23.09.2018
Automne venu
Le vent de l’équinoxe bouscule les grands bouleaux déjà jaunes et les tilleuls qui s’ébouriffent. Entre deux sautes, la chute des feuilles frôle l’inertie silencieuse de l’après-midi.
Je regarde par la fenêtre. Depuis des lustres, aucun voyageur n’accoste plus à mes rivages, c’est pourquoi je regarde, simplement.
Je n’interroge plus l’horizon.
Regarder sans attendre est pur plaisir.
D’ailleurs, ce serait chimère que d’interroger un horizon que délimite une forêt. De là, nul ne peut arriver. On ne peut qu’en surgir.
Comme ce loup d’un matin de décembre.
Un éclair fauve qui ne m’avait laissé que le dessin de ses griffes sur la neige du talus. Pour me signifier sans doute que jamais plus je ne le reverrais. La trace, l’empreinte, le vestige, donnent toujours cette impression du jamais plus, cette odeur de fuite et de disparition. La trace gravée sur un passage, c’est un peu la mort qui survit. La comète du fouilleur. Qui la questionne, s’évertue à la faire parler, qu’elle dise son nom, qu’elle murmure son âge et pourquoi elle s’est fossilisée là, précisément. Il la veut humaine, sans doute pour qu’elle le ramène à sa place à lui, dans la sempiternelle ronde des mondes qui succèdent aux mondes.
Je m’étais agenouillé ce matin-là sur la neige et j’avais tenté de lire pourquoi ce loup, là, sans meute, errant sur mes lisières ; pourquoi cette apparition fuyarde du mythe honni des contes et des légendes.
La bête avait la beauté farouche des dieux anciens. Des dieux scandinaves qui dévorent les étoiles et les nuages.
Le stigmate m’avait confié alors la solitude errante d’un vieux voyageur, de ces voyageurs qui ne suivent jamais votre route, mais la traversent. Juste le temps de vous couper le souffle et que renaissent dans votre tête les vestiges ataviques de rêves mal formulés.
C’est ce langage-là que j’avais entendu.
Je m’étais relevé. Comme pour tenter de freiner la fuite du sauvage, j’avais encore scruté la pénombre blanche des sous-bois où de menus flocons gelés et tombant en averse crépitaient sur les aiguilles des pins.
Puis j’avais regagné ma maison ; mon temps à moi dans la sempiternelle ronde des mondes qui succèdent aux mondes.
Je regarde par la fenêtre.
Le ciel épais est gris. C’est une couleur qui côtoie sans crier toutes les autres. C’est lui qui domine aujourd’hui et c’est lui qui donne aux verts sombres des pins, aux jaunes des bouleaux, aux marrons des tilleuls, aux rouges fanés des dernières fleurs de mon parterre, toute l’opportunité de leur présence dans le paysage. Au service des autres teintes, le gris n’existe pas en tant que tel. Sans elles il est triste et laid, sans lui elles sont fades, comme elles le sont toujours sous un ciel céruléen. Même le silence prend toute sa force avec le gris. Un silence lumineux m’est toujours apparu comme une anomalie tapageuse.
Mais le temps me pousse, nous pousse, inexorablement vers les ultimes ténèbres et ce ciel bas sur le monde, ce souffle qui déplume les arbres, ce mutisme tranquille du village... comme un prélude.
16:19 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Merci Bertrand, te lire est toujours un grand plaisir.
"Mais le temps me pousse, nous pousse, inexorablement vers les ultimes ténèbres..."
et pourquoi ne nous pousserait-il pas vers l'ultime lumière?
Écrit par : Marian | 23.09.2018
Hello Marian
Espérance respectable, qui édulcorerait la peur de devoir partir...
Écrit par : Bertrand | 23.09.2018
L'exécrable mort, la dissolution dans l'être et l'oubli absolu. De quoi s'inquiéter en effet...
Écrit par : cleanthe | 27.09.2018
Absolu. C'est bien le mot, Cléanthe.
Et devant l'absolu, l'esprit s'égare.
Quelle que soit la direction prise par cet égarement...
Écrit par : Bertrand | 29.09.2018
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