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27.05.2010

Contes et légendes de Podlachie - 9 -

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Le voyageur et la source

Sous une cabane étroite faite de branchages enchevêtrés et recouverte de chaume, au plus profond d'inextricables et sombres taillis, vivait un vénérable ermite.
Dans tout le pays des Yadwvingues,  on disait de lui qu'il était un vieillard sage, savant et infiniment bon, comme on le dit de tous les ermites, à tel point qu'il semblerait bien qu'il suffit de fuir la compagnie des hommes pour accéder aussitôt dans leur cœur aux statuts éthérés de la philosophie accomplie.
Personnellement, je pense qu'on peut très bien être méchant comme une teigne, con comme un panier et bête comme ses pieds tout en vivant seul au fin des bois ou sur les sommets ensoleillés d'une montagne.
Mais cela n'engage que mes dispositions congénitales à la suspicion, passons donc outre et faisons fi de mes chicanes personnelles, à la fin !
Car il s'agissait là, dit la légende, d'un Zarathoustra des plus augustes.
Or, il advint qu'un soir de grande pluie, une pluie grise et froide qui fouaillait violemment les feuillages de la forêt, alors que le sage, allongé sur son lit de vieilles branches et d'herbes sèches était plongé dans de profondes méditations - car que peut bien faire un sage le soir au fond des bois sinon méditer, hein, je vous le demande bien ?- il advint donc, disais-je, qu'un voyageur égaré vint cogner à son huis.
Enfin, je veux dire plus précisément que le susdit voyageur secoua énergiquement les ramures qui tenaient lieu de porte, pour signaler  sa présence et demander l'hospitalité.
Le sage le fit donc entrer, le sécha  avec une lourde couverture qu'il lui enroula autour des épaules, le fit asseoir sur un rondin de bois brut et lui offrit un morceau de viande séchée, arrosé d'un petit verre d'une liqueur  préparée avec les fruits sauvages des bois, avant de lui demander, de sa voix douce et chevrotante bien entendu, ce qu'il cherchait en ces lieux secrets où, depuis bien longtemps aucun humain, à part lui bien sûr, ne s'était aventuré.
Je suis venu consulter votre sagesse, lui dit le voyageur.
Car je vis sans vivre, je regarde ma vie passer devant moi sans jamais n'y avoir accès et mon cœur est plein  d'un lourd chagrin. Je suis né sous une étoile noire, l'étoile des détresses ineffables et pourtant je voudrais vivre, vivre pleinement mon voyage. Je sens parfois dans mon sang bouillir et mugir l'appel de la joie et du désir de vivre mais cet appel reste obstinément prisonnier de mes mélancolies et ma vie passe comme un songe, comme un rêve inaccessible, comme un autre moi-même, comme une ombre fugitive.
L'ermite, vous vous en doutez fortement, ne répondit pas aussitôt. Comme tous les ermites savants, sages et bons, il caressa longuement sa longue barbe -  blanche ? oui, blanche -  fronça le sourcil, plissa le front, qu'il avait  évidemment large et puissant, et s'enfuit vers de profondes et amphigouriques méditations.
Enfin,  il leva ses grands yeux - bleus ? oui, bleus -  sur le voyageur et lui dit qu'il lui  fallait marcher droit, droit devant lui, toujours tout droit, sur le soleil levant. Qu'il avait vu sa destinée.
Tu enjamberas sept grands fleuves et escaladeras dix montagnes avant d'aborder une forêt d'aulnes géants, une forêt noire comme les plus noires des ténèbres. Là,  tu entendras une source gazouiller  sous les grands arbres. Tu boiras de son eau limpide et ton destin s'ouvrira devant toi comme s'ouvrent les portes d'un palais royal. Car c'est là, sous les aulnes géants, que  ruisselle la source de la vie. Tu la reconnaîtras à la puissante émotion qui s'emparera de toi.

Le voyageur se mit alors en marche et marcha longtemps, longtemps, très longtemps. Il marcha des jours et des nuits. Il marcha des lunes et des lunes. Il vit les feuilles des arbres se colorer de jaune et de pourpre, il les vit tomber en tourbillonnant au vent, il affronta le gel et la neige et les tempêtes glacées, il vit les arbres reverdir encore, le soleil plomber la plaine sous ses dards brûlants et puis les feuilles à nouveau venir mourir une à une sur le sol...
Il marcha des années et des années durant. Il marcha jusqu'à l'épuisement, toujours droit devant lui.
Il enjamba bien des rivières et bien des fleuves, escalada bien des montagnes altières, écouta bien des sources tintinnabuler sous ses pas, mais ne sentit pas dans son cœur jaillir l'espoir et la soif de vivre.
Puis, un soir, en proie au  dernier des désespoirs, il s'allongea sur le sol humide d'une sombre forêt...Alors, son cœur fit un bond joyeux dans sa poitrine, son sang jaillit et alluma ses veines, son âme fut soudain submergée comme par un doux élixir, l'élixir du bonheur et du désir d'aimer.
Sous son corps meurtri, il entendit nettement, à travers une mince couche de terre et de feuilles mortes, chanter la source de la vie.
Il lui fallait maintenant gratter de ses ongles, voir l'eau et la boire. Il exultait, il souriait, il....il se coucha sur le dos, épuisé.
Plus la force soudain de vouloir encore.
Il regarda les aulnes géants qui se balançaient au vent mélancolique du crépuscule, ferma les yeux, tenta de les rouvrir une dernière fois encore et  s'éteignit là.
À deux doigts du bonheur d'exister.

10:03 Publié dans Contes et légendes de Podlachie | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

26.05.2010

Petit agenda d'un petit écrivain

_MG_0967.jpgPeu d'échos encore de mon dernier livre, paru au Temps qu'il fait le 25 mars dernier.

Les copains du Net, toujours présents :  Philip, l'ami Solko et Brigetoun.

Je les en remercie vivement.

Et puis le vieux camarade François, qui me fit  gentiment parvenir l'article de Serge Airoldi  paru dans le Matricule des Anges du moi de mai.

Bientôt, sans  doute aussi, une critique de l'ami Feuilly, dans le Magazine des livres.

