19.07.2017
L'écriture de l'impossible conjugaison
Je l’ai plusieurs fois écrit sur ce blog (mais comment ne pas dire plusieurs fois une même chose en plus de mille textes décousus ?) : on n’écrit sa souffrance ou sa joie qu’une fois seulement qu’on a maitrisé et vaincu la première et une fois seulement qu’on a perdu la seconde.
Pour la souffrance, on n’écrit son mal du monde que lorsqu’on s’est plus ou moins réconcilié avec lui. Je ne dis pas lorsqu’on lui a fait allégeance, ce serait une idiotie, je dis lorsque la force contraignante de sa présence et de notre présence en lui devient secondaire.
Pas absente, mais reléguée dans un second rôle.
Car, à mon sens, quand elle n’est pas l’étoile sans mouvement et sans lueur d’un imbécile heureux, l’écriture est une étoile filante sur le ciel du nous qui est en nous. Une étoile qui traverse un cosmos et l’étoile filante, si je ne m'abuse, n’est belle qu’après coup. Le dixième de seconde où elle déchire les ténèbres bleutées, aucun cerveau n’est capable d’y associer la beauté. Absolument aucun. Même celui d’un attentif allongé sur une chaise longue dans l’unique intention de voir filer des étoiles.
Dans le second dixième de seconde, oui. T’as vu ? dit l’enfant émerveillé. Il ne dira jamais : tu vois ? Parce qu’il sait conjuguer les verbes avec son lui et il sent bien que la réalité de l’étoile filante n’existe que dans un souvenir- émotion.
L'écrivain ne veut pas savoir faire ça. Il dit : tu vois ? Et il parle de la lueur longtemps après l'étoile.
La fiction ne devrait dès lors jamais employer le moindre verbe au présent, même pour réactualiser un présent passé. C’est un leurre, le présent dans un texte à l’imparfait. C’est un présent imparfait, dans tous les sens du terme ; de la technique de récit, une astuce pour que le lecteur change soudain de chaise et ait l’illusion de voir une deuxième fois l’étoile filante qui traversa, jadis, bien avant ces lignes, le ciel de l’auteur.
Ça rend vivant, à ce qu’on dit… Comment ça, rendre vivant ? Un texte est une chose morte ou il n’est qu’une interview... C'est la raison pour laquelle sans doute - je m'en suis rendu compte il n'y pas longtemps -, je n'aime pas écrire de dialogues et que j'use et même abuse du style indirect libre.
Pour que le lecteur ne change pas de chaise.
Imaginez un peintre amoureux des siècles passés, des travaux de la campagne d’antan, qui peindrait à la perfection des bœufs au labour, leurs cornes luisantes et leur peau mouillée par l’effort, et, derrière eux, la glèbe éventrée, si grasse qu’on la sent presque avec le nez, tandis que dans le ciel moutonné de blanches nuées, un avion à réaction traverserait le haut du tableau.
Le critique d'art poufferait… L’éditeur non. L'écrivain non plus.
Je rêve dès lors d’un écrit seulement composé au subjonctif, dans l’improbable saisissement d’une fulgurance.
Dans le doute qui met le cerveau en émoi. Qui met une distance entre ce cerveau et ce que lit ce cerveau.
Pas facile. Indigeste même.
Impossible dépassement d'une contradiction entre l'écriture et sa grammaire.
12:53 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET