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11.04.2014

L'exil et la mort

P9180043.JPGLes juifs qui vivent en France ou ailleurs - tout du moins beaucoup d'entre eux même si j’en ignore la proportion – se font enterrer à tout prix sur (sous plus exactement) la Terre promise.
Ils font ce qu’ils veulent, ces braves gens, là n’est pas le problème, et quand bien même seraient-ils chrétiens, athées, bouddhistes ou derviches tourneurs, que j’aurais à leur égard les mêmes réflexions de perplexité.
C'est le genre de précautions farfelues et convenues qu'on est toujours tenu de prendre dès qu'on parle des juifs, dans un monde imbécile aplati par la culpabilité, la fausse conscience et la posture qui dicte que l'apparence prime sur l'essentiel. Toujours faire montre de son honnêteté et montrer âme blanche.
Des autres, on peut parler un peu plus à la légère. Sans offenser toutefois.

Bref, cette étrange pratique de vouloir faire dormir ses os ailleurs qu'au cimetière le plus proche, me semble le comble des inconfortables tourments - passez-moi le pléonasme- d’un exil. Comme si la terre, le pays, le bout de ciel où vous avez vécu votre vie, où vous avez aimé, où vous avez construit, pleuré, ri, bu et mangé tout votre soul, n’était pas assez sainte ni même assez saine pour accueillir votre précieux cadavre.
Ou alors comme si ceux qui restent derrière vous, les voisins, les amis, ceux que vous avez salués, n’étaient pas dignes de marcher et de respirer dans le voisinage direct de votre céleste sommeil.
Mépris ? Humm… Je l’ignore. Croyance en un dieu tellement sectaire qu’il ne vous accompagne dans votre salut que si vous reposez là et non pas là ? Chez lui, en fait. Un dieu contractuel, comme l’écrivait Nietzsche ?
Pour sûr que je ne voudrais pas d’un dieu pareil pour me conduire à travers ciel. Un dieu universel, un absolu, une entité des étoiles infinies, un dieu tellement évident qu’il n’a pas même besoin d'église pour être un dieu, ça, oui. Ou encore, mais à la grand’ rigueur, pas de dieu du tout.
Car un dieu qui discriminerait, qu’aurait-il de plus divin que le moindre des moindres mortels ?

Quand je mourrai, quand le croque-mort m’emportera, quand sonnera l’heure blême, donc, je ne chanterais pas à l’instar du Poète : que vers le sol natal mon corps soit ramené…
Car c’est sous ce coin de ciel polonais, tantôt glacé, tantôt étouffant, sous ces nuages qui courent de la mer noire à la Baltique, sur cette plaine qui se déroule de forêts en forêts, que j’aurai fini de tracer ma piste. Je dormirai sous ce pays qui, sans ambages, m’avait ouvert tout grand ses bras, avait tiré la chaise et m’avait invité à m’asseoir à sa table, sans rien demander de mes racines profondes.
Je dormirai là. Loin de ma langue et de la terre de mes ancêtres. Par respect pour tous ceux qui m’ont salué et avec lesquels j’aurai  partagé un bout de route, un bout de terre, un bout de monde.
Je dormirai chez eux ; un chez eux qu’ils ont fait chez moi.
Ce sera mon hommage posthume à la vie. Une vie qui habita, et non qui passa dans l'opportunité.

10:43 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Souhaitons que ce soit le plus tard possible !
La tombe est un lieu de recueillement qui intéresse surtout ceux qui nous survivront, bien plus que Dieu lui-même ou nos ancêtres.

Écrit par : solko | 11.04.2014

Je formule à votre égard, avec sincérité, le même souhait..
Oui, pour la tombe. C'est bien pour cela : un lieu pour ceux que nous avons abandonnés bien malgré nous.

Écrit par : Bertrand | 11.04.2014

que vers le sol natal mon corps soit ramené

L'idée, sans doute, que la boucle est bouclée et qu'on finit là où on avait commencé. Là où sont les souvenirs de l'enfance, même s'il ne reste plus personne de ceux qu'on avait connus. L'idée aussi d'un paysage qu'on avait aimé.

Et dans ton cas, tu as aimé la Pologne ses grandes étendues et sa forêt primitive. Pourtant, il me semble que tu n'as pas toujours tenu le même raisonnement. Sans doute que depuis les amitiés françaises se sont estompées. Alors, à quoi bon ?

Écrit par : Feuilly | 11.04.2014

C'est vrai ce que tu dis là.
Fut un temps où j'étais effrayé à l'idée ( je dis bien l'idée) de dormir éternellement sur une terre d'exil, sous la neige...
Sans doute portais-je alors encore une nostalgie de mon pays... mais tout s'est éloigné.
Plus grand monde ne m'appelle plus là-bas.
C'est assez curieux, finalement...

Écrit par : Bertrand | 11.04.2014

C'est très beau et très émouvant, cela me touche beaucoup...

Écrit par : Rosa | 11.04.2014

Comme Rosa.

Écrit par : Michèle | 11.04.2014

Un texte épatant (mais Paul Veyne est toujours épatant)
pour Stéphane Beau et vous, Bertrand !


http://revueagone.revues.org/837

Écrit par : Alfonse | 12.04.2014

J'y vois une belle déclaration d'amour à ces gens qui t'ont accueilli

Écrit par : Emery Anne-Marie | 12.04.2014

Merci, merci, à tous... Le problème c'est que cela vous fera loin pour venir sur mon petit lopin faire "d'affectueuses révérences":))

Écrit par : Bertrand | 14.04.2014

un de ces quatres matins je viendrai te saluer Bertrand, mais avant ton trépas ...
laisse-moi un peu de temps quand-même ;-))
amitiés

Écrit par : jacky | 15.04.2014

Les commentaires sont fermés.