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02.09.2009

Une page de journal

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...Ou l'on s'aperçoit, six mois après, que les sentiments d'une longue lecture, ici celle de Michelet, sont passés par des hauts et des bas...

Samedi 21 février

Je n’avais jamais vu de paysage aussi finement ciselé.
Le mercure est descendu cette nuit à moins quatorze degrés et l’humidité de l’air s’est cristallisée et pendue aux arbres, aux fils électriques, aux nids de cigogne, aux clôtures, aux pans des toits, au moindre objet offrant prise à la morsure du gel.
C’est un givre épais, surabondant, lourd, et le soleil tout falot arrose en même temps les cristaux de la croûte neigeuse au sol et les guirlandes de gel suspendues aux branches. Celles des pins, surtout, plient sous le poids de la glace. Une grande impression de froid silencieux et de sérénité. Du blanc, que du blanc partout et le bleu du ciel au-dessus, comme jaloux d'une splendeur qui chercherait à le supplanter.
Nous partons pour Włodawa et toute cette lumière qui se répand sur toute cette blancheur fait mal aux yeux.

Dans la soirée, Jagoda passe en boucle un disque de Renaud. Je lui demande au bout d’un certain temps si elle peut arrêter ou alors changer de registre. Parce que, quoique aimant beaucoup ce qu’a fait Renaud, ça me fout un peu le cafard. Une impression de rabâchage d’une génération éteinte, d'une génération de vaincus.
D. me demande alors plus amples éclaircissements.

L’effervescence née de mai 68 s’est prolongée jusqu’au début des années 80. L’onde de choc de ce grand raz de marée de la poésie et du désir de vivre autrement a fait naître en France et un peu partout, cet esprit rebelle, critique et désabusé qui a donné tant de choses tout au long des années soixante-dix et, quoiqu’en disent aujourd’hui les salopards au pouvoir, les renégats ou les gens de rien, cet esprit, récupéré par la sphère politique, a fondé toute la superstructure culturelle et intellectuelle d’une époque, parmi laquelle on peut citer les mouvements féministes, l’IVG, la contraception, la dépénalisation de l’adultère, une nouvelle manière de vivre l’amour et l’amitié, une littérature, des répertoires de chansons engagées etc. etc.
Je schématise de façon outrancière car là n’est pas exactement mon propos.

Cette rébellion - dont participe le répertoire de Renaud- est restée profondément créatrice pendant dix ans et plus, avant de s’étioler, de s’épuiser, de décliner lentement jusqu’à son extinction, ne perdurant plus alors à l’état de fantasme que dans la tête de ses plus farouches ennemis. Pour preuve, les discours haineux,  quarante ans après,  de cet ignoble Sarkozy déclarant la guerre à cet esprit, éructant qu’il faut en finir avec ce responsable de toutes les calamités.
Une guerre de retard, le petit étudiant en droit revanchard ! Mais c'est bien comme ça qu'on règne sur les esprits qui se complaisent dans le retard...

J’ai bien conscience d’abréger en quelques lignes ce qui demanderait pour être correctement dit, des pages et des pages plus belles et plus exhaustives.
Mais l’important, ce soir, est de mesurer avec D. le fossé aux profondeurs abyssales qui sépare l’Europe de l’ouest de l’Europe de l’est sur toute cette période de création indignée.
Quand nous défilions dans les rues avec nos drapeaux rouges et noirs, les jeunes Polonais défilaient eux aussi dans leurs rues et se faisaient tabasser, et même pire, pour contestation de ce même drapeau rouge. Quand nos espoirs étaient ceux d’en finir avec le règne absolu de la marchandise,  ceux de l’est appelaient ce règne de tous leurs vœux.
On l’a vu plus tard avec Solidarność. Nous soutenions les rebelles, eux-mêmes soutenus (manipulés ?) par les pires de nos ennemis : Les curés.
Il y a une incompréhension qui perdurera encore longtemps. Nous ne sommes pas sur la même longueur d’ondes, l’histoire ne nous a pas joué la même musique. On se méfie ici, et pour cause,  des révolutions  dites sociales. D. me dit qu‘il faudra une génération ou deux, au moins, avant que ne soit tordu le cou à cet amalgame entre communisme et les régimes qui ont sévi à l’est.
Avant, aussi,  que le libéralisme n’apparaisse tel qu’il est, inique, pernicieux, sans humanité, que je renchéris. Car si la brutalité des dictatures est pour tous directement évidente, la critique d’un système qui donne les apparences de la liberté et de l’abondance est beaucoup plus difficile, plus lente, plus compliquée.
Moins facile de choisir son camp, en quelque sorte. En Pologne, selon moi, la rébellion commencera par le rejet de ce clergé qui fourre son sale nez partout.

Voilà où nous a emmenés Jagoda avec Renaud et ses chansons qui avaient un sens il y a vingt ans.. Elle n’a pas suivi la discussion. Juste un mot quand j’ai parlé de génération de vaincus.
Qu’est-ce que c’est  « vaincu », papa ? Tu as fait la guerre ?
Rires.

Me replongeant dans Michelet, je retrouve, à peu près le même débat « d’idées ».
Il en est à l’opposition entre les Jacobins, intrigants, politiques, et ceux du club des Cordeliers, fougueux, désordonnés et passionnés. Michelet est transparent, trop prévisible. C’est en cela qu’il n’est pas un historien : on le suit à la trace par la seule odeur de son idéologie. Car, alors qu’il n’en a pas encore dit un mot, sa description des Marat, Danton et autres Desmoulins les fait ressembler, bien avant l’heure, à l’extrême gauche et aux anarchistes même.
C'est ce que je pense en lisant et...Bingo !  Dix pages plus loin, c’est sans surprise que je le vois faire un parallèle pourtant audacieux entre Proudhon et Marat.
Les portraits qu'il dresse de Marat, quant à eux,  tournent franchement au délit de « sale gueule ». En fait, Michelet ne s’est jusqu’alors montré enthousiaste que pour les fédérations naïves, royalistes encore, de 1790. Il eût voulu que la Révolution en restât là, on dirait.
Et si, comme il s’apprête à le faire dans les chapitres suivants sans doute,  on peut admettre que la Terreur fut une période noire de notre histoire, une perversion de la Révolution, on peut tout de même lui rétorquer qu’on n’abat pas un régime qui sévit depuis plus de 10 siècles avec des pleurs de joie, des embrassades, des bals populaires et des serments de fraternité éternelle.
J’attends avec impatience de savoir à qui il va attribuer la responsabilité historique de la Terreur.
Si ces égarements m’énervent trop, j’en resterai là de ma lecture à la fin de ce premier volume.

08:10 Publié dans Journal de Pologne - 2009 - | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

J'aime beaucoup cette page de journal si belle de ses nuances... Forte de cela.

Écrit par : Michèle | 02.09.2009

Il est certain qu’entre l’Est et l’Ouest, la dichotomie reste profonde. Les murs ont été renversés, mais sur le plan idéologique les aspirations restent très différentes. Nous avons cru, en Occident, à l’utopie d’une gauche humaniste quand eux pliaient sous la dictature communiste et aujourd’hui que nous sommes plus que jamais lassés de ce capitalisme matérialiste qui va nous étrangler, eux l’attendent avec impatience.

Difficile de faire une Europe unie dans ces conditions. On l’a vu avec la guerre en Irak (la Pologne la soutenait alors que la France et l’Allemagne refusaient d’y participer).



Une sorte de bien-être matériel pourrait servir à unifier tout le monde. Malheureusement, cette liberté et ce bien-être dont on nous parle tant semblent de plus en plus réservés à une certaine « élite » et d’autres fossés sont en train de se creuser au sein même de l’ancienne Europe de l’Ouest.

Écrit par : Feuilly | 02.09.2009

Commentaire très fin , plein de compréhension et de nuances . J'ajouterai mon petit mot en insistant sur ce paradoxe qui échappe à nombre d'occidentaux s'agissant de la place de l'église en Pologne. Quand ce pays a été partagé le vecteur de l'identité nationale a été le catholicisme entre Allemands protestants et Russes orthodoxes . Quand on voyait sur des papiers d'identité le mot catholique on savait que la personne était polonaise. Après la seconde guerre mondiale , le stalinisme venu d'URSS a paradoxalement renforcé l'église car s'il y a eu des projets de liquidation de l'église cela impliquait probablement une résistance et peut-être un nouveau "génocide". Finalement le parti communiste n'a eu la peau ni de l'église, ni de la classe ouvrière très revendicative entre les deux guerres mondiales, ni des intellectuels. On peut même dire que s'est constituée une sorte de double domination en Pologne et à chaque crise sociale ou économique le pouvoir faisait appel à l'église pour calmer le jeu en obtenant des concessions ; l'église ne se sentait pas si mal après 1956 , il y a eu un condominium entre les deux totalitarismes ( certains Polonais hurleraient s'ils lisaient cela , mais d'autres en sont conscients). Solidarnosc n'a pas été forcément bien vue par la hiérarchie mais le processus lui a partiellement échappé.Le plus grand méfait des communistes a sans été la liquidation des partis d'opposition non inféodés à l'église comme le parti socialiste. Tout cela explique en partie la puissance de l'église qui se sent, autre paradoxe, très menacée par le libéralisme, alors que "l'avenir radieux" annoncé par le libéralisme déçoit, comme a déçu " l'avenir radieux" promis pendant des décennies par les communistes ( ce que ne comprennent pas forcément bon nombre de gens de "gauche" parfaitement ignorants des réalités du "socialisme réel").
Ces situations historiques fort différentes mais aussi , je le pense, l'ignorance entrenue notamment par les média ne favorisent pas la compréhension.
Tout cela peut conduire à une sorte de perplexité attristée devance qui se passe ici ou là

Écrit par : Delirium | 02.09.2009

Je partage entièrement le point de vue selon lequel l'Église polonaise doit à peu près tout de sa gloire et de son prestige d'aujourd'hui à la dictature communiste.
De plus, dans leur frénésie de "décommunisation", les populistes au pouvoir en 2006 et qui ont ouvert la boîte de Pandore, ont été bien mal avisés,découvrant à l'intérieur de ladite boîte, quelques fils décousus, mais non négligeables, de la soutane.
Cordialement

Écrit par : Bertrand | 04.09.2009

"En Pologne, selon moi, la rébellion commencera par le rejet de ce clergé qui fourre son sale nez partout."
Alors il y a peut-être un espoir selon la théorie de l'auto-vaccin :
http://www.dailymotion.com/video/xawrsy_font-et-val-laique-et-prive_fun.
Au bon souvenir d'une rencontre inattendue, inoubliable même...
Mes amitiés à D. et à Jagoda le "fruit" de votre amour.

Écrit par : jacky | 17.11.2009

Salut Jacky !
Quel plaisir de te retrouver là !
Tu es toujours le bienvenu en Pologne...Et merci pour cet excellent lien...
Je me suis marré...
Amitié
Bertrand

Écrit par : Bertrand | 17.11.2009

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