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02.11.2009

Vient de paraître, à l'enseigne de publie.net

POLSKA B DZISIAJ

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" (....)Ses parents étaient venus d’Ukraine après la guerre, des environs de Lwów.  Poussés vers le nord-ouest, mais pas beaucoup, quelque deux cent kilomètres. Et il se mit à évoquer les grandes plaines de l’Ukraine avec ses yeux bleus qui vacillaient légèrement et le bras vigoureusement tendu qui montrait l’est. Et tandis qu’il racontait, je le regardais, interloqué. Moi l’étranger, j’étais venu voir un autochtone et j’étais assis devant un gars qui ne se sentait pas chez lui, là, à Gnojno, et qui parlait de son déracinement et dont la voix monocorde, je le sentais bien, était tout empreinte de tristesse.
Il inversait joliment les rôles et sans doute avait-il raison. Car moi j’étais tout de même là de mon pauvre chef, tandis que lui, c’étaient les chambardements frontaliers qu’il l’avait échoué dans ce village comme les tempêtes échouent sur les plages, les algues des fonds marins et les objets qu’on jette par-dessus bord des navires. Mais tous ces rejets, ça se ramasse, ça se conditionne, ça s’élimine. Lui, soixante ans après, il était resté tel qu’aux premiers jours, planté sur le même sable.
Il dit encore qu’avec les communistes, il avait trois vaches, un cheval, un cochon et des poules et, par-dessus tout, une paix royale. Personne ne venait fouiner dans ses affaires. Maintenant, il avait une vingtaine de vaches, une trayeuse électrique et il vendait tout son lait à la laiterie. Le lait devait être comme ci et pas comme ça, il avait fallu faire des évacuations, des aérations, des vaccins, des prévisions et il n’entendait rien à la paperasserie qu’on lui demandait. Et puis au final,  il n’avait pas plus de sous qu’avant avec des tonnes d’emmerdements en plus. Alors ? Hein ? A quoi ça avait servi tout ça ?  Hein ?
Il posait la question en se penchant en avant. D. balbutiait liberté, droit des gens, démocratie…Il haussait les épaules, hautement moqueur mais sans aucune brutalité.
J’ai appris beaucoup de cet homme. J’ai découvert en quoi, peut-être, résidait la force pérenne des dictatures. Pour ce paysan, comme pour bien d’autres qui m’ont tenu le même discours, le communisme tel qu’appliqué à l’est, c’était le droit de faire ce qu’il voulait dans son jardin. Pourvu qu’il ne s’y enrichisse pas de façon trop ostentatoire et ne fasse montre de ses opinions, on ne lui demandait rien. Il  avait un gîte, de la pitance et la course du soleil pour éclairer les jours et compter les années. Le reste, la liberté d’écrire, de parler à voix haute, d’écouter, de lire, de voyager plus loin que la rivière, c’était affaires d’intellectuels, de penseurs et de gens des villes parce que leurs maisons, leurs rues et leurs usines étaient trop étroites. Le petit paysan, lui, il s’en fout de ces libertés-là. On ne lui a jamais appris à s’en servir, alors leur privation ne le meurtrit pas. La muselière intellectuelle ne le gêne pas. La vie est ailleurs. Elle se mesure au jour le jour, saison après saison. Elle se joue au printemps avec les labours et les semailles, l’été avec les moissons, l’automne avec le ramassage des pommes de terre et l’hiver avec la lutte obstinée contre le froid, la neige et le vent. Ce qu’il y a par delà ces rideaux quotidiens,  il ne faut pas s’en mêler. C’est de la politique et la politique…La politique, ça fait des guerres et des morts.
Je pensais à la Makhnovchtchina. Que des paysans, incultes de notre point de vue, et pourtant vainqueurs de Dénikine. Et s’ils n’eussent été par la suite crapuleusement égorgés par Trotski, qu’auraient-ils fait de l’unique expérience anarchiste au monde qu’ils avaient mise en place en Ukraine ? Jusqu’où les tsars les avaient-ils volés et jusqu’où avaient-ils violé leur droit à l’existence, qu’ils aient pris une part aussi cruciale, intelligente et violente à la grande déferlante de l’histoire ?
Cet homme sec aux mains raboteuses, là devant moi, ce paysan d’origine ukrainienne, s’il était né seulement quelque trente ans plus tôt, aurait-il fait partie de l’épopée et été un compagnon de Makhno ?  J’étais sûr que oui, ça me plaisait d’en être sûr et je le regardais décliner ses phrases et ses mots nostalgiques et je me disais que l’histoire, les luttes, les trahisons, les échecs, les vérités, les morts, les prisonniers, les réussites, les idéaux, les tactiques, les alliances, les buts, les systèmes, tout ça, c’était les hasards du réel, les leurres d’un prisme déformant et que les hommes n’entendaient rien, absolument rien à la mise en scène de leur propre destin. Ils étaient des ombres. Des balbutiements.
J’en éprouvai une profonde tristesse.
"

10:07 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

29.10.2009

Spleen

photo_1208522524555-3-0.jpgLe cœur, lui, n’a jamais de stratégie.
Ni de projets, ni d’anticipation. Il éclate sa lumière ou déverse son venin avec sa logique autonome.
La tête, elle, n’appréhende le monde qu’au travers ses volontés, ses velléités et ses dogmes, ces derniers fussent-ils même libertaires.
J’entends par "monde" aussi bien les rivières, les prés, les fleuves, les forêts, les oiseaux, le temps qu’il fait, les autobus, les gares, les cités, les bouts de ferraille immondes du désordre urbain, les ponts…. que le regard humain qu’on porte à l’autre, l’estime ou l’amour ou l’amitié ou le mépris dont on le gratifie, une femme aimée emportée par des torrents d'orgasmes ou  alors, les jours où Cupidon s'en fout, lamentablement échouée sous la tristesse d'une réalité obstinément standard.
J’appelle  "monde" le chemin que se fraient ensemble ma tête et mon coeur  dans le dédale de la pauvreté des hommes de petite condition, la lâche, pusillanime et prétentieuse fourberie des hommes-collabos de la moyenne, le hold-up permanent de ceux de grande condition et la misère* de tous confondus.
Je ne sais pas où ira ma tête dans ce capharnaüm du déclin universel, admis et consenti par tous, ma pauvre carcasse comprise. Je sais cependant où elle voudrait aller, parce qu’elle est une tête qui ne tient  compte du réel que par l’image du coeur qu’elle en reçoit.
Je ne sais pas où va mon cœur non plus  parce qu’il est un cœur. Mais je sais où ma tête ne voudrait  pas qu’il aille.  C’est-à-dire que je ne sais rien, finalement, de leur synthèse : De ce moi entier et qui a commencé de m'être volé par une inscription à l’état civil sous le nom de Bertrand Redonnet, acte de naissance numéro 068, commune 038.
Je ne sais rien.
Comme toi, comme vous, comme nous.
Nos cris sont ceux de prisonniers qu'on égorge.
Parce qu'il n’y a que la synthèse qui vaille la peine d'être vécue et si l’une de ses thèses est malade de la peste, l’autre a forcément le choléra.

Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point, nous faisait-on réciter au catéchisme des initiations philosophiques. Affligeant aphorisme qu’on répète comme un con quand on a vingt ans et pour faire croire qu’on est intelligent mais dont on s’aperçoit très vite, si on l’est devenu un tant soit peu, qu’il renferme les premiers principes de la séparation de l’individu en deux entités contraires et combattantes, c’est-à-dire qu’il en fait un parfait aliéné, un malheureux, un fin prêt à être dominé, gouverné, culpabilisé, christianisé.  Un lâche
corvéable et taillable à merci.
Mais y a t-il autre chose chez Pascal qui puisse servir aux hommes à se sentir autrement que des larves ?
L’invention de la calculette et des transports en commun, peut-être…

* Considérée sous ses trois aspects, économique, intellectuel et sexuel tels que magistralement mis au jour par la brochure de Strasbourg, 1967.

11:19 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

17.10.2009

Pologne, ma bonne amie

DSC_0735.JPGLa prise de conscience qu’on a des réalités est rarement immédiate. Il faut souvent prendre un peu de recul, rassembler et comparer des éléments, faire se recouper des situations, pour pénétrer derrière les tissus qui nous entourent.
The dark side of the moon.
Après, on est content ou on a mal, ça dépend. En tout cas, on croit y voir plus clair.
Ainsi la question s’est-elle posée, à la longue, de savoir pourquoi des gens de là-bas, que j’aime et dont je pense être aimé, hésitent à venir en villégiature chez moi.
Dans l’immédiateté, une foule de raisons prosaïques viennent à l’esprit : La Pologne, c’est loin, les billets d’avion sont chers, l’autobus c’est vraiment trop pénible et en France, c’est la crise, les gens ont de moins en moins de moyens.
Tout ça est indéniable. Et puis chacun a sa vie, ses préoccupations et ses priorités… Un affectueux salut au passage en direction du  frangin et de sa compagne venus cet été en bus…Plus de 75 heures aller/retour. Par motivation et manque de finances. L’avion, c’est un truc encore très sélectif.
Quand on se pose une question, il y a donc d’abord l’avalanche des bonnes raisons et après, inévitablement, apparaît la véritable clef, celle qui va plus loin, celle qui ouvre des portes qu’on voulait laisser fermées.  Le fameux « mais ».
Mais si j’habitais en Sicile, dans les îles, sous les cieux embaumés de l’Espagne, aux Seychelles, au Canada (pardon François), en Tunisie, au Portugal et même à Zanzibar, ces bonnes raisons, pour une bonne part, ne fondraient-elles pas comme neige au soleil ?
Neige justement, vent froid, l’Est, la plaine, tout ça, ça rime en images avec Pologne. On hésite un peu….Et puis….
Qu’est-ce qu’il y a à voir là-bas, à part toi ?

Pauvre Pologne, je sais tes richesses intimes ! Mais comment les faire aimer ?
Comment déboulonner cet inconscient collectif qui pèse sur ton nom, qui date de très vieux, de tous tes hommes et femmes contraints à l’exil et qui fut, il y a trente ans à peine - 3 secondes à la vitesse historique -  ravivé encore par le dictateur aux lunettes noires, l’état de guerre et les longues queues qui grelottaient devant les étalages vides et sur nos confortables écrans de télévision ?
Tenez, Renaud, le chanteur, le rebelle, celui qui était pourtant loin d’être le plus con et le plus méchant de la bande, ne chantait-il pas :

P'tite conne
Tu rêvais de Byzance
Mais c'était la Pologne
jusque dans tes silences...

Deux pôles contraires : Byzance et la Pologne. On ne peut guère être plus clair. Tout est dit.
Et cette abomination, si elle avait quelque maigre excuse dans les années 80, continue ses ravages dans des têtes qui se croient pourtant haut perchées alors qu'elle n'a plus aucun fondement.
Rayée de la carte pendant 123 ans, la Pologne est négativement inscrite dans la plupart des consciences, comme s’il lui fallait encore payer tous les tourments de son histoire.
Et vont bon train les clichés les plus niais. Quand ce n’est ni le froid, ni la neige, ni la plaine, ni le délabrement fantasmé, c’est l’Èglise.
Un ancien copain qui se croyait intelligent – il doit certainement le croire encore à moins qu’il ne le soit réellement devenu  – m’écrivait lors de mon premier Noël en Pologne : Noël en Pologne, ça doit être quelque-chose !
Eh ben mon pote, Noël en Pologne, c’est beau comme la neige sous des constellations livides. Et aucune loi, aucun décret, aucune convenance, aucun code ne t’oblige à aller à la messe de minuit.
Je te dirais même plus : La Naissance ici passe beaucoup plus inaperçue, en flonflons luminaires, orgies, cadeaux, champagne, foies gras et autres singeries, que sous les cieux sacrés de ta laïcité.

La Pologne, c’est une plaine qui rêve sous des cieux capricieux et des hivers tenaces en houppelandes blanches. Ce sont de sombres forêts au front altier. Ce sont de grands oiseaux venus des antipodes. Ce sont de grands silences et des rivières et des lacs. Ce sont des arts, tels les chefs-d'oeuvre de Stasiuk. Ce sont surtout des hommes et des femmes longtemps déchirés, séparés, et qui se retrouvent enfin sous le même toit.
Et sous ce toit, l’étranger jamais n’est montré du doigt ni inculpé, comme sous les cieux sécuritaires de la sarkoparanoïa, d’être « d’ailleurs ».
Il est tout bonnement naturalisé ami.

14:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

16.10.2009

Le prix Poitou-Charentes

zozo.jpg

Je serais bien faux-cul de bouder mon plaisir.
D’autant plus que je ne m'y attendais nullement.
J’ai donc découvert hier, en musardant sur Internet, que mon Zozo s’était glissé dans le peloton de tête de la course au prix Poitou-Charentes… Rusé, le Zozo, sous ses airs de bonhomme paresseux.
Reste le  plus difficile cependant : Le sprint.
Et je ne sais pas s'il en a encore sous la pédale après les efforts consentis pour faire partie de l'échappée...

Allez, un dernier coup de reins, Zozo, et ma foi, si tu faillis là, eh bien tu  auras failli avec bonheur.
Car tu es, en plus, en très bonne compagnie.

Te sachant fort maladroit,
je suis tout de même un peu inquiet. Alors fais gaffe à ça :

 

Le velo pete !.jpg

 


09:23 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

15.10.2009

L'automne assassiné

j.JPGDans sa récitation de rentrée, consciencieusement ponctuée, l’enfant avait pourtant célébré l’automne :
" Dlaczego na drzewach są rude liście?
To wiewórki pomalowały je ogonem puszystym.
"
Pourquoi y a t-il des feuilles rousses sur les arbres ?
Parce que les écureuils les ont peintes de leurs queues duveteuses …

Mais les vents quand ils sont fous n’entendent pas les enfants et poussent les artistes au creux des chemins d’infortune.
Comme ces vents-là.…
Ils arrivaient du sud-ouest, de la Méditerranée via les Carpates de Roumanie peut-être, rageurs et pressés,
encore chauds  cependant. Ils venaient du sud et l’arche noirâtre d'un ciel brouillon galopait tout droit vers les steppes de  Russie.
Qu’ont-ils donc  rencontré là-bas, ces vents, bien au-delà de Moscou,  qui les ait effrayés au point qu'ils fassent prestement demi-tour et qu'ils reviennent alors dans un galop encore plus débridé, comme fuyant devant  une épouvante ?
Demi-tour trop tardif, trop lent sans doute. Fatale hésitation. Les givres déjà s’étaient emparés de leur bagage liquide, l'avait solidifié, appesanti et glacé. Et avant de continuer plus au sud, vers les mers lointaines d’où ils étaient venus, pour fuir plus vite et plus certainement, sur la plaine polonaise ils se sont délestés de leur pénible surcharge.
Octobre enluminé  s’est recroquevillé soudain sous ces averses de gel. Au beau milieu de la fête, au plus fort de leurs effets de robe, les arbres ont tremblé et se sont alourdis.
Un arbre, c’est fait pour supporter le poids de ses feuilles et le souffle du vent. Des feuilles, du vent et de la neige épaisse, c‘est bien trop lourd pour leur altière silhouette. Beaucoup se sont penchés alors, résistant encore, ils ont courbé la tête, vaincus par la morsure livide, puis ils ont plié le tronc dans une dernière tentative de survie, et enfin
leurs grands moignons gelés ont effleuré le sol.
De guerre lasse,  des arbres se sont couchés sur la blancheur du monde.

Je les ai entendus.
Et ce sont ces vents fous et cette neige d’automne, inconcevable en plaine et sous nos climats gaulois, me suis-je dit en rassemblant mes bûches,  qui avaient pris dans leurs embuscades mortelles le conquérant ventru au sinistre bicorne…
Affligeante métonymie de nos livres d’histoire !
C’étaient des milliers de pauvres gars en haillons, le pied nu et la faim sur les dents, qui, comme mes arbres d’hier, s’étaient endormis, de guerre lasse aussi, sur l’étendue gelée d’un automne assassiné.

" Dlaczego na drzewach są rude liście?
To wiewórki pomalowały je ogonem puszystym.
"

Hier, c'était pourtant l'été...

 

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12:16 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

12.10.2009

Journal de Pologne - Quelques pages -

Samedi 28 février

2.JPGC’est l’anniversaire de Jagoda. Neuf ans aujourd’hui ! Et comme elle aime à le dire, elle même :
- C’est pas souvent mon vrai anniversaire !
Car elle est née, en fait, un 29 février !
Donc, cadeau, bien sûr, et gros gâteau fait maison. C’est la fête. Et par association d’idée, sans doute, Noël….Jagoda me demande alors si c’est  vrai que le Père-Noël  a une robe rouge à cause de Coca Cola…Je dis que je crois bien que c’est vrai.
Elle en a l’air déçue, attristée, alors elle réplique après un petit moment de réflexion :
- Oui, mais la barbe blanche, ça je crois bien que c’est polonais !
C’est là toute la difficulté des contes : comment, pour en goûter la magie,  se les approprier, se sentir vraiment concerné ?

C’est pour cela que je dis que certainement, la barbe est polonaise…

Dimanche 1er mars
P2150006.JPGL’hiver n’a point l’intention de se retirer sans combattre. Il gèle très fort ce matin sous le bleu du ciel.
Mais il est vrai que le « mars » polonais n’est pas le « mars » des climats océaniques avec leur herbe qui reverdit et ce jaune qui revient partout, jaune des pissenlits le long des routes, jaune des premiers boutons d’or, jaune des forsythias et des jonquilles dans les jardins.
Et le premier vol d’une première hirondelle…
Ici, mars est un mois rude, un mois d’hiver à part entière. Rien ne transpire encore de la végétation. Pas un soupçon. Le sommeil se prolonge sous la morsure continentale.
Alors, ce sera une journée calme à la maison. Un dimanche serein, avec le seul mais immense plaisir de ne pas faire grand chose. Ègrener quelques accords de guitare, feuilleter des livres, goûter au plaisir d’être.
Simplement.


Lundi 2 mars
P1070012.JPGÇa se confirme et ça s’obstine dans la démesure : Moins 12 ce matin. La neige rescapée est une croûte et le dégel qui ruisselait en fin de semaine dernière s’est figé, brisé dans son élan.
Le 2 mars, je pense toujours à la loi de décentralisation de 1982, dont on nous rebattait les oreilles dans la Collectivité où je travaillais en France et qu’il fallait « visée » à chaque petite note, petit compte rendu, petit arrêté, petite délibération, ne serait-ce que pour acheter des crayons…J’exagère, mais bon…À peine.
Une loi de la gauche triomphante, une loi d’envergure, comme l’abolition de la peine de mort, l’éclatement des monopoles radiophoniques, la réduction du temps de travail, la retraite à 60 ans et la cinquième semaine de congés. Autant de choses qui nous paraissent aujourd’hui couler de source et qui, pourtant, ont été d’un long et difficile accouchement. La vieille droite, par la suite, avide de s’emparer de ces pouvoirs régionaux nés du 2 mars et qu’elle n’aurait jamais osé, pourtant,  mettre en place.
La droite restera toujours la droite : des résidus de jacobins sans âme, avec des schémas dans la tête plus vieux que le monde  est vieux.
D. me dit que ces lois de décentralisation ont même fortement inspiré la réforme administrative en Pologne après la chute du mur.
On peut alors dire beaucoup de choses et de mal sur le renard politique que fut Mitterand, sans grand risque de sombrer dans la calomnie partisane. Mais on ne peut pas occulter qu’il fut aussi, dans les premières années de son élection, l’inspirateur de profonds changements.

Je publie un texte sur la crise dite financière que je résume à ceci : … « À force, les banques, comme elles ont acheté de plus en plus de sous, elles n’ont plus eu de vrais sous pour acheter des vrais sous, alors elles ont acheté des sous qui n’existaient pas avec des sous qu’elles n’avaient pas…
… c’est ça, la crise financière. Des trucs qui sont en train de crever pour n’avoir jamais existé.
Comme un gars qui n'aurait jamais mis les pieds sur terre et qui se mettrait en tête de vouloir y revenir ! »

Le monde est vraiment trop con et trop grotesque.
Mais c’est encore un poncif…Même en 2009.
Et c'est usant de le savoir.

16:01 Publié dans Journal de Pologne - 2009 - | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

09.10.2009

Cigogne qui claque du bec !

P9010008.JPG- Dans un couple à longue histoire, quand un, ou une, décide de s’envoler vers de plus vastes horizons, c’est un mort inachevé qui parle. Un ou une qui « ne reconnaît pas  le bien-fondé de son trépas » et exige que soit réintroduite  la poésie dans sa vie.

- On ne devient pas poète. On naît poète. Pas génétiquement bien sûr, ce serait effrayant et idiot.
On naît poète comme le chiendent pousse sur certains sols et pas sur d'autres.
Après seulement intervient l'être et le devenir : On laisse chanter ce poète ou on lui tord le cou.

- Le poète est souvent amoureux de l'impossible. Il n'est guère payé de retour.

- La poésie c'est le monde sans ses fonctionnalités. Autrement dit, les fleurs sans la botanique, l'amour sans la gynécologie et la mélancolie sans la psychologie.

- La poésie n'a pas de rôle en dehors de celui qu'elle s'assigne elle-même. C'est sa lecture qui a un rôle social.
Et il n'y a là-dedans aucune dialectique de la poule et de l'oeuf, tant il arrive souvent qu'on ne lise pas exactement ce qu' écrit la poésie.

- Le poète aime  écrire parce qu'il ne sait guère discuter calmement.
Comme d'autres aiment discuter parce qu'ils ne savent pas écrire calmement.

- Le poète sait trop qu'il n'y a guère que des pigeons n'ayant jamais su voler plus haut que leur perchoir pour croire qu'un seul battement de leurs ailes puisse les projeter jusqu'aux nuages.

P9290012.JPG

- Un ami très proche, un jour aux prises avec les tourments de l'amour resurgi impromptu sous ses pas débonnaires, m'avait ingénument demandé, dans son désarroi, ma conviction du bonheur.
- C'est l'absence de tourments, avais-je assuré.
C'était une réponse de poète et ça ne l'avait pas beaucoup aidé.

- La belle écriture est celle qui a la précision d'une partition, celle qui ne prête pas à la cacophonie des interprétations.
Elle se situe bien au-delà du style.

- Je ne conçois de poésie que subversive.
C'est une lecture de mon parcours. Conception réductrice ?
L'histoire inclinerait en effet à ne me donner que très partiellement raison.

- Le poète qui devient riche ou (et) qui compose avec les douloureuses aberrations sociales n'en cesse pas pour autant d'être un poète.
Qu'il en souffre ou non est du domaine de l'intime et, en dernier ressort, de l'éthique intime.

- La vie d'un poète - dans ce que j'en pressens - est forcément en dents de scie, chaotique, décalée à l'intérieur, voire partout.
Ce qui ne signifie pas que toute vie chaotique soit celle d'un poète. Sans quoi les conditions pitoyables d'existence imposées par le monde n'auraient produit que des poètes.
Ce qui depuis longtemps l'aurait conduit à sa perte.

P9290008.JPG- Je pense la poésie comme étant très accessoirement une écriture et essentiellement un art de vivre sa vie.
Encore une évidence qu'on se refuse à brasser. Bien évidemment.

- L'amour qui ne convoque pas chaque matin une muse à son chevet, sombre dans l'institution.

- Quand les poètes se feront des voyous et les voyous des poètes, l'espoir aura peut-être une chance de changer de camp.
Mais pour avoir fréquenté, voire aimé, les uns et les autres,  je peux prédire que c'est pas demain la veille !

- Le poète n'entend rien aux chefs-d'oeuvre : Il n'est guère que des imbéciles faisant les intellectuels et des intellectuels faisant les imbéciles  pour s'extasier devant un chef-d'oeuvre.


- Mon regard n'a rencontré qu'un seul chef-d'oeuvre de détresse poétique : dans les yeux d'un condamné à mort.

- Un homme qui lit peut se dispenser d'écrire. Fort heureusement.
Mais un homme qui écrit et qui se dispenserait de lire serait comme un muet qui tenterait de s'égosiller.

- Je demande à mon écriture de me ramener chez moi, à mes lectures de me conduire chez les autres.
Mais il arrive souvent que les rôles soient inversés.

- L'éternité est une dimension de la poésie confisquée, dénaturée, désamorcée par les religions et leur dieu totalitaire..
L'éternité, au regard de l'univers, n'admet pas d'être régentée. Admettre Dieu, c'est admettre une fin arbitraire, entendue comme objectif et limite, à l'éternité poétique, au même titre que d'admettre comme souveraine la seule matière connue des hommes comme principe fondamental de l'éphémère.
Pour le poète, Le matérialisme et le déisme sont deux garde-fous complices d'une même tentative de conjuration de l'angoisse de l'impensable.

4.JPG- L’imagination est une autre dimension du réel. Par-delà cette imagination sont les inconnues que j’appellerais volontiers, n'ayant pas d'autres concepts à ma disposition, les abstractions vécues par la poésie.

- Ce que nous appelons le réel n'est que la dimension de nos maigres possibilités.

- Un poète qui aurait toujours raison serait dégoûté, non pas d'avoir toujours raison, mais d'être poète.

- Le poète est sans doute celui qui lit le monde avec le magma qu'il porte en lui. Les mots sont ses lampes de chevet.
Quoiqu'il arrive souvent qu'il lise dans le noir....

- Le fondement de toute idéologie est la poursuite d'objectifs, clairs ou non-dits. La pierre angulaire de toute poésie est de marcher à l'aveuglette.

- Un poète  qui séduit tout le monde ne plaît à personne.

- J'ai vécu certaines années dans un monde salarié et nous ne nous comprenions pas. Spontanément, on m'avait affublé d'un sobriquet. Le poète.
Ça n'était pas méchant, ça n'était pas gratifiant, ça n'était pas gentil non plus.
Je crois que ça voulait dire "l'Autre".

- Un poète qui sait dans quel lit il mourra est déjà mort.

15:33 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

07.10.2009

Quand les loups se dévorent entre eux….

DSCF2282.JPGLa très catholique Pologne se voit prise au piège de ses hypocrisies électoralistes dans l’affaire Polanski.
Le très moral gouvernement Tusk venait en effet d’annoncer une proposition de loi à soumettre à la Diète et visant à faire subir le supplice d’Abélard aux pédophiles, quand la Suisse,  la neutre et  sereine Suisse, se mit en devoir de vendre d’arrêter le grand cinéaste afin qu’il rende des comptes sur une sombre affaire commise aux États-unis, aux relents de pédophilie et datant de plus de trente ans.
L’aversion profonde que m’inspire la pédophilie n’a cependant d’égal que le dégoût que peut provoquer en moi le châtiment proposé,  de surcroît par un gouvernement démocrate du 21ème siècle et lié à l'onctueuse Èglise catholique par un concordat.
L’Amérique vengeresse accuse donc la Pologne d’incohérence profonde, qui s’offusque que son artiste phare soit livré aux griffes de la justice outre-Atlantique….
Quand les loups se dévorent entre eux, disais-je….
Mais bergers et brebis ont depuis longtemps sombré dans un profond sommeil et les loups en viendraient-ils à s’égorger jusqu'au dernier que nul n’en tirerait plus de sérénité et plus d'éthique.

08:22 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

28.09.2009

Zozo, chômeur éperdu

Voilà cinq mois exactement aujourd’hui que Zozo, casse-croûte et nonchalance en bandoulière,  bat le pavé de France et de Navarre, de librairies en librairies et de lecteurs en lecteurs, par quelque temps qu'il fasse.
C'est du moins ce que j'imagine parce que je l'espère.

Un auteur est toujours soucieux du parcours de son livre. Il guette les retours...
9.JPGBeau mot. Ceux qui font de la scène savent l'importance de ces baffles posés sur le devant et qui vous renvoient clairement votre prestation...Quand je faisais ça, ma première question
aux organisateurs avant d'accepter une proposition, était  : "Vous avez une sono complète avec retours ?"
Des fois, c'était "oui, bien sûr ", des fois c'était "non, on n'a pas de ça", des fois c'était carrément " qu'est-ce que c'est ?"

Rien n'est pourtant plus cruel que de parler dans le vide. Sensation glaciale d'être soudain parfaitement inutile et néantisé.
L'auteur, donc, a besoin de retours. Mais là, c'est une autre voix que la sienne qu'il veut entendre.  Quand il y a de l'écho, est-ce le crieur ou le paysage qui parle ? Alors, il glane de-ci, de-là, les lointaines résonances d’un ou d’une qui donne des nouvelles :
- Hé, t’inquiète, j’ai vu passer ton Zozo ! Il va bien !

Curieusement sur internet,   incontournable beffroi de notre activité d'écrivain et où chacun pose le maillon d'un fraternel relais,  ce sont les gens vers lesquels Zozo était venu s’offrir bras ouverts, qui, jusqu’alors du moins, n’en ont pas fait état, alors que beaucoup d’autres qui spontanément étaient allés vers lui, l’ont gratifié d’un bel  hommage. Comme quoi le livre a cela d'humain qu'il doit être désiré plutôt que de s'imposer.
Ces renvois spontanés font bien plaisir. Oui.
Car l’auteur, je le répète, d'autant plus qu'il est un auteur à peine connu et sans être celui qui attend qu’on  lui inonde le nombril de suaves compliments, n’existe bel et bien que par ce que
son écriture suscite d'émotion. C'est là tout l'espoir de son plaisir d'écrire.
Parmi ces spontanés, je veux ici remercier avec chaleur et amitié Solko et Feuilly (relayé par le Magazine des livres), Jean-Louis Kuffer et Sahkti, Philip Seelen et Michèle Pambrun dans leurs divers commentaires…et puis Anthony Dufraisse, pour son  très bel article  du Matricule des Anges.

Il y eut aussi Jean-Luc Terradillos de l’Actualité Poitou-Charentes et sans doute quelques autres que j’oublie et auxquels, humblement, je demande qu'ils m'excusent.
Il y a quelques jours, Stéphane Beau, compagnon de route des Sept mains puis de Tempête dans un encrier,
m’avait fait gentiment parvenir deux exemplaires de l'excellente revue aux destinées de laquelle il préside. C'est avec une grande sincérité de coeur que je vous recommande d'ailleurs la lecture de ce Grognard. On en ressort avec le sentiment d'appartenir à cette diaspora des gens qui savent encore penser autrement.

Dans le numéro de septembre, Stéphane Prat signait un article que je reproduis ici, avec l’aimable autorisation des deux Stéphane :

zozo.jpg«  Le droit à la paresse, Zozo ne le gagne pas, il le prend. Zozo a beaucoup trop à faire pour travailler. Débordé, Zozo, entièrement pris par la vie, et pour une bonne part par la sieste : « (…) chaque jour consciencieusement consacrée, l’été sous la fraîcheur ombragée de ses noyers, l’hiver sous les couettes en plumes d’oie d’un lit douillet. (…) une nécessité régénératrice après le gros déjeuner où Zozo avalait sans coup férir soupe, pâté, rillettes, volaille, lapin ou goret, fromages gâteaux, fruits, arrosé d’un bon litre et demi de pinard tellement rouge qu’on eût dit qu’il était noir… »(p. 8)
Seulement, nous sommes en pleine euphorie gaullienne, début soixante du siècle dernier, et le Progrès pousse à la roue, on va de l’avant dans le Poitou de Zozo, on veut l’eau courante et l’instruction civique. Deux gros chantiers, celui de l’adduction d’eau et de l’école républicaine, que Zozo, s’il n’y coupera pas, devra esquiver coûte que coûte, au moral comme au physique, quitte à s’inoculer lui-même une flemmardite chronique, ou à s’attribuer l’héroïsme du progrès qu’il vomit, pour mieux lui échapper. Non, ce corniaud de maire ne le prendra pas au travail, Zozo a décidément trop à faire : « On était au début février. Un vilain crachin tombait d’un ciel si bas que les cimes des bois disparaissaient dans le brouillard. La campagne se languissait tout le jour dans une morne pénombre mais Zozo, dégoulinant des pieds à la tête, n’en arpentait pas moins les champs et tâchait de tirer des merles qui fuyaient le long des haies. Aucun de ces satanés oiseaux n’était cependant disposé à se laisser abattre. Avec un sifflement furieux, ils déboulaient des buissons en pluie et filaient à tire d’aile en zigzaguant. Malchanceux, Zozo tirait invariablement dans le zig quand le merle était dans le zag et inversement. » (p.16)
Car Zozo a deux amours dévorantes : la chasse (vouant à sa passion une maladresse surréelle) et Pinder, son cochon annuel, perpétuel, qu’il engraisse de discussions et de confidences passionnées avant de lui faire son affaire, invariablement le 2 Novembre, l’équilibre de sa petite famille en dépend. Et les quolibets, les vannes à deux balles que lui valent sa nature lunaire et soliloqueuse, délivrent un fin parfum de consécration, tellement il parvient à s’en moquer comme de Colin Tampon : « Pour un observateur superficiel ou résolument partial, la vie de Zozo évoluait dans une espèce de bohème anarchique, sans repère, au p’tit bonheur la chance.(…) Les années de Zozo cheminaient pourtant selon un ordre bien défini qui, s’il n’était pas réfléchi, n’en était pas moins réglé sur le grand mouvement des choses, en fonction des saisons, les saisons elles-mêmes vécues par rapport aux mois et les mois articulés sur les lunes.(…)Invariablement. » p33.

Et il faut une écriture diablement truculente pour suivre un personnage pareil, passionné des bobards les plus énormes, moins pour leurrer son monde que pour rester lui-même, et continuer à voir, et jouir des cycles entremêlées des gestes, des attentes ou des natures sensibles. Et Bertrand Redonnet a l’art du détail comme des variations célestes, des couleurs, des friches, des traces animales et des sons, et surtout des saisons dans tout ça… Un visionnaire, pour le coup, mais pas dans le sens théoricien ou catastrophiste. Un simple visionnaire, avec l’imprévisible qui va avec. On s’attend à un « Zozo le bienheureux » et on se retrouve avec un drame, on redoute le tragique d’un embrouillamini de clocher et c’est son côté farce qui l’emporte, ou on tombe en pleine intrigue rurale comme au beau milieu d’un tableau ethnographique. C’est le côté indéfinissable de ce livre qui est particulièrement saisissant, et pour tout dire imparable. Avec ce Zozo éperdument terrien, les prémices trop vertes des dévastations humaines du travail de masse à venir, dans l’héroïque sillage des chocs dits pétroliers, sont débusqués dans le regard de gens simples sur un des leurs, rétif à la sueur imbécile, chômeur avant le chômage. Il ne fait que leur opposer la vie, qui n’est pas rose, mais rosse, cocasse et répétitive, à laquelle l’idéologie du travail, en germe dans ce Poitou légendaire, se proposera rien de moins que de tourner le dos, et la saccagera dès qu’il le faudra… Pour le bien de tous, comme de bien entendu, et pour celui d’aucun."

Stéphane Prat

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22.09.2009

Le 22 septembre : Un flamboyant poncif

PA090018.JPG

Septembre lumineux, l’équinoxe qui bascule à pas de loup sur l'autre versant des jours, ces feuilles qui s’accrochent à l’arbre jaune, dont les dernières gouttes de vie flamboient du feu des désespoirs et le vent sous le ciel, déjà frais, déjà haut , déjà bleuté qui le presse d'en finir.
Et tourne la roue d’un automne à l’autre, qui nous broie en silence.
Nous tâtonnons sur des convictions obscures et des chemins incertains.
L’automne, antichambre des frimas et des endormissements, antichambre des nuits qui réduiront le monde à son essentiel.
J’aime l’automne.
Les déclins sont toujours plus pathétiques que les ascensions et atteignent plus sûrement à leurs rivages.

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17.09.2009

Page de journal : Une dégustation

Jeudi 12 mars
P3120016.JPGUn compatriote a élu domicile dans un village situé à une cinquantaine de kilomètres de ma maison.
Nous l’avons appris il y a quelque temps seulement mais, en fait, il est en Pologne depuis plus de dix ans et s’est installé là récemment pour y faire commerce de… vin français !
Je connais son village. Borsuki, littéralement « Le blaireau ». Un charmant village en bois au bord du Bug, avec même une plage de sable fin, pas très loin d’un autre village tout aussi charmant, Gnojno, littéralement « Du fumier
Quand je l’ai rencontré, ce monsieur me confiait qu’il évitait de traduire, auprès de ses amis français, sa localisation exacte, à Blaireau près du Fumier.
On comprend. Promotion de la culture française oblige, D. lui avait proposé  d’organiser une dégustation de ses crus au Centre français.
C’était donc hier soir.

François - c'est son nom - a  débuté par une présentation Power point des différents vignobles de France - autant dire les 3/4 du territoire - ma foi bien illustrée et bien documentée. Dans ce que j’ai pu en saisir : C'est qu'il  parle couramment polonais, lui !
Puis ce fut la dégustation proprement dite et dont j’avais été préalablement désigné le loufiat, affublé d’un tablier de circonstance.
Les Polonais n’apprécient que très modérément le vin. Pas assez fort en degrés, pas le puissant goût d’alcool qu’on retrouve dans la Vodka, boisson nationale. Ils ont donc goûté du bout des lèvres sauf quelques-uns (unes), sans doute plus francophiles et phones que les autres....
Il faut dire aussi que la législation routière est ici très sévère. Il n’y a pas de taux d’alcoolémie autorisé. O. Point. Et, en cas d’alcoolémie,  la répression est très dure, paraît-il…
Je dis « paraît-il » car c’est pour moi un peu du bla-bla, tout ça…Il n’existe en effet aucun contrôle inopiné d’alcoolémie. Jamais. Nulle part. Trop cher, m’a t-on dit. J’ai dû parcourir près de 150 000 Km en Pologne :  Je n’ai jamais été  invité à pousser le moindre petit souffle dans leur engin, même si je me suis fait, en revanche, pincé quatre fois pour excès de vitesse.
Pour être contrôlé au niveau de l’alcool, il faut avoir eu un accident grave ou, s’il n’est pas trop grave, c’est alors la police accourue sur les lieux qui demande gentiment à celui qui semble la victime s’il veut qu’on contrôle celui qui semble responsable ! Je vous le certifie ! Si le premier est sympa et dit non et que le comportement du deuxième semble tout à fait sain, son haleine ne sera pas vérifiée.
Deuxième cas où l’on peut souffler dans le ballon, c’est si l’on faire montre d’une conduite désastreuse, visiblement due à la perte du contrôle de soi-même. C’est bien le moins.
Sans cela, vous pouvez allègrement voyager avec votre petit gramme dans chaque poche. Chose que vous ne pourrez, vous le savez aussi bien que moi,  vous permettre en France où chaque buisson, chaque carrefour, chaque virage, ou chaque rien du tout d’ailleurs, peut dissimuler un guet-apens prêt à s’intéresser aux arômes festives de votre respiration.
Tout ça n’est donc ici que simulation comportementale. Ceci dit, c’est efficace, et je ne réclame nullement que les gens puissent avoir le droit de conduire fin saouls. La voiture est ici un drame, le respect des règles de conduite y est souvent en option et
les routes polonaises comptent parmi les plus dangereuses d’Europe, voire du monde, d’après un rapport comparatif de l’Organisation mondiale de la Santé. Plus de 5500 personnes y périssent par an.

Pour en revenir à notre dégustation, l’ambiance était cependant conviviale et décontractée. Moi, cela va faire quatre ans que je n’ai pas bu une goutte d’alcool. En France, j’en étais pourtant un fervent, trop fervent adepte.
Une vie qui bascule, bascule sur tout. Fait table rase.
C’est ce que je me disais en servant mes petites portions de rouge et de rosé aux convives tout sourire.
Un air de France, quand même, ce François avec ses vins de lointains terroirs, Corbières, Côtes du Layon et autres rosés du Roussillon…Et le parfum du vin reste le parfum du vin.
Dans sa robe aussi, flottent des souvenirs de fête, des rigolades de copains, des agapes raffinées ou alors de honteuses beuveries de Gaulois.

12:26 Publié dans Journal de Pologne - 2009 - | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

15.09.2009

Pages de journal : Mémoire, Maupassant et chanson

Vendredi 13 février
P2170012.JPGC’est chaque matin la même découverte. Vers cinq heures,  je sors avec une lampe à la main et je constate qu’il neige.
Il neige chaque nuit. Une neige qui fond un peu en même temps qu'elle tombe, mais pas assez vite pour que la campagne ne soit pas ensevelie sous une blanche carapace.
Ce matin cependant, ça semble plus sérieux. Il neige vraiment très fort.
J’allume le poêle de la cuisine pour l’eau chaude et je prépare le petit déjeuner. J’aime ces moments. Ce sont, chaque matin, des moments neufs, l’esprit léger… Des moments de renouveau.
Immanquablement, D. me rejoint dès que la cafetière émet ses borborygmes caractéristiques. Moments de partage.
Ce matin nous discutons - je ne sais pas comment cela est venu -  des présidents de la 5ème République française. J’évoque à un moment donné ce niais de Giscard d'Estaing pleurnichant à la télévision parce que Mitterand avait décidé, je ne sais plus en quelle année,  que des soldats allemands défileraient aussi sur les Champs Elysées,
au 14 juillet. Je me souviens de l’image grotesque de cet imbécile avec ses larmes de crocodile, complètement à contre-courant, parfaitement ridicule, benoîtement pitoyable.
Nous en rions, mais….D. me dit, soudain sérieuse, qu'aujourd’hui même, les Polonais ne pourraient pas admettre que les Allemands ou les Russes défilassent dans Varsovie.
J’imagine la scène. Ce serait effectivement toujours incongru. Je me rends compte alors combien l’histoire avance lentement, très lentement dans les têtes. Varsovie, ville martyre, ville brûlée, ville assassinée, dégoulinante de sang, ville de l’infâme ghetto, puis ville sous la botte de Staline.
Je comprends. Je dis que Paris, même occupé, n’a pas vécu une telle tragédie.
Oui, l’histoire va lentement. La Pologne est encore fiévreuse, malade, pas tout à fait remise des coups terribles qu’elle a reçus.
J’aime ce pays. Aucun autre au monde n’a subi ce qu’il a subi. Il n’y a que 64 ans, en fait, et alors qu’il se relevait à peine de cent-vingt-trois ans d’anéantissement. C’était hier, me dis-je, en regardant par la fenêtre le jour qui se lève sur la neige.
Combien de jours comme ça devront-ils se lever encore sur la blancheur du climat, avant que la mémoire ne soit plus une douleur ?

Toute la journée, il a neigé. La couche dépasse maintenant les dix centimètres et la route est très délicate à pratiquer quand nous rentrons à Kopytnik, vers dix-sept heures. Dans la pénombre du crépuscule, les champs, la forêt paraissent bleutés.
¨ Ça ferait plaisir et on trouverait ça joli si c’était décembre. Là, en février, on est déjà dans l’espoir du printemps…¨  me souffle D.
Elle est un peu triste alors je dis ¨ oui.¨ 
Elle oublie parfois que pour moi, avec plus de cinquante piges de racines océaniques, tant de neige, tout le temps, c’est toujours une nouveauté.
Normal. Elle a grandi sous la neige.


Samedi 14

P2150005.JPGBeaucoup de neige,  de la neige lourde et charnue qui fait sous son poids se courber les branchages de la forêt. D. en convient finalement : c’est magnifique.
Bien que nous soyons samedi, nous devons nous rendre à Biała, où nous avons organisé un concours d’orthographe et de grammaire à l’intention des profs de français et des étudiants en philologie romane.
J’ai choisi la dictée. Maupassant, un extrait de ¨ Les nouvelles de la peur et de l’angoisse ¨, récit que je connais très bien.
Maupassant est pour moi le maître, le géant. Je ne connais toujours pas d’auteurs que je puisse lire avec un tel délice, même si j'en lis beaucoup avec grand plaisir. Tous les mots sont justes, toutes les évocations sont justes, toutes les couleurs sonnent juste, le balancement de  la phrase est impeccable, les âmes sont fouillées comme au scalpel du plus habile des chirurgiens, les paysages ont la précision rustique des saisons. Quand je lis Maupassant, je ne suis vraiment plus là. Je m’en vais, je vadrouille sur des chemins en pluie, sur des plaines venteuses, dans de sombres bois, le long de bocages solitaires, emporté par les émotions de mes premières années.
J’en profite, ce soir, pour relire un autre récit de Maupassant ¨ Le loup. ¨ , déniché dans une petite anthologie d’histoires fantastiques où figurent également Edgar Poe, Dickens, Gautier, Andersen et autres.
Je le connais par cœur, ce texte, je l’ai lu plus de vingt fois déjà. Avec toujours le même émerveillement. La bête cherchait à lui fouiller le ventre. Terrible précision du verbe.
Un cadeau qu’il faudra que je me fasse quand je viendrai en France au printemps, ce sera les œuvres complètes dans la Pléiade. Oui, ça j’aimerais beaucoup. En espérant n’avoir pas tout déjà lu, découvrir un récit, une nouvelle obscure à laquelle je n’aurais jamais eu accès.

Il neige encore tout l’après-midi, que je passe à fendre du bois.

