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13.05.2010

Contes et légendes de Podlachie - 7 -

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La menthe

On s'affairait dur, ce soir là, dans les gigantesques et célestes ateliers du grand manitou.
Il y régnait la frénésie des veilles de grands évènements et le joyeux brouhaha des derniers préparatifs d'une fête : demain  en effet, à l'heure où blanchiraient les nuages, serait créé le vaste monde.
Tandis que les divers aide-manitou vaquaient eux-mêmes à moult vérifications de dernière minute, le maître de céans, grave et sérieux comme (j'allais dire un pape mais c'eût été ridiculement
mettre la charrue très loin devant les bœufs), sérieux comme se doit de l'être un grand manitou, alors,  était en train de régler minutieusement la course très prochaine de l'astre solaire. Il s'agissait là de ne pas faire d'erreur. Toute la vie sur terre en dépendrait pour une large part.
Un de ses aides vint néanmoins le timidement distraire de ses augustes préoccupations.
Nous avons tout scrupuleusement contrôlé, ô illustre et grand manitou ! Tout nous semble paré pour un monde des plus harmonieux... Nous avons une dernière fois ausculté le cœur des hommes. Il est bien, comme vous l'aviez impérativement recommandé, dur comme le bois de chêne et opportuniste comme le gui qui se nourrit de la souffrance des autres.
Voyez comme la Création avait une curieuse idée de l'harmonie. Mais passons outre, là n'étant point le cœur  de la légende et ça nous emmènerait trop loin si nous nous mettions en devoir d'ergoter là-dessus
(ndlr)...
Bien, répondit le grand manitou à son céleste ouvrier, sans même se retourner et sans s'extirper de ses profondes méditations quant à la course prochaine du soleil.
L'aide se racla la gorge et, encore plus timidement, se plaignit
cependant qu'aucune directive n'avait été donnée quant à l'essence du cœur de la femme et que c'était bien embêtant, ça... Hum...Hum...
Le grand manitou ne répondait pas, toujours penché sur l'astre de feu.
Hum... Hum...se racla derechef l'auxiliaire scrupuleux.
Intervint alors un autre lutin qui accourait d'un atelier voisin  et qui s'exclamait, enthousiaste, émerveillé. Aux anges, si j'ose dire.
Je suis allé voir comment seraient les moissons des hommes. J'ai vu des plaines immenses et blondes se courber sous la brise légère et les lourds épis frissonner doucement en se frottant les uns contre les autres. J'ai vu des  bleuets aux yeux splendides, j'ai vu des hommes robustes vider les champs, engranger et faire le pain de la vie. Et derrière les glaneuses, j'ai cueilli une toute petite plante aux feuilles finement dentelées, aux fleurs délicatement mauves, et qui avait un parfum frais, un bouquet qui donne le vertige.
J'ai entre mes doigts écrasé une de ses feuilles. Et plus je l'écrasais, plus elle exhalait un arôme encore plus enivrant.
Plus je la tourmentais de ma curiosité et de mon admiration et plus ses effluves se faisaient suaves, folles, sublimes.
Quelle est donc, ô puissant grand manitou, cette plante merveilleuse que vous avez créée là ?
Et le maître de céans, sans répondre à ce petit et second et enthousiaste lutin qui venait le déranger dans ses
lumineux calculs, se tourna tranquillement vers le premier.
Cette plante est ce qui te semblait n'avoir pas été créé. Elle est le
cœur  de la femme.
Laissez-moi maintenant  terminer de régler l'alternance des ombres et de la lumière, tel un vaste balancier du temps, de la vie et de toutes choses qui, demain, à l'heure où blanchiront les nuages comme déjà dit, seront le monde.

NDLR encore : Je ne suis pas certain, pour une foule de raisons qui nous emmèneraient trop loin si nous nous mettions en devoir d'ergoter là-dessus, d'être bien d'accord avec l'esprit de cette légende.
Mais les légendes ne sont pas faites pour qu'on soit d'accord ou pas d'accord avec leur esprit.
Elles sont du vent qui passe. Elles se transforment, voyagent, rebondissent, arrivent jusques à nous, s'arrêtent un instant et repartent à l'autre bout des quatre horizons...

08:03 Publié dans Contes et légendes de Podlachie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Vais-je encore oser dire que ce texte est magnifique, je n'arrête pas de m'extasier sur ces versions que tu écris des contes et légendes de Podlachie. J'aime bien l'expression 'à l'autre bout des quatre horizons'...

Quant à l'esprit de la légende, je n'ergoterai pas en disant qu'un cœur 'dur comme le bois de chêne et opportuniste comme le gui', c'est une belle image et c'est aussi une image juste. Ainsi bat souvent le cœur des hommes, mâle ou femelle.

Et si le grand manitou voulait que le cœur des femmes fût 'cette toute petite plante aux feuilles finement dentelées, aux fleurs délicatement mauves, et qui avait un parfum frais, un bouquet qui donne le vertige' il eût dû ne pas confier cette tâche aux anges, car comme chacun sait "qui fait l'ange..."

Écrit par : Michèle | 13.05.2010

C'est joli tout plein; espèrons que le grand manitou va rectifier un peu son réglage des ombres et des lumières ; c'est bien sombre pour beaucoup en cette période et le gui, tueur d'arbres gagne, envahit, prolifère, hélas.

Écrit par : Anne-Marie Emery | 14.05.2010

Merci de vos judicieux et beaux commentaires, gentes dames, que l'ange n'avait même pas vu, le ballot, qu'une fleur avait été créée en guise de votre coeur...
C'est bien la peine d'être un ange, tenez !

Écrit par : Bertrand | 14.05.2010

Les commentaires sont fermés.