Et puis, un mail de Marie-Claude Rossard qui m'informe que le livre est sélectionné pour le prix Ptolémée de Saint-dié-des-Vosges, plus exactement le prix Amerigo Vespucci s'intéressant aux ouvrages littéraires  et "géographiques dans des langages différents de ceux des professionnels de la géographie".

Voilà. Y'a plus qu'à..."espérer beaucoup, attendre peu, ne rien demander."

Et l'agenda dans tout ça ?

L'agenda,  c'est que je serai le samedi 29 mai l'invité de  l'Institut Français de Varsovie pour le lancement public de Publie.net.

J'y suis invité à titre d'auteur Publie.net et d'auteur tout court, de langue française résidant en Pologne.

Mon propos y sera complémentarité de l'oeuvre numérique et de l'oeuvre sur support papier. Entendons par complémentarité, un propos qui se propose de tordre le cou à la déjà trop vieille idée  selon laquelle les œuvres numériques allaient tuer sans vergogne et sans pitié les œuvres (dignes de ce nom) éditées sur  papier (qui n'ont pourtant pas, pour ce faire, besoin qu'on leur donne un coup de pouce.)

Je ferai également, si connexion en live, un tour d'horizon du site et des auteurs présents sur Publie.net

J'y ferai aussi lecture de quelques pages de Chez Bonclou et autres toponymes et de Géographiques. Je laisse à une troupe francophone de théâtre de Varsovie, la BenOui Compagnie, le soin de lire du "Zozo, chômeur éperdu."

Et justement, à propos de théâtre, le susdit Zozo, toujours nonchalant,  sera le héros d'un spectacle monté en Deux-Sèvres au mois d'octobre prochain, avec l'aide précieuse, amicale  et professionnelle d'un artiste des Matapeste.

Où je suis invité, donc.

Je vous en reparlerai.

Pour l'heure, il fait beau alors je file couper du bois, tondre la pelouse ou, peut-être, peigner la girafe.

Image :  Ma dernière intervention publique, le 5 mai 2009 à La Rochelle avec Denis Montebello ( comme ça, à ce rythme, j'ai le temps de reprendre mon souffle et de rassembler mes quelques idées )

11:31 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

25.05.2010

Grandeur d'âme de la métaphysique doctrinaire

tunnel.jpgLe professeur Bartoszewski, vieux monsieur respectable et respecté, figure emblématique de l'intelligentzia polonaise, ancien déporté des camps d'Auswitch, ancien ministre des affaires étrangères, aujourd"hui conseiller du gouvernement pour les relations avec l'Allemagne, a rappelé récemment les paroles d'un prélat haut placé sur les marches de l'organigramme ecclésiastique et qui, dans un  sermon tonitruant, avait pris dieu lui-même  à partie en des termes on ne peut moins équivoques :
« Si tu  voulais faire tomber un avion, que n'as tu fait tomber celui qui volait sur Smolensk trois jours auparavant ? »
Entendez par là l'avion de la délégation officielle polonaise* invitée par les Russes aux cérémonies officielles du massacre de Katyń et  réunissant à son bord de nombreux membres du gouvernement, sous la conduite du premier ministre, Donald Tusk.
Surpris par la magnanimité de la  question, il paraît que dieu en est resté bouche bée.

Et le journaliste de Polytyka qui relate ces propos  criminels de dire qu'il se sent lui-même, pour la première fois de sa vie, tel un dieu, tant il ne sait que répondre à une telle ignominie.
Il en reste bouché bée.
Ce fait divers pas si divers que ça, pour dire qu'en Pologne, fort du concordat, le clergé se mêle évidemment de politique, le plus souvent côté PIS (Droit et Justice), le parti populiste du président défunt et de son frère jumeau, l'actuel candidat à la succession, et que, fidèle à son histoire partout dans le monde, le susdit clergé n'y va pas avec le dos de la cuillère pour servir les inepties les plus dégueulasses et flatter les instincts les plus vils.

Mais je veux vous rassurer quant à l'intelligence et la clairvoyance du peuple polonais. Vous rassurer quant à la douceur de ce pays. La Pologne, c'est vraiment autre chose et de plus en plus nombreux sont les Polonais qui en ont par-dessus la casquette de l'omniprésence chafouine de la soutane.
Comme dit dans 'Polska B dzisiaj', les jours de gloire de la sournoise institution, qui doit , in fine, tout à la dictature communiste, sont derrière elle.
Gare au retour de bâton ! L'histoire nous enseigne que dans ce pays, quand la coupe est pleine, elle est vraiment pleine et qu'on ne la laisse pas déborder trop longtemps.

Image : Philip Seelen

* Les  autorités russes avaient organisé, quelques jours avant le drame, des cérémonies auxquelles ils avaient convié les Polonais. Le 10 avril, il s'agissait d'une cérémonie privée, voulue par le Président défunt.

10:59 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

24.05.2010

La conjuration du sablier

Corbeau_a_gros_bec_TETE_vign_21022010_-_Japon.jpgLa plaine qui n’ondulait jamais était humide, d'une humidité moelleuse,  et la forêt tout au bout mettait brutalement fin à son destin de plaine.
C’était un mur de pins sombres où bataillait le vent, la forêt, et c’était vers ce mur que je cheminais, cependant que le soleil tout pâle glissait sur les dernières plaques de neige.
Derrière moi, il n’y avait rien.
Que du souffle invisible sur le silence de mon histoire.
J’ai levé les yeux au ciel. J’y  cherchais un oiseau, j’y cherchais un voyage qui pût me rassurer du mien, me chuchoter tu n’es pas si seul dans la désespérance, pas si perdu dans tes errances, regarde la blessure fatiguée de mes ailes, regarde l’immensité des nuages à l’assaut desquels me porte cette blessure, regarde le sang par les vents injecté dans mon œil, vois l’impossibilité de mes chimères ataviques et vois la chute au bout, sans qu’aucun vide, nulle part, ne s’inscrive sur la face impassible du monde.
Mort anonyme. Sépulture introuvable. Néant dérisoire. Inutilité du passage.
Mais le ciel était muet. Pas même un nuage en forme d‘allégorie, de ces nuages qu’on lit, comme des monstres ou comme des jouets,  quand on a refermé tous ses livres.

Je marchais vers la forêt parce que j’y avais cru voir la silhouette chancelante d’un homme. On ne voit pas beaucoup d’hommes par ici. On ne voit que la plaine et sa toile de  fond, le rideau sombre des pins.

Que viendraient faire ici les hommes ? Depuis longtemps mon pacte avec eux avait été rompu. À tel point que même là, sous le vent, sur la neige éparse et sous le ciel immaculé, la forêt semblait reculer devant moi, comme si elle refusait que je la rejoigne, comme si sous mes pas s’allongeait la plaine et comme si l’intrus échoué là-bas, à la lisière, s’obstinait à repousser l’échéance  de la rencontre.

C’est alors que j’ai vu l’oiseau. Non. J’ai d’abord vu son ombre qui se déployait sur le sol. Après seulement, j’ai reconnu un corbeau. Un vrai corbeau. Pas une de ces corneilles ou autres freux qui habitaient là-bas, autrefois, sur les marais et les labours paisibles des brises océanes. Un grand corbeau. Un lointain consanguin des nettoyeurs d’Austerlitz. Tellement noir qu’il m’en a semblé  bleu.
Il a plongé sur la lisière et je me suis arrêté tout net. C’était un signe. Je devais m’arrêter là. Il  y avait
quelque chose de la mort blottie sous l’envergure puissante de ses ailes.
Et c'est la forêt qui est venue jusqu’à mes pas. Un nuage est passé et le soleil s’est tu, effrayé par la pénombre.
L’oiseau picorait avec force délectation les yeux de l’homme sur le sol étendu. Le mort n’était pas mort et se prêtait au jeu. Il embrassait le bec et caressait la plume à chaque lambeau de chair arraché à sa vie.

Quelqu’un a frappé. J’ai cru. C’était le vent qui secouait violemment les volets.
En sursaut, j’ai regardé par la fenêtre. La lune dormait encore entre deux branches accrochant ses moignons gelés sur le blafard du ciel.
Je me suis levé. J’ai bu la dernière eau-de-vie de mon histoire et me suis mis à écrire.
Je n’ai depuis lors jamais cessé de tenter de remonter le temps.
Faire reculer la forêt et effrayer les corbeaux.

Texte (modifié) publié en mars 2009

Image : Aurélien Audevard

09:32 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

20.05.2010

Contes et légendes de Podlachie - 8 -

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La maison

Peut-être ne me serais-je pas arrêté sur cette courte légende si, un jour de grand soleil d'été, je ne m'étais auparavant arrêté au bord du Bug, parmi les pins et sur du sable fin.
Je m'étais arrêté là parce que le décor et les parfums de résine chaude auraient pu faire croire, en fermant doucement les yeux, qu'on se trouvait, non point à une cinquantaine de mètres de la Biélorussie,  mais bien  de l'autre côté du continent, au cœur de l'île d'Oléron.
J'étais donc là à rêvasser et à méditer sur le pouvoir évocateur des paysages et de leurs odeurs, quand j'aperçus un peu plus loin sous la pénombre bruissante de la pinède, dans une petite trouée, une vieille maison de bois, visiblement abandonnée.  Rien de bien original, me direz-vous et impatients que je vous sens...
Mais attendez
un peu que je vous dise.
Car cette maison, quoique orpheline, solitaire, dégageait pourtant quelque chose d'étrangement présent. Une sorte de palpitation. Le bois, un peu vermoulu, en était propre, les volets en bon état, le toit de chaume non éventré,  assez bien peigné même, et la végétation alentour, quoique abondante, semblait plus disposée à la protéger qu'à la vouloir  ronger.
Cette maisonnette m'a ému, tant que, lisant bien plus tard le récit de Marya Kasterska, je l'ai spontanément reconnue. Forcément, il ne pouvait s'agir que d'elle. La légende avait soudain un lieu et prenait corps dans mon esprit.

J'ai donc appris que dans cette maison, au  temps jadis des Yadzvingues, la clef en  était toujours soigneusement disponible, posée sur la serrure. Chacun, à sa guise, pouvait ainsi y entrer.
Et chacun trouvait là un feu qui crépitait dans un grand poêle de faïence verte, une table agrémentée de quelques fleurs séchées et garnie de légumes frais, de fruits et de viande. Dans un coin, tout près du poêle, une couche molle à souhait attendait patiemment qu'on vienne s'y  reposer.
Les tourbillons verdâtres du Bug berçaient alors le sommeil du voyageur tandis qu'au-dessus du toit de chaume le souffle de la nuit murmurait une tendre berceuse entre les branches lascives des grands pins et des bouleaux.
Mais un soir, un soir que la neige voltigeait au-dessus de la rivière, avec dans le ciel d'épouvantables nuages noirs qui semblaient vouloir toucher les cimes de la  forêt, un étranger survint. Il était très pâle, il était long et maigre,  il était vêtu de haillons maculés  de boue et il était très triste. Il se restaura, morose, insensible aux charmes du lieu, avant de s'endormir pesamment, tout crotté encore, sur le lit douillet.
Au matin, il jeta de l'eau sur le feu, fracassa les vases de fleurs, éparpilla dans les sous-bois ce qu'il restait de vivres sur la table et, ayant refermé la porte à double tour, jeta la clef dans les flots tourmentés du Bug.
Depuis lors, la maison est restée hermétiquement close. Bien des gens des alentours, bien des voyageurs  - et même un conteur -  ont essayé de l'ouvrir et de lui redonner vie.
Mais tous ont frappé vainement à sa porte.
Aussi vainement que s'ils eussent frappé le couvercle d'un lourd cercueil.