Il y a quelque temps une artiste de Varsovie a enregistré une dizaine de titres de Brassens en Polonais. Nous la connaissons aussi nous a t-elle gentiment adressé son disque. C’est propre, c’est juste, c’est très bien arrangé. Pour moi, c'est trop technique cependant.
Mais il faut dire que Brassens orchestré ne me plaît jamais trop. Non pas que je sois un puriste de la pompe brassensienne, mais il y a quelque chose qui ne colle pas avec violon, accordéon, batterie, guitare basse et autres fioritures. Le poème est un peu derrière la musique, ce que ne voulait précisément pas Brassens qui s’évertuait à faire le contraire. ¨ Il faut que ce soit comme au cinéma, disait-il en substance, qu’on entende un peu de musique mais que ça ne gêne pas l’écoute des paroles.¨
C’est aussi pour cela sans doute que Forestier, avec des sons nouveaux, des arpèges nouveaux, des rythmes nouveaux, mais avec une seule guitare, avait, il y a quelques années,  magistralement réussi la reprise de l’œuvre.
Tout cela pour dire que ce soir Jagoda veut que je l’accompagne sur Oncle Archibald, version polonaise. Ce que nous faisons et c’est joli, réussi, drôle même, de voir la gamine chanter Brassens en polonais. Parfois, elle hésite sur la lecture des paroles. C’est dur.
Plus dur qu’en Français, me dit D., parce que la langue polonaise n’est pas une langue très indiquée pour le chant. Pas assez de voyelles, beaucoup de chuintements dus à l’amoncellement des consonnes.
Je trouve remarquable cette réflexion. Je pense à Norman Davies qui écrivait, quoique ayant par ailleurs écrit pas mal d’âneries d’idéologie libérale dans son Histoire de la Pologne, qui écrivait donc que la langue polonaise eût dû être transcrite en cyrillique, un signe pour un son,  plutôt qu’en alphabet latin.
N’empêche que ce soir j’accompagne Jagoda…Ré, sol, La7 et tandis qu’au dehors voltige toujours la neige et que dans la nuit froide se lève le vent, on entend dans ma maison chanter Brassens en d’étranges sonorités :


¨Ech, szarlatani, łotry, kpy,
Możecie sobie łykać łzy…¨ etc.

15:44 Publié dans Journal de Pologne - 2009 - | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

11.09.2009

La Mouche

2.JPGC’est une toile et c’est une allégorie.
Non, ça n’est pas une toile. C’est le minuscule morceau d’une toile posée en travers du  monde et immense comme ce monde.
C’est un morceau de toile où des poètes accordent leur lyre, affûtent leurs pensées, confrontent leur point de vue, disent leur friction au monde, ancien, présent ou à venir.
À ciel ouvert. Comme les chanteurs de rue qui donnent à la ville anonyme un bout de dimension humaine. On est dans une rue parallèle ; il y a une voûte ancienne, des magasins et des gens qui se pressent et qui vaquent à d’obscures et importantes occupations, alors on ne les voit pas encore mais on entend la mélodie - plus ou moins heureuse il faut bien le dire - de leur art.
On sait qu’ils sont là. L’air en devient tout à coup plus joyeux sur la mélancolie résignée des vieilles pierres.
C’est donc un morceau de cette immense toile et les tisserands de ces contrées-là se font des clins d’œil, s’apprécient ou se conspuent les uns les autres, s’invitent ou s’évitent. Car chacun a bien le droit d’aller et de venir sur ce bout de toile, de s’y promener à sa guise et de jeter un œil sur le travail de sa tisseuse d’araignée de voisine. De dire même ce qu’il en ressent.
Conversations de bon aloi et d’artisans tisserands.
Un bruissement d’ailes cependant leur fait lever la tête, aux tisserands. Une mouche au-dessus d’eux papillonne, butine et gambade d’un fil cousu à l’autre, bourdonne que c’est bien là, que c’est  beau ici, que c’est très bien et que c’est très beau plus loin encore, apprécie la finesse du fil et la qualité du point, s’extasie dans une pirouette en l’air et, quoique chaque tisserand ait pourtant une approche fort différente de son art, apprécie tout dans une égale mesure de jubilation.
Car la Mouche est fédératrice. Elle englobe tout dans une seule façon d’englober et partout laisse l’empreinte élogieuse de son passage. D’une gentillesse exquise, elle distribue à chacun accessits et compliments, d’un frémissement joyeux de ses fines pattes de mouche.
Non. D’un frémissement joyeux de ses pattes de fine mouche, plutôt.

Le chanteur de rue qu’on entend mais à côté duquel on passe sans un regard ni un sourire ni un mot, est un homme, ou  une femme, seul. Qu’on s’arrête à lui, qu’on le félicite un instant pour la dextérité et l’harmonie de ses accords, et il sera soudain aux anges. Qu’il reste accroché trop longtemps à ces anges-là et il ne chantera plus, le chanteur. Ou alors faux car à la recherche d’un autre passant complimenteur.
Qui ne viendra pas parce qu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre…
Le tisserand de ce coin de toile, avec ses fils régulièrement jetés à la mer océane, succombera t-il, lui aussi, sous le feu nourri de la Mouche bruissant là, bruissant ici, posée là-bas et qui danse de l’un à l’autre, gratifiant chaque artiste d’un prix d’excellence ?
Finira t-il par y croire le tisserand, qu’il est au sommet de son art ? S’endormira t-il ainsi sur des lauriers dont il n’a même pas encore vu les premières germinations ou s’interrogera t-il enfin sur le bien fondé de cette admiration de l’insecte volage ?
On pense pourtant difficilement librement à l’ombre d’un admirateur tant que, dans les cas extrêmes, c’est l’admirateur qui finit par créer la musique.
Pendant que la Mouche danse, le coche et les chevaux s’éreintent.

Et le tisserand sait-il que l’araignée, parfois, est terrassée par la Mouche qu’elle croyait prendre et pour laquelle elle avait tendu, d’une branche incertaine à l’autre, d’une herbe frivole à l’autre, un canevas de fines dentelles qu’arrosait  le premier rayon d’un soleil humide ?

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09.09.2009

Pages de journal : Lecture et écriture

Pour la simple et bonne raison que ces pages existent, qu'elles jalonnent donc un parcours d'écriture,  je continue de livrer ici quelques bribes d'un journal entamé au 1er janvier 2009 et finalement abandonné.

Dimanche 25 janvier

P2150001.JPGJournée entièrement plongée dans la lecture. Toujours Michelet.
Si ce n’était l’exaltation lyrique parfois débordante et les références un peu trop prégnantes à Dieu, toutes ces pages seraient parfaitement à mon goût.
La lecture en est néanmoins très agréable, édifiante et profondément instructive quant aux détails de la Révolution naissante, hésitant entre la chèvre et le choux, entre la république ou la monarchie à l’anglaise, du moins dans sa première instance politique, l’Assemblée nationale, déjà en profond décalage avec la volonté révolutionnaire de la rue.
Une constante humaine, historique. Jusqu’à ce jour du moins, les révolutions ont toujours spontanément produit une superstructure censée les représenter et pour l’essentiel  infidèle à leurs projets.
Parce que le malaise des tripes remonte
au cérébral et que ce qui était directement vécu d'affrontement au monde devient alors politique.

Plus loin, Michelet affirme sa seule croyance au peuple. Là, dit-il en substance, est le seul bon sens et la seule vérité.
J’attends d’être plus avancé dans son oeuvre pour savoir ce que Michelet entend précisément par ¨" le peuple." Le mot a en effet été utilisé à tant de sauces, pas toutes très ragoûtantes, qu’il ne veut strictement plus rien dire. Sans doute faut-il que je le replace dans son époque, vers 1840.
Mais c’est déjà avec une juste raison que Michelet note, à propos d’un ouvrage sans doute d’inspiration marxiste ¨ Les grandes villes, la classe ouvrière absorbe toute l’attention des auteurs de "l’Histoire parlementaire." Ils oublient une chose essentielle. Cette classe n’était pas née. ¨ Et je note avec délectation cette affirmation : ¨ Le paysan est né de l’élan de la Révolution et de la guerre, de la vente des biens nationaux ; l’ouvrier est né de 1815, de l’élan industriel de la paix. ¨
Il me plaît de rajouter que ce dernier, l'ouvrier, est mort de l’élan postindustriel de la haute finance, enchaîné par le crédit et les idéaux prosaïques.
Michelet affirme par ailleurs que le moteur de la révolte était plus du ressort de la philosophie, celle de Rousseau et de Voltaire en particulier, que de la famine qui terrassait alors les campagnes.
Révérence parler, je pense qu’il écrit là une grosse bêtise. Le ventre précède la philosophie, pas l’inverse. On me rétorquera qu’il n’y avait aucune famine en 1968 ; tout le contraire même, de la surabondance,  et que la colère et la révolte étaient manifestations d’une exigence de vie autre, du point de vue de sa qualité. Une révolte philosophique.
C'est vrai.
Mai 68 n’a cependant, ni démoli de prison d'Etat, ni raccourci De Gaulle de 20 cm.


Mardi 27 janvier
4.JPGCe matin, il neige et c’est plaisir de revoir la fine blancheur des paysages en lieu et place de toute la noire pluviosité des derniers jours. Mais c’est une neige humide et à zéro degré. Je crains fort qu’en cours de journée, elle ne se change en pluie.
On aura sans doute remarqué l’attention, sinon l’importance, que je donne à la météo, sujet qui passe pour des plus futiles chez les imbéciles revenus de tout, surtout ceux qui n’ont jamais mis les pieds où que ce soit. Sujet qui ne les préoccupe, en fait, que pour leurs petites vacances.
Mais pour moi, qui vis en terre étrangère et sous un climat tout autre que celui sous lequel j’ai habité jusqu’alors, qui passe en quelque sorte ma vie en vacances,  une journée, une vie même, c’est aussi et beaucoup le temps qu’il y fait et les paysages ainsi sculptés tout autour. J’y suis très sensible.

Mais je dévoile là un des thèmes développé dans ¨ Géographies ¨  que je viens de terminer.


Mercredi 28 janvier
P2150002.JPG
Depuis que je vis en Pologne, je suis plus fragile de santé, sans être cacochyme quand même. Au moins une fois par an, un coup de fièvre alors qu’en France,  il m’était arrivé d’être dix ans sans le moindre frisson.
C’est parce que tu as vieilli, plaisante D. qui ne veut pas que j’incrimine ses latitudes
Car je mets ça sur le compte du climat, non pas sa froidure glacée de l’hiver et sa chaleur moite de l’été, mais sur les brusques écarts de température. Quand le thermomètre remonte ou descend d’un seul coup, en deux jours, de 20 degrés, forcément, l’effort d’adaptation des organismes doit être immense. D’autant que le phénomène est assez fréquent au cours d’une même année .
Au mois de juin dernier, je m’étais mis à trembler comme feuille sous novembre, incapable de maîtriser ni mes membres ni mes mâchoires. C’était grotesque. J’avais dû m’aliter quelques heures pour me refaire une santé. La température avait chuté de 17 degrés dans la journée, de 24  à 7 degrés !
¨ Choc thermique ¨ avait diagnostiqué sans ambages une femme-médecin du dispensaire. Oui, mais encore ? Ah, un thé, du miel et de la vodka et ça devrait aller …Je ne bois pas d’alcool depuis trois ans et demi…Ah, c’est dommage !
C’était la première fois qu’un médecin déplorait ma sobriété.

Nombreuses tentatives pour prendre en photo les mésanges qui viennent se régaler de mes offrandes,  sous la fenêtre. Un pic s’est invité. Un pic épeiche très élégamment plumé. Il fait la loi. Quand il se met à table, les mésanges attendent à quelques branches de là qu’il daigne laisser quelques miettes.
Je parviens à l’observer de très près mais dès que je soulève un coin de rideau pour y glisser l’objectif, il fuit évidemment à tire-d’aile.
Le jaseur boréal n’est pas venu encore.
Pas de peste à l’horizon, donc. Seulement la grippe.

09:06 Publié dans Journal de Pologne - 2009 - | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

07.09.2009

Tempête dans un encrier

P9010013.JPGVous en souvient-il ?
Non ? Comme c’est dommage ! Mais encore faut-il que je vous dise de quoi il en retourne, tout de même…
Vous en souvient-il - disais-je - des Sept mains, ce blog collectif initié en février 2009 par Marc Villemain et qui sévit gaillardement jusqu’en juin ?
Il n’existe plus, ce blog,  en tant que tel.
Mais nous sommes quelques-uns et unes à avoir fomenté d’en faire renaître, sinon l’exacte réplique, du moins l’esprit de travail d'écriture sur un même espace.
Nous avons donc laissé passer l’été et son cortège de sacro-saintes flemmardises, nous nous sommes concertés et nous sommes tombés d’accord.
Ce sera donc pour lundi prochain, 14 septembre à 8 heures tapantes.
Ça vous laisse alors une semaine pour prévenir vos amis(es), mettre en lien sur votre propre territoire si vous pensez que ça vaut le coup et, surtout, pour réfléchir sur votre éventuelle participation à cette initiative collégiale.
Car vous verrez….
C’est le  dimanche, nous, qu’on invite les gens à venir s’asseoir à notre table..
Déjà des copains, des plumes sûres, finement aiguisées, ont répondu présent à l’invitation qui leur a été lancée…Feuilly, Solko, Marc, Jean-Claude….


Et c’est ici, que ça se passera…

 

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04.09.2009

Koniec Świata

P9010011.JPGÀ force d’être indisposé par des murmures persistants et aussi mu par une curiosité que je qualifierai volontiers de malsaine, j’ai fini par craquer et, aujourd’hui, j’ai perdu ma matinée à rechercher - bien pire, à lire - ce qu’on pouvait bien dire du 21 décembre 2012, date eschatologique de la fin du monde.
Eh bien, à voir et à entendre tous les fous furieux exposer leurs différentes thèses au service d’une même prédiction délirante, on serait tenté de dire : Enfin ! C’est pas trop tôt !
On se surprendrait même à soupirer que le 21 décembre 2012,  bon sang d'bon sang, c’est décidément bien loin encore !
En fait, braves gens, le monde est fini. Consumé. Un monde qui envisage régulièrement sa fin au travers de fantasmes sanguinolents aussi déroutants plutôt que de sourire à son devenir, est déjà bien mort et enterré.
Car le thème est récurrent. C’est en cela seulement qu’il mérite quand même qu’on y jette un coup d’œil, comme on jetterait un coup d'oeil sur une pustule revenant à intervalles réguliers sur le visage d'un quidam.
La peur de l’inéluctabilité de la mort, poussée à son paroxysme, donne des visions et même, on le sent bien finalement, d’affreux désirs. Une mort collective, incendiaire, apocalyptique, ça doit dédouaner de pas mal de choses. On se sent moins seul et désemparé face à la brutalité de l’échéance finale. Disparaître avec la planète dans un  terrifiant feu d’artifice, le ciel bombardé d’astéroïdes incandescents et les entrailles de la terre vomissant des monstres visqueux, c’est quand même plus glorieux que de mourir seul dans son lit comme un vrai con !
Je ne vois que ça dans cette récurrence. Et ça m'évoque -  sur un tout autre registre quoique dans le même climat psychopathe - Hitler se sachant perdu et éructant qu'il fallait que l'Allemagne entière soit engloutie sous les bombes, brûlée et expédiée en enfer !

Poubelle
hétéroclite non soumise au tri sélectif, ce 21 décembre 2012 recèle tout un tas de références : La Bible, Dieu, la Sibylle de la Rome antique, la Pythie du sanctuaire de Delphes, une grosse planète à la dérive, Nostradamus, le calendrier Maya, le champ magnétique de la terre, de la numérologie, les taches sur le soleil, la profession de ma grand-mère...
J’ai tout de même lu une page qui vaut quelque réflexion. Elle est d’un gars qui est mort. C’est sans doute pour ça. De Camille Flammarion et ce qu’il dit de ce dégoûtant fantasme de la fin du monde est assez éloquent, en partant de la fondation même du christianisme et de son fameux Jugement dernier régulièrement annoncé mais toujours remis, et pour cause, aux calendes grecques.

Voilà, c’est à peu près tout ce que je voulais dire de cet affligeant galimatias et c’était aussi pour éviter, en vertu de la gentillesse qui me caractérise,  que vous vous montriez aussi sots que moi et alliez perdre votre temps dans les tunnels de l’obscurantisme le plus accompli.
Une dernière petite chose quand même…..L’expression « s’en foutre comme de l’an 40 », pourrait provenir - entre autres explications - d'une  prophétie selon laquelle le monde devait exploser à la gueule des humains en 1040, prophétie qui avait provoqué la panique, l’épouvante, la terreur, les crimes et les comportements les plus délirants parmi les populations.

Décidément, la mèche apocalyptique doit être bien humide et les artificiers bien incompétents.
Et  de tout ça, on s’en fout finalement comme de l’an 12 !

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03.09.2009

La France : un pays qui cogite

Un mot pour dire comment les bâtards et néanmoins héritiers des fondateurs de la République, construisent le monde à notre barbe impassible.

sark.jpgPolice :
« Brice Hortefeux a annoncé mercredi durant la réunion la création de "cellules anti-cambriolages" et le recrutement de 4.320 policiers et gendarmes "d'ici la fin de l'année".

Education nationale :
« Le budget 2009 prévoit la suppression de 6.000 postes dans le premier degré, dont 3.000 stagiaires qui effectuaient des remplacements et 1.500 enseignants spécialisés dans l'aide aux élèves souffrant de troubles de l'apprentissage. »

Les politiques aiment les chiffres.
Nous, un peu moins. On préfère les mots.
Mais parfois, les chiffres, ceux qu’on n'expose pas sur une même page publique, ceux qui disent clairement l'identité du pouvoir, interpellent des  mots, puis des actes, qui tardent à venir.



Taxe carbone :

«  Pour compenser cette taxe pour les ménages, François Fillon prévoit donc "une diminution de la fiscalité sur le travail soit par l’impôt sur le revenu, soit par une baisse des cotisations sociales". Et pour les entreprises, le nouvel impôt sera compensé par "une suppression de la part de la taxe professionnelle qui porte sur les investissements".

Là, ce sont les mots qui appelleraient des chiffres.
Comprenons bien : Si vous êtes un travailleur, un chômeur, un artiste, un rien du tout, un smicard, un Fançais quidam, un citoyen que la marée trimballe d'un écueil à l'autre, la taxe carbone, espèce d’avatar de cette contradiction tabou entre croissance et santé de la planète, entre croissance et vie , in fine, sera compensée par une légère baisse de ce que vous devez déjà et, peut-être, avez du mal à payer…Bien.
Un impôt gratuit, quoi. Une péréquation du bât qui pèse sur le mulet.
Un onctueux suppositoire.
Avec cet écran de fumée, vous n’y verrez que du feu  !

seg.jpg

En revanche, si vous êtes un réalisateur de profits, à petite ou à grande échelle, là, ça peut payer !
Bienvenue est la taxe car bonne pour vos financements industrieux.
Ce que vous dépensez pour gagner de plus en plus, les investissements, va être réduit d’autant, donc vous allez gagner plus.
C’est pas beau, ça ?
En résumé, les uns sont détaxés sur leur fonctionnement vital, sur leur survie (on libère un peu la narine gauche pour obstruer un peu plus la narine droite) et les autres sur leurs investissements, c'est-à-dire sur ce qui augmente encore leurs chances de survie (on offre aux deux narines un bol d'oxygène).
Sans compter que lesdits i
nvestissements  ne vont certainement pas tous aller dans le sens d'une préservation de l'environnement. Faut pas rêver !

Ça se mord gentiment la queue, tout ça,  et ça se frotte les mains en hauts lieux et les gros députés, laquais sanguins et replets, s'en foutent plein la lampe !

Quant à vous, Gaulois, circulez !  Y’a plus rien à voir sous les cieux celtes !


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Images : Philip Seelen

11:12 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

02.09.2009

Une page de journal

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...Ou l'on s'aperçoit, six mois après, que les sentiments d'une longue lecture, ici celle de Michelet, sont passés par des hauts et des bas...

Samedi 21 février

Je n’avais jamais vu de paysage aussi finement ciselé.
Le mercure est descendu cette nuit à moins quatorze degrés et l’humidité de l’air s’est cristallisée et pendue aux arbres, aux fils électriques, aux nids de cigogne, aux clôtures, aux pans des toits, au moindre objet offrant prise à la morsure du gel.
C’est un givre épais, surabondant, lourd, et le soleil tout falot arrose en même temps les cristaux de la croûte neigeuse au sol et les guirlandes de gel suspendues aux branches. Celles des pins, surtout, plient sous le poids de la glace. Une grande impression de froid silencieux et de sérénité. Du blanc, que du blanc partout et le bleu du ciel au-dessus, comme jaloux d'une splendeur qui chercherait à le supplanter.
Nous partons pour Włodawa et toute cette lumière qui se répand sur toute cette blancheur fait mal aux yeux.

Dans la soirée, Jagoda passe en boucle un disque de Renaud. Je lui demande au bout d’un certain temps si elle peut arrêter ou alors changer de registre. Parce que, quoique aimant beaucoup ce qu’a fait Renaud, ça me fout un peu le cafard. Une impression de rabâchage d’une génération éteinte, d'une génération de vaincus.
D. me demande alors plus amples éclaircissements.

L’effervescence née de mai 68 s’est prolongée jusqu’au début des années 80. L’onde de choc de ce grand raz de marée de la poésie et du désir de vivre autrement a fait naître en France et un peu partout, cet esprit rebelle, critique et désabusé qui a donné tant de choses tout au long des années soixante-dix et, quoiqu’en disent aujourd’hui les salopards au pouvoir, les renégats ou les gens de rien, cet esprit, récupéré par la sphère politique, a fondé toute la superstructure culturelle et intellectuelle d’une époque, parmi laquelle on peut citer les mouvements féministes, l’IVG, la contraception, la dépénalisation de l’adultère, une nouvelle manière de vivre l’amour et l’amitié, une littérature, des répertoires de chansons engagées etc. etc.
Je schématise de façon outrancière car là n’est pas exactement mon propos.

Cette rébellion - dont participe le répertoire de Renaud- est restée profondément créatrice pendant dix ans et plus, avant de s’étioler, de s’épuiser, de décliner lentement jusqu’à son extinction, ne perdurant plus alors à l’état de fantasme que dans la tête de ses plus farouches ennemis. Pour preuve, les discours haineux,  quarante ans après,  de cet ignoble Sarkozy déclarant la guerre à cet esprit, éructant qu’il faut en finir avec ce responsable de toutes les calamités.
Une guerre de retard, le petit étudiant en droit revanchard ! Mais c'est bien comme ça qu'on règne sur les esprits qui se complaisent dans le retard...

J’ai bien conscience d’abréger en quelques lignes ce qui demanderait pour être correctement dit, des pages et des pages plus belles et plus exhaustives.
Mais l’important, ce soir, est de mesurer avec D. le fossé aux profondeurs abyssales qui sépare l’Europe de l’ouest de l’Europe de l’est sur toute cette période de création indignée.
Quand nous défilions dans les rues avec nos drapeaux rouges et noirs, les jeunes Polonais défilaient eux aussi dans leurs rues et se faisaient tabasser, et même pire, pour contestation de ce même drapeau rouge. Quand nos espoirs étaient ceux d’en finir avec le règne absolu de la marchandise,  ceux de l’est appelaient ce règne de tous leurs vœux.
On l’a vu plus tard avec Solidarność. Nous soutenions les rebelles, eux-mêmes soutenus (manipulés ?) par les pires de nos ennemis : Les curés.
Il y a une incompréhension qui perdurera encore longtemps. Nous ne sommes pas sur la même longueur d’ondes, l’histoire ne nous a pas joué la même musique. On se méfie ici, et pour cause,  des révolutions  dites sociales. D. me dit qu‘il faudra une génération ou deux, au moins, avant que ne soit tordu le cou à cet amalgame entre communisme et les régimes qui ont sévi à l’est.
Avant, aussi,  que le libéralisme n’apparaisse tel qu’il est, inique, pernicieux, sans humanité, que je renchéris. Car si la brutalité des dictatures est pour tous directement évidente, la critique d’un système qui donne les apparences de la liberté et de l’abondance est beaucoup plus difficile, plus lente, plus compliquée.
Moins facile de choisir son camp, en quelque sorte. En Pologne, selon moi, la rébellion commencera par le rejet de ce clergé qui fourre son sale nez partout.

Voilà où nous a emmenés Jagoda avec Renaud et ses chansons qui avaient un sens il y a vingt ans.. Elle n’a pas suivi la discussion. Juste un mot quand j’ai parlé de génération de vaincus.
Qu’est-ce que c’est  « vaincu », papa ? Tu as fait la guerre ?
Rires.

Me replongeant dans Michelet, je retrouve, à peu près le même débat « d’idées ».
Il en est à l’opposition entre les Jacobins, intrigants, politiques, et ceux du club des Cordeliers, fougueux, désordonnés et passionnés. Michelet est transparent, trop prévisible. C’est en cela qu’il n’est pas un historien : on le suit à la trace par la seule odeur de son idéologie. Car, alors qu’il n’en a pas encore dit un mot, sa description des Marat, Danton et autres Desmoulins les fait ressembler, bien avant l’heure, à l’extrême gauche et aux anarchistes même.
C'est ce que je pense en lisant et...Bingo !  Dix pages plus loin, c’est sans surprise que je le vois faire un parallèle pourtant audacieux entre Proudhon et Marat.
Les portraits qu'il dresse de Marat, quant à eux,  tournent franchement au délit de « sale gueule ». En fait, Michelet ne s’est jusqu’alors montré enthousiaste que pour les fédérations naïves, royalistes encore, de 1790. Il eût voulu que la Révolution en restât là, on dirait.
Et si, comme il s’apprête à le faire dans les chapitres suivants sans doute,  on peut admettre que la Terreur fut une période noire de notre histoire, une perversion de la Révolution, on peut tout de même lui rétorquer qu’on n’abat pas un régime qui sévit depuis plus de 10 siècles avec des pleurs de joie, des embrassades, des bals populaires et des serments de fraternité éternelle.
J’attends avec impatience de savoir à qui il va attribuer la responsabilité historique de la Terreur.
Si ces égarements m’énervent trop, j’en resterai là de ma lecture à la fin de ce premier volume.

08:10 Publié dans Journal de Pologne - 2009 - | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

31.08.2009

Entre Sète et Montpellier

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Solko revient de Sète et, de cette villégiature ensolleillée, nous ramène quelques réflexions sur sa lecture de Michelet confrontée au spectacle affligeant des gros estivants vautrés dans le sable fin des plages, sur Valéry, sur Brassens, sur les gens qu'il a croisés, à la recherche notamment de la tombe de l'un sur la sépulture de l'autre.
La lecture de ces deux succulents billets me remet en mémoire cette anecdote.

Sur le même ton. Avec le même sourire désabusé.

Un soir de novembre 2001, je jouais Brassens pour une association, « De l’Aunis à l’Oural ». Deux jeunes guitaristes russes, étudiants de l’université de Moscou, participaient au spectacle.
Ils avaient, en première partie si j'ose dire, joué du rock pour le moins peu convaincant, puis, se ravisant avec bonheur, des chants traditionnels russes d'une implacable beauté. Ils avaient une voix superbe.
Je les avais préalablement invités à participer à mon répertoire et je les avais accompagnés sur « Dans l’eau de la claire fontaine. »
Un moment inoubliable.
Si ce n’est avant le concert, au restaurant,  une discussion sur la Tchétchénie, que j’avais eu la maladresse de provoquer, et qui m’avait fait froid dans le dos. Tout musiciens que nous fussions, nous ne voyons pas exactement les choses de la même façon, c’est le moins que l'on puisse dire.
Bref, là n’est pas, aussi grave soit-il, mon propos.

Au cours de ma prestation, j'avais évidemment parlé de Brassens, de son oeuvre, de sa vie, de Sète...

A l’entracte, un  gros gars était alors venu me trouver, un géant, la moustache généreuse retombant en halliers sur des lèvres sanguines. Nous sirotions du vin chaud, accoudés au rustique comptoir d'une buvette approximative installée  au fond de la salle.
Le gars me surpassait d’au moins deux têtes et je devais me tordre le coup et lever la mienne pour n’apercevoir finalement de mon interlocuteur qu’une grosse pomme d’Adam quelque peu velue.
- Ah, c’est bien ! Bravo !  Je voulais vous féliciter…Et de sa main large comme une enclume, il me rudoyait amicalement l’épaule. Mais vous vous êtes trompé, pour Sète, poursuivit-il, goguenard.
- Ah ? C’est possible…
Je revenais justement de Sète où j’avais été invité pour le vingtième anniversaire de la mort du Poète et peut-être avais-je commis une erreur de date ou de lieu.
Le gros gars benêt, là, planté devant moi, avait l’air sûr de son fait et, bien qu’il fût d’aspect débonnaire, ses mensurations étaient de nature à refroidir toute velléité de controverse. J'étais donc tout disposé à convenir de la présence d'une légère entorse dans mes commentaires.
- Oui, déclara t-il,  Brassens était de Montpellier.
J’étais soudain amusé par ce gros bonhomme et sa non moins grosse erreur.
Je lui souris.
- Ah non, Brassens est né et repose à Sète.
-Non, non, j’vous dis. Je suis chauffeur routier. Alors, vous savez, du pays, j’en vois et quand je passe à Montpellier, je m’arrête toujours sur sa tombe. Parce que Brassens, ça fait plus de trente ans que je l'écoute et c'est pour moi... etc…etc.

Je baissai les bras et, in petto,  me  dis que ce Monsieur, dans son rude métier, devait souvent se tromper de route… ou de client.
Voire, dans le privé,  de tombe ou d’enterrement.
C’était avant la vulgarisation du GPS, c’est vrai, mais tout de même...

Et je suis remonté sur scène un peu désabusé. Un peu démotivé aussi

09:49 Publié dans Brassens | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

28.08.2009

Regards

.....choisis d'une jeune stagiaire française sur la Pologne de l'est, en novembre 2008

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Biała Podlaska, la poste

 

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Biała Podlaska


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Tempête sur taxis


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Toute de bois coquette

 

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Petit déjeuner polonais


 

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Village


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La Jérusalem de l'Est, étrange lumière..


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Lublin, le château

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La mémoire en émoi

 

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Lac gelé, déjà...


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Pomału...Pomału..(Doucement...Doucement)


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Pierogi



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Signature éphémère

11:47 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

27.08.2009

Staline n'est pas mort

fuhrer.jpgFolie furieuse des antagonismes historiques, des vieilles rancœurs, de l’esprit de revanche, qui conduisent aux aberrations les plus infâmantes !
Dors donc en paix, vieille Europe travestie en Union : Les ogres, narquois, veillent sur ton sommeil !

Le 1er septembre, sera célébré – ce ne doit pas être le terme exact – le 70ème anniversaire du début de la seconde guerre mondiale, lequel s’était, comme chacun le sait, déroulé en Pologne, suite aux exigences hitlériennes d'un couloir de Dantzig (Gdansk).

Ici, depuis soixante dix ans, les sirènes des villes hurlent au-dessus des toits chaque 1er septembre à midi.
Elles semblent jeter sur le ciel de l'été finissant une longue plainte de la mémoire, qui  se lamente et qui souffre encore à l'évocation d'anciennes blessures.
Aucun pays au monde n’a en effet payé, en termes de destructions, de supplices, de tortures, de crimes et de vies humaines, le tribut qu’a payé  ce pays, coincé entre les griffes des deux plus grands psychopathes de l'histoire des hommes.
Aucun pays au monde ne porte aujourd’hui sur son visage les cicatrices indélébiles du crime le plus horrible de tous les temps, disséminées sur tout son territoire. Les terrifiants barbelés, les miradors et les baraques des camps de la mort.
Des cicatrices que la Pologne garde précieusement visibles afin que les hommes du monde entier sachent, puissent venir se recueillir et n’oublient jamais ce qui fut…Au risque même d’entendre parfois,
proférée par un révisionniste irresponsable,  cette injure criminelle « de camps polonais " pour désigner Majdanek, Auschwitz, Sobibor ou Treblinka.
250px-Mucha_8_Wrzesien_1939_Warszawa.jpgAucun pays n’a été à ce point trahi et étranglé : Voir le pacte infâme  Molotov-Ribbentrop du 23 août 1939, consacré le 17 septembre par le quatrième partage de la Pologne entre les bandits nazis et communistes.
Aucune résistance au monde n’a été à ce point foulée au pied lors de l’insurrection de Varsovie (août 44), insurrection écrasée dans le sang alors que les "libérateurs rouges" attendaient, arme au pied et dans la campagne environnante, que les nazis peaufinent le crime afin qu’ils puissent entrer dans une ville à leur botte, vaincue, écrasée, humiliée.
Imaginez-vous la libération de Paris victorieuse si les colonnes blindées n’eussent pénétrer dans ses murs et eussent attendu, campées sur les rives de l'Essonne, que les affrontements de rue exterminent jusqu’au dernier des combattants parisiens ?
Gloire éternelle aux résistants de Varsovie ! Gloire à la grandeur de leur combat !
Gloire à leur silence et gloire à leur mémoire !


Mais, comme s’en offusquait la chanson de Ferrat « le sang sèche vite en entrant dans l’histoire.» Nous sommes en 2009. L'Europe resplendit de toutes ses magouilles financières et de toutes ses contradictions. La paix des braves règne sur le vieux continent…
La paix ?
Voilà qu’aux approches de cette date-anniversaire du 1er septembre 2009, des milieux influents russes relisent l’histoire à haute voix. À grand renfort de subtilités dont ils ont le secret, ils affirment, de plus en plus péremptoires, que seule la Pologne fut responsable du déclenchement des hostilités qui ont ravagé le monde, notamment en interdissant, en 1938, aux troupes soviétiques
voulant soit-disant se porter au secours de la Tchécoslovaquie honteusement livrée à Hitler par Chamberlain et Daladier, une incursion sur son territoire.
La victime érigée en coupable !
Et que, devant cette autre obstination bête et méchante des Polonais
à ne pas vouloir gentiment céder à Hitler un petit bout de leur pays,
devant cet orgueil enfantin et malsain,  Staline n’a pas eu d’autre solution, pour protéger le peuple russe, que de pactiser avec les Nazis et d’envahir lui-même une moitié de la Pologne.

Constat :  personne, à l'ouest, pour leur enjoindre de fermer leur gueule...

Image : Philip Seelen

Illustration : Caricature polonaise montrant Ribbentrop baisant la main de Staline devant Molotov souriant et applaudissant (Source : Wikipédia)

14:37 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

24.08.2009

Journal mort-né

 

C'est en lisant ce matin Carnets de la Désirade de Jean-Louis Kuffer, que m'est revenu en mémoire ce que j'avais entrepris moi-même au 1er janvier 2009 et que, suite au dégoût qui s'est emparé de moi après les blessures reçues en France fin avril, j'ai abandonné.

Je publie donc un tout début, les trois premières ébauches d'une année qui devait en compter 365 et à qui les pièges douloureux sur lesquels nous trébuchons parfois, ont cruellement tordu le cou.

L'écriture, c'est du sang  chaud et vivant. Si, en amont, le coeur vient à défaillir, le ruisseau coagule.

 

2009,
Journal de Pologne



P3190009.JPGC’est une espèce de défi que j'ai envie de lancer en même temps à l’écriture dans sa connexion à la vie et à la vie dans son rapport à l’écriture : Sont-elles capables de s’aimer au point de se nourrir l’une de l’autre ?
L’entreprise est risquée.
Menée à terme à tout prix, elle risque de sombrer dans l’insignifiance ou l’invention stérile,  une espèce d’onanisme besogneux qui ne fera plaisir à personne. Abandonnée en cours de réalisation, elle peut me persuader qu’écriture et vie quotidienne sont deux pays séparés, dont la seule passerelle de communication serait la sublimation, la transformation, la digestion poétique.
Pour répondre à ce défi, donc, il me faut explorer cette matière chaque jour créée, par choix, nécessité ou hasard, et savoir, à la manière d’un journal, si la vie mérite d’être écrite.
Il ne s’agit évidemment pas de consigner scrupuleusement tous les faits et gestes d’un quotidien. Ce serait impudique, fastidieux à faire et mortellement ennuyeux à lire. Il s’agit d’écrire ce que certains aspects de la vie quotidienne engendrent comme réflexions ou (et) émotions.
Afin de n’être pas tricheur quant au but que je me suis fixé, je m’engage à ne point prendre de notes sur le directement vécu. De n’écrire que le lendemain de chaque jour, c’est-à-dire de laisser la mémoire faire son travail de mémoire et de ne restituer que ce qu’elle a jugé digne d’être retenu de la veille.
L’œuvre ainsi mise en chantier comportera douze chapitres, chacun portant le nom du mois, en polonais et avec son explication.
En effet, pour catholique qu’elle soit, la Pologne n’en a pas moins conservé les jolies appellations païennes de ses mois, chacune, sauf mars et mai, faisant référence aux climats, à la saison et à l’agriculture, bref, au grand mouvement des choses.

Enfin, une triple et ambitieuse motivation devra présider à cette rédaction : Donner, encore plus, le plaisir d’écrire, de vivre, et peut-être, peut-être, d’être lu un jour.
Si tout ça vaut la peine d’être lu.
Car il n’y a pas d’écriture sans projet de lecture, n’en déplaise au grand Montaigne.


1er janvier 2009


STYCZEŃ



Jeudi 1er
3.JPGDepuis plusieurs jours qu’il oscillait entre le zéro et le moins cinq, le mercure ce matin s’est décidé à descendre jusqu’à moins 10. L’année commence donc livide et glacée et la fine couche de neige tombée la nuit de Noël craque maintenant sous les pas.
Nous avons été réveillés par des détonations.
C’est la tradition en Pologne depuis le départ des communistes. A minuit, les habitants interrompent leur réveillon et allument des feux d’artifice, à la ville comme à la campagne, côté jardin comme côté cour.
À Huszcza, au nord, à Tuczna au nord-est, à Stasiόwska et Bokinka Paňska à l’est, le ciel étincelait donc par intermittences rouges, bleues, jaunes et vertes. Dans toutes les autres directions, l’horizon était muet : C’est la forêt comme un rideau, sombre, compacte et silencieuse, étrangère aux festivités du Nouvel An.
J’ai soulevé le rideau et regardé au-dessus d’elle quelques étoiles frigorifiées.
Nous ne fêtons pas la Saint-Sylvestre. Nous ne faisons pas de réveillon de Noël non plus. Nous ne fêtons jamais les diktats du calendrier.
Nous habitons un village près de la frontière biélorusse, Kopytnik. C’est en fait une clairière de la forêt et c’est une solitude choisie qui ne fête que le hasard ou ses dates personnelles.
Nous étions donc couchés à huit heures. J’ai pensé un moment à tous ces réveillons en France. J’y buvais beaucoup de vin et de champagne. Embrassades fraternelles, souhaits, puis…

Dans la journée le thermomètre chute encore sous les rayons blafards du soleil.
J’ai lu quelques pages de l’Histoire de la Révolution française de Michelet. Pas certain que j’aille jusqu’au bout de cet énorme ouvrage. Je retiens déjà qu’il n’y a que deux protagonistes historiques, la Révolution et le Christianisme.
Ce dernier, vainqueur, tient pour l’heure la dragée haute au peuple de Pologne.



Vendredi 2
eee.JPGÇa ne veut plus rigoler, côté températures. Moins 17. Je l’avais pressenti depuis le lit, à l’air plutôt frais de la chambre.
Je m’active donc pour allumer les gros poêles de faïence, des poêles comme au temps de François-Joseph selon la belle comparaison de Stasiuk.
Quand nous les avons fait construire, l’été 2007, par un vieil homme qui en possède encore la science, je n’arrivais pas à me faire une idée de comment ils fonctionneraient.
Ce sont de gros parallélépipèdes en jolies briques, un mètre sur un mètre de base pour deux mètres de haut.
Ils sont des poêles du paradoxe : ils chauffent quand ils sont éteints. L’intérieur est en effet un labyrinthe inextricable de briques réfractaires maçonnées à l’argile, de pierres pêle-mêle, certains mettent même des bouts de verre. Tout cet agencement emmagasine la chaleur qui se dégage d’un foyer situé à la base et qu’on fait vrombir le matin pendant une heure et demi environ, avec des bûches de bouleau et de pin. Puis, lorsque le tout est brûlant, qu’il ne reste plus qu’un fin tapis de braises, on ferme. On étouffe ce qu’il reste d’énergie. Les gros poêles restituent alors lentement la chaleur prisonnière de leurs entrailles.
J’aime ce système ancien de la Pologne de l’est et de Russie. La chaleur est vivante, concrète, personnifiée. Elle sent bon. Je n’ai jamais aimé ces conforts où on ne voit rien de la source qui vous chauffe, comme si elle était tabou, moche. J’aime voir d’où vient le soleil.
Avec ces poêles à l’ancienne, on nous a pris pour les farfelus que nous sommes. C’est un système de pauvres. Le cœur de la Pologne bat maintenant au rythme du confort moderne. Chauffage central au charbon. L’air de Biała Podlaska, ville à 30 Km de ma forêt, sent le soir comme la vieille Angleterre.
Je m’active donc, comme chaque matin très tôt. Bientôt, il fera bon vivre dans toute la maison de bois….



Samedi 3
P3190014.JPGMoins 11. Ça se réchauffe un peu, si je puis dire. Mais le vent s’est levé et la sensation est en fait bien plus terrible que ce qu’indique le thermomètre.
C’est souvent le cas en Pologne. D’ailleurs la météo et les sites internet donnent toujours trois valeurs, la température mini, la température maxi et la température ressentie. J’ai vu des moins 12 sans un pouce de vent plus supportables que des moins quatre avec du vent, surtout soufflant de l’est.
Sur une branche des halliers qui bordent la fenêtre, j’ai accroché une boule de nourriture pour les oiseaux. Pas une mésange, pas un rouge-gorge, pas un bouvreuil, pas même un moineau, pas le moindre passereau n'est venu jusqu'alors y picorer. Ils sont partis, les oiseaux. Je me demande bien où. En ville, dans les granges, sous des climats plus cléments ? Ils font leur exil en sens inverse du mien.

Je reste bloqué ce matin sur une page de mon  manuscrit, Climats. Je n’arrive plus à trouver une liaison décente qui continuerait le texte là où je me suis arrêté. Je relis, je supprime des passages, je refais le texte quelques pages en amont. Je cherche l’intrus. Car je suis certain que lorsqu’un travail d’écriture est coincé, c’est qu’il y a une divagation quelque part, quelque chose qui n’est pas en vous, qui est venu sur la page par tarissement et qui sonne faux. L’écrivain est alors à la recherche du fil qui le reconduirait vers lui-même.
Ou alors, c’est que ce manuscrit est mort-né, qu’il n’a plus rien à dire. Qu’il ne veut pas aller plus loin. Tel un cheval rétif.
Ça ne me met pas forcément de très bonne humeur.

Dans l’après midi, Direction Włodawa, 50 km au sud-est sur la frontière ukrainienne.
La campagne est littéralement statufiée. Nous traversons des bois et des prairies inertes sous le gel, la neige et le ciel gris. Sur un petit lac au milieu des champs, des adolescents ont organisé une partie de hockey sur glace.
Et puis, bravant le blizzard et le froid, je vois des prélats, cotillons sacerdotaux au vent,  venir frapper à plusieurs portes le long des villages en bois. Ils viennent chez le Fidèle pour la traditionnelle visite d’après Noël. Si tu ne vas pas à Lagardère….Discuter, voir comment ça va, boire un thé peut-être et glaner quelques sous pour la paroisse.  Pour moi, ce sont là des images d’un autre temps et qui m'émeuvent. Qui me ramènent à mes premières confrontations avec le monde.
Les hommes de Dieu seront bien accueillis : Les cieux se font apparemment plus prometteurs que le matérialisme historique.
Mais il y a beaucoup plus nature dans le paysage... Sur un labour gelé, au sortir d’une forêt de bouleaux, deux grosses masses sombres et hautes cheminent. D. me montre et je m’arrête. Quelle surprise ! Ce sont deux magnifiques élans, la femelle devant, le mâle et sa ramure majestueuse derrière. Je m’en veux terriblement de n’avoir pas l’appareil photo ! Ils sont superbes, ils vont nonchalamment entre deux tronçons de forêt. Un tableau comme dans un rêve.
D. me dit n’en avoir jamais vu en liberté bien qu’elle sache par des forestiers qu’ils existent bel et bien ici.
Ils se sont immobilisés et me regardent, inquiets.
Je les laisse alors à leur errance glacée. J’emporte avec moi leur image sur la désolation crépusculaire des champs.

Soirée sous la chaleur des grands poêles. Le vent hurle au dehors et secoue les volets. En Pologne, on ne ferme jamais les volets. Le vent vient du sud, très froid. Il a dû au passage lécher le sommet gelé des Carpates.
Je lis Michelet et me remets à mon manuscrit dont j’entame le dernier chapitre consacré au climat polonais. Il semblerait que j’ai déniché les paragraphes qui interdisaient la progression de l’ensemble.
D. lit ¨życie Chopina¨, la vie de Chopin, et me fait de temps à autres part d'un détail de sa lecture.
J’apprends beaucoup. Notamment que Chopin n’aimait pas du tout faire de la scène.
Je fais in petto un  rapprochement tout à fait intempestif avec Brassens.


etc...etc..jusqu'au 29 avril...

07:51 Publié dans Journal de Pologne - 2009 - | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

24.07.2009

Savez-vous qui ?

Vaillant.jpg« C’était un de ses hommes politiques à plusieurs faces, sans convictions, sans grands moyens, sans audace et sans connaissances sérieuses, avocat de province, joli homme de chef-lieu, gardant un équilibre de finaud entre tous les partis extrêmes, sorte de jésuite républicain et de champignon libéral de nature douteuse, comme il en pousse par centaines sur le fumier populaire du suffrage universel.
Son machiavélisme de village le faisait passer pour fort parmi ses collègues, parmi tous les déclassés et les avortés dont on fait des députés...»

Mais qui a bien pu avoir entre les mains une plume assez finement aiguisée pour offrir une vision aussi précise et tellement intemporelle de "la chose politique" ?

Un indice : ça n'est pas lui....


09:48 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

17.07.2009

La langue et ses hasards

P7170005.JPGNous sommes bien sérieux avec la langue : Grammaire,  étymologie,  histoire des tournures, écriture stylisée, figures de style chères aux métalinguistes, etc.
Comme en toponymie, j'aime cependant me permettre de temps à autres des rapprochements intempestifs et des entorses fantaisistes. Faire parler le réel par-delà "l'établi", le ramener à moi seul, à ma propre histoire, au détriment de la vérité pure. Jouer avec le hasard et la tonalité des mots.

Ainsi en va t-il pour le haricot. Le légume. Pas le vert, le blanc, le flageolet, Rognon d'Oise ou autres Pont l'Abbé. Bref, la mojette, celle que Rabelais, par la voix de Panurge, accuse de rendre le carême encore plus déplaisant.

C'était le plat avec un grand P - si j'ose - de mes étés d'adolescent passés dans les fermes aux divers travaux des champs, pour quelques francs à boire sans retenue au bal du samedi soir suivant.
Quand il n'y avait pas de mojettes au menu, il y avait des pommes de terre. Et vice-versa. Ça limitait considérablement les horizons de l'apprentissage du goût.
Par un doux euphémisme allégorique, le paysan nommait en ricanant le précieux légume " les musiciens", en évocation des flatulences, frappées là-bas comme partout ailleurs d'un fort tabou social, qu'il provoque.
- Tu reprends des musiciens, gamin ?

Or il se trouve qu'en polonais, le facétieux féculent se dit fasola.

Carrément une demi-gamme.

Comme quoi les mots, s'ils restent de la conscience parlée, sont parfois,  avec un peu d'imagination, du pur et plaisant hasard. 

11:37 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

16.07.2009

Les figures de style d'un exil

P7050023.JPGChacun a son histoire, plus ou moins maîtrisée, mais qui en tout cas fait qu’il est ce qu’il est, agissant en fonction d’elle, pour elle et en même temps qu’elle. Espace restreint de notre liberté ? Vieille controverse byzantine qui se fourvoie à vouloir éclaircir la part de déterminisme qui serait en nous !
Foin de ces spéculations, surtout si ce déterminisme, c’est d'abord nous.

Mon récent retour en France, au bout de plus de deux ans et demi d’absence, a profondément changé mes émotions de l’exil. Ça n’a plus les mêmes couleurs. Elles sont désormais plus contrastées, se détachant plus nettement les unes des autres dans le paysage intérieur.
Un pays, comme un lieu, comme une ville, comme un village, comme un chemin,  ne vaut dans notre mémoire que par ce qu’on y a vécu. S'inscrivent dans notre cerveau les images, douces ou désastreuses, de ce vécu. On dit pour l’exil, fût-il volontaire,  l’appel des racines, l’atavisme de la terre natale. On est là, il me semble, plus sur le champ de l’idéologie cérébrale que sur celui de l’émotion viscérale.
La culture, les us et coutumes ?  Oui, sans doute. Mais la culture et les habitudes, c’est comme les idées : qui n’en change pas n’en a pas. D’autant qu’un exil aujourd’hui supporte mieux l’éloignement culturel grâce à ce subtil cordon qu’est l’internet. Je vis aux frontières orientales de l’Europe mais je lis, je consulte, j’écris, je communique avec mes signifiants culturels. Il en était certes pas de même pour les exilés du début de la première moitié du siècle dernier et, a fortiori, pour ceux d’avant.
Partir, quelle que soit la distance parcourue, c’est donc boucler une valise pleine de vécu, ne plus rien y ajouter, la reléguer au rang de la mémoire, certains effets sur les étagères de la mémoire neutre, en fichiers morts, en lecture seule, d’autres sur les étagères de la mémoire active et capables de susciter sentiments et émotions. C’est là la vraie mémoire, cet oxymore quantique constitué de passé qui se vit au présent.
C’est cette mémoire là que j’utilisais avant, quand je  regardais le pesant soleil disparaître  par-delà les crêtes de la forêt ou sur l’échine de la plaine, très loin. D’où je venais. Ce point cardinal rougissant réveillait en moi les amis, ce que nous avions fait, dit, ri et espéré ensemble.

Mes nostalgies passagères étaient en fait une métonymie, nommant une partie, l’affectivité particulière, par un tout, le pays natal. La France.
Mais l’histoire est intervenue. Tout ce petit peuple de mon cercle libidinal a été défiguré par les trois ans de mon absence. Quand je les ai revus, j’ai revu les fantômes de ma mémoire, les négatifs de la pellicule, les traces de pas qu’ils avaient imprégnées sur notre bout de route commun.

Mais pas eux. Ils avaient disparu. Passons sur les très peu honorables raisons de cette disparition.
Je leur suis cependant redevable de cet incomparable service rendu de ne plus avoir à les regretter. Quelque chose s’est brisé.  Quand je dis «mon pays» les choses sont désormais nettement plus claires. Il est seul concerné. La métonymie s’est effritée, s’est faite simple comparaison. Pas même l'élégance de la métaphore.

Le soleil disparaît tous les jours aux mêmes endroits pourtant et selon la course des mêmes saisons. L’ouest qui incendie les nuages montre maintenant la direction de rumeurs océanes et de marais. Il est une géographie et ce sont mes propres pensées, mes propres solitudes, mon propre vécu, mon histoire et mon cheminement intérieur que me montre la chute du jour. Rien ni personne d’autre ne m’accompagne dans cette réappropriation de l'orientation.
Je suis redevenu entier face à mes  seules décisions. Libre.
L’exil est parfait quand il n’a plus grand chose à regretter des affections humaines.
La Pologne est ma nouvelle métonymie.

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07.07.2009

Quelques mots à propos de Pierre Michon

Solitude.jpgUn homme qui écrit a t-il la prétention, toujours, d’inscrire son nom dans la pierre ?
Je n’en sais rien en vérité. Je pense parfois que oui. Je crois à ce désir-fantasme, avoué ou inavoué, conscient ou occulte.
Immense travail cependant, travail titanesque de l’anti-deuil de soi-même.
Car facile pour chacun d’entre nous d’inscrire son nom sur une feuille de papier ou sur un écran.  Difficulté énorme à vouloir cependant l'orthographier convenablement dans la pierre : il demande alors l’absolue qualité de la calligraphie et l’inébranlable solidité de chaque lettre.
Elle n'est sans doute pas donnée à tout le monde, cette opiniâtreté poétique du sculpteur quand le propos de l’artiste et la précision de son petit coup de marteau puisent à la source même de sa propre vie. Quand la qualité de la pierre, sa docilité ou sa dureté, est imprégnée du sang qui coule dans les veines de l’artiste.
Une chose est certaine pour ma gouverne personnelle : le doute, immense et despotique. Plus je persiste à écrire et plus je doute. Surtout à la relecture. Quand je prends du recul, que j’ai laissé reposer, que je me fais exclusivement lecteur. Extérieur et me dédoublant.
Mais est-il décemment possible  de descendre de vélo pour se regarder pédaler? Je ne vois alors pas grand chose de l’effort, guère de relief venir s'inscrire dans la pierre. Je n’aperçois en tout cas pas ce contraste précieux qui fait qu’une praxis humaine devient une œuvre.
Plus je lis les autres aussi.  Pas les grandes cathédrales. Celles-ci ont le front altier et vierge de toute érosion. Elles ont la fierté des grands voyageurs, la fiabilité des vieux chênes et la
noblesse enjouée du granit. Elles ont bravé le souffle de bien des tempêtes, essuyé bien des coups de butoir et parfois même – comme Villon – des siècles d’ombres silencieuses.
Elles sont bien plus que des œuvres, elles sont des preuves, car passées sous toutes les fourches caudines, soumises à mille feux brûlants et toujours ressorties victorieuses de leurs cendres.
L’écart abyssal qui les sépare de ma propre écriture me les rend inoffensives.  Un moineau ne partage pas exactement les mêmes portions de ciel que l’aigle. Il vole comme lui, avec la même technique, mais très loin en-dessous.
Le doute, il est chez les contemporains. Chez les artistes qui respirent la même époque que moi. Plus je les lis, plus je les aime (pour certains d’entre eux) et plus je mesure, dans ces moments d’incertitude qui peuvent aller jusqu’au découragement, ma vanité à vouloir écrire. Cette vanité est pourtant constitutive, pour une bonne part,  d’une folle entreprise dont je ne pris pourtant pas l’initiative : Exister.

Quand on doute, ça ne peut être évidemment permanent, sans quoi ça ne serait plus du doute mais, au mieux des jérémiades, au pire de la déprime et il faudrait alors changer radicalement son fusil d’épaule.
Car il arrive qu’on rencontre sur ses chemins de lecture, un homme qui vous fait signe, qui semble parler de ce dont vous parlez. Mieux, certes, mais qui dit des choses que vous portez. Qui manie la gouge et le cisèlement avec une telle ampleur qu’il vous semble que c’est ainsi qu’il faut les manier pour tenter d’inscrire dans la pierre son bref passage.
Je parle  de Pierre Michon.
Je  ne l’avais pas rencontré par les Vies minuscules, mais par La Grande Beune, livre admirable, je n’ai pas d’autres mots pour en parler et, cherchant à en utiliser d’autres, j’abîmerais ce que j’en ai ressenti. Livre tout imprégné d’une douce violence, aucun mot superflu, aucun synonyme qui ne soit à son exacte place, aucune virgule qui ne défaille, aucun adjectif superfétatoire, aucune émotion, aucun sentiment qui ne soit planté dans le cœur du lecteur par un seul trait, à peine ébauché, avec la pudeur et la délicatesse de l’honnête homme. De l’art accompli. De ces livres qu’on garde toujours près de soi, en référence.
Vinrent ensuite les Vies minuscules, dont on a à peu près tout dit de ce qu’elles ont ouvert de nouveaux espaces et d’espoirs à la littérature. Après les Vies, difficile de vouloir en effet s’écrire comme avant. Pierre Michon a pour ainsi dire volé au secours de la littérature et lui a sans doute donné la bouteille d’oxygène qui lui manquait pour continuer son ascension vers les sommets.
A trente-neuf ans et après des années d'un travail solitaire, silencieux et profondément réfléchi. Un chef-d'œuvre ne s'improvise pas.

Je lis actuellement – en autres – le livre qu’Agnès Castiglione lui a consacré dans la Collection Auteurs, chez Culturesfrance éditions.
Dans le document audio qui accompagne l’ouvrage, j’entends l’artiste qui parle des lieux des Vies minuscules, dans la Creuse, lieux qu'il est revenu hanter de son écriture, pour les réhabiter,  tuer ses fantômes peut-être, en les faisant revivre mentalement.
« On fait tous un musée de nos… »
ou encore :
« Je devais en finir avec le deuil… Il fallait que je redouble cette perte et que je m’en affranchisse. »
et
« Quand on ne peut s'en sortir de sa famille, de ses fatas, il faut en faire du Sophocle, les mettre sur un théâtre mythologique.»


j'ai cité de mémoire.
Mais quand c’est exactement ce que l'on tente de faire soi-même, l’entendre d’un homme dont l’oeuvre fait école et traversera sans doute les vicissitudes du temps, ça met plein de choses dans la tête et dans le cœur.
Pas l’espoir de réussir, non. Pas du tout, et ça n’est pas primordial. C'est même dérisoire.

Plus glorieux et plus gai que tout ça, c'est le signe qu’on n’est pas seul et qu’on travaille dans le bon sens à sculpter son morceau de pierre pour - par le subtil agencement des lignes, des courbes et des angles - voir apparaître bientôt son archéologie.
Ce que Pierre Michon appelle "la réhabilitation de nos propres vies".

Entendre ou ré-entendre absolument, ici, Pierre Michon, Jean Echenoz, Jean-Baptiste Harang....

Image : Philip Seelen

13:53 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

02.07.2009

Bulletin météo

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J’insiste.
Lourdement, c’est le cas de le dire : les cieux sont devenus fous furieux….Peut-être ont-ils en cela décidé d’imiter les hommes.
Si Noël n’est pas blanc et ne croule pas sous sa tunique moelleuse,  on dit que les Polonais ont l’impression que la terre s’est arrêtée de tourner.
Là, au solstice d’été à peine dépassé, aux antipodes exacts du réveillon donc,  ils ont l’impression contraire qu’elle tourne trop vite, qu’elle s’est emballée et que la voûte des cieux, essoufflée, qui ne parvient plus à suivre le mouvement, va bientôt se morceler et s’éparpiller sur nos têtes en mille funestes morceaux.
Dès le matin, grand ciel bleu, chafouin quand même, avec quelques nuages blancs qui moutonnent sur l’horizon, comme des soldats planqués en embuscade et qui attendraient le moment opportun pour se lancer à l’assaut d’un terrain laissé à découvert.
La chaleur cependant monte progressivement, les nues aussi, dans un parfait mouvement d’invasion synchronisée. La fin d’après-midi est alors accablante, les cigogneaux sur les nids ouvrent large leur bec, l’air est immobile, toute l’artillerie est en place là-haut, jaune, grise, flamboyante par endroits, noire comme l’encre en d’autres… et soudain, le champ de bataille, ce chaos, se déchire de toutes parts, dans un vacarme épouvantable.
Hier, la foudre est tombée à vingt mètres, pas plus, de ma maison. Ce fut une lueur démente et un claquement monstrueux de fin du monde. Nous avons sursauté et les vitres ont dangereusement tremblé. Grosse grêle et pluies diluviennes. Je n’avais jamais vu autant d’eau tombée en si peu de temps et avec une telle ponctualité. Chaque jour au rendez-vous, à la demi-heure près.
Protégé par la forêt, qu’ils disaient. Le problème c’est que l’orage, une fois franchies les cimes de ce rideau sylvestre, est comme un cheval fou. Prisonnier de la clairière, il y tourne en rond, de plus en plus hystérique, pétaradant, donnant force ruades, la crinière échevelée, affolé et cherchant désespérément l’issue.

Les champs sont bien sûr inondés et si l’on regarde le paysage dans sa  totalité, si on ne fixe pas son attention que sur ces lacs intempestifs, si on embrasse en même temps, les arbres tout feuillus, l’herbe verte et les fleurs, on se demande bien sur quelle saison on est en train de naviguer. On ne sait plus à quel équinoxe se vouer. Dans les sillons creux, entre les pommes de terre, s'écoulent de petits ruisseaux boueux où des hommes ont….pêché des poissons fourvoyés !
Le soleil tout le jour chauffe à blanc cette eau stagnant sur la prairie, qui macère, qui manque d’oxygène et qui pourrit en dessous.
Les moustiques, vindicatifs à souhait, par milliers s’en donnent partout à dard joie et la campagne sent le mauvais marais. Surtout dès le matin, quand l'air est à nouveau d'une fraîcheur délicieuse et que le champ de bataille est purifié, lavé des furieuses effusions de la veille,  fin prêt pour une nouvelle débauche d'affrontements aux lance-flammes et canons gros calibre.

 

Photo : Marek Raczyński

09:35 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

30.06.2009

L'écrivain des hautes terres

JLK chargé de bouquins sur le chemin de la Désirade.jpgIl lit.
Il  lit tout.  De Léautaud à Houellebecq en passant par Dostoïevski, Proust, Simenon, Genêt, Balzac, Flaubert, Sagan, Littell, Tolsto
ï, Aragon, Calet, j’en oublie, qu’on me le pardonne, des kyrielles et des kyrielles. Il me faudrait,  pour être juste, y consacrer trois écrans. Au moins.
Insatiable gourmand, il lit.

Mais il referme bientôt le livre, le repousse doucement sur son bureau encombré, pose ses lunettes sur la quatrième de l'ouvrage, avant de relaxer ses yeux d’une lente mais énergique pression des majeurs.
Il reprend les lunettes. Par la grande baie vitrée, il jette alors un œil reposé sur l’éternité bleutée d’une montagne, contemple un instant la cime des pins accrochés à la pente et qui se dandinent sous un souffle invisible de l’équinoxe, hésite un moment encore et, dans un sourire sans doute, nous tend les bras et s’élance à notre rencontre.
Il nous écrit. Il ne veut pas rester seul, garder par-devers lui tout l’enchantement.
Et nous nous rejoignons. Nous traversons le fil de milliers de pages. Des qu’on a lues nous-mêmes, des qu’on n'a pas lues encore, ou qu’on ne voulait pas lire mais qu’on regrette déjà d’avoir boycottées, comme si, mal renseigné, mal aiguillé,  on avait loupé un autobus, une fête, une occasion de se régaler.
Quand je dis, il lit tout, je ne fais nullement dans le quantitatif d’un ermite studieux, préoccupé d’une névrose papyrophage.
Je dis exactement l’inverse.
Je dis que je viens de lire un artiste brillamment libre.
Et c’est cela qui m’a enchanté jusqu’aux délices dans ma lecture des lectures de Jean-Louis Kuffer, Riches Heures, compilation de textes écrits sur son blog et publiés aujourd’hui - illustration magnifique de la modernité incontournable et double de notre activité d'écrivain - aux Èditions l'Âge d'Homme, Collection Poche Suisse.

Cet homme le dit : l’idéologie m’a toujours serré  aux entournures. Son esprit est donc libre du poids des convictions et du conformisme, celui-ci prétendrait-il appartenir au camp de l’anticonformisme.
Et la liberté suppose le courage. Presque l’aveuglement de la volonté innée.
En 1972, époque triomphante des lendemains qui chantent, époque aux drapeaux noirs et rouges plantés sur les certitudes du basculement prochain vers l’Eden d’une société sans classes – le « s » est peut-être superflu -  Jean-Louis Kuffer, jeune homme à la fleur de l’âge, mais jeune homme déjà émancipé des entraves de l’appartenance, rencontre Lucien Rebatet et l’interviewe à propos de « Les Deux
Ètendards », roman paru en 1952 et écrit «chaînes aux pieds».
Au lendemain de sa visite, Jean-Louis Kuffer publie son entrevue, ce  qui « lui valut pas mal d’insultes, de lettres de lecteurs indignés et même une agression physique dans un café lausannois. Bien fait pour celui qui se targuait d’indépendance d’esprit… »
Oui Jean-Louis, parce que les apôtres de la liberté et autres pourfendeurs des aliénations,  les bons quoi, les Jacobins des clubs,  les Robespierre du vrai, n’aiment pas qu’on fasse usage de la liberté autrement que pour  cirer les pompes de leurs généreux idéaux. Ou généraux idéeux, comme on veut.
Les chiens aboient. Certes. Mais la caravane passe tout de même.
J’ai noté  ce passage de  « Riches Heures » parce qu’il est significatif – autant que peut l’être un passage -  de tout ce qui se dégage de la lecture de Jean-Louis Kuffer. Un esprit clair uniquement préoccupé de littérature et d’esprit, donc de vie, et s’exprimant « par-delà le bien et le mal », par-delà l’ombre, fût-elle rafraîchissante et prometteuse, des chapelles.

Et puis, ceux ou celles qui me lisent ici, comme ceux ou celles qui connaissent Chez Bonclou ou Zozo, savent l’importance constitutive des paysages, des horizons, des saisons, des intempéries et des bois et des forêts et des chemins de traverse, sur mon écriture.
En filigrane, par de brèves et précises annotations, j’ai retrouvé cette fibre qui m’est chère chez Jean-Louis Kuffer.
Quand il a posé son livre, défatigué ses yeux, remis ses lunettes, Jean-Louis Kuffer regarde son pays des grands plissements chaotiques. Par ce regard à peine évoqué, il aime profondément sa terre, la terre, et la vie, sa vie, qui s’accroche aux arbres, ses arbres, du parcours, son parcours, de ce côté-ci de l’écorce terrestre :

« Peu importe - dit-il - que je ressuscite avant ou après la mort. Ce qui compte est que le présent que je vis annule la mort. »
Comment ne pas entendre dans cette voix, la voix lointaine d’un frère, l’appel de la forêt des vivants, pour qui tire sur sa chaîne et regarde plus loin que semble porter le regard humain ?

Ceux qui penseraient alors, jaloux, mauvaises langues ou aigris, ou tout ça à la fois, que Redonnet écrit sur le livre de Jean-Louis Kuffer pour renvoyer l’ascenseur, Jean-Louis Kuffer ayant lui-même gratifié son récit «Zozo» d’un très bel article, ceux-là  auront beau tendre l’oreille.
Jamais ils n’entendront cette voix-là.
Ils auront beau insister encore, aplatir leur corps, plaquer un tympan obstiné contre terre, ils n’entendront pas celle-ci non plus :

« Bien plus que la différence, dont on nous rebat les oreilles et qui signifie peu de choses à mes yeux, c’est la ressemblance qui m’importe en cela qu’elle surmonte les particularismes raciaux, sociaux ou sexuels au bénéfice de valeurs plus fondamentales. »

La plume des hautes terres. Oui. Et d’un humanisme plus élevé encore. Jusqu'aux tourbillons de l'espérance.


Jean-Louis KUFFER - Riches Heures (Blog-Notes 2005-2008) - Èditions l'Âge d'Homme - Collection Poche Suisse - Avril 2009 - 276 pages - Illustration couverture : Philip Seelen

Image ci-dessus : Philip Seelen itou

12:33 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

26.06.2009

Frayeur ancestrale

brule.jpgLes Polonais disent  : duszno !
Moi, ça ne me dit rien, ce duszno …Quand je dis rien, je veux dire rien qui vaille.
Parce que, quand ils disent duszno, c’est en s’épongeant le front perlé de sueur, le cheveu humide rassemblé par mèches, le visage qui luit et en soufflant.
Duszno. Il fait lourd.
Doux euphémisme.  En fait, il fait étouffant.

Hier, le ciel de Varsovie, de la belle et rose Varsovie, bleu, très bleu dès le matin, s’est laissé peu à peu nier par une espèce de couvercle qui aurait été posé à l’envers, un couvercle blanc et gris, de ces couvercles qui, au lieu de tamiser la lumière, se font abat-jour, la multiplient, violente et inquiètante. Jaune glauque, jaune reptile. Et plus le couvercle se referme, plus la marmite en-dessous est en ébullition, 26 degrés, 28, 30 et 31…
Bardzo duszno, très lourd.  Accablant, tranchons le mot !

Alors que je regagnais ma clairière en milieu d'après-midi, le couvercle s'est carrément laissé choir sur le monde. Comme s'il n'en pouvait plus d'être un couvercle en suspension dans les airs. Dix-huit heures et la nuit noire. Une nuit soudain déchirée par les zébrures hallucinantes d’une énergie monstrueuse, une cocotte minute qui explose, fracas démentiel avec des vitres qui tremblent,  des pluies comme des rideaux et qui inondent les routes, les cours, les fossés, un vent qui se tord de douleur,  qui vient de partout à la fois et qui brise les arbres, met à terre les réseaux électriques, se propose d’enlever bientôt le toit des maisons.
Plus de trois heures d’une furie d’encre. Une éternité.

L’orage. Divinité furibonde des cieux surchauffés.
Je n’aime pas l’orage. Ma mère m’a transmis ses épouvantes.
Elle nous emmenait en courant, comme sous un bombardement où chaque enjambée aurait  bien pu être la dernière, chez les voisins. Maintes fois, nous avons fui en un exode désemparé et sous les salves d'un ciel en délire.

Parce que chez les voisins, dans une maison qui n’est pas la vôtre, on n’a pas peur. On écoute à peine les furies du lointain dehors, qui se font quasiment dérisoires.
J’en conclus ce matin, le calme revenu, la campagne ruisselante encore des mille blessures infligées, les branches au sol comme des membres arrachés à la dignité des arbres, les foins coupés baignant dans des mares impromptues, que ce n'est pas pour mais de sa propre vie dont on a peur, sous l’orage.
Peur profonde, atavique, du destin qui frappe et détruit l'embarcation du voyageur solitaire. Peur d'une petitesse sous le feu nourri d'une adversité gigantesque.
Comme si, chez les autres, déjoué par l'haleine tribale, ce même destin ne pouvait, en aucune façon, se montrer cruel et fatal.
Comme si, aussi, ces "autres" étaient forcément à l'abri d'une malédiction dont on serait, isolément et en expiation de je ne sais quel crime, l'élu.


Image : Philip Seelen

16:57 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

24.06.2009

Le ciel finira bien par nous tomber sur la tête

DSCF2282.JPGLa voûte céleste de la Pologne orientale est comme un miroir de son histoire : tumultueuse.
C’est un champ de bataille où toutes les influences se donnent rendez-vous pour en découdre et tâcher d’imposer chacune son hégémonie. Et comme elles sont vindicatives et de puissance égale, qu’une arrive avant que l’autre n’ait eu le temps de déguerpir, la guerre n’en finit pas. Il y a bien des armistices, certes, mais jamais de traité de paix : l’horizon est toujours incertain.
Ça vient du Nord, de la Baltique, et c’est humide et froid avec du vent qui fait se balancer dans un brouillard les cimes de la forêt. Ça vient du Sud et c’est chaud, mais alors étouffant, pesant, inconfortable, d’énormes nuages noirs lézardés de gris, un ciel lépreux et des orages d’une fureur explosive.
Si c’est l’Est qui l’emporte en hiver, c’est de la glace, de la neige, du mercure déprimé laissant très loin derrière lui le fatidique point zéro. Des hurlements transis. Les Polonais eux-mêmes plaisantent par analogie avec leur histoire : un cadeau des Russes, rigolent-ils. En été, l’Est donnera une chaleur à peu près sereine, un semblant de stabilité. Les Polonais ne parleront  plus dès lors de cadeau des Russes, ils ne diront rien, sauf si ça dure trop longtemps, que ce satané anticyclone de Sibérie provoque la sécheresse et qu’on entend le souffle d’une brise chahuter la maturité trop précoce des blés et des seigles.
Si c’est l’Ouest, c’est n’importe quoi, comme on peut s’en douter. C’est tout à la fois, ça dépend si la masse d’air, pressée, a filé directement de l’océan jusqu’à nous, ou si elle a musardé sur l’Espagne et l’Italie, ou, empruntant la voie du Nord, sur le Danemark et la Suède,  sur n’importe où, ramassant au passage les débris d’autres humeurs climatiques. L’Ouest, c’est la pagaille des indécisions et des atermoiements, le double langage. Ça peut être chaud, mouillé, neigeux, très neigeux même,  ou rien. Que du vent avec du gris et du bleu qui luttent pour imposer de là-haut sa couleur au jour.

Je ne suis pas en train, en dépit des apparences, de vous faire un bulletin météo ou de vous dresser une carte climatique, sujets futiles, ô combien !
Je suis néanmoins convaincu, à tort ou à raison - mais pour moi à raison, puisque j’en suis convaincu - que le temps qu’il fait sur nos têtes (sans clin d’œil facile à mon récent éditeur) est, sinon déterminant, du moins participe pour une bonne part à notre sensibilité, à la qualité de notre humeur, à notre goût de faire ou de ne pas faire. Les climats sont aussi climats intérieurs, ils sont littérature. Ils font partie de nos choix esthétiques et de notre façon de vivre les poésies du monde. Sculpteurs des paysages, ils plantent le décor interactif de nos émotions, de notre réflexion, de nos rêveries des  "maintenant" , des "ailleurs" et des "autrement".  Car nous sommes, jusqu’à plus ample mutation, des êtres essentiellement aérobies ; L’air nous est primordial, constitutif même. Un poisson n’est-il pas différent selon qu’il évolue en eaux douces ou saumâtres,  tropicales ou sous la banquise ?
Il y a un certain pédantisme à vouloir faire fi de la météorologie, le même qui s'évertue à détester le football ou à affirmer qu'on a lu tout Proust. La météorologie n'est que la manière, caractérielle ou sereine selon les latitudes, dont le climat – c’est-à-dire le bocal dans lequel nous tournoyons – aborde le quotidien.
Les pédants résument la météo à leurs congés payés. C’est une autre vision. J’en suis resté, moi,  loin devant : à la météo du laboureur, au Gaulois qui craint que tout ça ne s'écroule un beau jour sur sa tête.

Mais le climat change. On nous en rebat assez les oreilles ! Tellement qu'on finirait par en douter si nous n'avions autour de nous les visages de nos paysages.
Ce mois de juin 2009 Polonais, par exemple, est d’une exceptionnelle morosité. La lumière ne brille que par une désastreuse absence. Pluies, vents, orages, températures tantôt très basses, tantôt très hautes…  La délicate et tendre  camomille a pourri sur pied, les foins sont avariés, perdus. Rien à voir, me dit-on, avec les mois de juin d’antan. Même les hivers, que je trouve pour ma part d’une rigueur légendaire parce que mes fondements ont été creusés sous une autre latitude, sont plus doux, moins neigeux. J’en viendrais presque à m’essuyer le front et à remercier in petto l’effet de serre.
Le climat change, donc, et tout le monde est d'accord. Les points d’achoppement sont d’ordre idéologique : sur les causes. Cycle normal de la boule bleue, bribes de ses conversations avec l’univers, son environnement à elle, et qui nous échapperaient,  ou sales pattes des activités humaines déréglant la machine ronde ?
On voit fleurir depuis vingt ans les grandes réunions, les grandes déclarations  de principe, les ministères à la noix de coco et…jamais de décision. Et pour cause : la seule décision qui vaudrait – si l’homme est responsable de la détérioration de ses conditions de respiration  - serait de mettre fin immédiatement  à toute activité industrielle et de profit.
Ce qui reviendrait, comme dit par ailleurs, à demander à homo sapiens de retourner à la case homo erectus.
Les politiques, de gauche imités par ceux de droite, à moins que ça ne soit l’inverse mais c'est bonnet blanc et blanc bonnet, et même le minuscule prince de la seconde restauration, orléaniste du libéralisme sauvage, sont devenus des développeurs durables convaincus, malheureusement orthographiés en un seul mot...

PB020002.JPGAh, le développement durable ! Cette idéologie conceptuelle et consensuelle qui ménage tellement la chèvre et le choux qu'elle finira bien par asphyxier la bête en laissant pourrir le légume. Le développement durable, ingénieux avatar de l'âne de Buridan !
Quand, dans le début des années soixante-dix, on leur disait que leur vision de la vie des hommes était incompatible avec la santé de la planète, leurs flics nous fichaient anarchistes et nous bouclaient dans des cellules.
Intelligences à puissance de torche : à peine capables d’éclairer plus loin que les doigts de pieds !
Ne nous étonnons pas dès lors, si, suivant d’aussi lumineux timoniers, nous pataugeons le plus souvent dans la gadoue.

14:18 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET