UA-53771746-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

16.04.2014

Stéphane Beau : par delà la mêlée

par_dela_melee.jpgMon approche de la question féministe ne doit donc pas être séparée de la manière dont je ressens intimement la notion de barrière. Mon problème en effet, aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, a toujours été, dans tous les domaines, de refuser d'être assigné à résidence d'un côté ou de l'autre des barrières que l'on m'opposait. Sans en avoir pleinement conscience, la plupart du temps. Et si je parle ici de problème, ce n'est pas par hasard, car c'est une position qui est assez inconfortable. C'est ainsi que j'ai toujours traîné, derrière moi, l'image d'un râleur, d'un réfractaire, d'un objecteur, d'un coupeur de cheveux en quatre, bref, d'un emmerdeur, car les humains, au fond, n'aiment pas qu'on interroge les fondements de leurs idées et les moteurs de leurs actes.
Mais c'est comme ça, c'est plus fort que moi, lorsque je me heurte à une barrière, il faut toujours que j'aille jeter un œil de l'autre côté pour voir ce qu'on y trouve. Et forcément, à chaque fois le constat est le même : il y a du bon et du mauvais des deux côtés. Cette posture, dont on pourrait a priori croire qu'elle est plutôt de nature à apaiser les choses, à gommer les conflits en ouvrant une porte de dialogue entre les deux camps, est au contraire très mal perçue. Car la plupart du temps, les deux parties n'ont pas envie de communiquer. C'est d'ailleurs justement pour cela qu'elles ont érigé une barrière entre elles, et toute tentative de conciliation n'est pas perçue comme un appel à la libération, mais comme une agression.
 
Mon livre sur les Hommes en souffrance, par exemple, même si le ton est volontairement polémique, a vraiment été pensé et écrit comme étant un livre sensé dépasser la barrière de la guerre des sexes. Je voulais vraiment qu'il invite les lecteurs à grimper sur cette barrière pour contempler l'ensemble du problème, objectivement et de manière non partisane. Je sais que certains l'ont lu ainsi et cela me fait plaisir. Mais je constate aussi que ces lecteurs-là ne sont pas majoritaires et que pas mal d'autres semblent n'avoir pas pu faire autrement que de ramener arbitrairement ma pensée d'un côté ou de l'autre de la barrière. C'est ainsi que pour les féministes les plus radicales mon livre est un livre masculiniste (donc abject et condamnable), alors qu'à l'opposé, chez les défenseurs les plus rugueux de la cause des hommes, je sens bien qu'on peine à accueillir chaleureusement un texte qui ne fait pas ouvertement l'apologie des pères perchés ou des femmes au foyer.
 C'est pour ça qu'une fois de plus, comme le note Bertrand Redonnet, je me retrouve à l'écart, en dehors. Positions qui ne relèvent pas de choix délibérés, mais découlent des circonstances. Bertrand sait bien mon attachement aux vieux journaux anarchistes. Notamment l'En Dehors, revue à laquelle il fait explicitement référence. Il sait probablement qu'il en existait une autre, publiée par E. Armand durant la première guerre mondiale, qui s'appelait Par delà la mêlée.
 
Par delà la mêlée... N'est-ce pas là, par définition, que se situe le danseur de corde ?
N'est-ce pas là aussi, dans cette mêlée, que le danseur de corde retombe quand il trébuche ?

Stéphane
 
Petit rajout de Bertrand : Tout à fait, Stéphane. Armand qui participa lui-même à L'En dehors (fondateur Zo d'Axa) avec Octave Mirbeau.
Armand, chantre de la camaraderie amoureuse... Avec Darien aussi.

13:17 Publié dans Stéphane Beau | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Si l'on en croit Levi-Strauss, l'homme a besoin de limites pour conceptualiser l'univers et le monde. De même qu'il a une main gauche et une main droite, il a tendance a tout concevoir de manière binaire. D'où l'existence de cette barrière, qui serait finalement une nécessité première pour la pensée.

Pourtant, comme vous le dites, il y a souvent du bon et du mauvais des deux côtés et cette barrière est souvent arbitraire. On aurait pu la placer ailleurs. D'ailleurs, aux environs immédiats de la barrière les vérités sont les mêmes. C'est ainsi qu'on passe d'un pays à l'autre sans remarquer de différence géographique fondamentale. Bertrand le dit souvent quand il regarde le Bug. Il sépare deux mondes politiques, deux cultures, mais l'herbe est pareillement verte des deux côtés.

Écrit par : Feuilly | 16.04.2014

J'entendais justement un gars, l'autre jour, à la télé, qui s'est amusé à faire le tour exact de la France en suivant la ligne théorique de la frontière (en franchissant les montagnes, les fleuves...) Il en a tiré un bouquin. Et c'est ce qu'il mettait en avant lui aussi : à la fois le côté parfaitement irréel de la frontière qui ne sépare rien, au fond, et pourtant, son indéniable réalité (puisqu'à quelques mètres de part et d'autre des frontières, tout change : les panneaux, la langue, les uniformes des policiers...)

Écrit par : stephane | 17.04.2014

Le paysage reste le même, mais pas les hommes car ils dépendent d'une autre capitale culturelle, qui elle est enracinée dans un pays différent. Les montagnes des Pyrénées Atlantiques sont les mêmes des deux côtés dela frontière, mais tout est pourtant différent dès qu'on la franchit (langue, coutumes, cuisine, panneaux routiers, style d'habitation, niveau de vie, système économique, sécurité sociale, etc.) parce que, bien que basques eux aussi, les Espagnols de San Sebastian vivent déjà un peu à l'heure de Madrid, écrasée de chaleur sur le plateau de la Vieille Castille,tandis que les Français d'Hendaye sont réglés sur Paris.

Il en va de même sans doute pour les barrières idéologiques, religieuses ou politiques. Rien n'est plus opposé à l'extrême-gauche que l'extrême-droite, pourtant toutes deux se retrouvent contre leur ennemi commun, le bourgeois égoïste qui ne pense qu'à s'enrichir. Les un s'y opposent au nom d'une égalité sociale qu'ils revendiquent, les autres au nom de la grandeur de la Nation, qui doit passer avant les intérêts particuliers. C'est un peu Juls Vallès contre Barrès et sa "Colline inspirée".

Écrit par : Feuilly | 17.04.2014

Les frontières réelles sont virtuelles, effectivement, Feuilly. Réelles parce que coercitives et virtuelles parce qu'elles ne sont que politiques. Arbitraires
Ici, de part et d'autre du Bug, rien ne change des arbres, de l'eau, des oiseaux qui viennent d'une rive à l'autre... Pourtant, tout change de l'organisation des hommes : patrouilles, caméras planquées, etc...
Les frontières idéologiques ont le même caractère. Elles servent aussi à développer en soi un sentiment d'appartenance ; les hommes ont besoin de se sentir "appartenir à".
D'où leurs éternels erreurs et conflits, leur sectarisme, leurs visions manichéennes des choses.
Moi comme les autres sans doute, puisque je ne suis guère différent de tous les autres hommes, même si j'essaie de n'appartenir qu'à moi-même.
Ce qui, justement - et c'est tout le propos de Stéphane - n'est pas toujours facile ! C'est même beaucoup moins confortable que de se débarrasser de son cerveau pour suivre des "idées".
Pour bêler avec les moutons et hurler avec les loups.

Écrit par : Bertrand | 18.04.2014

Les commentaires sont fermés.