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27.05.2010

Contes et légendes de Podlachie - 9 -

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Le voyageur et la source

Sous une cabane étroite faite de branchages enchevêtrés et recouverte de chaume, au plus profond d'inextricables et sombres taillis, vivait un vénérable ermite.
Dans tout le pays des Yadwvingues,  on disait de lui qu'il était un vieillard sage, savant et infiniment bon, comme on le dit de tous les ermites, à tel point qu'il semblerait bien qu'il suffit de fuir la compagnie des hommes pour accéder aussitôt dans leur cœur aux statuts éthérés de la philosophie accomplie.
Personnellement, je pense qu'on peut très bien être méchant comme une teigne, con comme un panier et bête comme ses pieds tout en vivant seul au fin des bois ou sur les sommets ensoleillés d'une montagne.
Mais cela n'engage que mes dispositions congénitales à la suspicion, passons donc outre et faisons fi de mes chicanes personnelles, à la fin !
Car il s'agissait là, dit la légende, d'un Zarathoustra des plus augustes.
Or, il advint qu'un soir de grande pluie, une pluie grise et froide qui fouaillait violemment les feuillages de la forêt, alors que le sage, allongé sur son lit de vieilles branches et d'herbes sèches était plongé dans de profondes méditations - car que peut bien faire un sage le soir au fond des bois sinon méditer, hein, je vous le demande bien ?- il advint donc, disais-je, qu'un voyageur égaré vint cogner à son huis.
Enfin, je veux dire plus précisément que le susdit voyageur secoua énergiquement les ramures qui tenaient lieu de porte, pour signaler  sa présence et demander l'hospitalité.
Le sage le fit donc entrer, le sécha  avec une lourde couverture qu'il lui enroula autour des épaules, le fit asseoir sur un rondin de bois brut et lui offrit un morceau de viande séchée, arrosé d'un petit verre d'une liqueur  préparée avec les fruits sauvages des bois, avant de lui demander, de sa voix douce et chevrotante bien entendu, ce qu'il cherchait en ces lieux secrets où, depuis bien longtemps aucun humain, à part lui bien sûr, ne s'était aventuré.
Je suis venu consulter votre sagesse, lui dit le voyageur.
Car je vis sans vivre, je regarde ma vie passer devant moi sans jamais n'y avoir accès et mon cœur est plein  d'un lourd chagrin. Je suis né sous une étoile noire, l'étoile des détresses ineffables et pourtant je voudrais vivre, vivre pleinement mon voyage. Je sens parfois dans mon sang bouillir et mugir l'appel de la joie et du désir de vivre mais cet appel reste obstinément prisonnier de mes mélancolies et ma vie passe comme un songe, comme un rêve inaccessible, comme un autre moi-même, comme une ombre fugitive.
L'ermite, vous vous en doutez fortement, ne répondit pas aussitôt. Comme tous les ermites savants, sages et bons, il caressa longuement sa longue barbe -  blanche ? oui, blanche -  fronça le sourcil, plissa le front, qu'il avait  évidemment large et puissant, et s'enfuit vers de profondes et amphigouriques méditations.
Enfin,  il leva ses grands yeux - bleus ? oui, bleus -  sur le voyageur et lui dit qu'il lui  fallait marcher droit, droit devant lui, toujours tout droit, sur le soleil levant. Qu'il avait vu sa destinée.
Tu enjamberas sept grands fleuves et escaladeras dix montagnes avant d'aborder une forêt d'aulnes géants, une forêt noire comme les plus noires des ténèbres. Là,  tu entendras une source gazouiller  sous les grands arbres. Tu boiras de son eau limpide et ton destin s'ouvrira devant toi comme s'ouvrent les portes d'un palais royal. Car c'est là, sous les aulnes géants, que  ruisselle la source de la vie. Tu la reconnaîtras à la puissante émotion qui s'emparera de toi.

Le voyageur se mit alors en marche et marcha longtemps, longtemps, très longtemps. Il marcha des jours et des nuits. Il marcha des lunes et des lunes. Il vit les feuilles des arbres se colorer de jaune et de pourpre, il les vit tomber en tourbillonnant au vent, il affronta le gel et la neige et les tempêtes glacées, il vit les arbres reverdir encore, le soleil plomber la plaine sous ses dards brûlants et puis les feuilles à nouveau venir mourir une à une sur le sol...
Il marcha des années et des années durant. Il marcha jusqu'à l'épuisement, toujours droit devant lui.
Il enjamba bien des rivières et bien des fleuves, escalada bien des montagnes altières, écouta bien des sources tintinnabuler sous ses pas, mais ne sentit pas dans son cœur jaillir l'espoir et la soif de vivre.
Puis, un soir, en proie au  dernier des désespoirs, il s'allongea sur le sol humide d'une sombre forêt...Alors, son cœur fit un bond joyeux dans sa poitrine, son sang jaillit et alluma ses veines, son âme fut soudain submergée comme par un doux élixir, l'élixir du bonheur et du désir d'aimer.
Sous son corps meurtri, il entendit nettement, à travers une mince couche de terre et de feuilles mortes, chanter la source de la vie.
Il lui fallait maintenant gratter de ses ongles, voir l'eau et la boire. Il exultait, il souriait, il....il se coucha sur le dos, épuisé.
Plus la force soudain de vouloir encore.
Il regarda les aulnes géants qui se balançaient au vent mélancolique du crépuscule, ferma les yeux, tenta de les rouvrir une dernière fois encore et  s'éteignit là.
À deux doigts du bonheur d'exister.

10:03 Publié dans Contes et légendes de Podlachie | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Hé ben !

Écrit par : Michèle | 28.05.2010

Ce que j'aime bien dans tes commentaires, Michèle, c'est leur précision et leur refus militant du verbiage....

Écrit par : Bertrand | 28.05.2010

Après çà, je vais donner l'impression de donner dans le café du commerce.
Hé,ben! Moi, j'en connais un mec comme çà; tu peux toujours essayer de lui tendre la main, il ne la saisit qu'occasionnellement, il se complait dans sa mélancolie et personne n'a vraiment accès à lui; avouer qu'on est heureux serait une preuve de faiblesse;ton gars, il fait tristement partie de notre univers à tous et malgré notre impuissance, on ne va pas se laisser déprimer mais peut-être le "Hé ben" de Michèle allait-il dans une autre direction??
amitiés Anne-Marie

Écrit par : Anne-Marie Emery | 28.05.2010

Mais c'est toujours comme cela: à deux doigts du bonheur d'exister!

Écrit par : Natacha | 28.05.2010

@Bertrand : et tu sais j'ai failli écrire hé bé, ce qui faisait une lettre en moins...

@Anne-Marie : je ne sais dans quel sens s'est écrit mon hé be(n). Façon de dire que c'était quelque chose tout de même ce type-là ; mais on n'est pas plus avancées hein ?

@Natacha : ben d'accord avec vous !

Re @Bertrand : j'ai fait comme chez moi, Bertrand, tu as vu hein ? J'aime bien squatter...

Écrit par : Michèle | 29.05.2010

@ Michèle...çà fait école.
C'est toi qui a eu raison, un commentaire "ouvert" comme le tien laisse toute latitude.
en cevenol, çà fait:" masette!"
en marseillais , çà fait :"peuchère"
en gersois, çà fait "putain, con!"

Écrit par : Anne-Marie Emery | 29.05.2010

Bon...
En poitou-charentais, alors, " Ben fant'd'putain !"

Écrit par : Bertrand | 31.05.2010

Les commentaires sont fermés.