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15.09.2009

Pages de journal : Mémoire, Maupassant et chanson

Vendredi 13 février
P2170012.JPGC’est chaque matin la même découverte. Vers cinq heures,  je sors avec une lampe à la main et je constate qu’il neige.
Il neige chaque nuit. Une neige qui fond un peu en même temps qu'elle tombe, mais pas assez vite pour que la campagne ne soit pas ensevelie sous une blanche carapace.
Ce matin cependant, ça semble plus sérieux. Il neige vraiment très fort.
J’allume le poêle de la cuisine pour l’eau chaude et je prépare le petit déjeuner. J’aime ces moments. Ce sont, chaque matin, des moments neufs, l’esprit léger… Des moments de renouveau.
Immanquablement, D. me rejoint dès que la cafetière émet ses borborygmes caractéristiques. Moments de partage.
Ce matin nous discutons - je ne sais pas comment cela est venu -  des présidents de la 5ème République française. J’évoque à un moment donné ce niais de Giscard d'Estaing pleurnichant à la télévision parce que Mitterand avait décidé, je ne sais plus en quelle année,  que des soldats allemands défileraient aussi sur les Champs Elysées,
au 14 juillet. Je me souviens de l’image grotesque de cet imbécile avec ses larmes de crocodile, complètement à contre-courant, parfaitement ridicule, benoîtement pitoyable.
Nous en rions, mais….D. me dit, soudain sérieuse, qu'aujourd’hui même, les Polonais ne pourraient pas admettre que les Allemands ou les Russes défilassent dans Varsovie.
J’imagine la scène. Ce serait effectivement toujours incongru. Je me rends compte alors combien l’histoire avance lentement, très lentement dans les têtes. Varsovie, ville martyre, ville brûlée, ville assassinée, dégoulinante de sang, ville de l’infâme ghetto, puis ville sous la botte de Staline.
Je comprends. Je dis que Paris, même occupé, n’a pas vécu une telle tragédie.
Oui, l’histoire va lentement. La Pologne est encore fiévreuse, malade, pas tout à fait remise des coups terribles qu’elle a reçus.
J’aime ce pays. Aucun autre au monde n’a subi ce qu’il a subi. Il n’y a que 64 ans, en fait, et alors qu’il se relevait à peine de cent-vingt-trois ans d’anéantissement. C’était hier, me dis-je, en regardant par la fenêtre le jour qui se lève sur la neige.
Combien de jours comme ça devront-ils se lever encore sur la blancheur du climat, avant que la mémoire ne soit plus une douleur ?

Toute la journée, il a neigé. La couche dépasse maintenant les dix centimètres et la route est très délicate à pratiquer quand nous rentrons à Kopytnik, vers dix-sept heures. Dans la pénombre du crépuscule, les champs, la forêt paraissent bleutés.
¨ Ça ferait plaisir et on trouverait ça joli si c’était décembre. Là, en février, on est déjà dans l’espoir du printemps…¨  me souffle D.
Elle est un peu triste alors je dis ¨ oui.¨ 
Elle oublie parfois que pour moi, avec plus de cinquante piges de racines océaniques, tant de neige, tout le temps, c’est toujours une nouveauté.
Normal. Elle a grandi sous la neige.


Samedi 14

P2150005.JPGBeaucoup de neige,  de la neige lourde et charnue qui fait sous son poids se courber les branchages de la forêt. D. en convient finalement : c’est magnifique.
Bien que nous soyons samedi, nous devons nous rendre à Biała, où nous avons organisé un concours d’orthographe et de grammaire à l’intention des profs de français et des étudiants en philologie romane.
J’ai choisi la dictée. Maupassant, un extrait de ¨ Les nouvelles de la peur et de l’angoisse ¨, récit que je connais très bien.
Maupassant est pour moi le maître, le géant. Je ne connais toujours pas d’auteurs que je puisse lire avec un tel délice, même si j'en lis beaucoup avec grand plaisir. Tous les mots sont justes, toutes les évocations sont justes, toutes les couleurs sonnent juste, le balancement de  la phrase est impeccable, les âmes sont fouillées comme au scalpel du plus habile des chirurgiens, les paysages ont la précision rustique des saisons. Quand je lis Maupassant, je ne suis vraiment plus là. Je m’en vais, je vadrouille sur des chemins en pluie, sur des plaines venteuses, dans de sombres bois, le long de bocages solitaires, emporté par les émotions de mes premières années.
J’en profite, ce soir, pour relire un autre récit de Maupassant ¨ Le loup. ¨ , déniché dans une petite anthologie d’histoires fantastiques où figurent également Edgar Poe, Dickens, Gautier, Andersen et autres.
Je le connais par cœur, ce texte, je l’ai lu plus de vingt fois déjà. Avec toujours le même émerveillement. La bête cherchait à lui fouiller le ventre. Terrible précision du verbe.
Un cadeau qu’il faudra que je me fasse quand je viendrai en France au printemps, ce sera les œuvres complètes dans la Pléiade. Oui, ça j’aimerais beaucoup. En espérant n’avoir pas tout déjà lu, découvrir un récit, une nouvelle obscure à laquelle je n’aurais jamais eu accès.

Il neige encore tout l’après-midi, que je passe à fendre du bois.

Il y a quelque temps une artiste de Varsovie a enregistré une dizaine de titres de Brassens en Polonais. Nous la connaissons aussi nous a t-elle gentiment adressé son disque. C’est propre, c’est juste, c’est très bien arrangé. Pour moi, c'est trop technique cependant.
Mais il faut dire que Brassens orchestré ne me plaît jamais trop. Non pas que je sois un puriste de la pompe brassensienne, mais il y a quelque chose qui ne colle pas avec violon, accordéon, batterie, guitare basse et autres fioritures. Le poème est un peu derrière la musique, ce que ne voulait précisément pas Brassens qui s’évertuait à faire le contraire. ¨ Il faut que ce soit comme au cinéma, disait-il en substance, qu’on entende un peu de musique mais que ça ne gêne pas l’écoute des paroles.¨
C’est aussi pour cela sans doute que Forestier, avec des sons nouveaux, des arpèges nouveaux, des rythmes nouveaux, mais avec une seule guitare, avait, il y a quelques années,  magistralement réussi la reprise de l’œuvre.
Tout cela pour dire que ce soir Jagoda veut que je l’accompagne sur Oncle Archibald, version polonaise. Ce que nous faisons et c’est joli, réussi, drôle même, de voir la gamine chanter Brassens en polonais. Parfois, elle hésite sur la lecture des paroles. C’est dur.
Plus dur qu’en Français, me dit D., parce que la langue polonaise n’est pas une langue très indiquée pour le chant. Pas assez de voyelles, beaucoup de chuintements dus à l’amoncellement des consonnes.
Je trouve remarquable cette réflexion. Je pense à Norman Davies qui écrivait, quoique ayant par ailleurs écrit pas mal d’âneries d’idéologie libérale dans son Histoire de la Pologne, qui écrivait donc que la langue polonaise eût dû être transcrite en cyrillique, un signe pour un son,  plutôt qu’en alphabet latin.
N’empêche que ce soir j’accompagne Jagoda…Ré, sol, La7 et tandis qu’au dehors voltige toujours la neige et que dans la nuit froide se lève le vent, on entend dans ma maison chanter Brassens en d’étranges sonorités :


¨Ech, szarlatani, łotry, kpy,
Możecie sobie łykać łzy…¨ etc.

15:44 Publié dans Journal de Pologne - 2009 - | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

"Combien de jours comme ça devront-ils se lever encore sur la blancheur du climat, avant que la mémoire ne soit plus une douleur ?"

Jusqu'à ce qu'ils soient morts!

L'Histoire a besoin de temps pour atténuer la mémoire collective et n'en laisser qu'une trace.

Vos photos, vos écrits réveillent beaucoup de souvenirs en moi: je revois les arbres devant la maison, les champs, les vignes sous la neige durant l'hiver 2004/2005 et je serais comme vous, une enfant d'un climat océanique toujours émerveillée par la nature sous la neige.

adichats

Écrit par : La Zélie | 16.09.2009

Savez-vous que vous me donnez envie de lire Maupassant?

Je crois que dans mon "épicerie municipale" je trouverais des livres de cet auteur.

Écrit par : La Zélie | 16.09.2009

Ah, La Zélie, je vous encourage, que dis-je, je vous exhorte, à lire ou relire Maupassant.

Tenez, faites-moi une promesse : Courez acheter "Boule de suif" et on en reparle !
Amicalemnt

Écrit par : Bertrand | 17.09.2009

Bonjour,

Lisez Maupassant ! Ecrivain universel et toujours d'actualité. Un très beau site d'une passionnée pour vous plonger dans cet auteur : http://www.maupassantiana.fr

RH

Écrit par : RH | 10.10.2009

Je viens d'explorer le site mis en lien par RH. Et de découvrir l'édition électronique des contes de Maupassant (1488 p) dans les formats PDF, Word, RTF, ou HTML, établie par John Robin Allen de l'université du Manitoba au Canada et Noëlle Benhamou, professeur de lettres à Paris III-Sorbonne Nouvelle et webmaster du site Maupassantiana. Pour "fournir aux lecteurs des textes élégants et dans un format agréable à lire, et permettre aux chercheurs d'analyser les textes avec des logiciels informatiques."
Tu ne pouvais, Bertrand, recevoir plus beau lien. Et nous avons le bonheur d'en profiter. Je vais le signaler à tous les professeurs de lettres que je connais (hors la blogosphère).

Écrit par : Michèle | 11.10.2009

Pour RH, pour moi-même qui l'avais oublié, je rappelle que dans les livres que tu recommandes chez Publie.net, il y a 700 pages de Maupassant et sur Tiers livre, "Maupassant blog vivant" où François Bon explique pourquoi cette mise en ligne lui paraît essentielle. François Bon qui souhaite une édition numérique chronologique intégrale des écrits de Maupassant ; François Bon qui regrette l'absence de tout le non-narratif dans les tomes Pléiade (même si une partie figure dans les tomes Contes et nouvelles).
J'ai vu du non-narratif regroupé dans un volume in-quarto. Je vais aller regarder de près.
Je tente le lien de "Maupassant blog vivant"
http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article1174

Écrit par : Michèle | 12.10.2009

Merci RH de faire partager cette passion pour Maupassant..Et merci Michèle de ces liens et de ces rappels pour François.
Bien sûr que je vais minutieusement explorer tout ça.
Cordialement

Écrit par : Bertrand | 13.10.2009

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