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06.05.2010

Contes et légendes de Podlachie - 6 -

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La légende du temps

Depuis la prime aurore, le voyageur marchait et trébuchait sur les plaines toutes blanches de Podlachie, gelées, balayées par les vents, et le ciel noir devant lui qui tombait sur des horizons muets.
Harassé, il dut bientôt s'adosser au tronc d'un grand pin esseulé sur le désert des champs et, inspirant très fort, levant la tête sur les nuages, fermant les yeux, il implora pour qu'apparaissent bientôt dans les brouillards dansants les premières maisons d'un village. Les premiers sons d'une voix fraternelle.
Il le fallait avant que la nuit n'engloutisse tout et que ne se mettent en maraude les bêtes sauvages des ténèbres... Sans quoi...
Mais son corps glissa lentement, ses jambes plièrent, il s'accroupit là, sous les morsures blanches du vent, et il s'assoupit.
Il fit encore un effort, secoua la tête, tenta d'ouvrir les yeux, reposa son front sur ses mains et finit par sombrer.
Tu es las, voyageur, très las...Tiens mon bras, prends appui sur  mon épaule et viens...Il te faut encore
longtemps marcher sur la plaine pour parvenir jusqu'aux hommes.  Mais viens un moment te reposer  chez moi.
Un vieillard parlait, qui tournait en rond aux côtés du voyageur. Un vieillard plus gris que les horizons, plus blanc que la neige, un vieillard affreusement maigre, sans âge humain tant il semblait surgi de la nuit des temps. Tant il semblait
aussi se confondre avec la plaine noyée de brumes, faire corps avec elle.
Dans son regard dansait pourtant une lumière sublime, étincelante, plus éclatante qu'un soleil au zénith.. Il portait sur son front un diadème étrange et ses gestes étaient robustes et francs, sans une ride.
Viens te reposer un peu... Mon palais est là, tout près de toi.
Et un palais de glace et de neige  aux murs transparents, recouverts de fleurs et de richesses inouïes, de perles d'or et de ruisseaux de diamants, s'ouvrit alors devant les yeux épouvantés du voyageur.
Ne t'effraie pas...Les richesses que tu vois là ne sont que des reflets. Elles sont tout ce que le monde possède de plus précieux. Elles sont les pensées de ce monde.
Je les recueille une à une dès qu'elles sont exténuées.  Comme des fruits blets, sans odeur et sans saveur. Là, elles s'endorment d'un sommeil de glace pour retrouver un jour tout l'éclat que la fréquentation les hommes avait terni, sali, déformé, galvaudé, anéanti.
Car ces richesses resplendissantes, quand elles se sont longtemps assoupies ici, s'envolent à nouveau de par le vaste monde, alors la glace autour d'elle fond et la pensée retrouve tout son éclat, toute sa vitalité, tout son espoir, toute sa force originelle.
Et les hommes lui font alors la fête, s'écrient, hurlent, dansent, souvent même s'entre-tuent pour la
mieux posséder et cette idée nouvelle, qui, en vérité, est bien plus vieille qu'eux-mêmes, aussi vieille que le monde est vieux, trompe, abuse et nourrit leur passion, leur vanité et leur orgueil.
Mais, balbutia le voyageur transi, qui es-tu en ton palais de glace et pourquoi tournes-tu ainsi perpétuellement en rond ?
Viens te reposer chez moi. Tu y trouveras le repos avant de reprendre, peut-être, un jour lointain, très lointain, ta marche sans but, ta marche sans raison, ta marche à la rencontre des hommes improbables, sur les neiges et le froid des plaines de Podlachie.
Je suis le Temps qui fuit, qui endort, et qui revient en songe.

08:00 Publié dans Contes et légendes de Podlachie | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Vous avez un réel talent pour raconter et ces contes et légendes sont un régal.
Merci

Écrit par : Raymond | 06.05.2010

Oh, vous savez, le talent c'est souvent 10 pour cent d'inspiration pour 90 pour cent de transpiration (Thomas Edison, je crois)
Quoi qu'il en soit, merci de votre appréciation

Écrit par : Bertrand | 06.05.2010

C'est bouleversant.
Vérité d'une écriture juste. Belle donc.

Écrit par : Michèle | 06.05.2010

Puisque j'en suis aux citations, ce matin, j'm'en vas de ce pas plagier Godard:
Ce n'est pas une écriture juste, c'est juste une écriture..Hi Hi Hi

Écrit par : Bertrand | 06.05.2010

Inspiration ou transpiration, nous ne le sentons pas. Et le résultat est là, magnifique! Merci!

Écrit par : Natacha | 06.05.2010

"je les recueille une à une dès qu'elles sont exténuées"; quel fol espoir,quelle idée nourricière alors qu'on aurait tendance à voir le monde autour de nous s'enfoncer dans une immense vacuité.Si effectivement rien ne se perd et rien n'est nouveau en ce bas monde, alors, rêvons, cher Bertrand.
Merci de ces transcriptions remarquables et ...féeriques.

Écrit par : Anne-Marie Emery | 08.05.2010

Les commentaires sont fermés.