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05.11.2017

L'île aux parfums ?

littérature,écritureOn n’est jamais de passage quand on remonte le temps et il ne s’agit pas d’aller plus vite que la lumière, mais aussi vite que les mots.
Là-bas, par exemple, quand la mer fouette d’écume les rochers mugissant et qu’il fait froid sous le ciel gris. Le vent du nord prend l’île en enfilade, par le bout, l’enfourche, la chevauche, la traverse et les bois noueux des chênes verts se courbent sous la puissante haleine des embruns.
Oléron, plate bande de terre jetée sur la nappe océane et qu’on dit, qu’on murmure plutôt, sujette aux instabilités des plaques, en dessous. Car parfois Oléron se trémousse et les vieux placards dans les fermes sont pris de craquements sournois.
C’est toujours la nuit.
Les buffets ouvrent leurs portes disjointes, l’habitant se tapit sous sa couette, la remonte plus haut sur son nez et il entend bien, là-bas sur la plage, les cabanes des ostréiculteurs, bariolées comme les roulottes des bohémiens, qui frémissent tout à coup et qui ont peur et qui se plaignent.
Un jour, une nuit plutôt, elle sombrera dans des gouffres aux profondeurs abyssales, effrayantes de ténèbres, en enfer, Oléron.
Chassiron veille pourtant sur un océan tout vide. Aucun mât sur l’horizon creusé par la houle. Aucune âme à venir sauver que les tempêtes auraient fourvoyée jusqu’aux rochers. Alors Chassiron promène son œil morne sur la désolation solitaire de la houle.
Derrière lui, dans un dédale de venelles, les fleurs jaunes de février pavoisent en un moutonneux bouquet. Le déalbata fait la fête. Tempête ou pas tempête, c’est la position des étoiles qui donne l’heure et l’heure est venue d’inonder l’île des parfums qui ne craignent ni la mer ni ses souffles salés. L’arbre baigne sa racine dans des dunes de sable et on dirait tant la fleur est dorée que les cristaux de ce sable lumineux sont remontés discrètement jusqu’à la branche.
Mimosa, ça sonne comme une rivière qui coulerait en Espagne et ça gesticule aussi comme un mime. Le mime osa. L’arbre est un histrion qui donne l’illusion, qui fait croire aux douceurs du printemps. Au cœur même de l’hiver.
D’ailleurs, sa feuille en fines dentelles garde sa couleur de velours en toutes saisons.
Ici la poésie est libre, non assujettie à l’assonance. Dans toutes les langues, Oléron rime avec mimosa. Pas avec rond. Jamais. Car l’île est allongée, elle s’étire Nord-ouest, Sud-est,  disgracieuse en son milieu avec un gros ventre qu’on dirait rempli de poissons frais. Elle n’est pas ronde sinon on eût pu dire qu’elle avait été baptisée par des païens patoisant. Olé rond, c’est rond.  Si olé rond, olé pas carré, dit le paysan charentais quand il veut faire aboutir une évidence qui lui paraît indiscutable ou faire exécuter une décision qu’il juge irrévocable.
Non, ça ne lui colle pas à la côte, ce baptême-là. Il faut chercher plus loin,  dans les arômes des parfums généreux. Dans les branches du mimosa. Eussions-nous été des inconditionnels de la versification, que la rime eût été riche, accouplant Oléron et jaune citron.
Mais l’odorat l’a emporté sur la vue. Insula olerum, l’île aux parfums. Oui, le mimosa lui colle mieux à la peau. Olerum. L’île n’est plus qu’une senteur sous les frimas en pluie de février.
C’est un beau nom, une belle histoire de Latins.
D’aucuns en prennent ombrage. Olé pas tcheu, c’est pas ça. L’histoire est trop embaumée et, bourrant sa pipe, le vieux pêcheur, pantalon et veste bleus, hausse les épaules, franchement goguenard.
Je vais vous le dire, moué. C’est que l’Oléronnais a de la graine  de voyou dans les veines, alors il enjôle, il parfume. Apocryphe, qu’il est. Car des fortunes ont été ici construites sur le crime. Autfoué. Quand de fiers galions sillonnaient la côte, leurs cales regorgeant de richesses venues d’îles plus lointaines, aux antipodes de la machine ronde.
A Chaucres, au bout de l’île, là où la côte est hérissée de rochers pointus comme des dagues, aiguisés comme des couteaux flamboyants, guettaient les naufrageurs. Des feux s’allumaient dans la nuit tempétueuse qui guidaient des capitaines en perdition et les bateaux venaient s’éventrer là en un fracas pervers, abandonnant aux hordes de pillards leur cargaison de trésors.
L’île au parfum ? Allons, allons !  L’île aux larrons, voilà la vérité. Et voilà comment dans la marine, de capitaines en capitaines, d’armateurs en armateurs, de matelots en matelots, on avait pointé ce coin de l’océan où venaient brutalement s’échouer, sur la foi de signaux assassins,  les plus habiles coureurs des mers. L’île aux larrons.
Olé rond, olerum, aux larrons
…En tous cas, Oléron veut nous dire des choses.

Le monde que nous traversons, et qui nous traverse, le monde et ses lieux, sont muets si nous ne leur parlons pas.
Nous nous y promenons alors comme en terre étrangère, en juif errant, en orphelin et en âme damnée si nous ne tentons pas de remonter jusqu’à leurs fantômes, qu’ils soient parfums ou larrons. Mais si nous engageons la conversation, si nous tentons de lire le paysage des mots, les géographies, qu’on a tant accusées de n’être qu’au service de la guerre, sont des poésies.
Le livre fourmille de pages. Des pages qui disent ceci ou racontent cela, parfois le contraire de la précédente. On ne sait pas. Les suites d’erreurs font partie de l’histoire qui jamais n’est lue que par un seul oeil. La pâle sagesse des vérités, la froideur des certitudes, n’ont pas droit de cité ici. Nous sommes dans la chaleur du doute et la délectation de l’interprétation, tantôt dans l’imaginaire, tantôt dans l’histoire, tantôt dans la fantaisie, tantôt dans le drame, tantôt dans la liesse, tantôt sur le haut fait, tantôt sur le fait divers.
Dans tous les cas cependant, nous sommes dans la mémoire et en disant le nom de baptême d’un lieu, on en fait un lieu dit. Un lieu qu’on peut dire et pas seulement d’un simple vocable.  On le sort des angoisses de l’oubli et du hasard de l’anonymat. On brandit son passé à la barbe du présent. On se fait son biographe, on lui tend la main, on le touche, on secoue son lourd manteau et ses maisons alignées en une longue rue grise deviennent bien autre chose que des maisons alignées en une longue rue grise.

Chez Bonclou et autres toponymes

09:03 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET