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28.09.2009

Zozo, chômeur éperdu

Voilà cinq mois exactement aujourd’hui que Zozo, casse-croûte et nonchalance en bandoulière,  bat le pavé de France et de Navarre, de librairies en librairies et de lecteurs en lecteurs, par quelque temps qu'il fasse.
C'est du moins ce que j'imagine parce que je l'espère.

Un auteur est toujours soucieux du parcours de son livre. Il guette les retours...
9.JPGBeau mot. Ceux qui font de la scène savent l'importance de ces baffles posés sur le devant et qui vous renvoient clairement votre prestation...Quand je faisais ça, ma première question
aux organisateurs avant d'accepter une proposition, était  : "Vous avez une sono complète avec retours ?"
Des fois, c'était "oui, bien sûr ", des fois c'était "non, on n'a pas de ça", des fois c'était carrément " qu'est-ce que c'est ?"

Rien n'est pourtant plus cruel que de parler dans le vide. Sensation glaciale d'être soudain parfaitement inutile et néantisé.
L'auteur, donc, a besoin de retours. Mais là, c'est une autre voix que la sienne qu'il veut entendre.  Quand il y a de l'écho, est-ce le crieur ou le paysage qui parle ? Alors, il glane de-ci, de-là, les lointaines résonances d’un ou d’une qui donne des nouvelles :
- Hé, t’inquiète, j’ai vu passer ton Zozo ! Il va bien !

Curieusement sur internet,   incontournable beffroi de notre activité d'écrivain et où chacun pose le maillon d'un fraternel relais,  ce sont les gens vers lesquels Zozo était venu s’offrir bras ouverts, qui, jusqu’alors du moins, n’en ont pas fait état, alors que beaucoup d’autres qui spontanément étaient allés vers lui, l’ont gratifié d’un bel  hommage. Comme quoi le livre a cela d'humain qu'il doit être désiré plutôt que de s'imposer.
Ces renvois spontanés font bien plaisir. Oui.
Car l’auteur, je le répète, d'autant plus qu'il est un auteur à peine connu et sans être celui qui attend qu’on  lui inonde le nombril de suaves compliments, n’existe bel et bien que par ce que
son écriture suscite d'émotion. C'est là tout l'espoir de son plaisir d'écrire.
Parmi ces spontanés, je veux ici remercier avec chaleur et amitié Solko et Feuilly (relayé par le Magazine des livres), Jean-Louis Kuffer et Sahkti, Philip Seelen et Michèle Pambrun dans leurs divers commentaires…et puis Anthony Dufraisse, pour son  très bel article  du Matricule des Anges.

Il y eut aussi Jean-Luc Terradillos de l’Actualité Poitou-Charentes et sans doute quelques autres que j’oublie et auxquels, humblement, je demande qu'ils m'excusent.
Il y a quelques jours, Stéphane Beau, compagnon de route des Sept mains puis de Tempête dans un encrier,
m’avait fait gentiment parvenir deux exemplaires de l'excellente revue aux destinées de laquelle il préside. C'est avec une grande sincérité de coeur que je vous recommande d'ailleurs la lecture de ce Grognard. On en ressort avec le sentiment d'appartenir à cette diaspora des gens qui savent encore penser autrement.

Dans le numéro de septembre, Stéphane Prat signait un article que je reproduis ici, avec l’aimable autorisation des deux Stéphane :

zozo.jpg«  Le droit à la paresse, Zozo ne le gagne pas, il le prend. Zozo a beaucoup trop à faire pour travailler. Débordé, Zozo, entièrement pris par la vie, et pour une bonne part par la sieste : « (…) chaque jour consciencieusement consacrée, l’été sous la fraîcheur ombragée de ses noyers, l’hiver sous les couettes en plumes d’oie d’un lit douillet. (…) une nécessité régénératrice après le gros déjeuner où Zozo avalait sans coup férir soupe, pâté, rillettes, volaille, lapin ou goret, fromages gâteaux, fruits, arrosé d’un bon litre et demi de pinard tellement rouge qu’on eût dit qu’il était noir… »(p. 8)
Seulement, nous sommes en pleine euphorie gaullienne, début soixante du siècle dernier, et le Progrès pousse à la roue, on va de l’avant dans le Poitou de Zozo, on veut l’eau courante et l’instruction civique. Deux gros chantiers, celui de l’adduction d’eau et de l’école républicaine, que Zozo, s’il n’y coupera pas, devra esquiver coûte que coûte, au moral comme au physique, quitte à s’inoculer lui-même une flemmardite chronique, ou à s’attribuer l’héroïsme du progrès qu’il vomit, pour mieux lui échapper. Non, ce corniaud de maire ne le prendra pas au travail, Zozo a décidément trop à faire : « On était au début février. Un vilain crachin tombait d’un ciel si bas que les cimes des bois disparaissaient dans le brouillard. La campagne se languissait tout le jour dans une morne pénombre mais Zozo, dégoulinant des pieds à la tête, n’en arpentait pas moins les champs et tâchait de tirer des merles qui fuyaient le long des haies. Aucun de ces satanés oiseaux n’était cependant disposé à se laisser abattre. Avec un sifflement furieux, ils déboulaient des buissons en pluie et filaient à tire d’aile en zigzaguant. Malchanceux, Zozo tirait invariablement dans le zig quand le merle était dans le zag et inversement. » (p.16)
Car Zozo a deux amours dévorantes : la chasse (vouant à sa passion une maladresse surréelle) et Pinder, son cochon annuel, perpétuel, qu’il engraisse de discussions et de confidences passionnées avant de lui faire son affaire, invariablement le 2 Novembre, l’équilibre de sa petite famille en dépend. Et les quolibets, les vannes à deux balles que lui valent sa nature lunaire et soliloqueuse, délivrent un fin parfum de consécration, tellement il parvient à s’en moquer comme de Colin Tampon : « Pour un observateur superficiel ou résolument partial, la vie de Zozo évoluait dans une espèce de bohème anarchique, sans repère, au p’tit bonheur la chance.(…) Les années de Zozo cheminaient pourtant selon un ordre bien défini qui, s’il n’était pas réfléchi, n’en était pas moins réglé sur le grand mouvement des choses, en fonction des saisons, les saisons elles-mêmes vécues par rapport aux mois et les mois articulés sur les lunes.(…)Invariablement. » p33.

Et il faut une écriture diablement truculente pour suivre un personnage pareil, passionné des bobards les plus énormes, moins pour leurrer son monde que pour rester lui-même, et continuer à voir, et jouir des cycles entremêlées des gestes, des attentes ou des natures sensibles. Et Bertrand Redonnet a l’art du détail comme des variations célestes, des couleurs, des friches, des traces animales et des sons, et surtout des saisons dans tout ça… Un visionnaire, pour le coup, mais pas dans le sens théoricien ou catastrophiste. Un simple visionnaire, avec l’imprévisible qui va avec. On s’attend à un « Zozo le bienheureux » et on se retrouve avec un drame, on redoute le tragique d’un embrouillamini de clocher et c’est son côté farce qui l’emporte, ou on tombe en pleine intrigue rurale comme au beau milieu d’un tableau ethnographique. C’est le côté indéfinissable de ce livre qui est particulièrement saisissant, et pour tout dire imparable. Avec ce Zozo éperdument terrien, les prémices trop vertes des dévastations humaines du travail de masse à venir, dans l’héroïque sillage des chocs dits pétroliers, sont débusqués dans le regard de gens simples sur un des leurs, rétif à la sueur imbécile, chômeur avant le chômage. Il ne fait que leur opposer la vie, qui n’est pas rose, mais rosse, cocasse et répétitive, à laquelle l’idéologie du travail, en germe dans ce Poitou légendaire, se proposera rien de moins que de tourner le dos, et la saccagera dès qu’il le faudra… Pour le bien de tous, comme de bien entendu, et pour celui d’aucun."

Stéphane Prat

11:17 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

22.09.2009

Le 22 septembre : Un flamboyant poncif

PA090018.JPG

Septembre lumineux, l’équinoxe qui bascule à pas de loup sur l'autre versant des jours, ces feuilles qui s’accrochent à l’arbre jaune, dont les dernières gouttes de vie flamboient du feu des désespoirs et le vent sous le ciel, déjà frais, déjà haut , déjà bleuté qui le presse d'en finir.
Et tourne la roue d’un automne à l’autre, qui nous broie en silence.
Nous tâtonnons sur des convictions obscures et des chemins incertains.
L’automne, antichambre des frimas et des endormissements, antichambre des nuits qui réduiront le monde à son essentiel.
J’aime l’automne.
Les déclins sont toujours plus pathétiques que les ascensions et atteignent plus sûrement à leurs rivages.

08:03 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

17.09.2009

Page de journal : Une dégustation

Jeudi 12 mars
P3120016.JPGUn compatriote a élu domicile dans un village situé à une cinquantaine de kilomètres de ma maison.
Nous l’avons appris il y a quelque temps seulement mais, en fait, il est en Pologne depuis plus de dix ans et s’est installé là récemment pour y faire commerce de… vin français !
Je connais son village. Borsuki, littéralement « Le blaireau ». Un charmant village en bois au bord du Bug, avec même une plage de sable fin, pas très loin d’un autre village tout aussi charmant, Gnojno, littéralement « Du fumier
Quand je l’ai rencontré, ce monsieur me confiait qu’il évitait de traduire, auprès de ses amis français, sa localisation exacte, à Blaireau près du Fumier.
On comprend. Promotion de la culture française oblige, D. lui avait proposé  d’organiser une dégustation de ses crus au Centre français.
C’était donc hier soir.

François - c'est son nom - a  débuté par une présentation Power point des différents vignobles de France - autant dire les 3/4 du territoire - ma foi bien illustrée et bien documentée. Dans ce que j’ai pu en saisir : C'est qu'il  parle couramment polonais, lui !
Puis ce fut la dégustation proprement dite et dont j’avais été préalablement désigné le loufiat, affublé d’un tablier de circonstance.
Les Polonais n’apprécient que très modérément le vin. Pas assez fort en degrés, pas le puissant goût d’alcool qu’on retrouve dans la Vodka, boisson nationale. Ils ont donc goûté du bout des lèvres sauf quelques-uns (unes), sans doute plus francophiles et phones que les autres....
Il faut dire aussi que la législation routière est ici très sévère. Il n’y a pas de taux d’alcoolémie autorisé. O. Point. Et, en cas d’alcoolémie,  la répression est très dure, paraît-il…
Je dis « paraît-il » car c’est pour moi un peu du bla-bla, tout ça…Il n’existe en effet aucun contrôle inopiné d’alcoolémie. Jamais. Nulle part. Trop cher, m’a t-on dit. J’ai dû parcourir près de 150 000 Km en Pologne :  Je n’ai jamais été  invité à pousser le moindre petit souffle dans leur engin, même si je me suis fait, en revanche, pincé quatre fois pour excès de vitesse.
Pour être contrôlé au niveau de l’alcool, il faut avoir eu un accident grave ou, s’il n’est pas trop grave, c’est alors la police accourue sur les lieux qui demande gentiment à celui qui semble la victime s’il veut qu’on contrôle celui qui semble responsable ! Je vous le certifie ! Si le premier est sympa et dit non et que le comportement du deuxième semble tout à fait sain, son haleine ne sera pas vérifiée.
Deuxième cas où l’on peut souffler dans le ballon, c’est si l’on faire montre d’une conduite désastreuse, visiblement due à la perte du contrôle de soi-même. C’est bien le moins.
Sans cela, vous pouvez allègrement voyager avec votre petit gramme dans chaque poche. Chose que vous ne pourrez, vous le savez aussi bien que moi,  vous permettre en France où chaque buisson, chaque carrefour, chaque virage, ou chaque rien du tout d’ailleurs, peut dissimuler un guet-apens prêt à s’intéresser aux arômes festives de votre respiration.
Tout ça n’est donc ici que simulation comportementale. Ceci dit, c’est efficace, et je ne réclame nullement que les gens puissent avoir le droit de conduire fin saouls. La voiture est ici un drame, le respect des règles de conduite y est souvent en option et
les routes polonaises comptent parmi les plus dangereuses d’Europe, voire du monde, d’après un rapport comparatif de l’Organisation mondiale de la Santé. Plus de 5500 personnes y périssent par an.

Pour en revenir à notre dégustation, l’ambiance était cependant conviviale et décontractée. Moi, cela va faire quatre ans que je n’ai pas bu une goutte d’alcool. En France, j’en étais pourtant un fervent, trop fervent adepte.
Une vie qui bascule, bascule sur tout. Fait table rase.
C’est ce que je me disais en servant mes petites portions de rouge et de rosé aux convives tout sourire.
Un air de France, quand même, ce François avec ses vins de lointains terroirs, Corbières, Côtes du Layon et autres rosés du Roussillon…Et le parfum du vin reste le parfum du vin.
Dans sa robe aussi, flottent des souvenirs de fête, des rigolades de copains, des agapes raffinées ou alors de honteuses beuveries de Gaulois.

12:26 Publié dans Journal de Pologne - 2009 - | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

15.09.2009

Pages de journal : Mémoire, Maupassant et chanson

Vendredi 13 février
P2170012.JPGC’est chaque matin la même découverte. Vers cinq heures,  je sors avec une lampe à la main et je constate qu’il neige.
Il neige chaque nuit. Une neige qui fond un peu en même temps qu'elle tombe, mais pas assez vite pour que la campagne ne soit pas ensevelie sous une blanche carapace.
Ce matin cependant, ça semble plus sérieux. Il neige vraiment très fort.
J’allume le poêle de la cuisine pour l’eau chaude et je prépare le petit déjeuner. J’aime ces moments. Ce sont, chaque matin, des moments neufs, l’esprit léger… Des moments de renouveau.
Immanquablement, D. me rejoint dès que la cafetière émet ses borborygmes caractéristiques. Moments de partage.
Ce matin nous discutons - je ne sais pas comment cela est venu -  des présidents de la 5ème République française. J’évoque à un moment donné ce niais de Giscard d'Estaing pleurnichant à la télévision parce que Mitterand avait décidé, je ne sais plus en quelle année,  que des soldats allemands défileraient aussi sur les Champs Elysées,
au 14 juillet. Je me souviens de l’image grotesque de cet imbécile avec ses larmes de crocodile, complètement à contre-courant, parfaitement ridicule, benoîtement pitoyable.
Nous en rions, mais….D. me dit, soudain sérieuse, qu'aujourd’hui même, les Polonais ne pourraient pas admettre que les Allemands ou les Russes défilassent dans Varsovie.
J’imagine la scène. Ce serait effectivement toujours incongru. Je me rends compte alors combien l’histoire avance lentement, très lentement dans les têtes. Varsovie, ville martyre, ville brûlée, ville assassinée, dégoulinante de sang, ville de l’infâme ghetto, puis ville sous la botte de Staline.
Je comprends. Je dis que Paris, même occupé, n’a pas vécu une telle tragédie.
Oui, l’histoire va lentement. La Pologne est encore fiévreuse, malade, pas tout à fait remise des coups terribles qu’elle a reçus.
J’aime ce pays. Aucun autre au monde n’a subi ce qu’il a subi. Il n’y a que 64 ans, en fait, et alors qu’il se relevait à peine de cent-vingt-trois ans d’anéantissement. C’était hier, me dis-je, en regardant par la fenêtre le jour qui se lève sur la neige.
Combien de jours comme ça devront-ils se lever encore sur la blancheur du climat, avant que la mémoire ne soit plus une douleur ?

Toute la journée, il a neigé. La couche dépasse maintenant les dix centimètres et la route est très délicate à pratiquer quand nous rentrons à Kopytnik, vers dix-sept heures. Dans la pénombre du crépuscule, les champs, la forêt paraissent bleutés.
¨ Ça ferait plaisir et on trouverait ça joli si c’était décembre. Là, en février, on est déjà dans l’espoir du printemps…¨  me souffle D.
Elle est un peu triste alors je dis ¨ oui.¨ 
Elle oublie parfois que pour moi, avec plus de cinquante piges de racines océaniques, tant de neige, tout le temps, c’est toujours une nouveauté.
Normal. Elle a grandi sous la neige.


Samedi 14

P2150005.JPGBeaucoup de neige,  de la neige lourde et charnue qui fait sous son poids se courber les branchages de la forêt. D. en convient finalement : c’est magnifique.
Bien que nous soyons samedi, nous devons nous rendre à Biała, où nous avons organisé un concours d’orthographe et de grammaire à l’intention des profs de français et des étudiants en philologie romane.
J’ai choisi la dictée. Maupassant, un extrait de ¨ Les nouvelles de la peur et de l’angoisse ¨, récit que je connais très bien.
Maupassant est pour moi le maître, le géant. Je ne connais toujours pas d’auteurs que je puisse lire avec un tel délice, même si j'en lis beaucoup avec grand plaisir. Tous les mots sont justes, toutes les évocations sont justes, toutes les couleurs sonnent juste, le balancement de  la phrase est impeccable, les âmes sont fouillées comme au scalpel du plus habile des chirurgiens, les paysages ont la précision rustique des saisons. Quand je lis Maupassant, je ne suis vraiment plus là. Je m’en vais, je vadrouille sur des chemins en pluie, sur des plaines venteuses, dans de sombres bois, le long de bocages solitaires, emporté par les émotions de mes premières années.
J’en profite, ce soir, pour relire un autre récit de Maupassant ¨ Le loup. ¨ , déniché dans une petite anthologie d’histoires fantastiques où figurent également Edgar Poe, Dickens, Gautier, Andersen et autres.
Je le connais par cœur, ce texte, je l’ai lu plus de vingt fois déjà. Avec toujours le même émerveillement. La bête cherchait à lui fouiller le ventre. Terrible précision du verbe.
Un cadeau qu’il faudra que je me fasse quand je viendrai en France au printemps, ce sera les œuvres complètes dans la Pléiade. Oui, ça j’aimerais beaucoup. En espérant n’avoir pas tout déjà lu, découvrir un récit, une nouvelle obscure à laquelle je n’aurais jamais eu accès.

Il neige encore tout l’après-midi, que je passe à fendre du bois.

Il y a quelque temps une artiste de Varsovie a enregistré une dizaine de titres de Brassens en Polonais. Nous la connaissons aussi nous a t-elle gentiment adressé son disque. C’est propre, c’est juste, c’est très bien arrangé. Pour moi, c'est trop technique cependant.
Mais il faut dire que Brassens orchestré ne me plaît jamais trop. Non pas que je sois un puriste de la pompe brassensienne, mais il y a quelque chose qui ne colle pas avec violon, accordéon, batterie, guitare basse et autres fioritures. Le poème est un peu derrière la musique, ce que ne voulait précisément pas Brassens qui s’évertuait à faire le contraire. ¨ Il faut que ce soit comme au cinéma, disait-il en substance, qu’on entende un peu de musique mais que ça ne gêne pas l’écoute des paroles.¨
C’est aussi pour cela sans doute que Forestier, avec des sons nouveaux, des arpèges nouveaux, des rythmes nouveaux, mais avec une seule guitare, avait, il y a quelques années,  magistralement réussi la reprise de l’œuvre.
Tout cela pour dire que ce soir Jagoda veut que je l’accompagne sur Oncle Archibald, version polonaise. Ce que nous faisons et c’est joli, réussi, drôle même, de voir la gamine chanter Brassens en polonais. Parfois, elle hésite sur la lecture des paroles. C’est dur.
Plus dur qu’en Français, me dit D., parce que la langue polonaise n’est pas une langue très indiquée pour le chant. Pas assez de voyelles, beaucoup de chuintements dus à l’amoncellement des consonnes.
Je trouve remarquable cette réflexion. Je pense à Norman Davies qui écrivait, quoique ayant par ailleurs écrit pas mal d’âneries d’idéologie libérale dans son Histoire de la Pologne, qui écrivait donc que la langue polonaise eût dû être transcrite en cyrillique, un signe pour un son,  plutôt qu’en alphabet latin.
N’empêche que ce soir j’accompagne Jagoda…Ré, sol, La7 et tandis qu’au dehors voltige toujours la neige et que dans la nuit froide se lève le vent, on entend dans ma maison chanter Brassens en d’étranges sonorités :


¨Ech, szarlatani, łotry, kpy,
Możecie sobie łykać łzy…¨ etc.

15:44 Publié dans Journal de Pologne - 2009 - | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

11.09.2009

La Mouche

2.JPGC’est une toile et c’est une allégorie.
Non, ça n’est pas une toile. C’est le minuscule morceau d’une toile posée en travers du  monde et immense comme ce monde.
C’est un morceau de toile où des poètes accordent leur lyre, affûtent leurs pensées, confrontent leur point de vue, disent leur friction au monde, ancien, présent ou à venir.
À ciel ouvert. Comme les chanteurs de rue qui donnent à la ville anonyme un bout de dimension humaine. On est dans une rue parallèle ; il y a une voûte ancienne, des magasins et des gens qui se pressent et qui vaquent à d’obscures et importantes occupations, alors on ne les voit pas encore mais on entend la mélodie - plus ou moins heureuse il faut bien le dire - de leur art.
On sait qu’ils sont là. L’air en devient tout à coup plus joyeux sur la mélancolie résignée des vieilles pierres.
C’est donc un morceau de cette immense toile et les tisserands de ces contrées-là se font des clins d’œil, s’apprécient ou se conspuent les uns les autres, s’invitent ou s’évitent. Car chacun a bien le droit d’aller et de venir sur ce bout de toile, de s’y promener à sa guise et de jeter un œil sur le travail de sa tisseuse d’araignée de voisine. De dire même ce qu’il en ressent.
Conversations de bon aloi et d’artisans tisserands.
Un bruissement d’ailes cependant leur fait lever la tête, aux tisserands. Une mouche au-dessus d’eux papillonne, butine et gambade d’un fil cousu à l’autre, bourdonne que c’est bien là, que c’est  beau ici, que c’est très bien et que c’est très beau plus loin encore, apprécie la finesse du fil et la qualité du point, s’extasie dans une pirouette en l’air et, quoique chaque tisserand ait pourtant une approche fort différente de son art, apprécie tout dans une égale mesure de jubilation.
Car la Mouche est fédératrice. Elle englobe tout dans une seule façon d’englober et partout laisse l’empreinte élogieuse de son passage. D’une gentillesse exquise, elle distribue à chacun accessits et compliments, d’un frémissement joyeux de ses fines pattes de mouche.
Non. D’un frémissement joyeux de ses pattes de fine mouche, plutôt.

Le chanteur de rue qu’on entend mais à côté duquel on passe sans un regard ni un sourire ni un mot, est un homme, ou  une femme, seul. Qu’on s’arrête à lui, qu’on le félicite un instant pour la dextérité et l’harmonie de ses accords, et il sera soudain aux anges. Qu’il reste accroché trop longtemps à ces anges-là et il ne chantera plus, le chanteur. Ou alors faux car à la recherche d’un autre passant complimenteur.
Qui ne viendra pas parce qu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre…
Le tisserand de ce coin de toile, avec ses fils régulièrement jetés à la mer océane, succombera t-il, lui aussi, sous le feu nourri de la Mouche bruissant là, bruissant ici, posée là-bas et qui danse de l’un à l’autre, gratifiant chaque artiste d’un prix d’excellence ?
Finira t-il par y croire le tisserand, qu’il est au sommet de son art ? S’endormira t-il ainsi sur des lauriers dont il n’a même pas encore vu les premières germinations ou s’interrogera t-il enfin sur le bien fondé de cette admiration de l’insecte volage ?
On pense pourtant difficilement librement à l’ombre d’un admirateur tant que, dans les cas extrêmes, c’est l’admirateur qui finit par créer la musique.
Pendant que la Mouche danse, le coche et les chevaux s’éreintent.

Et le tisserand sait-il que l’araignée, parfois, est terrassée par la Mouche qu’elle croyait prendre et pour laquelle elle avait tendu, d’une branche incertaine à l’autre, d’une herbe frivole à l’autre, un canevas de fines dentelles qu’arrosait  le premier rayon d’un soleil humide ?

10:36 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

09.09.2009

Pages de journal : Lecture et écriture

Pour la simple et bonne raison que ces pages existent, qu'elles jalonnent donc un parcours d'écriture,  je continue de livrer ici quelques bribes d'un journal entamé au 1er janvier 2009 et finalement abandonné.

Dimanche 25 janvier

P2150001.JPGJournée entièrement plongée dans la lecture. Toujours Michelet.
Si ce n’était l’exaltation lyrique parfois débordante et les références un peu trop prégnantes à Dieu, toutes ces pages seraient parfaitement à mon goût.
La lecture en est néanmoins très agréable, édifiante et profondément instructive quant aux détails de la Révolution naissante, hésitant entre la chèvre et le choux, entre la république ou la monarchie à l’anglaise, du moins dans sa première instance politique, l’Assemblée nationale, déjà en profond décalage avec la volonté révolutionnaire de la rue.
Une constante humaine, historique. Jusqu’à ce jour du moins, les révolutions ont toujours spontanément produit une superstructure censée les représenter et pour l’essentiel  infidèle à leurs projets.
Parce que le malaise des tripes remonte
au cérébral et que ce qui était directement vécu d'affrontement au monde devient alors politique.

Plus loin, Michelet affirme sa seule croyance au peuple. Là, dit-il en substance, est le seul bon sens et la seule vérité.
J’attends d’être plus avancé dans son oeuvre pour savoir ce que Michelet entend précisément par ¨" le peuple." Le mot a en effet été utilisé à tant de sauces, pas toutes très ragoûtantes, qu’il ne veut strictement plus rien dire. Sans doute faut-il que je le replace dans son époque, vers 1840.
Mais c’est déjà avec une juste raison que Michelet note, à propos d’un ouvrage sans doute d’inspiration marxiste ¨ Les grandes villes, la classe ouvrière absorbe toute l’attention des auteurs de "l’Histoire parlementaire." Ils oublient une chose essentielle. Cette classe n’était pas née. ¨ Et je note avec délectation cette affirmation : ¨ Le paysan est né de l’élan de la Révolution et de la guerre, de la vente des biens nationaux ; l’ouvrier est né de 1815, de l’élan industriel de la paix. ¨
Il me plaît de rajouter que ce dernier, l'ouvrier, est mort de l’élan postindustriel de la haute finance, enchaîné par le crédit et les idéaux prosaïques.
Michelet affirme par ailleurs que le moteur de la révolte était plus du ressort de la philosophie, celle de Rousseau et de Voltaire en particulier, que de la famine qui terrassait alors les campagnes.
Révérence parler, je pense qu’il écrit là une grosse bêtise. Le ventre précède la philosophie, pas l’inverse. On me rétorquera qu’il n’y avait aucune famine en 1968 ; tout le contraire même, de la surabondance,  et que la colère et la révolte étaient manifestations d’une exigence de vie autre, du point de vue de sa qualité. Une révolte philosophique.
C'est vrai.
Mai 68 n’a cependant, ni démoli de prison d'Etat, ni raccourci De Gaulle de 20 cm.


Mardi 27 janvier
4.JPGCe matin, il neige et c’est plaisir de revoir la fine blancheur des paysages en lieu et place de toute la noire pluviosité des derniers jours. Mais c’est une neige humide et à zéro degré. Je crains fort qu’en cours de journée, elle ne se change en pluie.
On aura sans doute remarqué l’attention, sinon l’importance, que je donne à la météo, sujet qui passe pour des plus futiles chez les imbéciles revenus de tout, surtout ceux qui n’ont jamais mis les pieds où que ce soit. Sujet qui ne les préoccupe, en fait, que pour leurs petites vacances.
Mais pour moi, qui vis en terre étrangère et sous un climat tout autre que celui sous lequel j’ai habité jusqu’alors, qui passe en quelque sorte ma vie en vacances,  une journée, une vie même, c’est aussi et beaucoup le temps qu’il y fait et les paysages ainsi sculptés tout autour. J’y suis très sensible.

Mais je dévoile là un des thèmes développé dans ¨ Géographies ¨  que je viens de terminer.


Mercredi 28 janvier
P2150002.JPG
Depuis que je vis en Pologne, je suis plus fragile de santé, sans être cacochyme quand même. Au moins une fois par an, un coup de fièvre alors qu’en France,  il m’était arrivé d’être dix ans sans le moindre frisson.
C’est parce que tu as vieilli, plaisante D. qui ne veut pas que j’incrimine ses latitudes
Car je mets ça sur le compte du climat, non pas sa froidure glacée de l’hiver et sa chaleur moite de l’été, mais sur les brusques écarts de température. Quand le thermomètre remonte ou descend d’un seul coup, en deux jours, de 20 degrés, forcément, l’effort d’adaptation des organismes doit être immense. D’autant que le phénomène est assez fréquent au cours d’une même année .
Au mois de juin dernier, je m’étais mis à trembler comme feuille sous novembre, incapable de maîtriser ni mes membres ni mes mâchoires. C’était grotesque. J’avais dû m’aliter quelques heures pour me refaire une santé. La température avait chuté de 17 degrés dans la journée, de 24  à 7 degrés !
¨ Choc thermique ¨ avait diagnostiqué sans ambages une femme-médecin du dispensaire. Oui, mais encore ? Ah, un thé, du miel et de la vodka et ça devrait aller …Je ne bois pas d’alcool depuis trois ans et demi…Ah, c’est dommage !
C’était la première fois qu’un médecin déplorait ma sobriété.

Nombreuses tentatives pour prendre en photo les mésanges qui viennent se régaler de mes offrandes,  sous la fenêtre. Un pic s’est invité. Un pic épeiche très élégamment plumé. Il fait la loi. Quand il se met à table, les mésanges attendent à quelques branches de là qu’il daigne laisser quelques miettes.
Je parviens à l’observer de très près mais dès que je soulève un coin de rideau pour y glisser l’objectif, il fuit évidemment à tire-d’aile.
Le jaseur boréal n’est pas venu encore.
Pas de peste à l’horizon, donc. Seulement la grippe.

09:06 Publié dans Journal de Pologne - 2009 - | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

07.09.2009

Tempête dans un encrier

P9010013.JPGVous en souvient-il ?
Non ? Comme c’est dommage ! Mais encore faut-il que je vous dise de quoi il en retourne, tout de même…
Vous en souvient-il - disais-je - des Sept mains, ce blog collectif initié en février 2009 par Marc Villemain et qui sévit gaillardement jusqu’en juin ?
Il n’existe plus, ce blog,  en tant que tel.
Mais nous sommes quelques-uns et unes à avoir fomenté d’en faire renaître, sinon l’exacte réplique, du moins l’esprit de travail d'écriture sur un même espace.
Nous avons donc laissé passer l’été et son cortège de sacro-saintes flemmardises, nous nous sommes concertés et nous sommes tombés d’accord.
Ce sera donc pour lundi prochain, 14 septembre à 8 heures tapantes.
Ça vous laisse alors une semaine pour prévenir vos amis(es), mettre en lien sur votre propre territoire si vous pensez que ça vaut le coup et, surtout, pour réfléchir sur votre éventuelle participation à cette initiative collégiale.
Car vous verrez….
C’est le  dimanche, nous, qu’on invite les gens à venir s’asseoir à notre table..
Déjà des copains, des plumes sûres, finement aiguisées, ont répondu présent à l’invitation qui leur a été lancée…Feuilly, Solko, Marc, Jean-Claude….


Et c’est ici, que ça se passera…

 

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04.09.2009

Koniec Świata

P9010011.JPGÀ force d’être indisposé par des murmures persistants et aussi mu par une curiosité que je qualifierai volontiers de malsaine, j’ai fini par craquer et, aujourd’hui, j’ai perdu ma matinée à rechercher - bien pire, à lire - ce qu’on pouvait bien dire du 21 décembre 2012, date eschatologique de la fin du monde.
Eh bien, à voir et à entendre tous les fous furieux exposer leurs différentes thèses au service d’une même prédiction délirante, on serait tenté de dire : Enfin ! C’est pas trop tôt !
On se surprendrait même à soupirer que le 21 décembre 2012,  bon sang d'bon sang, c’est décidément bien loin encore !
En fait, braves gens, le monde est fini. Consumé. Un monde qui envisage régulièrement sa fin au travers de fantasmes sanguinolents aussi déroutants plutôt que de sourire à son devenir, est déjà bien mort et enterré.
Car le thème est récurrent. C’est en cela seulement qu’il mérite quand même qu’on y jette un coup d’œil, comme on jetterait un coup d'oeil sur une pustule revenant à intervalles réguliers sur le visage d'un quidam.
La peur de l’inéluctabilité de la mort, poussée à son paroxysme, donne des visions et même, on le sent bien finalement, d’affreux désirs. Une mort collective, incendiaire, apocalyptique, ça doit dédouaner de pas mal de choses. On se sent moins seul et désemparé face à la brutalité de l’échéance finale. Disparaître avec la planète dans un  terrifiant feu d’artifice, le ciel bombardé d’astéroïdes incandescents et les entrailles de la terre vomissant des monstres visqueux, c’est quand même plus glorieux que de mourir seul dans son lit comme un vrai con !
Je ne vois que ça dans cette récurrence. Et ça m'évoque -  sur un tout autre registre quoique dans le même climat psychopathe - Hitler se sachant perdu et éructant qu'il fallait que l'Allemagne entière soit engloutie sous les bombes, brûlée et expédiée en enfer !

Poubelle
hétéroclite non soumise au tri sélectif, ce 21 décembre 2012 recèle tout un tas de références : La Bible, Dieu, la Sibylle de la Rome antique, la Pythie du sanctuaire de Delphes, une grosse planète à la dérive, Nostradamus, le calendrier Maya, le champ magnétique de la terre, de la numérologie, les taches sur le soleil, la profession de ma grand-mère...
J’ai tout de même lu une page qui vaut quelque réflexion. Elle est d’un gars qui est mort. C’est sans doute pour ça. De Camille Flammarion et ce qu’il dit de ce dégoûtant fantasme de la fin du monde est assez éloquent, en partant de la fondation même du christianisme et de son fameux Jugement dernier régulièrement annoncé mais toujours remis, et pour cause, aux calendes grecques.

Voilà, c’est à peu près tout ce que je voulais dire de cet affligeant galimatias et c’était aussi pour éviter, en vertu de la gentillesse qui me caractérise,  que vous vous montriez aussi sots que moi et alliez perdre votre temps dans les tunnels de l’obscurantisme le plus accompli.
Une dernière petite chose quand même…..L’expression « s’en foutre comme de l’an 40 », pourrait provenir - entre autres explications - d'une  prophétie selon laquelle le monde devait exploser à la gueule des humains en 1040, prophétie qui avait provoqué la panique, l’épouvante, la terreur, les crimes et les comportements les plus délirants parmi les populations.

Décidément, la mèche apocalyptique doit être bien humide et les artificiers bien incompétents.
Et  de tout ça, on s’en fout finalement comme de l’an 12 !

14:38 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

03.09.2009

La France : un pays qui cogite

Un mot pour dire comment les bâtards et néanmoins héritiers des fondateurs de la République, construisent le monde à notre barbe impassible.

sark.jpgPolice :
« Brice Hortefeux a annoncé mercredi durant la réunion la création de "cellules anti-cambriolages" et le recrutement de 4.320 policiers et gendarmes "d'ici la fin de l'année".

Education nationale :
« Le budget 2009 prévoit la suppression de 6.000 postes dans le premier degré, dont 3.000 stagiaires qui effectuaient des remplacements et 1.500 enseignants spécialisés dans l'aide aux élèves souffrant de troubles de l'apprentissage. »

Les politiques aiment les chiffres.
Nous, un peu moins. On préfère les mots.
Mais parfois, les chiffres, ceux qu’on n'expose pas sur une même page publique, ceux qui disent clairement l'identité du pouvoir, interpellent des  mots, puis des actes, qui tardent à venir.



Taxe carbone :

«  Pour compenser cette taxe pour les ménages, François Fillon prévoit donc "une diminution de la fiscalité sur le travail soit par l’impôt sur le revenu, soit par une baisse des cotisations sociales". Et pour les entreprises, le nouvel impôt sera compensé par "une suppression de la part de la taxe professionnelle qui porte sur les investissements".

Là, ce sont les mots qui appelleraient des chiffres.
Comprenons bien : Si vous êtes un travailleur, un chômeur, un artiste, un rien du tout, un smicard, un Fançais quidam, un citoyen que la marée trimballe d'un écueil à l'autre, la taxe carbone, espèce d’avatar de cette contradiction tabou entre croissance et santé de la planète, entre croissance et vie , in fine, sera compensée par une légère baisse de ce que vous devez déjà et, peut-être, avez du mal à payer…Bien.
Un impôt gratuit, quoi. Une péréquation du bât qui pèse sur le mulet.
Un onctueux suppositoire.
Avec cet écran de fumée, vous n’y verrez que du feu  !

seg.jpg

En revanche, si vous êtes un réalisateur de profits, à petite ou à grande échelle, là, ça peut payer !
Bienvenue est la taxe car bonne pour vos financements industrieux.
Ce que vous dépensez pour gagner de plus en plus, les investissements, va être réduit d’autant, donc vous allez gagner plus.
C’est pas beau, ça ?
En résumé, les uns sont détaxés sur leur fonctionnement vital, sur leur survie (on libère un peu la narine gauche pour obstruer un peu plus la narine droite) et les autres sur leurs investissements, c'est-à-dire sur ce qui augmente encore leurs chances de survie (on offre aux deux narines un bol d'oxygène).
Sans compter que lesdits i
nvestissements  ne vont certainement pas tous aller dans le sens d'une préservation de l'environnement. Faut pas rêver !

Ça se mord gentiment la queue, tout ça,  et ça se frotte les mains en hauts lieux et les gros députés, laquais sanguins et replets, s'en foutent plein la lampe !

Quant à vous, Gaulois, circulez !  Y’a plus rien à voir sous les cieux celtes !


cochon2.jpg

Images : Philip Seelen

11:12 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

02.09.2009

Une page de journal

P3190016.JPG

...Ou l'on s'aperçoit, six mois après, que les sentiments d'une longue lecture, ici celle de Michelet, sont passés par des hauts et des bas...

Samedi 21 février

Je n’avais jamais vu de paysage aussi finement ciselé.
Le mercure est descendu cette nuit à moins quatorze degrés et l’humidité de l’air s’est cristallisée et pendue aux arbres, aux fils électriques, aux nids de cigogne, aux clôtures, aux pans des toits, au moindre objet offrant prise à la morsure du gel.
C’est un givre épais, surabondant, lourd, et le soleil tout falot arrose en même temps les cristaux de la croûte neigeuse au sol et les guirlandes de gel suspendues aux branches. Celles des pins, surtout, plient sous le poids de la glace. Une grande impression de froid silencieux et de sérénité. Du blanc, que du blanc partout et le bleu du ciel au-dessus, comme jaloux d'une splendeur qui chercherait à le supplanter.
Nous partons pour Włodawa et toute cette lumière qui se répand sur toute cette blancheur fait mal aux yeux.

Dans la soirée, Jagoda passe en boucle un disque de Renaud. Je lui demande au bout d’un certain temps si elle peut arrêter ou alors changer de registre. Parce que, quoique aimant beaucoup ce qu’a fait Renaud, ça me fout un peu le cafard. Une impression de rabâchage d’une génération éteinte, d'une génération de vaincus.
D. me demande alors plus amples éclaircissements.

L’effervescence née de mai 68 s’est prolongée jusqu’au début des années 80. L’onde de choc de ce grand raz de marée de la poésie et du désir de vivre autrement a fait naître en France et un peu partout, cet esprit rebelle, critique et désabusé qui a donné tant de choses tout au long des années soixante-dix et, quoiqu’en disent aujourd’hui les salopards au pouvoir, les renégats ou les gens de rien, cet esprit, récupéré par la sphère politique, a fondé toute la superstructure culturelle et intellectuelle d’une époque, parmi laquelle on peut citer les mouvements féministes, l’IVG, la contraception, la dépénalisation de l’adultère, une nouvelle manière de vivre l’amour et l’amitié, une littérature, des répertoires de chansons engagées etc. etc.
Je schématise de façon outrancière car là n’est pas exactement mon propos.

Cette rébellion - dont participe le répertoire de Renaud- est restée profondément créatrice pendant dix ans et plus, avant de s’étioler, de s’épuiser, de décliner lentement jusqu’à son extinction, ne perdurant plus alors à l’état de fantasme que dans la tête de ses plus farouches ennemis. Pour preuve, les discours haineux,  quarante ans après,  de cet ignoble Sarkozy déclarant la guerre à cet esprit, éructant qu’il faut en finir avec ce responsable de toutes les calamités.
Une guerre de retard, le petit étudiant en droit revanchard ! Mais c'est bien comme ça qu'on règne sur les esprits qui se complaisent dans le retard...

J’ai bien conscience d’abréger en quelques lignes ce qui demanderait pour être correctement dit, des pages et des pages plus belles et plus exhaustives.
Mais l’important, ce soir, est de mesurer avec D. le fossé aux profondeurs abyssales qui sépare l’Europe de l’ouest de l’Europe de l’est sur toute cette période de création indignée.
Quand nous défilions dans les rues avec nos drapeaux rouges et noirs, les jeunes Polonais défilaient eux aussi dans leurs rues et se faisaient tabasser, et même pire, pour contestation de ce même drapeau rouge. Quand nos espoirs étaient ceux d’en finir avec le règne absolu de la marchandise,  ceux de l’est appelaient ce règne de tous leurs vœux.
On l’a vu plus tard avec Solidarność. Nous soutenions les rebelles, eux-mêmes soutenus (manipulés ?) par les pires de nos ennemis : Les curés.
Il y a une incompréhension qui perdurera encore longtemps. Nous ne sommes pas sur la même longueur d’ondes, l’histoire ne nous a pas joué la même musique. On se méfie ici, et pour cause,  des révolutions  dites sociales. D. me dit qu‘il faudra une génération ou deux, au moins, avant que ne soit tordu le cou à cet amalgame entre communisme et les régimes qui ont sévi à l’est.
Avant, aussi,  que le libéralisme n’apparaisse tel qu’il est, inique, pernicieux, sans humanité, que je renchéris. Car si la brutalité des dictatures est pour tous directement évidente, la critique d’un système qui donne les apparences de la liberté et de l’abondance est beaucoup plus difficile, plus lente, plus compliquée.
Moins facile de choisir son camp, en quelque sorte. En Pologne, selon moi, la rébellion commencera par le rejet de ce clergé qui fourre son sale nez partout.

Voilà où nous a emmenés Jagoda avec Renaud et ses chansons qui avaient un sens il y a vingt ans.. Elle n’a pas suivi la discussion. Juste un mot quand j’ai parlé de génération de vaincus.
Qu’est-ce que c’est  « vaincu », papa ? Tu as fait la guerre ?
Rires.

Me replongeant dans Michelet, je retrouve, à peu près le même débat « d’idées ».
Il en est à l’opposition entre les Jacobins, intrigants, politiques, et ceux du club des Cordeliers, fougueux, désordonnés et passionnés. Michelet est transparent, trop prévisible. C’est en cela qu’il n’est pas un historien : on le suit à la trace par la seule odeur de son idéologie. Car, alors qu’il n’en a pas encore dit un mot, sa description des Marat, Danton et autres Desmoulins les fait ressembler, bien avant l’heure, à l’extrême gauche et aux anarchistes même.
C'est ce que je pense en lisant et...Bingo !  Dix pages plus loin, c’est sans surprise que je le vois faire un parallèle pourtant audacieux entre Proudhon et Marat.
Les portraits qu'il dresse de Marat, quant à eux,  tournent franchement au délit de « sale gueule ». En fait, Michelet ne s’est jusqu’alors montré enthousiaste que pour les fédérations naïves, royalistes encore, de 1790. Il eût voulu que la Révolution en restât là, on dirait.
Et si, comme il s’apprête à le faire dans les chapitres suivants sans doute,  on peut admettre que la Terreur fut une période noire de notre histoire, une perversion de la Révolution, on peut tout de même lui rétorquer qu’on n’abat pas un régime qui sévit depuis plus de 10 siècles avec des pleurs de joie, des embrassades, des bals populaires et des serments de fraternité éternelle.
J’attends avec impatience de savoir à qui il va attribuer la responsabilité historique de la Terreur.
Si ces égarements m’énervent trop, j’en resterai là de ma lecture à la fin de ce premier volume.

08:10 Publié dans Journal de Pologne - 2009 - | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET