans vergogne acacia.
Acacia ! S’il vous entendait le nommer ainsi, pour sûr qu’il donnerait de l’épine, qu’il a fort incisive, et vous inviterait à appeler enfin un chat un chat. Est-ce qu’on vous appelle Durand ou Dupont, vous-autres qui ne répondez qu’au nom de Dupin ?
C’est un Robinier. Et c’est un arbre trahi dans même ce qu’il peut offrir à la bouche. Dites, par exemple, que vous vous êtes, humm, régalé de divins beignets de robinier ! On vous fera l’œil goguenard, ou dubitatif, ou ahuri.
Ou alors demandez
du miel de robinier à votre apiculteur, si vous envisagez de goûter ce miel toujours liquide, auburn, couleur d’ambre. L’homme froncera sans doute les sourcils, hochera la tête et vous dira non, qu’il n’a pas de ça chez lui. Sur description cependant de votre convoitise, il poussera un soupir de soulagement et vous ramènera dans le bon mauvais sens. Du miel d‘acacia, voulez-vous dire ! Oui, c’est cela, abdiquerez-vous, vaincu par la langue vernaculaire.
Pour peu, vous passeriez pour un affligeant snobinard.

 

littératurePourtant, de même qu’on n’a jamais vu d’oranger sur le sol irlandais,  de la vie on n’a jamais vu de miel d’acacia ! Renseignez-vous auprès des Oléronais, sur leur île saupoudrée, dès le mois de février, d’un jaune chatoyant. Demandez-leur si on fait du miel avec des fleurs d’acacia, sur cette île dont je disais, dans Chez Bonclou… «alors Chassiron promène son œil morne sur la désolation solitaire de la houle.
Derrière lui, dans un dédale de venelles, les fleurs jaunes de février pavoisent en un moutonneux bouquet. Le déalbata fait la fête. Tempête ou pas tempête, c’est la position des étoiles qui donne l’heure et l’heure est venue d’inonder l’île des parfums qui ne craignent ni la mer ni ses souffles salés. L’arbre baigne sa racine dans des dunes de sable et on dirait tant la fleur est dorée que les cristaux de ce sable lumineux sont remontés discrètement jusqu’à la branche. »
Je disais les mimosas et je parlais des acacias ! Carambolage des appellations locales, des mots du dictionnaire, des index latins, de la coutume et des noms scientifiques.


littératureCar le
mimosa, voyez-vus, c’est encore bien autre chose ! Ni acacia, ni robinier ! Simplement sensitive, plante exotique, subtropicale avec les feuilles de laquelle les Mayas faisaient des décoctions antidépressives… Parce que les Mayas devaient bien, comme tout le monde, déprimer de temps en temps. Alors, on faisait tourner la tasse de sensitive, comme un  p’tit joint,  et hop, ça vous rabotait les rugosités et les aléas de la vie ! On en oubliait presque le fatidique calendrier et la fin du monde !

Voyez dès lors comme nous sommes loin de mon jardin, de mes lisières, de mes chemins sablonneux et de mes matins perlés de rosée ! Sous mon climat rugueux, brutal, aux hivers froids comme la pleine lune, aucun acacia ne saurait prétendre élire racine. Aucune sensitive non plus.
Ils sont pourtant splendides, les acacias robiniers de mon jardin !
De splendides compagnons des saisons qui passent. De la vie qui s’égrène. Mes arbres de Judée à moi.
Sauvages, que le vent fait se balancer en dispersant bientôt, partout alentour, les fruits de la conservation de leur belle espèce.
 

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23.05.2014

Flaubert et Homo internetus

littérature,écritureEtes-vous  là, invisibles et sympathiques lecteurs ?  Ça  va bien ? Toujours assidus ?
Peut-être plus que moi qui, ces derniers temps, ne fais que passer...
Et je repasse donc pour vous dire que Bouvard et Pécuchet a été traduit et publié en polonais.
Bonne nouvelle, n’est-ce-pas ?
Oui, bon, je suis bien d‘accord avec vous : en quoi cela vous concerne-t-il ? Vous n’allez pas vous lancer dans la lecture de Flaubert en polonais, je suppose. Pas plus que moi d’ailleurs.
Ce qui est intéressant dans cette nouvelle traduction - outre le fait, bien sûr, que les lecteurs polonais auront accès à un texte majeur de la littérature française - c’est la note de l’éditeur qui affirme que ce texte, dans le monde du tout internet, est plus que jamais d’actualité.
Et c'est bien vrai, ça... Que ce soit en polonais, en français, en chinois, en finlandais et tutti quanti ...
Car avec internet, les blogs, les sites, Wikipédia, les forums, nous sommes effectivement des touche-à-tout. Botanique, médecine, histoire, géographie, géologie, littérature, sciences occultes, critique, religions, spiritisme, agriculture, jardinage, écologie, chirurgie, politique, mécanique, diététique, physique, linguistique, sports, chimie, mathématique, astronomie, cuisine, rien, absolument rien, n’échappe à nos clics gourmands et savants !
Et c’est bien là le trait fondamental, constitutif, de l’homo internetus que nous sommes devenus. : ne rien approfondir mais tout savoir. Des tas de choses inutiles à la conduite de notre vie, d’ailleurs.
Dans la minute qui suit une quelconque interrogation, Homo internetus est en mesure d'apporter une réponse qui tient la route. Une réponse partielle, mal maîtrisée, mal assimilée, sans fondement, certes, mais une réponse juste du point de vue du savoir spéculatif.
Guidés par l'ignorance et par notre goût pour le mimétisme social, nous farfouillons dans la grande marmite de la connaissance.
Tel, donc, les sieurs Bouvard et Pécuchet.
Et ces deux sympathiques crétins, vous le savez aussi bien que moi, n’arrivent à rien de conséquent, rien de concret, rien qui ne fasse avancer d’un poil ni leurs connaissances, ni leur intelligence, ni celle des autres, ni leur recherche du bonheur ; ils n’édifient pas autre chose que la pyramide branlante de leur délire, jusqu’à retourner chacun à leur case-départ de modestes employés de bureau.

Il est fin, l’éditeur polonais. Pessimiste, d’accord, mais lucide.
Il a très bien lu le monde et très bien lu Flaubert, lequel  écrivait à George Sand, en 1872, qu'il se proposait de railler la vanité de ses contemporains dans un livre qui, au départ, devait s'appeler Encyclopédie de la bêtise humaine.
Il avait pour ce faire amonceler des montagnes de livres et de documentations. Las ! La Camarde ne laissa pas à l’écrivain le temps d’achever son œuvre.
Internet vola donc à son secours posthume.
L’interactivité en plus.
Et c’est là que je mettrais un bémol aux vues de l’éditeur polonais : si on peut utiliser internet comme une encyclopédie où n’importe lequel idiot peut mettre son grain de sel, il laisse aussi et surtout le choix et le droit aux idiots de lire et de faire des idioties, aux autres de faire autre chose.
Le problème est que, dans cet espace de liberté surveillée, entre les uns et les autres la frontière est souvent fort ténue, ceux-ci croyant dur comme fer ne pas être de la trempe de ceux-là et s'égosillant pour que nul ne l'ignore... et vice-versa bien entendu.

13:34 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

22.05.2014

Le Diable et le berger : un étourdissant succès

Certes, je ne m'y attendais pas et j'en suis fort ému.
Mais il paraît que sur Nantes, photo à l'appui, les admiratrices de mon dernier livre ont perdu toute mesure, qu'elles me dévorent carrément, en proie au délire passionnel pour ma prose.

admiratrices.jpg

Crédit photographique : Nathalie Beau

08:15 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

14.05.2014

Pensées profondes...

Les athées sont les seuls hommes au monde à ne jamais dire du mal de dieu.

 littérature,écriture

Entendre palabrer aujourd’hui la caste politique sur les valeurs de la République sonne à peu près aussi juste qu’aurait sonné un discours de Robespierre contre la peine de mort.

littérature,écriture

La gloire n’a pas d’odeur : la Ministre des  droits de la femme est aussi celle des footballeurs. Exercice périlleux de dialectique s'il en est !
Gageons qu’elle va exiger qu’il y ait onze femmes aux galbes musclés dans les vingt-deux gladiateurs sélectionnés pour le Brésil.
Sinon, hors-jeu, la Ministre !

littérature,écriture

 - L’alcool tue lentement ! disent les tempérés
- Ça tombe bien, on n’est pas pressés ! rétorquent les excessifs.

littérature,écriture

La seule chose qui arrive à s’installer clairement et durablement dans la caboche d’un imbécile, c’est qu’il n’en est pas un.

littérature,écriture

J'ai déjà entendu quelqu’un dire pour prétendre qu’un livre était bon : ça se lit facilement.
Quid de Lautréamont qui n’a donc fait que des mauvais livres ?

littérature,écriture

Je ne suis pas un coquet. Ainsi dis-je sans vergogne et publiquement que j’ai passé soixante printemps.
Mais combien d’hivers ?
Ça, je ne vous le dirai jamais.

09:27 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

13.05.2014

Un texte d'abord pas facile

gelines 1.jpgCelui qui écrit cherche toujours, peu ou prou, à être profond.
Il se doit de dire des choses, sinon nouvelles, du moins fortes. Des choses qui frappent l’imagination. Ou le manque d’imagination. Tout ça dépend de la qualité complice que l’écrivain entretient avec son lecteur.
Donc,  je vais l’être, profond. Histoire de ne pas être en reste. Non mais !

A quatre heures du matin, celui que j’ai désormais nommé Chanteclerc tandis que  Jagoda l’a baptisé Richelieu, salue le jour nouveau qui, là-bas, juste en face de lui, trace un trait déjà bleuté sur les rives du Bug.
Joli ça, coco… Très joli même.
Richelieu- Chanteclerc salue d’un cocorico un peu enroué… Un cocorico de pubère.
Il est alors pour moi l’heure d’aller ouvrir la porte du poulailler, chaque soir soigneusement refermée à cause du goupil qui musarde, chafouin et gourmand, aux lisières toutes proches.
C’est  bien dit, hein ? C’est pas profond, ça ?
Bon, continuons dans la profondeur… A touché le fond mais continue de creuser, disait le bulletin scolaire d’un cancre sous la plume acerbe et vindicative de son professeur.
Dames Gélines, elles, toutes plumes encore ensommeillées, restent tranquillement perchées, attendant sans doute que passe la crise d’égocentrisme du maître des lieux, haut en couleurs, tête haute, et qu’il descende d’un coup d’aile princier au petit déjeuner, fait d’un délicieux mélange de blé, de maïs, de petits pois et de… et de…
Hum ? Dois-je l’avouer ? Bon, tant pis ! … de soja transgénique… Hé oui, c’est écrit sur le sac ! Je n’ai pas trouvé mieux, à mon grand dam !
Mais, pour ma défense, il faut dire que les carottes sont cuites. Il n’y a plus de soja dont les gènes n’aient pas été bidouillés par les multinationales de la sacro-sainte mondialisation. José Bové et ses arracheurs de maïs, c’est déjà de l’histoire ancienne. D’ailleurs, vous allez voir ce que vous allez voir, quand sera signé le traité sur le commerce transatlantique… N’est-ce pas, Hollande ?
Quel traître, cet ennemi de la finance !
Alors, bon sang de bon sang, que je me dis, avec mon soja sans gêne, j’espère que tout cela ne va pas ramener un beau jour mes paisibles pensionnaires à leur stade initial et féroce de tyrannosaures !
Sait-on jamais, quand on commence à magouiller avec les origines de l’origine ?
Profond encore, ça, n’est-il pas ? Philosophique même, et tout et tout… Un tantinet alarmiste même, car chacun sait qu’au commencement était le chaos…
Si un matin j’entends un horrible et démentiel hurlement en lieu et place du cocorico gaulois, pas question d’aller ouvrir la porte. D’ailleurs, il n’y aura certainement plus de porte. Plus de poulailler non plus. Peut-être même plus rien du tout autour. Qu’un cauchemar.

Pour l’heure, Richelieu-Chanteclerc, donc, a salué le jour nouveau. C’est lui le chef ici, au poulailler fortement masculiniste. Un poulailler de macho. Chanteclerc y donne ses ordres et veille au respect des bonnes manières dans son harem.
Un poulailler réac. Ce coq-là, il  a quand même de la chance d’être tombé chez un phallocrate modéré ! Chez Vallaud Belkacem, par exemple et par hasard, son destin se solderait très vite dans une sauce au vin, avec des p’tits champignons et des oignons frits.
Mais je m’égare, je m’égare… Je m’égare toujours quand je parle de cette poule dame !
Le petit déjeuner au code naturel légèrement modifié étant pris, tout ce petit monde fait sa toilette. Fait sa plume, quoi… Belle expression, hein ? Je vous signale là,
messieurs-dames, s’agissant de poules, une syllepse. Pas mal vu, convenez-en ! Mais je vous avais prévenus : un texte pas facile.
Enfin toiletté, chacun des membres de la petite communauté s'en va vaquer à ses occupations et, après l’avoir observée un moment, moi-même m’en retourne aux miennes.
Mais, ce faisant, je réfléchis que je ne vois jamais, bon sang d’bonsoir, Richelieu-Chanteclerc honorer d’une petite galipette une de ses poulettes…
Qu’est-ce qu’il me chante alors, ce coq- là ?
Un prude ? Un timide ? Un gay ? Un intégriste chrétien ? Un idéologue ? Un exclusif jusqu’à la névrose ?
Je me demande quand même si je ne vais pas supprimer le soja.
Mais, me dit-on, le maïs c’est pareil…
Et le blé ?
Ça ne va pas tarder…Peut-être même que...
Ah, diantre ! Nous vivons donc dans un monde modifié !

Profonde, cette conclusion. Très profonde… On s’y noierait.

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30.04.2014

Le Diable et le berger

J'ai bien conscience que sur ce scan de la version papier que m'a fait parvenir un copain des Deux-Sèvres, il vous faudrait des lunettes plus que performantes, voire des jumelles, pour déchiffrer...
Il vous sera dès lors peut-être plus confortable de lire ICI.

L'article est signé Yves Revert.

Le Diable et le berger.JPG

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26.04.2014

Ceux qui savent

littérature,écritureJe ne saurais vous dire si c’est affligeant ou  rassurant : le petit paysan des rives du Bug a exactement le même comportement, dans une certaine situation, que  celui de Charente-Maritime, pourtant à 2500 km de distance.
Quelle culture, quel réflexe comportemental les unit donc ? Et par les voies ancestrales de quelle communication ?

Du temps que je vivais au bord de l’Océan, donc, je cultivais un petit potager. Tout petit, où s’égayaient tomates, poireaux et autres carottes nouvelles… Quoi que je fasse cependant de mon  divertissement, le paysan d’à côté venait s’appuyer sur la clôture, tordait la bouche, secouait la tête, souriait, haussait les épaules et se faisait gentiment goguenard :
-  Sont grandement plantés assez près, tes poireaux !
Je rectifiais et les espaçais un peu plus, bien conscient qu’il connaissait mieux que moi l’art de se nourrir des fruits de la glèbe.
Et deux jours plus tard :
- Sont grandement plantés assez loin les uns des autres, qu’il disait alors, en reniflant fort et en faisant celui qui est un peu dépité par mon dilettantisme !
Bref, selon lui, j’avais pas l’œil. Je ne savais pas planter des poireaux…
Ou alors :
- T’as pas bêché trop profond, dis-donc ! A dounneront rin tes patates !
Ou encore :
- Hum… Une drôle d’idée. T’en n’auras pas. Ta terre  est trop sec.
Ça, c’était pour la mâche semée au quinze août sur terre bien tassée.
Je trouvais ça sympa, finalement. Une sorte de condescendance du professionnel devant celui qui s’amuse. Une façon aussi de communiquer, de faire voir à son avantage qu’il prenait en considération qu’un type comme moi, toujours à gratter sa guitare ou à lire des conneries dans les livres, veuille bien se pencher un peu sur la terre, comme lui, pour y faire pousser des affaires.

 Hé ben, là, en Pologne, figurez-vous, copie conforme… Pas pour le jardin, je n’en fais pas, trop de sable, mais pour un poulailler que je construis, ayant eu l’idée – farfelue selon certaine dame- d’élever quelques gélines.  
Il faut dire que j’en vois de toutes les couleurs. J’ai du mal à imaginer la géométrie dans l’espace pour la concrétiser dans des assemblages savants de planches, d’angles, de dimensions, et cette satanée bulle du niveau qui ne consent qu’après moult et coléreuses contorsions de l’artisan à rester enfin stable ! Mais ça prend forme, ça prend forme. Je ne dis pas que l’équilibre des forces y est impeccablement respecté, mais bon, ça tient la route.

Passe alors un voisin,  allant vers la forêt où il récolte son bois. Il s’arrête, me lance  un cordial cześć ! (salut !),  s’appuie à la clôture, examine et :
-  Hum…L’est un peu trop p’tit, ton poulailler !
-  Bah ! Pour quatre poules et un coq, ça suffit...
-  Oui, mais les planches sont trop minces. Elles auront froid… Tu sais que chez nous l’hiver est méchant !
-  Bon…
Ça m’ennuie, ça, oui…
-  Ta clôture est pas assez haute… Elles voleront par-dessus…
Je demande :
-  Tu pourras me donner un peu de paille ?
-  De la paille ? Non, non , non !  Il faut du foin. C’est  plus chaud. Faut pas mettre de la paille. Je te donnerai du foin. Ça  leur tiendra mieux le cul au chaud ! hahahahaha !!!!
Quand les poules mangeront du foin, disait ma mère pour signifier «jamais  de la vie. »
Ben voilà,  j’y suis désormais au jamais de la vie !
Heureusement, me dis-je sur l’air de celui qui a évité une catastrophe, que ce sympathique voisin, n’a pas tout vu ! Car un orage a éclaté mercredi soir, zébrant la campagne d’une forte pluie mêlée de grêle rageuse.
J’ai couru me mettre à l’abri sous ma construction dont je venais juste de terminer le toit. Grosse déception : il y pleuvait quasiment autant qu’au jardin.
J’avais fait se croiser les courants à l’envers, ceux du haut dessous ceux du bas !
J’ai refait.
En remerciant in petto Jupiter de sa bienveillante vigilance.

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18.04.2014

Stéphane Beau : Les Perdants, dernier exercice d'équilibrisme

C'est donc le dernier texte de Stéphane sur le sujet - qui est loin d'être épuisé si tant est qu'il soit épuisable - que je vous propose.
J'ai été heureux de relayer ici sa réflexion.
Parce qu'il est un ami ? Oui. Bien évidemment. D'ailleurs, nous venons de travailler ensemble sur le livre que j'ai édité aux Éditions du Petit Véhicule et c'était bien agréable.
Mais, pour nécessaire qu'ait été cette condition d'amitié, elle fut loin d'être suffisante pour que je prenne le parti de publier ici ses textes.
J'ai relayé parce que son livre, Les hommes en souffrance, que j'ai lu et aimé, un livre courageux qui prête forcément le flanc aux morsures de toute la meute ordinaire des idéologues ordinaires, fut le point de départ de sa réflexion.
Réflexion d'un homme touché, ému, blessé sans doute, en tout cas sincère et qui avait besoin de dire son pourquoi.
Le fait est, hélas, assez rare à mes yeux pour mériter d'être souligné.
Merci à lui.

 

littérature, écritureMarcher sur les barrières, jouer les danseurs de corde, se hisser par delà la mêlée, tout cela est bien joli, sur le papier, mais dans la vraie vie, concrètement, ça donne quoi ? Tout soupeser, ne jamais trancher, ne jamais pencher définitivement dans un camp ou dans l'autre parce qu'aucune vérité n'est jamais absolue, c'est intellectuellement très noble, mais est-ce humainement viable ?

C'est une question que je me pose régulièrement, bien entendu, et que je me repose forcément depuis plusieurs semaines, à la lecture du blog de Bertrand et des fougueux débats qu'il a allumés autour de la crise ukrainienne. A de multiples reprises, j'ai eu envie d'y aller de mon petit commentaire, et à chaque fois je me suis heurté à mon incapacité à m'arrêter sur un jugement définitif. Dénoncer Poutine et les manœuvres des russes pour s'accaparer de la Crimée, voire de quelques provinces supplémentaires ? Oui, bien sûr. Accuser les États-Unis d'être omniprésents dans cette affaire et d'y jouer avec des dés qui, au fond, ne sont guère moins pipés que ceux de leurs adversaires ? Pourquoi pas ? S'indigner du fait que l'on veuille faire des rebelles de Kiev des héros de la démocratie en s'attachant à gommer les revendications parfois très douteuses de certains de ces dits rebelles ? Évidemment. S'agacer de la niaiserie de la diplomatie européenne qui bien que bombant le torse et roulant des mécaniques, reste aussi emmerdée et impuissante que dans les années trente lorsque la menace nazie commençait à prendre de l'ampleur ? D'accord. Mais après ? Une fois que tout cela sera dit ? Quand la lourde machine sera lancée, que le jeu des ultimatums, des alliances, des escalades d'avertissements et de sommations commencera à se mettre en branle, quelle valeur tous ces mots auront-ils ? Certes, nous pourrons éventuellement nous vanter d'avoir été plus malins que les autres et d'avoir percé à jour l'absurdité de tout cela, d'avoir mis nos contemporains (la poignée de lecteurs qui nous lit autrement dit...) en garde. Mais quand nous serons brassés dans la grande lessiveuse, est-ce que ce sera suffisant comme consolation ?

Je suis actuellement en train de lire le dernier numéro de la revue Agone, consacré à l'Ordinaire de la guerre. Le volume s'ouvre sur une querelle d'historiens, spécialistes de la première guerre mondiale, querelle portant sur la notion de consentement : peut-on dire que tous les soldats qui se sont battus en 14-18, qui y sont morts et/ou qui y ont tué, étaient « consentants ». La relative faiblesse du nombre de mutins et de déserteurs doit-elle nous laisser supposer que tous ceux qui ne le furent pas trouvèrent un sens aux combats qu'ils menèrent ? Quel choix avaient-ils ? Se révolter et finir presque à coup sûr avec douze balles dans la peau ? S'engager dans la guerre et espérer en ressortir sans trop de dégâts ? Sauf que dans la vraie vie, ce choix n'existe pas. Dans la vraie vie, on suit le mouvement. On prend la vague et on essaye de ne pas se noyer. Vous croyez que le type qui se fait embarquer par une rivière en crue a le temps de s'interroger sur le bien fondé de ses choix ? Couler ? Flotter ? Se raccrocher à une branche ? Non, il improvise et s'efforce juste de ne pas suffoquer.
Les choix, de toute manière, on les fera pour nous, sur le moment ou après coup. Car, comme nous le rappelle Ernst Jünger, dans Le Traité du rebelle, le non-engagement n'existe pas. On n'échappe jamais complètement aux barrières et on est toujours plus ou moins fermement sommé de choisir un camp. Et si on ne le fait pas, l'histoire s'en charge pour nous. Plus embêtant : la volonté de non engagement, qui pourrait se traduire comme le « choix de ne pas choisir » est presque toujours réinterprétée comme venant finalement faire le lit des pires horreurs, puisqu'elle ne s'y oppose pas catégoriquement. Cela s'est vu aussi bien en 1914 qu'en 1939. Et cela se reproduit à chaque fois que l'on enferme la pensée dans une opposition binaire et manichéenne, c'est-à-dire quotidiennement.

Certes, tous les choix auxquels nous sommes confrontés au fil des jours ne sont pas aussi cruciaux que ceux qu'ont connus les poilus ou les contemporains d'Hitler, mais quand même : adopter la posture du danseur de corde, de celui qui marche sur les barrières ou de celui qui s'élève au dessus des mêlées reste très compliqué. C'est un « non choix » qui nous engage presque autant, sinon plus, que d'opter pour tel ou tel camp ; car quelle que soit l'évolution de la situation, nous serons au final comptés parmi ceux qui se sont rangés du mauvais côté. Cela est très net au moment des élections où ce sont bien souvent ceux qui se sont abstenus de trancher, justement qui se retrouvent accusés la plupart du temps, par les commentateurs, d'avoir favorisé la victoire de tel parti (le Front National par exemple) ou d'avoir accéléré la chute de tel autre.
Dans un monde ou tout doit quasiment toujours pouvoir être résumé en une opposition binaire le danseur de corde, l'équilibriste de l'esprit, est un handicapé. Son besoin de tout soupeser, d'utiliser les oscillation de son balancier pour éviter de sombrer dans le manichéisme, n'est pas perçu comme une forme d'intelligence mais comme une inadaptation. Sa propension au doute n'est pas reconnue comme une preuve de raison mais comme un signe de faiblesse et d'impuissance. L'équilibriste de l'esprit est un perdant, un éternel perdant. Tant pis pour lui. Tant pis pour le monde aussi, peut-être...

Tiens, en parlant de « perdants », je vous rappelle que Philippe Ayraud a fait paraître, il y a quelques mois de cela, aux éditions Durand Peyroles, un très chouette recueil de nouvelles dont c'est précisément le titre : Les Perdants. Si vous avez trouvé quelque intérêt à me suivre dans ces réflexions, ces dernières semaines, je ne peux que vous inviter à le lire. Vous verrez que si la forme de son propos est forcément différente de la mienne, puisqu'on est là dans le fictionnel, le fond n'est pas si éloigné de ce que j'ai essayé d'exposer ici.

Stéphane Beau

12:03 Publié dans Stéphane Beau | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

16.04.2014

Stéphane Beau : par delà la mêlée

par_dela_melee.jpgMon approche de la question féministe ne doit donc pas être séparée de la manière dont je ressens intimement la notion de barrière. Mon problème en effet, aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, a toujours été, dans tous les domaines, de refuser d'être assigné à résidence d'un côté ou de l'autre des barrières que l'on m'opposait. Sans en avoir pleinement conscience, la plupart du temps. Et si je parle ici de problème, ce n'est pas par hasard, car c'est une position qui est assez inconfortable. C'est ainsi que j'ai toujours traîné, derrière moi, l'image d'un râleur, d'un réfractaire, d'un objecteur, d'un coupeur de cheveux en quatre, bref, d'un emmerdeur, car les humains, au fond, n'aiment pas qu'on interroge les fondements de leurs idées et les moteurs de leurs actes.
Mais c'est comme ça, c'est plus fort que moi, lorsque je me heurte à une barrière, il faut toujours que j'aille jeter un œil de l'autre côté pour voir ce qu'on y trouve. Et forcément, à chaque fois le constat est le même : il y a du bon et du mauvais des deux côtés. Cette posture, dont on pourrait a priori croire qu'elle est plutôt de nature à apaiser les choses, à gommer les conflits en ouvrant une porte de dialogue entre les deux camps, est au contraire très mal perçue. Car la plupart du temps, les deux parties n'ont pas envie de communiquer. C'est d'ailleurs justement pour cela qu'elles ont érigé une barrière entre elles, et toute tentative de conciliation n'est pas perçue comme un appel à la libération, mais comme une agression.
 
Mon livre sur les Hommes en souffrance, par exemple, même si le ton est volontairement polémique, a vraiment été pensé et écrit comme étant un livre sensé dépasser la barrière de la guerre des sexes. Je voulais vraiment qu'il invite les lecteurs à grimper sur cette barrière pour contempler l'ensemble du problème, objectivement et de manière non partisane. Je sais que certains l'ont lu ainsi et cela me fait plaisir. Mais je constate aussi que ces lecteurs-là ne sont pas majoritaires et que pas mal d'autres semblent n'avoir pas pu faire autrement que de ramener arbitrairement ma pensée d'un côté ou de l'autre de la barrière. C'est ainsi que pour les féministes les plus radicales mon livre est un livre masculiniste (donc abject et condamnable), alors qu'à l'opposé, chez les défenseurs les plus rugueux de la cause des hommes, je sens bien qu'on peine à accueillir chaleureusement un texte qui ne fait pas ouvertement l'apologie des pères perchés ou des femmes au foyer.
 C'est pour ça qu'une fois de plus, comme le note Bertrand Redonnet, je me retrouve à l'écart, en dehors. Positions qui ne relèvent pas de choix délibérés, mais découlent des circonstances. Bertrand sait bien mon attachement aux vieux journaux anarchistes. Notamment l'En Dehors, revue à laquelle il fait explicitement référence. Il sait probablement qu'il en existait une autre, publiée par E. Armand durant la première guerre mondiale, qui s'appelait Par delà la mêlée.
 
Par delà la mêlée... N'est-ce pas là, par définition, que se situe le danseur de corde ?
N'est-ce pas là aussi, dans cette mêlée, que le danseur de corde retombe quand il trébuche ?

Stéphane
 
Petit rajout de Bertrand : Tout à fait, Stéphane. Armand qui participa lui-même à L'En dehors (fondateur Zo d'Axa) avec Octave Mirbeau.
Armand, chantre de la camaraderie amoureuse... Avec Darien aussi.

13:17 Publié dans Stéphane Beau | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

11.04.2014

L'exil et la mort

P9180043.JPGLes juifs qui vivent en France ou ailleurs - tout du moins beaucoup d'entre eux même si j’en ignore la proportion – se font enterrer à tout prix sur (sous plus exactement) la Terre promise.
Ils font ce qu’ils veulent, ces braves gens, là n’est pas le problème, et quand bien même seraient-ils chrétiens, athées, bouddhistes ou derviches tourneurs, que j’aurais à leur égard les mêmes réflexions de perplexité.
C'est le genre de précautions farfelues et convenues qu'on est toujours tenu de prendre dès qu'on parle des juifs, dans un monde imbécile aplati par la culpabilité, la fausse conscience et la posture qui dicte que l'apparence prime sur l'essentiel. Toujours faire montre de son honnêteté et montrer âme blanche.
Des autres, on peut parler un peu plus à la légère. Sans offenser toutefois.

Bref, cette étrange pratique de vouloir faire dormir ses os ailleurs qu'au cimetière le plus proche, me semble le comble des inconfortables tourments - passez-moi le pléonasme- d’un exil. Comme si la terre, le pays, le bout de ciel où vous avez vécu votre vie, où vous avez aimé, où vous avez construit, pleuré, ri, bu et mangé tout votre soul, n’était pas assez sainte ni même assez saine pour accueillir votre précieux cadavre.
Ou alors comme si ceux qui restent derrière vous, les voisins, les amis, ceux que vous avez salués, n’étaient pas dignes de marcher et de respirer dans le voisinage direct de votre céleste sommeil.
Mépris ? Humm… Je l’ignore. Croyance en un dieu tellement sectaire qu’il ne vous accompagne dans votre salut que si vous reposez là et non pas là ? Chez lui, en fait. Un dieu contractuel, comme l’écrivait Nietzsche ?
Pour sûr que je ne voudrais pas d’un dieu pareil pour me conduire à travers ciel. Un dieu universel, un absolu, une entité des étoiles infinies, un dieu tellement évident qu’il n’a pas même besoin d'église pour être un dieu, ça, oui. Ou encore, mais à la grand’ rigueur, pas de dieu du tout.
Car un dieu qui discriminerait, qu’aurait-il de plus divin que le moindre des moindres mortels ?

Quand je mourrai, quand le croque-mort m’emportera, quand sonnera l’heure blême, donc, je ne chanterais pas à l’instar du Poète : que vers le sol natal mon corps soit ramené…
Car c’est sous ce coin de ciel polonais, tantôt glacé, tantôt étouffant, sous ces nuages qui courent de la mer noire à la Baltique, sur cette plaine qui se déroule de forêts en forêts, que j’aurai fini de tracer ma piste. Je dormirai sous ce pays qui, sans ambages, m’avait ouvert tout grand ses bras, avait tiré la chaise et m’avait invité à m’asseoir à sa table, sans rien demander de mes racines profondes.
Je dormirai là. Loin de ma langue et de la terre de mes ancêtres. Par respect pour tous ceux qui m’ont salué et avec lesquels j’aurai  partagé un bout de route, un bout de terre, un bout de monde.
Je dormirai chez eux ; un chez eux qu’ils ont fait chez moi.
Ce sera mon hommage posthume à la vie. Une vie qui habita, et non qui passa dans l'opportunité.

10:43 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

07.04.2014

Devinettte pas facile...

staline_reference.jpg« Imprédictibles, ces coups d'éclat contraignent les services de renseignement à déminer le danger en multipliant les cyber-patrouilles. Des groupes d'enquête spécialisés explorent blogs, pages Facebook ou messages sur Twitter. Prévoir nous oblige à des investigations plus poussées, concède un officier. Par mots-clés, nous tentons de cibler des profils à risque et des mots d'ordre, mais cela reste aléatoire.»

Ah, lecteur lointain, doux et paisible lecteur, toi qui, tout comme moi sans doute, regardes s’agiter le monde dans ses ébats et ses débats de plus en plus liberticides, qui te dis peut-être que nous avons, nous-autres, cette chance historique, acquise de haute lutte, de vivre sous des cieux éclairés où fleurissent les fleurs toujours nouvelles des démocraties apaisées, de quel pays indigne parle donc ce petit paragraphe édifiant, prélevé dans la presse ?
De la Tunisie ? De l’Ukraine ? De la Russie de Poutine ? De la Chine ? De l’Inde ? Du Pakistan ? De la Corée du Nord ? De l’Afghanistan ? De l’Irak ? De la Lybie ?

Allez, encore un petit effort… Oui, oui, c'est ça... Tu brûles, lecteur !

09:30 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, écriture, politique |  Facebook | Bertrand REDONNET

05.04.2014

Stéphane Beau : un texte témoin

Ce texte me touche particulièrement par sa force de renversement. L’ami Stéphane nous montre en effet comment l’idéologie dogmatique, sectaire, totalitaire, de la gauche bien-pensante - toutes fausses tendances confondues, même jusqu'à ses extrêmes - peut nous acculer à prendre des positions jugées par elle réactionnaires alors qu’elles ne sont que des tentatives pour rétablir le bon sens, l'honnête sens, du réel.
Il a raison, Stéphane, même s'il ne s'en ouvre pas expressément : Zemmour dit moins de conneries et de saloperies que Bernard-Henri Lévy. Une femme du peuple, de droite mais de bon sens, qui se situe naturellement sur un pied d'égalité avec son compagnon, qui n'a nul besoin pour ce faire que des grenouilles-prêtresses suivies des enfants de choeur de la pensée convenable lui servent la messe, qui aime son compagnon, qui aime qu’on la respecte et qui veut aimer l’amour et la vie, énonce moins de dégueulasseries que Vallaud-Belkacem, baptisée à la tambouille PS, version "ambitions démesurées".
Les idéologues de la contre-vérité érigée en humanisme ont détruit tous les repères afin que ses sujets errent désormais sans boussole sur l’océan des infâmes solitudes.
On parle de dérive droitière. J’ai un sourire amer, crispé. La nausée du dégoût : c’est exactement à ce prétexte que Staline fit torturer et fusiller tous les communistes et anarchistes de la première heure !
La pensée socialiste est le dernier stade du pourrissement du stalinisme et l'homme libre se situe par-delà ses discours autorisés. Par-delà aussi les ignominies droitières et les manœuvres répugnantes de la pensée de gauche. L'homme libre est dissident. A l'écart. En-dehors.
Il se doit ainsi d'être fier de toutes les insultes dont le couvre la horde miaulante des salopards !

  Le bon côté de la barrière

jardin_vagabond_grille.jpg

Ma mise en accusation du dogme féminisme, que ce soit sur ce blog ou dans mon livre sur les Hommes en souffrance a, je le vois bien, posé quelques problèmes même à ceux qui me connaissent et qui me lisent habituellement. Car critiquer le féminisme aujourd'hui, dans l'esprit de beaucoup c'est, sur le plan politique et idéologique, prendre place du mauvais côté de la barrière. Mais comme ces lecteurs-là savent à qui ils ont affaire, ils ont généralement assez bien compris ce que je voulais dire. Par contre, ceux qui ne me connaissent pas ou mal, ont globalement porté sur mon travail des jugements sans appel (et légers en termes d'argumentation, ceci dit en passant...) : « risible », « masculiniste », d'une « bêtise crasse », « réactionnaire », « misogyne »... aucun rachat possible.

Je mentirais en disant que cela ne me touche pas, ne me trouble pas, ne me questionne pas. Car comme le fait très justement remarquer Philippe Ayraud dans la recension qu'il a consacrée à mon livre, je reste persuadé que je porte clairement le cœur à gauche, parfois même très à gauche, depuis toujours. Avec tout le pack psychologique et idéologique – pas toujours conscient – qui va avec : la certitude d'être du « bon » côté de l'histoire, celui des faibles, des opprimés, d’être dans le camp de la justice et du bien général. Bref, d'être un « gentil ».
Et là, brusquement, en m'en prenant au féminisme, considéré par beaucoup comme étant un des plus nobles combats de la gauche contemporaine, je me retrouve non seulement à m'opposer à celles et ceux qui me sont habituellement les plus proches et du même coup à partager certaines convictions avec ceux que j'avais toujours tenus comme étant indubitablement mes adversaires : penseurs de « droite » voire d’extrême droite, cathos, traditionalistes bornés...

Alors forcément, je me suis posé la question – et je me la repose encore régulièrement – suis-je en train de déconner ? Me suis-je trompé de route ? Quelque part, j'aimerais bien, cela simplifierait nettement les choses pour moi. Mais j'ai beau retourner le problème dans tous les sens, et même si cela m'embête, j'en reviens toujours à la même conclusion : le féminisme, tel qu'il se développe actuellement est une idéologie dangereuse qui ne pourra rien produire de bon sur du long terme. Et aujourd'hui, oui, hélas, face à ce dogmatisme froid, aveugle, fermé au dialogue et aux débats, c'est chez les penseurs « réactionnaires », de droite, hostiles à la gauche, que l'on trouve parfois les réflexions et les critiques les plus intelligentes dans le sens où elles nous invitent à de réels questionnements.
Qui sont les responsables de cet état de fait ? Ceux qui, comme moi, essayent d'y voir clair, de comprendre, ou ceux qui ont transformé le féminisme en en bloc compact, inattaquable, indiscutable ? Dans un article paru dans le n°1 de la nouvelle fournée de l'Idiot international (1er avril 2014), Stéphane Legrand s'en prend par exemple à la « dérive droitière » de Michel Onfray qui a, dans un article de son site internet, dit sa prise de distance avec l'idéologie du genre. Dérive droitière. Qu'est-ce que cela veut dire ? Je ne suis pas un grand fan d'Onfray dont j'ai déjà pu dire le peu de bien que je pensais à plusieurs reprises. Mais pourquoi parler ici de dérive droitière ? Je reste persuadé que l'on peut être très critique (dans le sens constructif du terme) vis-à-vis de l'idéologie du genre et rester de gauche. Car si dérive il y a, ne peut-on pas l'imputer plus justement à ces gardiens du temple de ce que Jean-Pierre Le Goff nomme assez justement le « Gauchisme culturel » qui, en fermant la porte à tous débats, laisse les clés de l'intelligence à la disposition de leurs adversaires ?
Et parmi ces adversaires, s'il y en a de parfaitement abjects et lamentables, on en trouve aussi de brillants. C'est pour ça qu'aujourd'hui, hélas, c'est chez les « réacs » qu'il faut peut-être aller rechercher ces clés de la résistance au nivellement du monde, des humains et des idées ; chez les râleurs, les énervés, les infréquentables, Nietzsche, Georges Palante, Léon Bloy, Léon Daudet, Barrès, ou, plus proches de nous Cioran, Philippe Murray, Alain de Benoist, Michel Maffesoli... Autant de penseurs qui, même s'ils peuvent parfois emprunter des routes discutables, même si on peut parfois se retrouver en complet désaccord avec eux, ont au moins ce mérite de n'avoir jamais eu peur de mettre les pieds dans le plat et d'appeler un chat un chat.

Il faudra donc que je m'habitue à être un réactionnaire. Cela ne devrait pas me poser trop de problèmes car, après tout, réagir à l'évolution du monde actuel ne me semble pas être criminel. Résister aux surenchères de la société de consommation, aux méfaits du libéralisme économique, à la destruction de l'équilibre écologique, lutter contre la transformation et l'uniformisation des humains modelés pour n'être plus que des consommateurs décérébrés, voilà des combats qui me parlent. Et être de gauche aujourd'hui, être écolo, être hostile au modèle capitaliste, c'est quelque part être réactionnaire justement, c'est espérer que l'humanité donne un petit coup de frein à son évolution et revienne à un peu de bon sens, quitte à revenir sur ses pas dans certains domaines. Être de gauche, c'est affirmer son amour des humains, certes, mais surtout de leurs différences, de leurs cultures, de leurs parcours, de leurs spécificités, de leur intégrité. Être de gauche, c'est regretter qu'aujourd'hui les ouvriers ne soient plus fiers d'être ouvriers, que les agriculteurs ne soient plus fiers d'être agriculteurs, que les femmes ne soient plus fières d'être des femmes, que tous et toutes n'aient plus qu'une seule ambition : ressembler à un modèle unique qui mange pareil, s'habille pareil, pense pareil, fantasme pareil, lit les mêmes livres, voit les mêmes films, achète ses meubles dans les mêmes boutiques... Être de gauche, c'est refuser que les hommes et les femmes ne soient plus que des corps soumis à des normes hygiénistes de plus en plus totalitaires...

Être de gauche aujourd'hui ce n'est plus voter socialiste ; être de gauche c'est accepter d'être réactionnaire, au sens noble du terme. C'est lutter contre tous les mouvements sociétaux dogmatiques susceptibles d’entraîner le monde à sa perte. Et parmi ces mouvements, il y a le féminisme. Aujourd'hui, le critiquer me rejette du mauvais côté de la barrière, comme je l'ai dit. Mais ce n'est pas définitif, je le pressens. Nous en reparlerons dans cinq, dix ou vingt ans. Les côtés de la barrière s'inverseront forcément et le bon sens retrouvera ses droits.

Stéphane Beau

14:00 Publié dans Stéphane Beau | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : littérature, écriture, politique |  Facebook | Bertrand REDONNET

27.03.2014

Le numérique : une réforme, pas une révolution

littératureIl y eut successivement - et en même temps durant des périodes charnières plus ou moins longues - l’odeur, le gestuel et le grognement, puis la parole, puis, enfin, le langage.
Certains paléontologues attribuent au langage, autrement dit à la faculté de désigner le monde par des sons particuliers bientôt structurés, la suprématie de Cro-Magnon sur le Neandertal, jusqu’à la disparition complète de ce dernier.
Ce serait donc grâce à la maîtrise de la communication qu’une espèce se serait imposée à une autre,
jusqu’à la faire disparaître au cours de la longue conquête de la planète. Une espèce qui parle, qui a une conscience parlée, est donc, déjà, beaucoup plus armée dans la lutte pour la survie qu’une autre qui n’a pas encore acquis ces techniques et en est restée au gestuel et aux onomatopées, aux cris et aux grognements. Imaginer par exemple que les loups, dotés d’un langage complexe et seulement intelligible à l’intérieur de leur espèce, auraient pu vaincre les hommes et s’imposer à leur place dans l'environnement, n’est, à mon sens, une idée farfelue que pour les farfelus dans leur conception de l‘organisation et de la genèse des sociétés.
Le langage fut ainsi la première grande et victorieuse révolution des hommes dans leur entreprise de domination du monde.
Faisons l’impasse sur des siècles et des siècles au cours desquels s’affina ce langage, jusqu'à être capable de dépasser sa fonction primaire d’oralité et de se doter d’une représentation graphique. Nous abordons la théorie du langage, c'est-à-dire l’écriture,  et nous  sortons ainsi de la Préhistoire pour rentrer triomphants dans l’Antiquité.
L’écriture, fille de la parole,  fut ainsi la deuxième grande et victorieuse révolution des hommes dans leur longue entreprise d’appropriation de leur environnement.

Il n’y en eut plus aucune de cette envergure. Les autres révolutions dans cette appropriation par la conceptualisation, ne consisteront désormais qu’en de gigantesques réformes à l’intérieur même de la parole et de l’écriture.
La première de ces grandes réformes, celle qui a bousculé la vitesse de diffusion du langage, fut l’imprimerie. Ceci dit en passant, non inventée par le sieur Gutenberg comme l’ânonnaient nos premiers livres d’histoire au chapitre CM2 des Grandes inventions et découvertes, mais par lui perfectionnée au point de la rendre incontournable. Mais Gutenberg n’a pas plus inventé l’imprimerie que Google n’a inventé internet : Il en a eu "l'intelligence".

Il nous faut encore
faire l’impasse sur presque un siècle avant que l’ingéniosité des caractères typographiques, en métal et mobiles, ne porte, ailleurs que chez le clergé tout occupé à faire imprimer ses livres saints, ses véritables fruits.
Un siècle où l’imprimerie ne révolutionna rien du tout et, même, n'intéressa quasiment personne. C’est Luther qui, le premier, comprit l’utilisation militante qu’on pouvait tirer de la nouvelle technique. C’est par l’écriture qu’il afficha ses 95 thèses à Wittenberg, thèses qui jetèrent les fondements de la Réforme et du luthérisme. Mais, si on en était resté à cette diffusion, le luthérisme en serait resté, lui, au stade confidentiel. L’imprimerie vola à son secours et c’est par milliers d’exemplaires et de brochures que se dispersèrent les principes du protestantisme. Quand Rome prit la mesure du danger et voulut intervenir, il était bien trop tard : la quasi-totalité de l’Europe était au courant des fameuses thèses, approfondies et développées.
L’écriture imprimée selon Gutenberg ne cessa dès lors de se perfectionner encore, de plus en plus, et de servir de point d’appui essentiel à la diffusion de l’art et de la pensée.

littératureJe fais à nouveau l’impasse sur six siècles de ce perfectionnement et j’en arrive au numérique.
Mais je ne passe pas pour autant d’une Préhistoire à une Antiquité ou d’une Antiquité à un Monde contemporain ou d’un Monde contemporain à un Monde plus nouveau encore ; je reste à l’intérieur de l’écriture et de la socialisation de la pensée, choses acquises depuis longtemps. Je suis encore dans l’Antiquité. Je change de support. Je change de technique. Pas d'ère humaine.
Car un examen approfondi des sociétés dans lesquelles ces situations successives d’évolution de la communication, très sommairement évoquées ici, ferait apparaître que ces révolutions et réformes de la propagation du langage et de la pensée n’étaient pas des exigences en soi, pour la beauté du geste, si j’ose, mais étaient fondamentalement dictées par des révolutions existant en profondeur dans les infrastructures de ces sociétés : on changeait à chaque fois de mode de production des besoins, on changeait à chaque fois de structure sociale, on élargissait aussi les horizons de la machine ronde, on traversait des mers jamais traversées, on découvrait des terres jusqu'alors ignorées.
En gros, le langage de Cro-Magnon avait annoncé la Préhistoire et l'organisation hiérarchique, structurelle,  du clan, l’écriture avait annoncé l’organisation étatique de plus en plus centralisée ainsi que la littérature et la philosophie, l’imprimerie avait annoncé la fin de la féodalité et la Renaissance... Ce qu’annonce le numérique n’est pas encore audible.
La vitesse de communication d’internet, la concentration du savoir qu’il détient dans sa sphère, savoir directement accessible, est complètement décalée, presque jusqu’au handicap, quand on considère que les hommes en sont en même temps restés aux sources d’énergie du XIXe siècle, charbon et pétrole, et que les sociétés, toujours courbées sous la dictature économique, n’ont pas avancé d’un poil, sinon dans l’accumulation perfectionnée de marchandises de plus en plus inutiles.
Il y a là un hiatus que le monde n’est pas prêt de rendre agréable à l’oreille.
L’adaptation du monde au nouveau mode de diffusion du monde, ne semble pas pour demain.  L’esprit de ce qui s’écrit sur internet ne révolutionne en rien, absolument en rien, l’esprit, ni n’ouvre d’autres projets de société, d’autres destinations humaines, d'autres façons du construire ensemble. La preuve : on se bat aux quatre horizons du monde comme on se battait à l'Antiquité, au Moyen-âge et à toute autre époque.
Dès lors, nous pataugeons presque dans l’inutilité en perfectionnant un outil de communication sans changer le destin de ce que nous avons de fondamental à communiquer. Nous risquons - si ce n'est déjà fait -  de faire ainsi de notre langage un simple bavardage, un luxe divorcé du réel, comme le serait la faux extraordinaire d'un cantonnier là où l'herbe ne pousse jamais plus.
Autant dire, pour la première fois dans l'histoire, nous risquons de signifier la fin de la communication par manque de matière à  communiquer, comme un moulin finit par se briser quand il continue de tourner et qu’il n’y a plus de grain  à moudre.
Le numérique, donc, celui avec lequel nous écrivons, n’aurait pas été plus pauvre qu'il n'est actuellement avec Balzac, Zola ou Maupassant tenant un blog. C’est dire comme ils étaient en avance, ceux-là, ou alors, plus sûrement, comme nous sommes encore en retard, nous autres, et combien nous manquons d'esprit d'initiative pour réinventer, non pas les outils du monde, mais le monde lui-même.
J’ajoute que diffuser Balzac, Maupassant ou Zola en numérique revient à faire du numérique l'outil performant d'un stockage rationnel, si cher aux thuriféraires de la production capitaliste. Avoir 2500 livres dans sa liseuse et dans la poche intérieure de son blouson, relève plus de la performance technique que d'une technique de la performance. Cela revient à satisfaire sans satisfaction une préoccupation majeure de la fin du XIXe siècle jusqu'au milieu du XXe en matière de conditionnement des marchandises, jusqu'à la " géniale trouvaille" du flux tendu  supprimant la logique du stockage.
Avouons que pour pratique que ce soit, il n’y a pas de quoi sauter aux nues ni de quoi crier à la  révolution fondamentale ! A moins d'être résolument du parti pris des imbéciles qui, comme chacun le sait, est le parti majoritaire auquel, pourtant, chacun d'entre nous se défend d'appartenir...
Je crois donc que les ethnologues du futur ne situeront pas la révolution numérique au XXe siècle, ni même, peut-être, au début du XXIe siècle. Ils la situeront - si tant est qu'elle intervienne un jour - quand le numérique
aura fait la preuve qu'il a changé le mode de fonctionnement des sociétés, en a amélioré considérablement le destin et l'esprit.

11:07 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

26.03.2014

Limites

littératureEn ce minuscule lieu perdu de l'arrière- campagne, les pieds sur la mousse humide, je mesure combien est encore dérisoire, préhistorique, antédiluvienne même, l’organisation des hommes entre eux.
Si je fais deux pas en avant, je réintègre mon monde. Je suis en Europe, Schengen, je suis sous les lois de Paris, de Madrid, de Lisbonne, de Rome et de Trifouillis les oies…Je n’ai pas besoin de visa sur un passeport, je n'ai même pas besoin de passeport du tout, je suis quasiment à la maison.
Si je pouvais faire deux pas en arrière, toutes les lois et la plupart des valeurs qui régissent ma vie sociale seraient abolies en une seconde à peine. Même mon alphabet, mon cher alphabet, celui que j'ai appris en culottes courtes, au début, avec lequel tous les jours j’essaie de me dire dans ce monde, ne me serait plus d’aucune utilité.
Peut-être même irais-je manu militari tâter de la paille humide du cachot néo-collectiviste.
Je mesure, là, combien est fragile la liberté de mettre un pied devant l’autre sur une planète aplatie sous la botte et
raccommodée, rapiécée, par la politique des hommes. Homo erectus, lui, passait les fleuves, les ruisseaux et les montagnes sans avoir à montrer patte blanche. Homo erectus ignorait la politique. Une ignorance qui faisait de lui un savant.
J’ai une vague impression, aussi, d’avoir toujours vécu ici. Sur des frontières. Entre crépuscule et aurore, sans jamais savoir trop dissocier lequel annonçait la nuit et lequel anticipait la lumière. Sinon par l'illusion et la volonté d'exister. Vécu sur l'expérience des limites.
De l'autre côté de ce poteau blanc et rouge, commencent les Russies. Celle de Minsk et celle de Moscou. Où ronronnent des canons. Au cas où...

Et je me demande bien ce qu’en pensent les gens de la ferme, là, tranquilles, peinards, sur leur petite colline. Savent-ils qu’ils sont un pointillé. Un pointillé virtuel sur la carte et tellement dangereux sur la terre ferme, quand la folie risque de rallumer une fois encore le feu aux poudres.
Et ces grands corbeaux que je vois tournoyer, avec des reflets bleus sous leurs ailes déployées, qui vont d’un saule à l’autre, d’une rive à l’autre du fleuve, qui croassent d'un système à l'autre, savent-ils leur supériorité politique ?
Qu’ils sont bien au-dessus de l'intelligence barbare des hommes ?

08:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

24.03.2014

Illusions

1795756_10151969869723235_1640376065_n.pngUn homme vit aussi d’illusions. C’est là son voyage dans la stratosphère, sa projection dans les ailleurs, et seuls les imbéciles, les pragmatiques, les menteurs et les salauds (qui sont souvent les mêmes) prétendent ne pas avoir d’illusions. En confondant, d’ailleurs, excusez-moi du peu, « illusions » et « espoirs », car même le désespéré a des illusions, ne serait-ce que la pire d'entre toutes : celle de croire que la mort sera plus vivable que la vie.
Ainsi suis-je également un imbécile, un pragmatique, un menteur et un salaud quand je dis à qui veut bien l’entendre que je ne me fais aucune illusion sur la capacité (voire la volonté) de la politique à changer une part du monde et à la rendre un peu meilleure.
C’est faux. Tout homme, s’il n’est un fou brasseur de néant, qui se mêle de la critique du monde, à quel que niveau que ce soit, se fait forcément des illusions. Il espère que sa critique, si peu entendue qu’elle soit, si infime soit-elle, contribuera à réparer des erreurs, lever des malentendus, mettre au grand jour des injustices, dénoncer des crimes, prévenir des catastrophes, que sais-je encore ?
Que cette critique n’atteigne que très rarement son but n’est pas, hélas, très important. Le vital est dans l’illusion. Dans le prisme déformant que crée le rapport au monde car ce prisme déformant a ses racines dans les profondeurs, non pas de l’idéologie – qui n’est somme toute que la mise en scène masquée du « moi », le tuyau social de son expression– mais de l’être que l’on est.

Ces quelques lignes pour te dire, lecteur, combien j‘ai été bouleversé, jusqu’à la nausée, par l’attitude politique de Hollande et de l’Europe entière dans le drame ukrainien. Bouleversé non pas dans mes convictions politiques, qui ne sont ni convaincues ni guère convaincantes, mais dans ma conception, mon ressenti plutôt,  de l’honnêteté et de l’intelligence humaines.
Bouleversé en profondeur. Remué. Tétanisé même.
C’est donc bien que je me faisais encore des illusions en dépit de tout mon mépris pour les grands de ce monde qui, comme se plaît à le dire l’exergue de ce blog, ne sont grands que parce que nous sommes à genoux.
Je ne vais pas, une fois encore, décrire la situation. Reste qu'un gouvernement insurrectionnel qui compte dans ses rangs des nazis déclarés, est reçu à bras ouverts dans les palais républicains de toute l'Europe. Pire : à peine les morts de Maïdan (dont on ne sait toujours pas avec certitude par qui ils ont été tués) sont-ils refroidis que cette Europe signe un bout de papier de coopération avec ce gouvernement. Tout en jetant sur la Russie l’opprobre et l’indignation des gens bien, blancs comme neige, non-violents, démocrates et jamais délinquants.
La nausée, te dis-je, lecteur. Et si Toi, tu ne l’as pas encore eue, cette nausée, je me fais encore l’illusion de te contaminer par ces quelques paragraphes. J’irais même jusqu’à dire que si tu es en bonne santé, tu devrais tout de suite te sentir malade. De honte.
Et je rigole de colère ce matin quand j’entends ces Français socialisto-républicains s’indigner de ce que quelques frontistes-nationaux ont gagné (ou sont en passe de gagner) des élections municipales alors que leur lamentable chef, leur tartuffe de chef, caresse dans le dos les héritiers de Bandera et les thuriféraires de la division SS Halychyna.
Peut-on, dans ce cas-là, éprouver autre chose que le dégoût ? Me le diras-tu ? Si les tueurs de Maïdan s’étaient revendiqués de Nestor Makhno plutôt que de Bandera est-ce que l’Europe leur aurait fait ainsi les yeux doux ? Est-ce que l'onctueux Hollande miaulerait ainsi ses phrases convenues sur l'intégrité du territoire ukrainien ? Cet homme a le génie de faire en sorte qu'une vérité éculée qui sort de sa bouche sonne tout de suite comme un misérable mensonge.
Il est là, mon malaise. Dans mon (notre) impuissance à relever le défi de l’odieuse stratégie des calculateurs.
Il est aussi dans le fait de n’avoir pas été assez fort pour trouver dans mon propre bonheur d’exister, dans mon plaisir à vivre avec des gens que j’aime,
loin des brouhahas, dans un village désert de la frontière européenne ; dans la satisfaction aussi de publier un nouveau livre, la force d’éviter les haut-le-cœur du désarroi.

Mon illusion ? Elle est désormais cruelle : que tous ceux qui ont joué avec les ordures se réveillent bientôt dans une poubelle.

Illustration dénichée je ne sais où par Jagoda

12:31 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, écriture, politique |  Facebook | Bertrand REDONNET