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28.09.2012

Marc Robine, La mémoire et la mer

... cette voix éraillée, légèrement cassée, au service d'un poème magnifique


13:46 Publié dans Acompte d'auteur, Musique et poésie | Lien permanent | Commentaires (3) |  Facebook | Bertrand REDONNET

27.09.2012

René-Guy Cadou, Marc Robine

littératureJe fais une petite pause dans l’enracinement de l’exil - sans jeu de mots facile -, car je voudrais vous faire partager mon émotion à l'écoute de ce texte de René-Guy Cadou mis en musique, simplement mais magistralement à mon goût,  par Marc Robine.
Marc Robine, René-Guy Cadou, Gaston Couté et bien d’autres… Si un jour je ne suis plus feignant, si un jour j’en ai la force et le talent, j'aimerais bien écrire une anthologie de tous ces poètes de cœur, ces poètes disparates, ces poètes du partage du monde, oubliés le plus souvent de notre mercantile saison, ces étoiles filantes comme j’aime à les appeler, qui ont traversé la vie avec la gourmandise du cœur, avec passion et très vite, trop vite, trop injustement foudroyés à la fleur de l’âge.
Marc Robine, grand passeur de mots, si vous ne le connaissez pas, je vous invite à lire ici, l’excellent hommage que lui rendit son copain Fred Hidalgo.
Quant à René-Guy Cadou, 1920-1951, le hussard en blouse, compagnon de Pierre Reverdy et de Max Jacob, vous le connaissez sans doute, poète sensible, très proche. On peut lire ici.
Ce texte-là me touche particulièrement, me donne des frissons aux cheveux, écrit par un jeune homme que la Faucheuse s'apprête à moissonner à l’âge de 31 ans, et qui le sait. Tout comme Couté, exactement quarante années auparavant :

 Que voulez-vous de moi,
Maintenant que je n’ai
Pas même pour saluer,
La grâce des poneys?


Peu d’années ont suffi

Pour voiler mon regard.

Et qu’on ne me cherche chicanes de droits d’auteurs pour cette mise en ligne, car je lancerai  alors le mot magnifique, généreux, de Marc Robine, inscrit sur un de ses albums :
Celui qui sera pris en flagrant délit de chanter l’une de ces chansons sans ma permission a toutes les chances de devenir l’un de mes bons copains.


Il faudra, hélas, faire fi, si possible, des fautes commises dans cette vidéo à peu d’années ont suffi, ainsi qu'à  graffiti


09:47 Publié dans Musique et poésie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

25.09.2012

L'enracinement de l'exil - 26-

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Géographie - 2 -

J’ai plus ou moins rêvé - car je ne me souviens plus si je dormais vraiment ou si j’étais dans un état de demi-sommeil - que je contemplais la géographie avec les yeux des grands migrateurs, rivés sur l'espoir de leurs quartiers d'hiver.
Des bois, des forêts, des vallées, des monts, des fleuves, des plaines et des taches urbaines telles des verrues…  Je voyais ainsi la grande plaine européenne courant de l’Oural aux rivages atlantiques, en se rétrécissant au Nord où elle longe la Baltique, la Mer du Nord et la Manche.
Cette plaine était autrefois engloutie sous la forêt, la grande forêt, la forêt initiale, dont la Biélorussie et la Pologne se partagent seules aujourd’hui  le dernier vestige avec la forêt dite de Białowie
ża.
Je me rends assez souvent sur ces lieux de mémoire de la géographie hercynienne. Les arbres géants - sapins, pins, mélèzes, tilleuls, épicéas, chênes, charmes -, la multitude des bois morts gisant sur les mousses épaisses ou alors dressés sur des troncs gigantesques, éteints mais debout, les enchevêtrements du sous-bois livré à lui-même depuis la nuit des temps, évoquent les colonnes et les ruines éparses des splendeurs antiques.
C'est là l'échantillon miraculeusement sauvegardé de ce qu’était l’Europe.
Alors, la géographie, le reste, ce qui court d’ici jusqu’à La Rochelle, c’est sans doute de l’histoire. On ne peut, à priori, aimer ces paysages que si l’on aime en filigrane l’histoire des hommes qui les ont créés, et le mot «nature» n’a dès lors aucun sens pour les dire, aussi grandioses soient-ils.
Sinon ici, dans les épaisseurs de Białowie
ża, repaires du loup, du lynx et des grands bisons, errant tels des troupeaux préhistoriques oubliés par l’inexorable marche des siècles.
Pourtant, quand on pénètre dans cette forêt initiale, la  première sensation n’est pas celle de se trouver devant quelque chose de beau.
Car ce n’est pas, intrinsèquement, beau.
C’est par l’esprit que surgit cette beauté. Par la conscience formulée, sur laquelle on s’arrête un instant, de ce que serait la terre si les hommes n’en avaient été les conquérants victorieux. C'est par ce contraste, par cette défection ici de toute praxis humaine, que l'on mesure combien les paysages
qui nous émeuvent ailleurs, que nous trouvons naturellement beaux, ne le sont que parce que les hommes ont su, en fait, y vivre et en ont tiré subsistance, qu'ils s'agissent de ceux de la plaine, de la vallée, des bois, des chemins creux, des berges du fleuve ou de la colline.
Le randonneur des hautes altitudes peut avoir les mêmes impressions. Les vallées aux formes ondoyantes, les cols, les forêts et les alpages où paissent des troupeaux et que traversent des sentiers incertains ; tous ces étages inférieurs de la montagne sont beaux. La rocaille quasiment inaccessible, elle, terne,
intacte de toute transformation humaine, tout là haut, n’est pas belle en soi. Elle est même moche. La majesté des approches du sommet est une vision de l’esprit. Elle vient de la virginité. D’une solitude extraordinaire, d'une absence.
Comme ici, dans la forêt primaire, où l’animal et le végétal ont seuls force de loi.

L'expression «géographie humaine», même si l’on peut comprendre ce qu’elle veut désigner de spécifique à l’intérieur de la géographie même, participe dès lors d'une affligeante tautologie.

15:07 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

24.09.2012

L'enracinement de l'exil - 25-

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Géographie - 1 -

Un dicton polonais prévient que c’est à la sainte Anne, le 26 juillet donc, que les nuits commencent à se faire plus fraîches. C’est assez dire que l’équinoxe venu, elles sont déjà  froides. La lumière en déroute profite encore un moment de cet équilibre  fugace du partage de la souveraineté avec les ténèbres.
Premières gelées, encore timides, premières fumées aux toits des maisons fermées. Le renversement des saisons est assez brutal.
Ce matin, l’herbe blanche déjà crissait sous les pas et le mercure s’était réconcilié avec le zéro.
Je relis Guerre et paix, pour la troisième fois en trente ans, avec toujours autant de plaisir. En voyant les premiers clins d’œil des rudes saisons, qui guettent l’heure de  leur entrée en scène, blotties peut-être là-bas, derrière la vallée du Bug, dans les steppes orientales, je pense à l’histoire, au conquérant et à son soi-disant génie.
En art militaire et en façon de conduire une politique de tueries des populations, sans doute, mais en cerveau capable de comprendre la géographie et les climats, deux assesseurs pourtant indispensables à la réussite d’une invasion, certainement pas.
Rentrer en Russie en août pour essayer d'en sortir à la mi-octobre, avec plus de six cent mille hommes à pied et à cheval, ne semblent pas en effet des décisions prises par un surdoué.
Les historiens affirment qu’il y fut contraint par la politique de terre brûlée menée par les Russes et que ceux-ci, qui connaissaient bien leurs saisons et leur climat, n’avaient fait, en faisant mine de se retirer, que d’attirer leur ennemi le plus à l’est possible, sachant que derrière lui se refermait inexorablement le plus redoutable des pièges.
Le climat comme une arme.
C’est bien à cela que je pense quand je sens, en septembre, les prémisses du froid continental planer dans l’air.
L’air bleu encore. Octobre peut en effet être lumineux ou, comme je le vis il y a trois ans, déjà sous la neige. En tout cas, les avertissements sont donnés. On a déjà un pied, du moins la tête, dans l’hiver.
Ce qui me frappe chaque automne. Je me souviens des équinoxes du Poitou-Charentes, en tee-shirt, et puis de la cueillette des champignons en forêt de Benon ou de l’Hermitain. Je me souviens aussi de l’île de Ré enveloppée dans son drap bleu, encore chaud, et l’air au-dessus des jachères sablonneuses qui tremblote jusqu'au rivage.
C’est en confrontant les images de ma mémoire aux sensations directes du présent, que je mesure la largeur de trois pays, Pologne Allemagne et France, et voit clairement la distance qui me sépare de l’océan. Cette distance, les oiseaux la connaissent. Ils ont déjà fait leur valise et leurs formations en triangle traversent le grand ciel, cap résolument mis sur l’ouest. Plus fins que Napoléon…
J’imagine, il me plaît d’imaginer, que ce vol là, qui cacane sous les nuages juste au-dessus de ma cour, a le cou tendu vers l’île de Ré ou la Baie de l’aiguillon.
J’aimerais apprendre leur langage et avoir leur science exacte, sensuelle, de la terre.
Comme une géographie innée au service de la vie.

12:48 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

21.09.2012

L'enracinement de l'exil - 24-

P6070005.JPGParenthèse : regards sur le texte

Quelques lecteurs assidus, que je remercie de tout cœur au passage, sans s’être concertés, me font part de leur sentiment sur l’Enracinement de L’exil, disant que cette deuxième partie, même «intéressante», leur parle beaucoup moins que la première, surtout consacrée à l’histoire de la Pologne et à son climat.
J’entends bien. Il est vrai que cette deuxième partie est plus centrée sur mézigue, sur ma façon d’appréhender la langue et les diverses choses de mon pays d’accueil. Plus personnelle donc - plus anecdotique me dit une lectrice -, et je conçois fort bien qu’on préfère nettement entendre parler de la Pologne que de ma pomme ( !)
Je dirai alors que je parle de la Pologne uniquement parce que j’y fais habiter ma vie et que les deux propos ne vont évidemment pas l’un sans l’autre. Mais sans doute les deux inséparables sujets sont-ils mal liés entre eux, semblent ne pas constituer un tout et c’est, en vérité, l’énorme lacune de ce texte, mise au jour, donc, par ces lecteurs attentifs.
Un bon texte n’aurait pas eu besoin de séparer d’aussi évidente façon les deux aspects, mais les aurait traités ensemble par le choix des mots, de la phrase, du style et par d'habiles
insertions de réflexions personnelles.
Parlant du présent polonais, je suis contraint aussi d'évoquer des bribes du passé français, puisque je cherche, en profondeur, des causes non tangibles à mon exil. Mais, je le répète, la forme est inachevée et ne convient pas parfaitement, j'en conviens.

Un blog, à moins qu’il ne soit consacré qu’à un seul sujet, littéraire ou autre, je l’ai toujours dit, improvise dans sa hâte de publier, cette hâte étant étroitement liée à la vie même du blog. Là, j’improvise, non pas la réalité, mais sa retranscription. Ce qui fait que… je reprends mots pour mots la juste critique d’un de ces lecteurs, une lectrice en l’occurrence, qui dit : «Je perçois les morceaux de la partie 2 comme des bouts d'études.»
Exact. C’est même inhérent au  support blog, cette improvisation qui n’a pas le souci d’un tout et cela est d’autant plus apparent que l’auteur se consacre pendant toute une période au même texte. C’est la grosse différence avec l’écriture qui se propose d’être publiée à compte d’éditeur, où l’on voudrait - sans toutefois jamais y parvenir- présenter un texte non perfectible. La grosse différence avec la scène aussi. Je dois y remonter en octobre pour la mise en musique de certaines poésies de La Fontaine, Villon et autres Apollinaire, et là, c’est sûr, l’improvisation équivaut à un désastre programmé. Je dirais même que c'est donner rendez-vous à des gens pour qu'ils s'y ennuient plus que s'ils étaient restés chez eux. Un comble.
Voilà, lecteurs, là, je n’ai pas improvisé du tout et espère vous avoir un peu éclairés sur les défauts avec lesquels je conduis ma démarche.
Je reprendrai le texte sur un sujet qui m’inspire beaucoup, la géographie et les paysages. Le visage d’un pays. Toujours vu par et dans les yeux d'un homme qui s’y est exilé.
Oui, c’est un peu décousu, tout ça.

11:12 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

20.09.2012

L'enracinement de l'exil - 23-

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La route - 2

Je me demande souvent d’où vient cette violence routière, chez des gens qui ne sont pas du tout violents. Car vivre parmi les Polonais, du moins ici, à l’est, sur un territoire faiblement urbanisé, c’est ressentir une espèce de sérénité. Aucune agressivité dans l’air, aucune marque de colère ou de mépris intempestif. Des gens courtois, souriants, avenants même, et toujours prêts à vous accueillir à bras ouverts.
Ce sont pourtant ces mêmes gens affables qui se conduisent comme des barbares sur la route. J’ai déjà eu l’occasion de discuter avec certains d’entre eux : ils plaisantent, rigolent de mes peurs et ne voient rien d’anormal !
Pas tous cependant. Mon voisin, le petit paysan débonnaire et replet, abonde dans mon sens  et est d'avis que ce sont tous des fous furieux. Lui, sur la route, il a peur aussi. Il n’y va pas trop souvent d’ailleurs, sinon d’un de ses champs à l’autre, en tracteur… Sa gamine, à sept ans, a été heurtée par un imbécile qui traversait le village à tombeau ouvert. Un miracle, dit-il, qu’elle s’en soit sortie quasiment indemne !
Alors, est-ce que conduire une voiture fait perdre les pédales ? Quel non-sens pousse ces gens sympathiques à mettre quotidiennement en péril la vie des autres et la leur, comme ça, gratuitement ? En allant faire des courses, en allant au travail, chez des amis, voire à la messe ?
J’ai plusieurs hypothèses, toutes invérifiées, toutes plus fantaisistes, peut-être, les unes que les autres. Des hypothèses d’un étranger qui s’interroge et, surtout, qui a les foies. Mais les hypothèses, c’est fait pour ça : donner une réponse là où l’on n’en a pas vraiment.
La première qui me vient à l’esprit est le caractère plus ou moins nouveau de la voiture en Pologne. Il y a vingt cinq ans, très peu de gens étaient motorisés. Pratiquement personne, en vérité. C’est une des raisons pour laquelle les lignes de transport en commun sont encore si nombreuses en rase campagne. Des kyrielles de minibus sillonnent toute la contrée, de la ville à la campagne et de la campagne à la ville, le matin, le soir, l'après-midi, jusqu’à Varsovie, Lublin ou Białystok.
Donc, nouveauté relative de la voiture, la prise de conscience pas encore établie et griserie d’être, comme à l’ouest, le roi du déplacement. D’autant plus que le passage à l’économie de marché s’est accompagné d’une importation massive, anarchique, de véhicules allemands, puissantes Audi, Mercedes et autres Volkswagen. Une aubaine pour le capital allemand, donneur de leçons mais toujours aussi goinfre. Et une aberration que ces millions de bolides lâchés sur des routes quasiment restées à l’état d’une époque d’hyppomobilité ! Pour moi qui vis là, c'est comme si on avait vendu des pleines caisses de 357 Magnum à des adolescents.
Mais le fric n'a pas d'odeur et tant qu’à rattraper un retard, autant le faire dans la vitesse. J’imagine mal en effet les Polonais commençant leur apprentissage avec des deux-chevaux ! Inexpérience et infrastructure désastreuse, exaltation d’appartenir à un monde enfin «normal», celui des autres, après des années de privation, la consommation s’assimilant souvent, par la perversité du système, à la liberté, voilà mon hypothèse la plus grande.
Oui, mais les gendarmes ? Quels gendarmes ? Ah, vous voulez sans doute parler des gendarmes ? Ben, les gendarmes font de nombreux contrôles, bien sûr, mais ça n’est pas très difficile, à mon avis, d’y échapper : ils sont toujours aux mêmes endroits et aux mêmes heures. Il semblerait qu’ils n’aient pas très bien compris, eux non plus, l’urgence qu’il y avait à mettre un frein à la frénésie des citoyens !
Pourtant, je suis certain que les Polonais sont moins nombreux qu’en France à conduire éméchés. Tous ceux que j’ai vus, entendus, avec qui j’ai parlé, à la maison ou ailleurs, sont très vigilants sur le taux d’alcoolémie fixé à…0 !
Plus vigilants en tout cas que je ne l'étais moi-même en France !
Non, leur ivresse est ailleurs. Leur ivresse c’est la modernité, le progrès, la liberté de circuler. Ils en avaient tant soif alors que nous en avions, nous, déjà par-dessus la tête de tous ces écrans de fumée !
Une dictature, ça fait longtemps, très longtemps, du mal. Dans la tête.

12:32 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

19.09.2012

L'enracinement de l'exil - 22-

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La route - 1 -

A vol d’oiseau, Wisznice est une bourgade située par-delà la forêt, à six kilomètres de ma maison. Un chemin de sable, chaotique et rongé par les ornières, pourrait y mener. Mais il n’est guère praticable. L’hiver, enfoui sous la neige, n’en parlons pas : il est complètement inexistant.
Alors, pour me rendre à Wisznice, je prends la direction complètement opposée et, par une petite route, je fais un détour de 24 kilomètres.
Si je vous raconte cela, très anecdotique, c’est qu'il s'agit d'un trait révélateur de l’aménagement du territoire en Pologne de l’est, assez curieux, où les voies de communication cherchent souvent midi à quatorze heures.
Les villages sont mal reliés entre eux, le maillage très approximatif. J’y vois une conception d’aménagement liée à la dictature communiste. Plus les gens ont de difficultés à se rencontrer de villages en villages, moins le dialogue passe, moins on a l’impression de faire partie d’une communauté et, avec tout ça, les mauvaises idées restent à la maison.
Ainsi, il arrive souvent que vous preniez une route dans un village et que, sans prévenir, cette route vous abandonne au beau milieu des champs, après s’être
brusquement changée en chemin de sable ou de terre. Il n’y a plus qu’à faire demi-tour et, pour aller visiter un autre village, refaire le chemin déjà fait et bifurquer quelque part dans la campagne.
Cela m’est récemment arrivé dans un village au nom plaisant, Leniuszki, Les feignants. Complètement isolé au milieu des prairies, Les feignants !
Tout cela, bien sûr, tend à disparaître, les communes et les powiats investissant beaucoup dans l’aménagement. Cependant, la carte est encore ainsi dessinée, qu’on se promène le plus souvent en étoile et non en boucle.
Les routes en Pologne sont mauvaises. Etroites, bosselées, tavelées de nids de poule. Cela vient du retard pris par les communistes, certes, mais pas seulement. Le climat y est pour beaucoup. Les gels de l’hiver, avec la glace et la neige, défoncent régulièrement ce qui a été remis en état au printemps dernier. Là où passent les camions, sur la grand-route de Varsovie à la ville frontière,Terespol, (historiquement route de Paris à Moscou, via Berlin) des rails se creusent, véritables pièges pour conducteurs non avertis. Il faudrait mettre des barrières de dégel, me direz-vous. Oui, mais alors cela reviendrait à immobiliser le pays pendant de longs mois.
L’entretien des voies relève donc ici du véritable mythe de Sisyphe. Les budgets qu’on y engloutit sont phénoménaux.
Les hommes de l’Europe qui fait semblant d’être une, ne sont pas à égalité devant les dépenses du confort élémentaire, suivant leur latitude. Je l’ai déjà dit. Il n’y a guère que les imbéciles qui prennent les décisions  pour ne pas l’avoir envisagé.

Mais, par-delà le mauvais état du réseau routier, le véritable danger vient d’ailleurs. Il vient des conducteurs. Les Polonais sont affreux au volant d'une voiture. Complètement indisciplinés, complètement à côté de la plaque, jusqu'à l'inconscience. Ils conduisent très mal et très vite. La route est alors un véritable cimetière et, moi, je conduis la peur au ventre.
Ligne blanche ? On s’en fout. Virage sans visibilité ? On est pressé, on double… Stop ? Pas le temps. Sur une route étroite que je prends tous les matins et tous les soirs, il n’est pas rare de croiser des autos lancées à plus de 140 Km à l'heure et négociant leurs virages à la dernière limite du possible.
Il n’est pas rare non plus d’apercevoir les gyrophares des flics et des ambulances et,
dans le fossé ou enroulée autour d'un arbre, la ferraille déchiquetée d'un drame.
Une véritable catastrophe.
A chaque virage, je serre le plus à droite possible et je jette un bref coup d’œil sur le bas-côté, anticipant une voie de secours. Toujours l'angoisse de voir surgir un fou devant moi
C’est comme ça. Mieux vaut le savoir. Tous les étrangers qui viennent là en sont épouvantés et c’est la première chose qu’ils remarquent.
Il y a chez les Polonais une véritable irresponsabilité. Ils ne savent pas encore que l’automobile, c’est aussi une arme. Que faudra-t-il pour qu'ils l'apprennent ?
Pourtant, moqueurs d’eux-mêmes, ils appellent la route, quand elle est vraiment mauvaise, plus mauvaise qu’ailleurs, c'est dire : Autostrada do niebo, autoroute pour le ciel.
Il est impossible, au volant, donc, d’oublier un instant qu’on est dans un autre pays que le sien. Il n’y a à cet égard pas pire que la Pologne, sinon, m’a-t-on dit, la Lituanie.
Je n'en suis qu'à quatre ou cinq cents kilomètres, mais pas vraiment envie d’aller vérifier sur place !
Contradictoirement, c'est dans les conditions difficiles de l'hiver
, avec verglas et neige, que je me sens le plus en sécurité : les gens font montre, sans aller jusqu'au zèle, d'une certaine prudence et les drames y sont beaucoup moins fréquents. Mais, sitôt les premiers beaux jours réapparus, ils redeviennent fous comme des chevaux soudain libérés de l'étroitesse des stalles.
Et les rares fois où je suis revenu en France, j’ai eu l’impression, moi, de conduire au paradis, au milieu de gens soucieux de ma et de leur sécurité. Un véritable plaisir.
Je vous assure.

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15.09.2012

L'enracinement de l'exil - 19 -

littérature

Paroles - 1-

Je me satisfais ici d’une présence uniquement codifiée par le social. Quand on  me salue d’un signe de la main dans la rue, qu’il s’agisse du gars qui m’a vendu la voiture, du boucher, de la caissière du supermarché où j’ai coutume de faire des courses, de la  dame qui tient un stand de fruits et légumes sur le marché, de ma coiffeuse - la pauvre, elle a de moins en moins l’occasion de faire valoir son art avec ma chevelure de plus en plus velléitaire !-  ou de n’importe qui d’autre, ça me va très bien. Je me sens presque intégré. Je n’en demande pas plus. On sait, par ce salut, que jestem Francuzem et que mieszkam tutaj. On me connaît même plus que je ne connais, des gens me saluent parfois et j'ignore d'où ils me reconnaissent.
La solitude est cadrée.

En revanche, avec mon voisin, un petit paysan sanguin, replet et débonnaire, on discute souvent le bout de gras. Il me prête une échelle, une fourche, un outil quelconque et donne évidemment de judicieux conseils, comme tous les petits paysans du monde à leur voisin. Quand la conversation devient trop ardue pour ce que je veux exprimer, qu’il me manque un mot, il vole à mon secours. Las ! Las ! Son vocable secourable est souvent issu du langage vernaculaire, patois même, et je le retiens comme le mot académique, ce qui, replacé dans une autre conversation, avec un autre personnage, fait écarquiller les yeux et sourire. Exemple : wiater, le vent, pour wiatr.
L’hiver dernier, il m’a parlé des aiguilles de pin avec lesquelles il allumait son feu. Il a dit un mot difficile, long comme un jour sans pain. Je l’ai retenu un moment, je l’ai oublié aujourd’hui tant il est tordu, et je l’ai resservi aussitôt, fièrement. On m’a dit que ça n’était pas du polonais, ça. On ne connaissait pas du tout ce fichu mot !
Tout cela m’amuse beaucoup. J’imagine, je m’envole, je ris, et dis intérieurement olé pas bia en lieu et place de ce n’est pas beau à un Polonais vivant en France et s’accrochant à la langue. Ou à un Espagnol. Histoire d’ajouter à la confusion…
Et j’en sais gré à mon débonnaire voisin de faire comme si j’étais né dans son village et avais naturellement accès à son dialecte. Il m'ouvre sans ambages les portes de l'appartenance.
Parfois, la conversation prend cependant un tour plus philosophique. L’autre jour, je lui ai dit, à propos de l’église et de tout le pognon dont elle fait montre, église où il voit bien que je ne mets jamais les pieds : Nie wierzę, je ne crois pas. Je m’attendais à un froncement de sourcil réprobateur, car je venais de mêler à une critique ouverte et pragmatique, (sur laquelle nous étions très en phase) de l’institution, une profession de non foi. Mais il a levé les yeux au ciel et a dit dans un soupir un peu désespéré : Nie wiadomo, on ne sait pas.
J’ai pensé au doute cartésien et me suis encore amusé. Il y a pourtant, en apparence seulement, entre mon voisin polonais, petit paysan sans instruction scolaire, et le philosophe du Discours, des années lumière.
Car c’est ça aussi, l’exil du langage. On s’amuse de tout, on s’émerveille du plus simple de l'expression quotidienne, celle à laquelle on ne prête nullement attention quand on vit dans sa langue.
Quoique… Je me souviens fort bien m’être beaucoup régalé à parler le patois avec mes voisins charentais. J’avais déjà l’impression de revenir chez moi, après une longue digression sur les chemins de la culture didactique.

J’aime les mots, les vrais, les permis, les inscrits au dictionnaire, comme ceux issus de la pratique orale et reclus dans les limites d’une culture régionale. Dans chaque mot, il y a un bout de la conscience collective qui se promène.
Mon voisin charentais, ma vieille voisine poitevine, parlaient avec des réminiscences du latin et du vieux français.
Peut-être mon voisin polonais me parle-t-il parfois avec des empreintes du vieux slavon, semées par des siècles d’histoire, ici, aux lisières de la plaine et de la forêt, et dont il est le dépositaire.
Dans ces moments-là, je le trouve très instruit et me trouve bien ignorant.

Illustration : alphabet du vieux slavon

10:25 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

14.09.2012

L'enracinement de l'exil - 18 -

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Courage, fuyons !

Certes, la raison première pour laquelle j’ai "choisi" de vivre en Pologne, je la connais fort bien. J'ai cependant toujours été persuadé du fait que la rencontre amoureuse est avant tout l’œuvre capricieuse de l’énergie des contraires qui se télescopent : on rencontre tout à fait par hasard ce que l’on voulait provoquer.
Fuir. Telle était l’idée sous-jacente de mon hasard et telle est la conclusion à laquelle j'en suis arrivé, un crépuscule du soir aux lisières de ma forêt, le cul dans l’herbe chaude et le soleil qui me faisait des clins d’œil entre deux lourds nuages d’été.
Non pas fuir un pays, dont je n’avais que faire d’y habiter ou non puisque je n’avais pas une conscience critique de mes lieux, de ma langue, mais fuir l’incommensurable pesanteur des habitudes.
Les bonnes comme les mauvaises. Même bonnes, les habitudes n’engendrent que de l’ennui. Et l’ennui, c’est un  poison qui distille la mort à petites doses souffreteuses. Il y a tellement de gens qui s’ennuient sans vraiment le savoir, que lorsqu’ils seront morts, ils n’auront pas vraiment l’impression d’avoir changé de vie (!)
Fuir les horizons dont on sait tous les points de chute. Fuir l’alcool, les euphories du soir et les nausées de l’aurore, fuir le désordre des désirs, le travail et ses lobotomies, les jours qui s’enchaînent et veulent, tel un calendrier parallèle, extérieur à votre marche, vous conduire jusqu’au tombeau sans plus de surprises ni autres incartades.
Fuir les mots qui ne disent plus rien, toujours les mêmes ! Fuir mon identité.  J’avais en effet l’impression de ne plus rien avoir à donner à quiconque, puisque, aimé là pour ça, détesté là-bas pour autre chose, méprisé ailleurs par des méprisables, des pigeons et des pigeonnes n’ayant jamais volé plus loin qu’un perchoir lustré, j’étais, comme tout le monde, prisonnier d’une image socialement bradée comme définitive.
Quoi dire et quoi faire qui soit source de surprise joyeuse, d'étonnement, face à des gens qui prétendent vous connaître à fond ? Faire semblant d’être fou, peut-être. Ou picoler comme un trou.
Casser tout ça. Faire des acquis tranquilles du bonheur, un champ de ruines. Des victoires, faire des défaites.
J’y ai d’ailleurs tellement réussi qu’un ami qui m’avait fréquenté pendant plus de vingt-cinq ans, aimé, apprécié, m’a soudainement pris en pitié et déclaré que peut-être, j’étais malade… Que peut-être tout ça, ça se soignait avec des médicaments, avec de la chimie neuroleptique… Diantre ! Que mille fois diantre !
Mais je ne lui en veux nullement, à cet ami passé. Je semblais tellement proche des gens que je fréquentais - car je suis comme ça, extraverti, démonstratif, amical, déconnant, serviable avec ceux que j’aime, détestable aussi, souvent même- que cette fuite leur a semblé totalement anormale. Une maladie. Comme une aliénation. Comme l’irruption soudaine d’une folie latente.
Je déteste, j’ai toujours détesté, je détesterai toute ma vie, cet affreux mot : normal.
Les gens normaux meurent jeunes. Dès qu’ils ont décidé d’être normaux au détriment de leur désordre intérieur. De leur chaos constitutif.
La normalité est un achèvement pour les humains qui, par essence, sont d’abord inachevés.
L’exil, même statique, donne toujours cette sensation d’être en perpétuel mouvement, en perpétuel recommencement.
Il n'est jamais un port tranquille.
Jamais à l'abri d'une tempête venue de l'intérieur. D'une lame de fond.

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11.09.2012

L'enracinement de l'exil - 17 -

littérature

Chez nous ?

Le paysan - au sens premier de pagensis désignant l’habitant du pays - est celui qui, effectivement, habite son paysage, sans forcément y être domicilié ; qui en est l’élément humain.
C’est par ce caractère de paysan, que je m’étonne parfois d’avoir quitté mon pays. Surtout si tardivement, à une saison où tout le monde, croyant avoir jeté son ancre au bon port, jouit du calme d’une mer étale et semble attendre la nuit.
D’ici, je peux dire mon pays. Cela a un sens. Une figure. Auparavant, ça n’en avait absolument aucun. Jamais, je ne m’étais senti appartenir à une communauté de langage et de culture.  J’ai réalisé la réalité de cette communauté qu’une fois ma vie quotidienne plongée dans une autre. Jestem francuzem, suis-je souvent obligé de décliner. Cela me présente, m’identifie socialement. Dans ma langue, je ne me souviens pas avoir dit ça un jour. D’ailleurs, littéralement traduit, ça me paraît toujours assez idiot. Une précision réservée aux douaniers et aux flics.
Jestem francuzem ale mieszkam Polsce.  Je suis Français mais j’habite en Pologne. Dans cette phrase, une phrase pour passer dans un autre pays retranché derrière des frontières, par exemple, ou plus simplement pour faire immatriculer une voiture, il y a deux réalités. Ce que je suis et ce que je fais de ma vie.
Et aujourd’hui, dans les discussions avec D., quand on confronte des points de vue, des habitudes, des tics de langage, des idiomes, des proverbes, chacun d’entre nous dit : chez nous.
Pour la Pologne, je comprends bien : nous y sommes. Mais pour la France, je me rends compte que non seulement je m’identifie à un chez moi, mais, qu’en plus, dans la définition de cet idiome, habitude, proverbe, etc., j’englobe tout un peuple, nous. Vous, quoi. C’est curieux.
D’autant plus curieux qu’il m’est arrivé plusieurs fois, expliquant à un compatriote de passage ici tel ou tel côté des choses polonaises, de dire chez nous en parlant de la Pologne. Quiproquo. L’interlocuteur un peu interloqué obligé de me demander de préciser quel pays j’entends par ce chez nous. Dans ces moments-là, spontanément puisque je développe un côté de la réalité polonaise qu’il ignore et désire savoir,  je le considère comme un étranger.
J’ai le cerveau entre deux chaises. En tout cas, je me vois mal dire chez eux. Il me semblerait m’exclure et les exclure. Ce chez eux serait même empreint d’un certain dédain.
Est-ce là le début d’un enracinement ? Je l’ignore.
Mais ce chez nous me ramène cependant très loin et sonne fort dans ma cervelle de paysan. C’est comme ça qu’on disait, enfants, pour dire l’espace tout à fait restreint de notre maison et la vie, avec ses hauts et ses bas, qu’on y menait. Cette expression avait une teneur ethnologique, qui en disait long sur la façon qu’on avait d’appréhender ou d’avoir peur du vaste monde, de ses complications et de ses multiples inconnues. Elle voulait nommer un toit et elle me sert aujourd’hui pour désigner la France. Une métonymie d’un raccourci fulgurant.
Est-ce un refus, une peur de l’enracinement ? Je l’ignore.

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07.09.2012

L'enracinement de l'exil - 16 -

DEUXIEME PARTIE

littératurePartir

Sommes-nous les habiles artisans de notre histoire et les vaillants timoniers de notre voyage ? Est-ce que nous sommes les architectes autonomes du libre-arbitre quant à tout ce passé accumulé comme autant de choses nous appartenant en propre ?
Ces questions d’une naïveté première, je me les pose souvent et n’y trouve pas de réponse.
Oui, elles sont bien naïves, ces questions. Des questionnements d’adolescent presque. Des questions à la Sartre. Mais je me fous comme de ma première chemise d’être un naïf ou pas. Parce que je me fous du soi-disant cynisme qui aborde toute question comme résolue, vaine, ou d’un autre temps, et je me fous de cette posture des gens faisant mine d’être revenus de tout pour n’avoir jamais osé aller nulle part. Sinon tourner en rond dans la posture.
Je ne trouve pas de réponse, mais des soupçons de réponse. Et d’ailleurs peut-être devrais-je employer le je. Ce  nous est abusif, qui semble généraliser un cas personnel.
Ce n’est pas très galant, ça, de faire porter sa valise par tout le monde.


Dans tous les actes importants de ma vie, ceux qui lui ont donné une direction souvent capricieuse, je crois n’avoir jamais rien fait contre ma volonté. Mon désir plus exactement. La volonté, ça n’existe pas. Elle est un épiphénomène de quelque chose de plus obscur, de plus labyrinthique que le simple je veux. La volonté s’impose comme une force décisionnaire, alors qu’elle n’est qu’une manifestation secondaire. La partie visible d’un iceberg.
Ce n’est pas lieu ici, qui n’est que page d’écriture, de confier moult détails. Je résumerai donc  ainsi : j’ai maintes fois voulu ce que je n’aurais pas voulu vouloir et je n’ai parfois pas voulu ce que j’aurais bien aimé vouloir… Et c’est l’origine de ce premier degré du vouloir qui me turlupine, sans pour autant aller jusqu’au tourment.
N’est-il qu’une pulsion déguisée en détermination ? Il se présente en tout cas, à partir du moment où il se manifeste, comme une promesse de bonheur et cela suffit pour qu’il soit, selon moi, suivi sans autre tergiversation, dès lors que cette pulsion, cette envie de vivre, de faire, ne porte aucunement atteinte à l’intégrité physique ou morale d’une autre personne.
La précision est hélas nécessaire tant le terme pulsion est entaché d’instincts criminels. J’ai pour ma part le bonheur de n’avoir jamais désiré tuer ou violer qui que ce soit et j’aurais pu, si j’en avais eu le talent, écrire mot pour mot, virgule pour virgule, les strophes du bon moustachu :

Je n’ai jamais tué, jamais violé non plus
Y’a déjà quelque temps que je ne vole plus.

Si l’Eternel existe, en fin de compte, il voit
Qu’je m’ conduis guère plus mal que si j’avais la foi.

Un inextricable magma préside sans doute à la naissance de ce vouloir qui, donc, en dernier ressort, ne veut rien du tout. Magma de dispositions internes d’origines très diverses, de sensibilités intimes, de morceaux d’archéologies, de hasards, de formations personnelles et didactiques, de fantasmes, de réels, de souvenirs, d’idées philosophico-sociales, originales ou reçues, et tutti quanti, chacun de ces éléments étant eux-mêmes imbriqués les uns dans les autres par d’occultes relations de causes à effets.

Si je vous barbe avec ces considérations toutes simples et d’apparence amphigourique, c’est que je suis un paysan. D’origine, de caractère, de culture et de goût. Un paysan amoureux des paysages, d’une certaine tradition, d’un langage et d’une approche directe, brute, du monde.
Un paysan, ça se définit d’abord par l’ancrage profond de ses racines, qui lui remontent jusque dans la tête.
Or, j’ai voulu vivre en exil…

A suivre...

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05.09.2012

L'enracinement de l'exil - 15 -

littérature


L'histoire - 6 -

C’était dans une maison discrète et belle, toute de bois, aux abords immédiats de la vieille et grande forêt.
La matinée de ce début de mai  était bleue et l’herbe aux talus des lisières déjà épaisse et verte. Le jardin en broussailles, aux allées effacées par la végétation en fête, était peuplé de pommiers biscornus et les premières fleurs, roses et blanches, s’égayaient déjà à leurs vieilles branches.
Notre hôtesse nous avait servi un succulent bigos, des gâteaux et du thé, sur une petite table de jardin. Elle est une dame respectée en Pologne, le nom qu’elle tient de son mari, aujourd’hui disparu, fait encore autorité chez certaines gens et évoque un homme qui espéra et fit beaucoup pour le peuple polonais.
Comme la discussion s’accélérait entre elle et D., je ne manquai pas bientôt de perdre pied. Je saisissais bien le sujet dont il était question, mais, comme toujours quand les mots s’enchaînent à vitesse naturelle, les nuances m’échappaient. Distraitement, je pris donc le journal abandonné sur la terrasse, histoire de voir ce qu’on y disait des élections en France, où le challenger Hollande s’apprêtait à affronter le champion Sarkozy, dans une semaine environ.
Je dis comme ça, désinvolte, parce que quoi dire de plus sur ces jeux du cirque que s’offrent régulièrement les démocraties, avec toujours les mêmes gladiateurs replets et satisfaits d’eux mêmes s’offrant les têtes d’affiche du spectacle et se renvoyant tous les cinq ans la même balle pour amuser la galerie ?
Notre hôtesse me demanda cependant ce que je pensais de ces élections et je fis en souriant un geste vague qui pouvait laisser à penser que je n’en pensais justement rien. Mais, pour insignifiant qu’il soit du point de vue de la marche du monde, ce scrutin présidentiel n’en déchaînait pas moins régulièrement les passions, provoquait les polémiques et fâchait des gens entre eux, estimai-je bon de préciser.
Elle nous confia alors sa sympathie pour le candidat battu Mélenchon, le seul qui avait, à son sens, un discours cohérent, du moins d’après ce qu’elle lisait de ce discours traduit dans certains journaux.
Je comprenais bien ce qu’elle voulait dire… J’étais néanmoins surpris car en Pologne, les mots même de «communisme » ou de «socialisme» ramènent à des réalités concrètes, durement vécues, et je savais évidemment qu’elle avait été avec son mari une combattante. Je déviai un peu le sujet en demandant ce qu’elle pensait de la position partout avantageuse de l’église dans son pays.
Elle but une gorgée de thé et me sourit aimablement.
- J’en pense, me dit-elle, certainement ce que tu en penses.
- Hé bien je suis d'avis que tant que l’ancienne génération de Solidarność sera au pouvoir, dans les villes, dans les Powiats*, dans les régions, dans les villages, au parlement, tout parti confondu, cette situation, un peu étouffante pour un étranger et pour certains Polonais d'une autre confession ou athées, perdurera.
- Ceux de ce Solidarność dont tu parles, oui... Mais il ne faut pas tout mélanger. Vois-tu, me lâcha-telle, ce n’est là qu’une partie du syndicat, mais bien d’autres gens qui en ont été aussi les fondateurs, des combattants de la première heure, qui ont été emprisonnés par le régime, ont été vaincus.
Et après un silence, elle ajouta :
- On peut dire que nous, nous avons perdu notre bataille et notre guerre même si l’adversaire a été terrassé.
Elle développa son idée et j’étais suspendu à ses mots. Ils s’étaient battus pour des idéaux humanistes, pour des idéaux qu’on pourrait appeler, n’ayant pas d’autre vocabulaire à ma disposition, «de gauche». Les mots résonnaient très fort dans ma tête car gauche et droite n’ont pas ici la même pointure qu’en France. L’histoire les a affûtés, confrontés au réel. Et j’appris alors que toute une frange de militants farouchement opposés au communisme soviétique, une frange d’athées, parfois même de libertaires, avait été oubliée de l’histoire, celle de Jaruzelski comme celle de Wałesa se partageant les honneurs de la postérité spectaculaire, l’un côté perdant, l’autre côté vainqueur.
J’éprouvais pour cette dame alerte, accueillante, une vive sympathie. La fratrie des vaincus, sans doute…
Le communisme était tombé et, elle et ses camarades, son mari, avaient grillé leur jeunesse dans la lutte obstinée, la noirceur des prisons, la surveillance et la pression quotidiennes sur eux et leur famille, et ils n’avaient rien gagné au change, ils n’avaient rien récolté des fruits qu’ils avaient voulu semer.
Ils étaient, comme elle le dit si fort, des perdants.
L’histoire et ses schémas m’avaient une fois de plus floué. J’avais encore une fois avalé les couleuvres de l’information et de l’image officielle du monde. Je découvrais une autre Pologne, inconnue, pas binaire du tout, et, si j’éprouvais de la peine pour notre hôtesse et ses camarades gommés par l’histoire, je me sentais contradictoirement heureux d’habiter un pays si riche en sensibilités, en espoirs et en pugnacité. Je me sentais rassuré parce que la carte établie communisme contre église catholique/ libéralisme était une carte biseautée.
La carte qui camouflait un combat volé.
L’exilé reste un exilé. Il pense à lui  à travers les autres.

Nous passâmes la journée dans le jardin, à regarder le printemps faire sa plume, à entendre le chant des oiseaux sur les premiers nids et à discuter. Nous visitâmes une vieille grange que notre hôtesse, à l’autre bout du village, avait fait aménager en salle de théâtre pour des artistes de Varsovie. Emouvant.
Et nous bûmes beaucoup. Du thé, évidemment.
Elle me demanda, elle aussi, si mon pays me manquait.
Mais à elle, je ne servis pas ma métaphore habituelle du marin et de la mer. Je répondis que, aussi bizarre que cela puisse paraître, j’avais besoin de réfléchir à cette question, que je ne pouvais pas répondre honnêtement, comme ça, à brûle-pourpoint.
Elle comprit et je suis certain que si je lui avais retourné la question et demandé si son pays, sa Pologne, lui manquait, elle aurait murmuré :
- Oui. Terriblement.
Car ce sont de nos espoirs, beaucoup plus que d'un pays, dont nous sommes les exilés.

Image : Philip Seelen

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03.09.2012

L'enracinement de l'exil - 14 -

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L'histoire - 5 -

Quand on décrypte les soubresauts de l’histoire via les détroits spectaculaires de l’information sans que le hasard ou la volonté de savoir nous fassent aller voir de plus près de quoi il en retourne exactement, on devine des schémas et avec ces schémas-là, qu’on considère comme choses acquises et que l’on conjugue définitivement au réellement passé, on se forge une idée, de la même couleur en général que celles que nous promenons avec nous sur tous les sujets du monde.
Nous alimentons notre moulin, en pour ou en contre. Ça dépend du sujet. Les schémas sont faits pour ça : pour que chacun y trouve son compte. Si on me dit, par exemple, que le pape a encore déclaré ex cathedra telle ou telle ineptie, je ferai d’instinct coller cette ineptie avec l’exécration que j’ai de l’idéologie de son institution et m’empresserai de la prendre pour argent comptant. Et ne me dites pas que je suis partial, sans jugement et pas sérieux : nous sommes tous pareils, même si mon exemple est un peu cousu de fil blanc et participe évidemment de l’outrance facile.
Ainsi je rappellerai la mystification célèbre de Timisoara, où le nombre de tués avait été multiplié de façon scandaleuse… On s’affligeait alors de ce que le dictateur fou de Bucarest n’allait pas lâcher prise comme ça et de ce que le bain de sang était inévitable. Je rappelle ce cas d’école en matière de manipulation du monde par les médias, car j’eus l’occasion d’être informé de cette utilisation frauduleuse de l’actualité bien avant qu’elle ne soit officiellement reconnue. Elle fait, en quelque sorte, un peu partie de mon histoire personnelle. A la faveur en effet d’un convoi humanitaire qui rejoignait Timisoara via la Yougoslavie du nord à la fin de l’année 1989, j’appris que dans cette ville l’armée avait refusé de tirer sur la foule, s’était jointe aux insurgés et que le nombre de morts était d’une quarantaine environ. Ce qui est beaucoup trop, c’est vrai, mais n’a rien à voir avec les milliers de morts annoncés. L’éclaircissement me fut confirmé dès février 1990 par de jeunes Roumains d’une troupe de théâtre de Timisoara, hôtes d’un de mes frères en Vendée.
On pourrait sans doute, en compilant les expériences personnelles de chacun d’entre nous, faire un gros cahier des témoignages contraires à ceux de l’info dont on gave les peuples.
Je me souviens aussi avoir rencontré, lors d’un salon du livre à Cannes consacré aux auteurs ayant écrit sur des poètes-chanteurs, la veuve d’un homme tué au Liban et je l’entends encore, révoltée, raconter les circonstances exactes du drame, complètement différentes, sinon contraires, de celles relatées par l’info officiellement officieuse.

Cette longue digression pour en venir à l’idée que nous avons reçue de Solidarność au cours des évènements qui se déroulèrent en Pologne dans les années 80. Etat de guerre, les files de pauvres gens dans la neige et le froid devant les magasins, l’inflexible dictateur aux lunettes noires face au non moins inflexible ouvrier électricien des chantiers navals de Gdańsk, couronné en 1983 par le prix Nobel de la paix. Puis la chute du dictateur autour de ce que l’histoire appellera la Table Ronde et les premières élections libres du bloc sous influence soviétique, le 4 juin 1989. L’ouvrier électricien sera un an plus tard élu Président de la République.  Fichtre ! Réussite totale, absolue, dans le renversement d’un régime totalitaire… Mais, Napoléon pointant déjà sous Bonaparte, on verra aussitôt le susdit ouvrier-Président-prix Nobel recevant le baiser fraternel de son illustre compatriote, souverain pontife.
Là, nous avons été nombreux à déchanter et avons obscurément compris que la Pologne venait allègrement de sauter du coq à l’âne.
La suite en fut le concordat et tout ce qui va avec. Partout dans le monde, au niveau du pouvoir, si vous offrez votre pouce au clergé, il vous avale le bras.
On retiendra donc que la révolution polonaise fut la victoire de Solidarność, solidement allié  à l’église catholique. On ira même jusqu’à prétendre que l’élection du pape Jean-Paul II était en 1978 un coup fourré de la CIA enfonçant un clou dans l’étau soviétique.
Et lors de la «décommunisassion»
paranoïaque (cette chasse aux sorcières ouverte de 2005 à 2007 par les frères populisto-réactionnaires Kaczyński), on affirmera qu’un indicateur mentionné dans les fichiers de la police politique communiste sous le nom de Bolek n'aurait été autre qu’un certain... Lech Wałesa. Aie ! Aie ! Aie ! Levée de boucliers dans toute la Pologne : on ne touche pas aux icônes !
L’Histoire n’est pourtant qu’un défilé d’icônes placées au bon moment et au bon endroit  sur la scène.

Tout cela est bien joli – enfin, joli n’est peut-être pas le bon mot – mais ça n’en reste pas moins fort schématique. La vérité est plus détaillée et il m’a été donné d’avoir témoignage de certains détails importants - passez-moi l'oxymore je vous prie - que je vous livrerai sur une page prochaine.

A suivre...

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