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19.05.2010

De la case départ à la case départ

jeu_de_l_oie.jpgCe que je ressens du monde a la douceur apaisante d'une vaste rondeur. Mais pas comme un cercle élégant tracé par le compas d'un écolier studieux. Une boucle plutôt. Une circonférence dessinée par un cancre.
Je vis sur une boule bleue qui tourne autour d'une boule rouge ou jaune, suivant des saisons qui tournent en rond... Et quand je regarde le ciel sur la plaine, il plonge en arc de cercle sur cette plaine, laquelle courbe elle-même l'échine, fait le dos rond, là-bas sur le brouillard des horizons infléchis.
L'horizon. Terme ambigu. Incertain. En même temps terme d'espoir et de chute. Mirage trompeur de la ligne droite. Point de mire du marcheur fatigué. Infranchissable. Sans cesse reculé. Dansant.
C'est ainsi que les bâtisseurs d'horizons ne vont jamais au bout de leurs rêves.
L'horizon. Ligne circulaire, variable en chaque lieu, dont l'observateur est le centre et où le ciel et la terre semblent se joindre. C'est Le Littré qui le dit. Et je vois le Littré partout au bout de mon chemin. L'horizon est donc circulaire et les lignes horizontales ne sont jamais droites puisque par définition astronomique, elles sont des parallèles à cet horizon.
Je marche vers l'horizon. À la verticale, que je marche. Perpendiculaire à une courbe.
Comment dès lors marcher droit vers un point final ?

Tout a la rondeur des espaces qui commencent et finissent en même temps, sans qu'il n'y ait de trajectoire linéaire.
Quand je regardais l'océan, il était aussi comme une sorte de sphère liquide dont je n'apercevais qu'un pôle qui miroitait sous la lumière d'une grosse étoile ronde.
Si j'imagine l'univers dont une des théories le décrit comme encore en expansion, j'imagine une sphère incommensurable et chaude qui gonfle encore sous l'impulsion d'une force titanesque qui lui viendrait du centre. Les limites où se meurt le rationnel et où trébuche l'imagination, c'est la définition, l'existence même du vide sur lequel se répandrait cet univers en mouvement circulaire, projeté à l'infini.
Car pour qu'un corps se distende et prenne de l'ampleur, il lui faut forcément rencontrer du vide. Et le vide, le néant, par définition, ça n'existe pas. Prétendre à une existence du néant, c'est implicitement poser le postulat de sa négation.
Je vis, nous vivons, dans cette rondeur chaotique. Nos états d'âme, nos pulsions, en sont forcément déterminés pour une part. Nos prétentions aussi, hélas !
Et du hasard d'une naissance à la dernière pelletée du fossoyeur, ce que nous appelons la fuite du temps et qui n'est que l'éphémère de notre marche vers l'horizon intangible, me semble donc un cercle imparfait, musardant du point zéro au point zéro.
La vision commune de cette fuite est une trajectoire. Le temps rationnel, vécu comme corps unique à sens unique. C'est la vision capitaliste du temps. Le temps marchandise. Le langage, que les hommes ont quelque peu désappris à lire,
ne s'y trompe d'ailleurs pas. Il dit : perdre, gaspiller, récupérer, avoir ou gagner du temps.
Si tel en était, pour nous nous souvenir, il faudrait nous retourner. Or, nous ne nous retournons pas. Nous nous voyons en un point donné du cercle imparfait. Là où nous sommes déjà passés et où nous avons déposé comme gages de notre voyage, des rêves d'enfant, des larmes, des visions fulgurantes de la mort, des amours et des amitiés...
Seuls les gens qui pensent leur vie comme une ligne à parcourir pensent qu'on patauge quand on est dans la nostalgie. Nostalgie. Se souvenir avec douleur. Sur une boucle, on a une vision d'ensemble. On se voit partout à la fois. Le présent regarde le passé sans nier sa qualité de présent irrémédiablement entrainé dans sa chute vers le futur.
Nous croise nous, en fait. En même temps ici, ailleurs et déjà là bas.
Aimer vivre sa vie, c'est donc être quantique. Multiple. Plusieurs.  Et comme son propre horizon, impalpable.
Le grand mouvement des choses.
J'aime les saisons, le retour et leur fuite. L'éternel retour des mêmes gestes de la terre dans sa complicité avec le reste du monde.
Nous-mêmes, dans cette incendie qui tourbillonne, nous reproduisons des scènes à l'infini de notre espace fini  Des scènes  qu'on a déjà vu se jouer...Quelque part. Sous les lampions d'un  théâtre qui n'était pas encore mûr.
Particule de ce bal infini, je ne suis rien sans l'exode des oiseaux vers le nord, puis vers le sud, puis vers le nord encore. Rien sans la nuit qui engloutit le jour et ce jour à son tour qui dévore la nuit. Qui l'épluche d'est en ouest.
La pendule universelle.
Jusqu'à l'horizon courbé, défaillant mais jamais vaincu. Phénix sans cendres, éternel brasier.
C'est nous, hommes qui marchons et dont la marche est forcément fatale, qui sommes des vaincus. Du premier vagissement au dernier râle.
Et c'est quand nous en avons la conscience joyeusement sensible,  que nous sommes littérature.

09:33 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

17.05.2010

La Podlachie, marche de l'Orient

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L'église uniate

Sur le sujet, une fois ne risquant pas d'être coutume ici, j'ai envie de remonter, historiquement s'entend, jusqu'à Jésus.
Selon son commandement  aux apôtres, « Allez et enseignez à toutes les nations », il paraît que ceux-ci se seraient dispersés  à travers le monde pour y semer la bonne parole.
Saint-Pierre prêcha à Rome et c'est donc là que la liturgie fut célébrée en latin et selon la culture romaine. C'est ce qu'on nomme le rite latin.
Son frère aîné, Saint-André, porta ses enseignements en Grèce. L'ancienne culture grecque servit alors de fondement  au rite grec, que l'on dit aussi rite byzantin.
Pendant 1000 ans, le christianisme s'est donc développé dans toute l'Europe sur la base de ces deux rites, sans que l'église ne connaisse de dissension, le successeur de Saint-Pierre, le pape donc, ayant pour mission de sauvegarder l'unité. Rappelons d'ailleurs que beaucoup de papes étaient alors d'origine grecque, en guise de consensus...

La première grande nation slave à se convertir au christianisme, en 863, la Grande Principauté de Moravie, avait pour apôtres Saint-Cyrille et Saint-Méthode. Membres du clergé grec, issus d'une grande famille gréco-slave de Thessalonique, ils ont composé un autre alphabet pour la langue slave et ses amoncellements de consonnes et traduit la Sainte Ecriture et les livres liturgiques en slavon.  Les Slaves adoptèrent donc, en l'honneur de Saint Cyrille, l'alphabet cyrillique.
En 868, Adrien II, évêque de Rome, ratifia l'usage de la langue slave dans la liturgie. Dès lors, la chrétienté louait son dieu en trois langues : le latin, le grec et le slave.
C'est en 1054 que la division est consommée. L'église orientale et l'église occidentale rompent leur union et fondent deux centres ecclésiastiques indépendants, l'un ayant son siège à Rome et l'autre à Constantinople.
L'orthodoxie qualifie dès lors l'église qui est dans le vrai, ben voyons, et désigne les chrétiens de l'Orient. Le catholicisme  désigne les liturgies de l'Occident et qualifie ce qui est universel et ne peut être discuté, re-ben voyons.
Le problème de fond n'est donc pas un problème de déviance spirituelle à une foi commune, mais un problème politique, Rome et Constantinople se disputant, depuis l'empereur Constantin et la fondation en 330 des deux empires romains, d'Orient et d'Occident, les zones d'influence géopolitiques.
Les différences de culture et de célébration de la liturgie ont
ainsi servi de tremplin historique à la désunion.

Des siècles après le schisme, des efforts furent faits par la communauté gréco-byzantine pour rétablir l'unité entre Rome et Constantinople. Cette église orthodoxe ayant choisi de s'unir, pour des raisons politiques, à l'église romaine, s'est alors appelée l'église uniate.
C'est donc aux frontières de l'Orient et de l'Occident, là où cohabitaient les deux églises et les deux liturgies,  que cette union s'est réalisée, comme imposée par les nécessités, comme « un passage en douceur » entre les deux grandes zones d'influence.
Sur le territoire de la Pologne de l'Est, les deux Polognes, puisqu'il y avait la Pologne dite de  la « couronne » et la Pologne de « la Grande Principauté de Lituanie », cette union a été célébrée entre les évêques russes et les évêques de l'église catholique romaine à Brest Litovsk, en 1596, aujourd'hui en Biélorussie, juste de l'autre côté du Bug.
En abusant de raccourcis tant historiques que religieux, disons que cette union de Brest  est aussi significative que le fut en France le fameux édit de Nantes.

La paroisse néo-uniate de Kostomłoty, à une trentaine de kilomètres de chez moi et où, quoique indomptable mécréant, j'aime aller flâner, est la descendante directe de cette union historique de Brest.
Sous l'occupation russe, au troisième partage de la Pologne, l'union de Brest a été abolie par le tsar et les uniates massacrés sans autre forme de procès.
Et ce ne fut qu'a la renaissance de la Pologne, le 11 novembre 1918, que cette union a été rétablie en
Podlachie en prenant le nom de néo-uniate.  Mais sur les dix paroisses existant avant la répression tsariste, une seule a survécu au régime communiste, celle de Kostomłoty.



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Le site

C'est donc là l'unique paroisse uniate de toute la Pologne. De quelque confession que l'on soit, et même sans confession du tout d'ailleurs, Kostomłoty vaut la balade du point de vue de cette singularité, du point de vue de  l'histoire comme de celui des charmes de la place.
Au bord du Bug, Kostomłoty est un  minuscule hameau sous la verdure.
Le sanctuaire occupe un grand jardin d'arbres et de plantes au milieu duquel sont l'église, le presbytère et une chapelle, le tout en bois. 

Les premiers documents historiques relatifs à Kostomłoty mentionnent l'année 1412, date où le Grand Prince de Lituanie, Witold,  a rattaché le village au couvent des Augustins de Brest.
La paroisse uniate y a été créée en 1631, peu après Brest Litovsk.


Extrait d'un projet (plus de 200 pages et 100 photographies) abandonné faute de moyens et d'oreilles pour nous écouter :  
" Vade mecum de la Podlachie du sud" par Dorota et moi-même

11:50 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

13.05.2010

Contes et légendes de Podlachie - 7 -

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La menthe

On s'affairait dur, ce soir là, dans les gigantesques et célestes ateliers du grand manitou.
Il y régnait la frénésie des veilles de grands évènements et le joyeux brouhaha des derniers préparatifs d'une fête : demain  en effet, à l'heure où blanchiraient les nuages, serait créé le vaste monde.
Tandis que les divers aide-manitou vaquaient eux-mêmes à moult vérifications de dernière minute, le maître de céans, grave et sérieux comme (j'allais dire un pape mais c'eût été ridiculement
mettre la charrue très loin devant les bœufs), sérieux comme se doit de l'être un grand manitou, alors,  était en train de régler minutieusement la course très prochaine de l'astre solaire. Il s'agissait là de ne pas faire d'erreur. Toute la vie sur terre en dépendrait pour une large part.
Un de ses aides vint néanmoins le timidement distraire de ses augustes préoccupations.
Nous avons tout scrupuleusement contrôlé, ô illustre et grand manitou ! Tout nous semble paré pour un monde des plus harmonieux... Nous avons une dernière fois ausculté le cœur des hommes. Il est bien, comme vous l'aviez impérativement recommandé, dur comme le bois de chêne et opportuniste comme le gui qui se nourrit de la souffrance des autres.
Voyez comme la Création avait une curieuse idée de l'harmonie. Mais passons outre, là n'étant point le cœur  de la légende et ça nous emmènerait trop loin si nous nous mettions en devoir d'ergoter là-dessus
(ndlr)...
Bien, répondit le grand manitou à son céleste ouvrier, sans même se retourner et sans s'extirper de ses profondes méditations quant à la course prochaine du soleil.
L'aide se racla la gorge et, encore plus timidement, se plaignit
cependant qu'aucune directive n'avait été donnée quant à l'essence du cœur de la femme et que c'était bien embêtant, ça... Hum...Hum...
Le grand manitou ne répondait pas, toujours penché sur l'astre de feu.
Hum... Hum...se racla derechef l'auxiliaire scrupuleux.
Intervint alors un autre lutin qui accourait d'un atelier voisin  et qui s'exclamait, enthousiaste, émerveillé. Aux anges, si j'ose dire.
Je suis allé voir comment seraient les moissons des hommes. J'ai vu des plaines immenses et blondes se courber sous la brise légère et les lourds épis frissonner doucement en se frottant les uns contre les autres. J'ai vu des  bleuets aux yeux splendides, j'ai vu des hommes robustes vider les champs, engranger et faire le pain de la vie. Et derrière les glaneuses, j'ai cueilli une toute petite plante aux feuilles finement dentelées, aux fleurs délicatement mauves, et qui avait un parfum frais, un bouquet qui donne le vertige.
J'ai entre mes doigts écrasé une de ses feuilles. Et plus je l'écrasais, plus elle exhalait un arôme encore plus enivrant.
Plus je la tourmentais de ma curiosité et de mon admiration et plus ses effluves se faisaient suaves, folles, sublimes.
Quelle est donc, ô puissant grand manitou, cette plante merveilleuse que vous avez créée là ?
Et le maître de céans, sans répondre à ce petit et second et enthousiaste lutin qui venait le déranger dans ses
lumineux calculs, se tourna tranquillement vers le premier.
Cette plante est ce qui te semblait n'avoir pas été créé. Elle est le
cœur  de la femme.
Laissez-moi maintenant  terminer de régler l'alternance des ombres et de la lumière, tel un vaste balancier du temps, de la vie et de toutes choses qui, demain, à l'heure où blanchiront les nuages comme déjà dit, seront le monde.

NDLR encore : Je ne suis pas certain, pour une foule de raisons qui nous emmèneraient trop loin si nous nous mettions en devoir d'ergoter là-dessus, d'être bien d'accord avec l'esprit de cette légende.
Mais les légendes ne sont pas faites pour qu'on soit d'accord ou pas d'accord avec leur esprit.
Elles sont du vent qui passe. Elles se transforment, voyagent, rebondissent, arrivent jusques à nous, s'arrêtent un instant et repartent à l'autre bout des quatre horizons...

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11.05.2010

Alchimie sommaire de l'écriture

16.JPGCe que nous avons à notre disposition pour écrire le monde et dans le monde, c’est un désordre intérieur.
Toute la problématique de l’écriture réside dans cette confrontation entre l’intérieur mal maîtrisé, mal connu même, et l’extérieur fortement matérialisé, codé à l'extrême et d’apparence rigoureusement organisé. Un extérieur qui poursuit ses buts autonomes, qui se soucie
comme d’une cerise d’être écrit  et un intérieur qui doit composer avec lui, au risque de périr.
Mais qui vient d’ailleurs, décalé.
On n’écrit le présent que sous la dictée, même très discrète, d’un passé.
On écrit au passé décomposé du subjectif.
Ce monde d’enchevêtrements mécaniques où se distordent nos efforts pour rester humains, ne pourra jamais être pensé sensiblement, donc écrit, par moi sans que ma plume n’ait trempé au préalable dans l’encrier où sommeillent  mes premiers paysages. Une rivière, des frères, une mère, des chemins d’école valsant sous des brouillards, des équinoxes aux odeurs de champignons et de troupeaux mêlées, de vieux récits de trappeurs dans des livres jaunis, de premiers camarades, d'affrontements douloureux avec l'ordre et la discipline, d'amours inachevées, vaincues, parfois bâclées, d'amitiés sans lendemain.
Nous avons tous, sans doute, des paysages, une voix brisée d’aïeule, un coin de terre, une forêt initiale, un indéfini de nous et que nous avons quittés trop brusquement.
Sans prendre congé.
Nous avons basculé, chaviré, dans une espèce d’époque secondaire qui niait nécessairement notre primaire. Et nous n’en étions pas peu fiers, de changer d’époque, de notre mue !
La révolte capillaire, le rock, la pop, la découverte du plaisir sexuel - encore que celui-ci soit sous -tendu (sans jeu de mots facile) par d'innombrales autres accès aux plaisirs de vivre - la guerre du Vietnam et la révolution. Le tout sous les volutes bleues d’une herbe capricieuse, dont les graines crépitaient parfois sous la chaleur du mégot, entre amis du même tonneau.
Ce n’est qu’après, en se faisant frotter l’un contre l’autre l’intérieur et l’extérieur, du moins en pensant la friction, que les véritables étincelles sont venues. Celles de l’abandon des chimères, vaincues par la fuite et la réalité du temps

Ecrire, c’est poétiser la souffrance. Quels que soient les effets d’annonces, les formes, les prétentions et les exigences de l’écriture.

On n’écrit cependant jamais aux prises réelles avec la souffrance. Quand on est sous les rafales d’un cyclone, on  pense à sauver sa peau, pas à décrire le vent.
J’ai passé un an dans une souffrance morale des plus aigues. Quelque chose qui, à force, passait au physique, formait dans le ventre une boule et me faisait hurler de douleur, le matin au réveil.
Le corps obligé de prendre en charge une part de la souffrance afin que l’esprit ne sombrât pas totalement. Le corps comme une soupape de sécurité, justifiant ainsi les cris qui, sans lui, eussent assurément passés pour les manifestations d’une démence accomplie.
Un nom donné au mal de vivre : il a mal au ventre. Ah, c’est pas grave alors…Faut voir un médecin.
Aucune envie d’écrire, ne serait-ce la moindre chansonnette. Les seules échappatoires, l’alcool et la marche sous la pluie, le visage inondé sur des chemins fangeux. Les trois conjugués, le vin, beaucoup de vin, la pluie et la marche, transportent la souffrance dans les sphères plus lénifiantes de la pensée pure.
Après seulement est revenue le goût d’écrire. Ce plaisir sans égal d’inscrire les mots qu’on redoutait tant à dire. Après la cassure.
Le schisme consommé, le raz de marée, la lame de fond ayant tout détruit sur leur passage, l’écriture est venue reconstruire le paysage.
C’est ça, pour moi, écrire. Reconstruire les paysages perdus.
L’écriture, c’est pas fait pour comprendre. Y’a des divans pour ça. Au pire, des philosophes.
L’écriture, ça existe pour bâtir des mondes de l’intérieur. Quand ces mondes sont rentrés en une telle contradiction avec l’extérieur qu’il leur a fallu livrer une bataille mortelle et que c’est eux, les intérieurs, qui en sont sortis – momentanément du moins- vainqueurs.
Je n’invente alors rien. Ni le trouble des beautés anonymes d’un pays où je vis en étranger, ni les « je » narrateurs, ni les personnages d’un récit.
Ils sont tous des fantômes de ma vie enfuie, dilapidée.
Et conviés aujourd’hui à venir goûter une part de mon bonheur d’exister.

C’est quand je reconnais dans une écriture ce mélange détonant de fantômes, de bonheur d’exister et de souffrance, que je sais être en présence d’un frère.
D'un compagnon de route.
D'un qui sait que la beauté de l'écriture - comme celle de la littérature même si elle ne la rejoint pas toujours - réside dans son incontournable non-nécessité.

Texte mis en ligne en septembre 2008, modifié.

10:13 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

07.05.2010

Fillon, larbin cacochyme et exécuteurs des hautes œuvres

photo_1269925209826-1-0.jpgC'est toujours la même et désastreuse rengaine : le capital et les hautes  finances s'en mettent plein les fouilles, comme des gorets devant l'auge, gonflent, spéculent, magouillent, engrangent, trichent, abrutissent, mentent, dissimulent, mettent en scène, amusent la galerie par épiphénomènes interchangeables et...forcément finissent par déraper.

Et pour tenter de remettre leur bateau pirate à flot, en appellent aux galériens, ceux dont le rôle est de ramer :  Serrez-vous la ceinture et souquez ferme, garcons, si vous ne voulez pas couler avec nous-autres !

Depuis le temps que ce monde tourne sur des postulats absurdes et que des hommes en braillent la critique, peu sont venus pour en tirer l'exact profit.

De leurs obscures alchilmies, ils ont à peu près tout détruit de notre intelligence du monde.

Mais pas encore la vigilance du langage.

09:03 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

06.05.2010

Contes et légendes de Podlachie - 6 -

P1280029.JPG

La légende du temps

Depuis la prime aurore, le voyageur marchait et trébuchait sur les plaines toutes blanches de Podlachie, gelées, balayées par les vents, et le ciel noir devant lui qui tombait sur des horizons muets.
Harassé, il dut bientôt s'adosser au tronc d'un grand pin esseulé sur le désert des champs et, inspirant très fort, levant la tête sur les nuages, fermant les yeux, il implora pour qu'apparaissent bientôt dans les brouillards dansants les premières maisons d'un village. Les premiers sons d'une voix fraternelle.
Il le fallait avant que la nuit n'engloutisse tout et que ne se mettent en maraude les bêtes sauvages des ténèbres... Sans quoi...
Mais son corps glissa lentement, ses jambes plièrent, il s'accroupit là, sous les morsures blanches du vent, et il s'assoupit.
Il fit encore un effort, secoua la tête, tenta d'ouvrir les yeux, reposa son front sur ses mains et finit par sombrer.
Tu es las, voyageur, très las...Tiens mon bras, prends appui sur  mon épaule et viens...Il te faut encore
longtemps marcher sur la plaine pour parvenir jusqu'aux hommes.  Mais viens un moment te reposer  chez moi.
Un vieillard parlait, qui tournait en rond aux côtés du voyageur. Un vieillard plus gris que les horizons, plus blanc que la neige, un vieillard affreusement maigre, sans âge humain tant il semblait surgi de la nuit des temps. Tant il semblait
aussi se confondre avec la plaine noyée de brumes, faire corps avec elle.
Dans son regard dansait pourtant une lumière sublime, étincelante, plus éclatante qu'un soleil au zénith.. Il portait sur son front un diadème étrange et ses gestes étaient robustes et francs, sans une ride.
Viens te reposer un peu... Mon palais est là, tout près de toi.
Et un palais de glace et de neige  aux murs transparents, recouverts de fleurs et de richesses inouïes, de perles d'or et de ruisseaux de diamants, s'ouvrit alors devant les yeux épouvantés du voyageur.
Ne t'effraie pas...Les richesses que tu vois là ne sont que des reflets. Elles sont tout ce que le monde possède de plus précieux. Elles sont les pensées de ce monde.
Je les recueille une à une dès qu'elles sont exténuées.  Comme des fruits blets, sans odeur et sans saveur. Là, elles s'endorment d'un sommeil de glace pour retrouver un jour tout l'éclat que la fréquentation les hommes avait terni, sali, déformé, galvaudé, anéanti.
Car ces richesses resplendissantes, quand elles se sont longtemps assoupies ici, s'envolent à nouveau de par le vaste monde, alors la glace autour d'elle fond et la pensée retrouve tout son éclat, toute sa vitalité, tout son espoir, toute sa force originelle.
Et les hommes lui font alors la fête, s'écrient, hurlent, dansent, souvent même s'entre-tuent pour la
mieux posséder et cette idée nouvelle, qui, en vérité, est bien plus vieille qu'eux-mêmes, aussi vieille que le monde est vieux, trompe, abuse et nourrit leur passion, leur vanité et leur orgueil.
Mais, balbutia le voyageur transi, qui es-tu en ton palais de glace et pourquoi tournes-tu ainsi perpétuellement en rond ?
Viens te reposer chez moi. Tu y trouveras le repos avant de reprendre, peut-être, un jour lointain, très lointain, ta marche sans but, ta marche sans raison, ta marche à la rencontre des hommes improbables, sur les neiges et le froid des plaines de Podlachie.
Je suis le Temps qui fuit, qui endort, et qui revient en songe.

08:00 Publié dans Contes et légendes de Podlachie | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

04.05.2010

J'attends des mutants !

expo_la_terre_vue_du_ciel.jpgNous changeons d'année tous les trois cent soixante cinq jours, trop souvent donc à mon goût et sans doute au vôtre également, à grands renforts de petits fours et autres flonflons et... de petites rides insidieuses, de petits rhumatismes espiègles,  par ci par là....
Nous avons même eu le privilège, voici neuf ans,  de changer de siècle !
C'est pas donné à tout le monde d'arroser un changement de siècle au cours d'une vie. Vieillir de cent ans en une seule nuit ! 
Je ne vois pas trop ce qu'il y a de désopilant, mais bon...
J'en fus fourbu, d'autant qu'il m'en souvienne.

Si vous aimez ça, arroser les basculements du temps mathématique, ce temps qui imite la durée universelle qui nous creuse le trou froid du néant,  alors préparez votre budget, vos caisses de champagne, et vos tonnes de chocolateries !  Commencez d'engraisser le veau gras, engrangez les confits et les foies de canard !
Car, très prochainement, dans les trois prochaines années exactement, nous allons passer de la période Holocène du quaternaire, dans laquelle nous pataugeons depuis seulement 11 710 ans, à la période Anthropocène.

Je vous sens bouche bée.
Je n'invente pourtant rien. C'est ce qu'affirme un groupe de vingt neuf représentants des différentes sciences, réuni sous la houlette du directeur de l'Institut de l'environnement de Stockholm. Le changement de période - on aurait plutôt besoin de changement d'air, avec ou sans homonymie et dans toutes les acceptions de l'expression, mais bon on prend ce qui nous est servi  -  sera donc officiellement  et très prochainement proposé à l'union internationale des sciences géologiques.
Et c'est une catastrophe....Jamais une période géologique n'aura été aussi brève....11 000 ans ! Même pas le temps de lacer ses chaussures !
Bon, soyons sérieux cinq minutes ...Parce que tout ça l'est effectivement...
Des neuf indices sur lesquels se basent les scientifiques (pas ceux qui boivent du vin hongrois dans « Géographiques », mais d'autres beaucoup plus sévères et qui n'ont pas le temps de badiner avec les poètes), trois sont au rouge écarlate et c'est ce qui motive la  décision des respectables et susdits savants :
- Disparitions d'espèces végétales et animales. Cent par an, ce qui constitue un danger énorme pour la biodiversité et a chamboulé complètement  l'écosystème de la boule bleue. Plus de quatre cents sites dans le monde ont été répertoriés d'où la vie, tant végétale qu'animale, a d'ores et déjà complètement disparu, notamment en Baltique.
Retour, donc, au chaos originel...Des millions d'années avant les dinosaures.
- La circulation d'azote dans la nature complètement détériorée par suite d'introduction artificielle par l'homme. Ces gros connards d'agriculteurs industriels en premier lieu.
Là aussi, la vie se meurt sur de nombreuses zones repérées par les scientifiques.
- Le réchauffement climatique enfin, mais je crois qu'il s'agit là d'une conséquence des autres monstrueux avatars.

Vous voilà donc prévenus(es). Nous sommes les derniers lézards terribles d'une époque géologique qui s'achève.
Et tout ça, parce que l'humain est un imbécile des plus accomplis avec son système de production à la con  et son idée complètement faussée du bonheur de vivre dans un habitat planétaire.
À ce propos, d'ailleurs, je fais remarquer que les verts, les rouges, les bleus et tout le Saint-Frusquin de la parole militante et politique se mettent le doigt dans l'œil ( et je suis poli) jusqu'au coude avec leurs pleurnicheries genre « Sauvons la planète ».
Parce que la planète, elle, elle en a vu d'autres, des cataclysmes, des pluies de feu, des émanations titanesques de gaz, des explosions apocalyptiques, des soulèvements épouvantables de son écorce,  des vies  et des espèces s'éteindre....Elle n'est plus à une révolution radicale près. Elle a encore les reins solides pour continuer sa promenade dans le cosmos, en l'état ou dans un autre, avec des humanoïdes à son bord ou sans.
Un train sans voyageur, ça roule quand même...
Ce sont donc les hommes, qu'il s'agit de sauver, bandes de cornichons aux yeux plein de m..... ! Pas la planète !
Et, ma foi, puisque pas grand monde ne semble pressé ou disposé à me faire de grands compliments, je vais m'en faire tout seul et avouer n'être pas trop mécontent de moi pour avoir écrit dans "Géographiques" :
" (...) la terre, les climats et leurs paysages tels que nous les avons vécus depuis des siècles sont irréconciliables avec le niveau d'activité atteint aujourd'hui par les hommes. Le divorce est consommé entre l'espèce humaine et son habitat. Tout le monde le pressent, personne ne le dit clairement. Pour inverser la tendance, il faudrait bouleverser radicalement le comportement des sociétés à l'échelle planétaire, abandonner totalement la prédominance de l'économie sur tout le reste et, ça, c'est hélas complètement inconcevable. Aussi inconcevable que si homo habilis eût désiré un beau jour redevenir homo erectus. L'esprit humain est bloqué depuis des siècles sur l'idée que production de richesses et bonheur sont indéfectiblement liés et cette idée inlassablement mise en œuvre s'est nourrie au détriment des principes fondamentaux de la vie sur terre. Les soubresauts pour tenter de le libérer de ce postulat suicidaire se sont tous montrés inopérants et je ne vois pas poindre à l'horizon de tumultes de nature à bousculer le désordre des choses. » Géographiques - TQF - Page 77

La question  que je me pose, quand  même  : est-ce que les hommes seront aussi cons en période Anthropocène qu'en période Holocène ?

Il y a, hélas, de grandes chances que oui.
La connerie se s'éteindra qu'avec l'extinction des cons et c'est pas un changement de période géologique, changement prématuré au regard de l'histoire de la planète, changement dicté par  leurs comportements de cons, qui va les convaincre d'être un peu moins cons.

14:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Consultations avril

140 visites par jour, 1062 visiteurs uniques dans le mois, 365 pages consultées au quotidien, 4100 visites, 11 000 pages vues dans le mois.
Même fréquentation, à peu de chose près,  qu'en mars.
Merci de votre intérêt à tous et à toutes.
Amicalement
Bertrand


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08:34 Publié dans Statistiques | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

03.05.2010

Non de non !

Nous sommes quatre. Comme les trois mousquetaires.

Mousquetaires sans cause ni roi et nous nous retrouverons régulièrement, à partir du lundi 10 mai,  pour croiser le fer avec ce monde où le mensonge permanent tient lieu d'autorité morale.
En tout cas bien décidés à ne pas en être les beni-oui-oui.

Les béni-non-non, plutôt...

Ce sera comme ça et ce sera avec  lui, lui, lui et moi-même :


 

revue.JPG

 

 

08:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET