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29.03.2011

Mon artiste prolétaire de frère prend un bide

littératureMa mère, enfin, après une dizaine de tentatives opiniâtres, reçut des mains de l'inspecteur des mines le papier rose qui lui ouvrait tout grand les portes de la modernité. Elle s'installa aussitôt au volant de son Aronde, clouée dans la grange depuis plus d'un an,  et le roi ne fut plus jamais son cousin.
Chaque jour, l'Aronde prenait la clef des champs
Des routes, oui. Plutôt. Voire des chemins vicinaux non encore goudronnés.

Les voisins, ceux qui n’avaient pas encore de voiture, mais surtout leurs épouses, saluaient avec un respect craintif l’audace de cette femme en pantalon, cigarette au coin des lèvres, cette Georges Sand de l’automobile, cette femme-précurseur qui pavoisait derrière son volant. Les hommes, eux, voyaient plutôt là un signe de débauche et de libertinage : la voiture, c'était une invention pour les hommes, pour les chefs, pour ceux qui ont de la tête ! Ceux qui étaient déjà motorisés, ceux qui savaient tout de la nouvelle époque et comment il fallait  se servir d'une automobile, haussaient donc les épaules, narguaient, tordaient le nez et prédisaient que le moteur de cet  engin - ils allaient même jusqu'à préciser pour bien faire voir qu'ils savaient de quoi ils causaient : le moteur Montlhéry de cette bagnole - ne ferait pas long feu, à ce régime de sorties quotidiennes.
Mais mon frère, apprenti mécano, veillait au grain. Maintenant que la voiture roulait, elle réclamait qu’il se penchât avec circonspection sur ses organes. Un beau dimanche, il demanda à ma mère combien elle avait fait de kilomètres. Il eût été tout aussi inspiré de lui demander la circonférence de la lune. Elle en resta bouche bée.
Tant d’ingénuité de part et d’autre déclencha chez moi un tel éclat de rire que ma mère se fâcha tout rouge. Elle me traita de foutu chanteur qui ne s’intéressait à rien. Elle montra mon frère en exemple. Lui, au moins, même avec ses questions stupides, s’intéressait à ce qui se passait dans cette maison, et surtout à son automobile ! On pouvait compter sur lui. Que je m’en retourne donc à ma saloperie de guitare et que je les laisse discuter sérieusement.
Evidemment, elle ne savait pas combien de kilomètres elle avait parcourus. Mon frère déclara que ça faisait quand même beaucoup et qu’il était grand temps de changer l’huile du moteur. Il enfila sa camisole d’apprenti prolétaire et se coucha sous l’auto. On l’entendit qui dévissait, qui tapait, qui cognait, qui se plaignait d’un gros boulon rébarbatif. Il devait avoir appris ça dans son atelier ; on ne dévissait pas un boulon sans se plaindre avec force jurons
de sa résistance. Il nous montra bientôt l’huile noire qu’il avait récupérée dans un seau. Il en prit quelques gouttes entre le pouce et l’index, les faisant se frotter l’un contre l’autre et, avec une moue de connaisseur un peu catastrophée, nous dit qu’il était grand temps, qu’elle n’avait plus de viscosité, cette huile-là. Vis-co-si-té, hein, répéta t-il en bombant le torse, on connaissait pas le mot nous-autres ? Un mot de mécano, pardi. Comment l’aurions-nous su ?
Il changea l’huile avec les gestes circonspects du savant devant ses éprouvettes.

Nous étions tous autour, admiratifs quoique inquiets. Il cabotinait à son aise. Je ne saurais dire pourquoi mais j’avais l’impression que l’artiste en faisait trop, qu’il s’aventurait un peu loin dans son art et qu’il allait prendre un bide. Il fit pourtant tourner le moteur, en s’essuyant les mains avec un vieux chiffon, plus sale encore que ses mains. Il souriait béatement et donnait des petits coups de pied dans les pneus. Il dit aussi qu’il tournait comme une horloge suisse, ce moulin-là, et il crachota loin devant lui, comme un vrai homme. Ma mère souriait tout aussi béatement : il venait d'annoncer qu’elle était tranquille pour faire trois mille kilomètres ! Autant lui annoncer qu’elle était parée pour faire le tour de la terre.
Elle ne fit même pas le tour du village.
L’auto fit un vacarme épouvantable de bête mortellement blessée, cracha une fumée noire comme l’enfer, sursauta de douleur et fit silence, stoppée net, crucifiée au beau milieu du chemin. Elle démarrait encore, certes, mais elle refusait d’avancer, ma mère s’énervant, criant au secours et de désespoir, torturant dans tous les sens le levier de vitesse, qui finit par lui rester bêtement dans les mains.
Mon frère courait dans tous les sens, affolé, tournait autour de l’engin en levant les bras au ciel et en donnant encore des coups de pied dans les pneus, comme quand il était content.
Dépêché sur les lieux en urgence, le mécanicien, le vrai cette fois-ci, déclara qu’on avait vidangé la boîte à vitesse au lieu du moteur et que tout était en morceaux, là-dedans. Kaputt  répétait-il, Kaputt, fier de son mot.
Kaputt !

Dans cette pitoyable méprise cependant, la vocation de mon frère avait dû recevoir le coup de grâce. Kaputt. Plus jamais je ne le revis en bleu de travail.
Il se fit menuisier.

11:21 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

24.03.2011

Deux fois par mois, Stéphane Beau sur L'Exil des mots

Bienvenue Stéphane,

Nous avons tous croisé sur notre route incertaine des gens qui, vus sous l’angle trompeur et péremptoire de l’idéologie, ne correspondaient pas exactement à notre profil. Du moins exprimaient-ils complètement différemment leur soif de liberté et leur besoin de rêver. Des gens attachants, un peu fous, fantasques ou timorés, sans prétention.
J’en ai connu des comme ça, dans des bars interlopes où se passaient nos nuits, dans des bas-fonds, dans des endroits d’exclusion forcée, dans des hasards. Dans des fuites en avant.
Il arrive que ces paumés des petits matins reviennent habiter notre mémoire.

Alors, quand j’ai invité Stéphane à venir tous les quinze jours partager avec moi la plume et qu’il m’a proposé ses Humbles à lui, j’ai tout de suite été touché, parce que ces humbles-là, je les ai bien reconnus !  Ils sont universels pour qui a cherché à aimer le monde au-delà de sa surbrillance.
Faut dire aussi que je venais de lire la Semaine des quatre jeudis, le dernier opus de Stéphane. Comme je le supposais grâce à une complicité qui remonte à février 2009 avec les Sept mains, j’ai trouvé  dans ses aphorismes et ses textes plus longs, un écho à mes propres quêtes et à mon propre désabusement. Parfois désarroi. Une réflexion commune de soi, au milieu de ce bastringue social à la dérive. Comme là   :

Bien sûr que les médias ne disent pas la vérité. Et alors ? Quelle importance ? La vérité : quasiment personne ne serait en mesure de la supporter.

Ou encore :

J‘aurais tant aimé être un artiste maudit ! Hélas, il est plus facile d’être maudit que d’être artiste.

 les humbles.JPG 

OUVERTURE

Un grand merci, tout d’abord, à Bertrand qui a généreusement proposé de m’ouvrir, tous les quinze jours, les portes de son Exil des mots. Je vais essayer d’être digne de son accueil.
Je vais profiter de cet espace pour rendre hommage à des hommes et des femmes que j’ai croisés et côtoyés, plus ou moins longtemps selon les cas. Ce sont tous des sacrifiés, des brisés, des vaincus de la vie, des exilés, eux-aussi, à leur manière : des victimes de cet exil républicain que l’on nomme « exclusion ». Et pourtant ils étaient tous des êtres exceptionnels, humains, dignes, exemplaires. Des hommes et des femmes qui m’ont beaucoup appris, beaucoup donné. Des hommes et des femmes que j’ai aimés. J’ai su le dire à certains, pas à tous : je le regrette. Le temps est venu pour moi de réparer cet oubli.[1]

 JOHNNY

Johnny. Ce n’était pas ton vrai prénom, mais tu l’adorais tellement ce gars-là ! Tu possédais la panoplie complète du fan parfait : les disques, bien sûr, mais aussi le briquet, la boucle de ceinturon, la pendule, la caricature accrochée au mur de ta cuisine, mal dessinée, par un copain sans doute, un soir de beuverie. Et les tee-shirts, bien-sûr, aux couleurs criardes, représentant l’idole transpirante. Tu carburais à la bière à 11° et il fallait choisir son heure pour venir te voir : trop tôt le matin tu dormais encore ; trop tard, tu étais déjà dans le brouillard… Tu avais bien la gueule de l’ex-taulard que tu étais, avec ta grosse moustache, ton crâne rasé et tes traits bleus tatoués au coin des yeux. Au début, tu faisais peur à tout le monde avec ton blouson noir d’un autre temps. Il faut dire que tu aimais ça, jouer les durs. Lorsque tu rencontrais quelqu’un, pour la première fois, c’était systématique, tu alignais vacherie sur vacherie : un vrai festival. Si l’autre se vexait, c’était un con, et tu ne lui adressais plus jamais la parole. S’il avait le culot de te répondre sur le même ton, en soutenant ton regard, un large sourire – où manquaient quelques chicots – éclairait immédiatement ton visage. C’était dans la poche, il pouvait tout te demander.

La dernière fois que je t’ai vu, tu venais enfin de trouver un petit appartement, après des années passées à errer de squat en squat et de foyers sociaux en logements d’urgence. Je me rappelle qu’il y avait un noyer derrière chez toi et que, tous les ans, tu nous amenais un sac plein de noix. Tu grommelais en détournant la tête lorsqu’on te remerciait : pas toujours simple de jouer les durs quand on a le cœur sur la main.
Tu étais un chic type, Johnny, tu sais. Mais qu’ils sont rares ceux qui l’on  su !  As-tu réussi à vaincre tes démons ou es-tu retourné partager le quotidien de tes ex - compagnons de trottoir ?

Je ne t’oublie pas.

Stéphane Beau

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 [1] J’ai emprunté le titre de cette chronique à une revue intitulée Les Humbles, publiée dans les années 1920 par Maurice Wullens.

15:26 Publié dans Stéphane Beau | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

21.03.2011

Va-t-en-guerre et pacifistes bêlants

littérature,écriture,histoireJe crains - mais  j’assume - que mon jugement ne soit quelque peu faussé du fait que je vive hors des frontières de mon pays. Je crains que ce jugement ne se fasse  plus émotif que réfléchi.
Quand on est loin et qu’on ne rentre finalement qu'une fois l’an, forcément, le pays des racines, celui que, bon gré mal gré, l’on porte en soi comme une espèce de  port d’attache, apparaît parfois à travers un prisme déformant et on nourrit à son égard des pensées et des sentiments qu’on n’aurait jamais eus, qu’on se défendait
même spontanément  d’avoir, quand on vivait avec lui.
Je me suis donc surpris à souhaiter que le  monde, et en premier lieu mon pays, celui de Montaigne, Rousseau, Montesquieu, celui qui aux peuples étrangers donnait le vertige,  intervienne contre un salopard sanguinaire qui se propose de noyer dans le sang une rébellion et qui, même, a déjà mis à  exécution une partie de ses fantasmes assassins.
Humainement, ça coule de source. Mais il n’est quand même pas confortable d’être dans la position du va-t-en-guerre. D’autant que l’idéal humanitaire et démocratique n’est que très rarement la flamme qui met in fine le feu aux poudres. D’autres préoccupations, sans doute, président aux bombardements et à l’ultima ratio regum  des canons.
Ce monde est trop compliqué et nous ne percevons que la partie la plus visible d’un iceberg dont nous avons depuis longtemps cessé de comprendre les dérives.
Et je me dis aussi que notre désastreuse incapacité, incapacité avérée, à changer ce monde devrait nous avoir guéri de toute prétention à vouloir l’interpréter sans risque d’erreurs grossières.

Mais il n’empêche que, d’ici, savoir que son pays est entré dans un conflit armé brasse les tripes. Mes tripes n’ont pas de cerveau ni de mémoire.
D’autant que  je ne suis quand même qu’à 2000 km de Paris. Je ne suis pas au bout du monde, je suis au sein de cette fable à tétines qu’on appelle Europe. Quelles que soient les ambitions des pays engagés en Lybie, je n'en compte que cinq présents pour faire un effort, sur  les vingt-sept qui, régulièrement, s’amusent pourtant à traire copieusement la vache européenne.
Et comme je suis dans un de ces pays-là, je constate une nouvelle fois qu’Europe veut dire dossiers de subvention mais qu’aucun cœur, aucun idéal, aucun intérêt commun n’anime la placidité  du gros bovin.
Pire même. On est carrément opposé les uns aux autres.
Une Europe foutaise, donc, une Europe pêle-mêle, sans âme, sans individu et qu’il serait temps que des hommes de bonne volonté, soit l'entraînent vers l’humaine dimension, soit invitent tout le monde à rentrer chez soi afin qu'il y vaque à ses occupations domestiques.
On verrait bien. Mieux vaut être seul que mal accompagné, n’est-ce pas ?
Anti-européen ? Oui. Sous ces auspices-là, oui. Je ne me sens pas du tout de la même famille que la Hongrie d’extrême droite ni de celle du clergé polonais, par exemple, érigé en classe sociale riche et fourrant partout son sale nez de possédant arrogant.
Cette Europe, ce monstre à vingt-sept têtes qui regarde dans vingt-sept directions  à la fois,  j’en disais dans Polska B Dzisiaj -  assis au bord du Bug -  ce que j’en prétends encore aujourd’hui :

Plus de frontières. Plus d’explosion d’artillerie lourde, plus de terreurs incendiaires, plus de sang dégouttant sur les rides de la terre et plus d’épouvante hurlée sous la mort en furie. J’ai devant moi, avec cette rivière qui musarde entre ses gorges sablonneuses, ce pourquoi se sont entre-tués les hommes depuis qu’ils sont des hommes. Tout le débat des tueries tourne autour de l’endroit exact où doit être planté ce poteau rayé blanc et rouge et sur lequel je me repose, les yeux dans l’eau. Ce poteau marque la fin d’une souveraineté et le début d’une autre. Il délimite le champ d’application des vérités et le moindre outrage à son égard ordonne réparation par le massacre. Ça me semble d’une désespérante simplicité.
J’ai pris appui sur la bombe qui a ensanglanté le monde.
Je suis de cette génération qu’on dit bénite des dieux pour être la première depuis que les temps sont humains à ne pas avoir vu déferler chez elle le fracas des armes. Puisque plus de vingt siècles n’avaient pas été suffisants pour déterminer l’emplacement exact de ces satanés poteaux, force fut bien de les mettre enfin au rebut.
De guerre lasse.
Génération bénite des dieux, depuis ta naissance on s’est pourtant égorgé et mis les tripes à l’air sans retenue en Indochine, en Algérie, au Vietnam, en Cisjordanie, en Palestine, en Iran, en Irak, en Afghanistan, en Tchétchénie, au Liban, dans les Balkans et, aujourd’hui même, en Géorgie sans qu’on sache jusqu’où la poudre parlera. Tout ça en soixante cinq ans. Autant dire sans relâche.
(…)
Ça n’est pas agréable à écrire et ni même à penser mais je ne suis pas de ceux qui bêlent à tout vent que l’Europe est à jamais sauvée des cataclysmes guerriers. Parce que derrière les poteaux qu’elles plantent pour marquer sa souveraineté, aussi loin qu’elle puisse étendre ses ailes, il y aura toujours un pays qui ne reconnaîtra pas ces poteaux comme plantés au bon endroit ou une nation qui s’en sentira bafouée. De plus, à l’intérieur même de son enceinte, et ce d’autant plus sûrement qu’elle ne cesse de s’élargir, longtemps des nations seront agitées par leur sentiment équivoque d’une adhésion forcée à une histoire usurpée, sentiment tellement nébuleux qu’il faudra bientôt le taxer de barbare. Peut-être, sûrement même, les générations d’un futur plus ou moins lointain aboutiront-elles à l’effacement de ce sentiment occulte. Lorsque la dissolution liquide des pays dans un même bocal sera devenue plus compacte et plus solide.
(….)
Prévoir que cette Europe est pour l’éternité à l’abri des guerres et des combats, c’est en outre juger que nous serions des hommes bien meilleurs, bien plus accomplis, bien plus intelligents, bien plus humanistes et bien plus généreux que tous ceux qui nous ont précédés.
Et ça, c’est d’une incommensurable vanité partout et fortement démentie par les réalités. "

14:38 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (20) | Tags : littérature, écriture, histoire |  Facebook | Bertrand REDONNET

19.03.2011

La frontière, la guerre et l’enfant

littératureSur la route ordinaire que balisait la forêt, ahanait un camion que je suivais.
Sans le voir vraiment. Mais la fillette a montré du doigt.
- Papa, c’est un Russe !
- Ah oui, ma puce… C’est un Russe. Il arrive bientôt chez lui, le Russe, tu vois. Il doit être content.
- Comment i fait le Russe pour traverser le Bug  ?
- Il y a des ponts sur les rivières. Et sur les ponts, il y a des routes pour les voitures et les camions.
-  Alors, quand on ira en France, on traversera le Bug aussi, nous?
- Non, le Bug et la Russie, c’est devant nous. Là où va le camion. La France, c’est derrière.
- Oui, mais on traversera un Bug.
- Je ne crois pas. Nous traverserons toute la Pologne, puis toute l’Allemagne, puis toute la France pour aller jusqu’à l’océan, mais il n’y a pas de rivière là où nous passerons.
- Et entre Niemcy (1)  et la France, il n’y a pas de Bug ?
- Si, mais c'est pas un Bug. C'est le Rhin.
- Et entre la Pologne et Niemcy ?
- Non. Ou alors un petit. L’Oder, que ça s’appelle.
- Alors, c’est le même pays s’il y’a pas de Bug… Prawda ?
- Prawda. C'est un peu le même pays.
- …
- Si c'est le même pays, y'aura plus de guerre chez nous alors ? Les pays,  ils sont tous des copains maintenant.
- Non, plus de guerre.  Tous les pays sont maintenant des copains, comme tu dis. Ça s’appelle l’Europe.
- Et les Russes aussi, ils sont  en Europe ?
- Heu.. Presque oui. C’est des copains à l’Europe.
- Et pas l’Irak ? T’as dit une fois qu’ils faisaient la guerre en Irak.
- Ah, l’Irak c’est pas l’Europe ! C’est compliqué... C’est à cause du pétrole.
- Et qu’est-ce que c’est le pétrole  ?
- Ben, tu vois, là, en ce moment on se promène en voiture, ça roule parce qu’il y a de l’essence dans le réservoir. L’essence, c’est fait avec du pétrole et le pétrole il est sous la terre.
- Et ça fait la guerre, le pétrole ?
- Non, pas vraiment, mais il y a des pays qui n'en ont pas, alors il faut qu’ils en achètent aux autres qui en ont  et ça coûte beaucoup, beaucoup de  złotys et il y a plein de pétrole en Irak. Tout le monde veut du pétrole parce tous les pays ont des voitures.
- Pourquoi, ils nous en donnent pas alors, du pétrole, s'ils en ont plein ? Nous en Pologne, on pourrait leur donner  plein de  pommes et des groseilles et des poires et eux, ils nous donneraient du pétrole... Prawda ?
- Prawda... Prawda... Ce serait pas mal, oui, comme idée.
-…
- Papa, roule à cent et double ce.... (2) Russe ! 

 1 - "Allemagne" en polonais
2 - Mot censuré par égard pour le peuple russe

Texte de 2006


10:53 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

16.03.2011

Tristesse

Centrale.jpgNeige doucement  fondue, dernières pellicules de glace qui résistent encore à fleur d’étang,  chants encore timides des premières grives, un vol de cigognes, ciel qui n’a plus la couleur attristée de l’hiver.
On aurait envie de laisser monter en soi toute cette sève des choses, comme à chaque passage à ce point précis du cercle. On aurait envie d’affirmer encore et encore que le temps qui nous est imparti de ce côté-ci des étoiles est un temps merveilleux, qu’on soit Paul ou qu’on soit Jacques, misanthrope ou incorrigible amoureux des hommes.
Mais le cœur n’y est pas. Le printemps a la tenue d’un décor posé sur un monde résolument dramatique.

De l’autre côté de la Méditerranée, tout un peuple que soulevait enfin l’espoir, est abandonné aux couteaux de son étrangleur. Sa gorge ne sera bientôt plus qu’une béance aux chairs pendantes. Honte ! Honte pour l’éternité jetée à la face des puissants ! Ce sont des frères qu’on assassine. Nous ne savons pas leurs vues, leurs sentiments, leurs idées d’eux-mêmes. Que nous importe : ils ont pris les armes contre leur dictateur et devraient mériter notre secours et respect fraternels. Qui qu’ils soient.
Ingérence ? Taisez-vous, abominables que vous êtes ! Taisez-vous ! Vous vous ingérez partout, sans morale ni éthique, sans crier gare et sans état d'âme, quand votre soif de domination, de profit et de puissance monétaire est à étancher !

Et puis, là-bas, sur l’archipel de l’Orient, la vieille terre qui s’est secouée, a tué, et le monde une nouvelle fois menacé par les manipulations scientifiques de l’infiniment petit.
Pour ou contre le nucléaire ? Question idiote s’il en est. Question d'imbéciles. Infantile. Question sans  fondement. Question hors-sujet. Question pour faire voir qu’on a des choses dans sa tête alors qu’on est plat comme une limande,
face aux complications du monde.
Le nucléaire est dangereux comme l’est - sur une échelle plus grande, plus frappante, plus apocalyptique parce que d’un coup d’un seul fortement meurtrier et qu’il hypothèque alors la santé humaine à long terme - la cigarette que j'ai au bec, la vitesse sur route ou autoroute, la consommation excessive d’alcools.
Je n’aime que modérément les chiffres. Ce qui, in fine, est en partie snob et légèrement débile. Donc : la voiture tue un million et demi de personnes dans le monde chaque année et en blesse quarante fois plus ! Depuis Tchernobyl, la voiture, votre voiture messieurs-dames, la mienne,  a donc  tué 37 millions d’individus. A titre indicatif, la Pologne compte 38 millions d’habitants.
Vous êtes pour ou contre la voiture ? Ridicule !

Le nucléaire est une énergie fondamentale. Au sens profond, étymologique. Pas grand monde pour se soucier d'ailleurs de sa dangerosité quand il allume au quotidien son convecteur, se branche sur internet, éclaire ses mouvements, se sert de ses outils domestiques, consomme des produits fabriqués par des machines électriques.

Le drame est ailleurs. Le drame est dans la maîtrise des hommes sur cette formidable énergie que leur cerveau a su arracher aux principes mêmes de la matière.  Le drame est que la planète est elle-même une force que les hommes ne maîtrisent pas et ne maîtriseront jamais. La planète explosera quand, scientifiquement, elle aura vécu son temps. Qu’elle soit habitée par des hommes ou non.
Or, elle tremble régulièrement, s’ébroue, et les hommes, grimpés sur son dos comme le sont les puces sur celui des chiens, s’en trouvent forcément et fortement bousculés.
Le drame est dans l’instabilité permanente, vivante,  de l' habitat humain.

Fallait-il donc construire des centrales nucléaires, plonger au fond de la matière pour en extraire la substantifique moelle et tâcher de doter l’humanité de réserves énergétiques inépuisables ?
Oui. Je dis oui sans une seconde d’hésitation.
A mon sens, ceux qui répondent non sont des babas cools attardés, qui s’ignorent, genre qui diraient qu’il fallait laisser les chevaux attelés aux diligences parce qu’un être qui leur était cher a trouvé la mort dans un accident de la circulation.

Des erreurs monumentales, des contradictions de l’intelligence, des négligences nées de la recherche exclusive du profit,  ont-elles été commises dans la mise en place et le  maniement de cette énergie ?
Oui. Sans  aucune hésitation.
Ceux qui répondent non sont des puissants intéressés par le lucratif et aucunement soucieux du  confort de l’humanité.

Reste la tristesse, la détresse, la compassion du cœur et de l’âme face au drame du Japon, drame de l’humanité, drame et catastrophe de la fusion des erreurs humaines, du génie humain et des caprices de la planète, voyageuse du cosmos.

J’habite à deux-cent-cinquante kilomètres, à vol de nuage radioactif, de Tchernobyl.
On m’a raconté un  peu.
Je pense aux japonais meurtris dans leur vie.
Je pense aux Libyens bientôt vaincus.
Je ne pense pas au printemps.

10:19 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

10.03.2011

Scandale sur un titre

littératureC’était dans une auberge perdue au milieu des prairies et des marais de Nuaillé d'Aunis et c’était l’hiver.
En février je crois.
Nous faisions, avec mon ami, un week-end performance : vendredi soir, samedi soir et dimanche après-midi.
Nous en sortions fourbus.
J'ai vraiment aimé ces concerts. Tout y était : un public sympa, sans prétention,  du vin, le désert muet des campagnes et des nuits qui n'en finissaient pas d'être des nuits. Nous sommes venus  deux années de suite.
Pendant que les gens arrivaient,  s’installaient en discutant dans la petite salle, nous allions prendre l’air, parlions de choses et d’autres et les brouillards gelés alentour s’accrochaient aux prairies. Mon ami rêvassait le nez dans des étoiles transies et les mains bien au chaud dans ses poches, son col de veste légèrement relevé. Il posait toujours un regard interrogateur, métaphysique sur ces intelligences lumineuses, là-haut, qui le fascinaient et le fascinent sans doute encore aujourd'hui.
Puis nous entrions. Les vitres ruisselaient de buée. Nous serrions des mains et nous nous préparions à jouer. Nous jetions aussi, toujours, un regard moqueur sur un affreux goupil empaillé, juste derrière nous, qui n'avait vraiment rien à foutre là.
On nous montrait du doigt ou du menton.

Ce soir-là, un petit gars un peu bedonnant, la mine poupine et le cheveu bien cranté, était venu nous saluer et nous  avait présenté sa jolie petite femme. Il devait l’aimer, sa femme, parce que tout de suite il s’était mis à faire le fanfaron avec  les artistes.
- Ah, quel plaisir ! On va entendre du Brassens ! J’les connais toutes. Toutes ! Ça fait quarante ans que j’l’écoute, moi, le gars Brassens…
Sa petite femme acquiesçait et buvait des yeux son petit bonhomme de mari au ventre discrètement replet.
Ils étaient vraiment charmants.
Mon ami est alors subitement monté sur la scène, il a récupéré sa grosse bible, les œuvres complètes du Maître, il a ouvert l’ouvrage vers la fin puis, étalant le livre sous le nez du couple médusé, à la page S’faire enculer :
- Et celle-là, vous la connaissez ?
La petite dame a rougi jusqu’aux deux oreilles, qu’elle avait d’ailleurs joliment duveteuses,  mais elle a ri en même temps. D’un petit rire fripon, à peine étouffé.
 Le petit ventre a froncé les sourcils, il a fait semblant de regarder la partition d'un air savant, en se triturant le menton, mais sans s’attarder sur le titre. Puis, grand  seigneur :
- Non, celle-là,  j’la connais pas.
Sa p'tite femme a gloussé joliment derechef.

Un taquin, mon ami.
Je l’ai vu après, au cours d'une pause, prendre un pot avec ce couple sympathique.
Je me suis tout de même demandé de quoi ils causaient, ces trois-là.

13:42 Publié dans Brassens | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

09.03.2011

Petites annonces

littérature. Recherche désespérément quelqu’un qui aurait lu Le Docteur  Faustus jusqu’au bout afin qu’il me renseigne sur la façon dont il s’y est pris. Troisième fois que j’abandonne, vers la  cent-cinquantième page, ce chef-d’œuvre (prononcer avec la bouche en cul de poule et en dodelinant du chef)  de la littérature.

Tel : 00 56 765 444 8000, aux heures des repas

. Ai reçu de nombreux faire-part qui m’annonçaient la mort du roman depuis La Comédie humaine et l’Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second empire. Comme je ne m’étais aperçu de rien, ballot que je suis, et que me voilà donc avec un siècle et demi de retard sur le dos, je  recherche avec frénésie toute personne susceptible de me renseigner sérieusement sur l’endroit d’inhumation, les causes réelles du décès et, si possible, le nom des fossoyeurs. Parce que j’ai lu aussi quelque part que ces derniers auraient pu être Marx et la sociologie, ce qui, de prime abord, m’avait fait croire à une grosse blague d'apprentis carabins avinés.

Tel : 00 56 765 444 800, aux heures des repas

. Je cherche un éditeur pour un roman vieillot, aux termes surannés, à la syntaxe classique, avec des personnages et des descriptions à la con. Bref, un roman chiant comme un jour sans pain. Un roman dont le sujet n’intéresse pas grand monde.  Jugez-en plutôt : un groupe de paysans de la Vienne à la fin des années 60 face à un événement ponctuel, certes,  mais surtout face aux chambardements causés par la nouvelle façon de penser les campagnes.
Discrétion assurée. Parole d’honneur.

Tel : 00 56 765 444 800, à toutes heures du jour et de la nuit

. Recherche pour conversation anodine - et plus si affinités  mais ça m'étonnerait fort - un ou une auteur de tapuscrits pour ne pas mourir idiot et savoir enfin à quoi ça ressemble.

Tel : 00 56 765 444 800, aux heures les moins pénibles de la journée

. Annonce sérieuse : Aimerait rencontrer quelqu'un qui a tout lu -  je dis bien tout -  de A la recherche du temps perdu sans jamais avoir eu l'impression de perdre son temps.

Tel : 00 56 765 444 800, à des heures convenables

. L’Exil des mots recrute rédacteur en chef pour sa catégorie critique et contestation  car grosse fatigue sur le sujet de la part du rédacteur en poste.
Pas sérieux s’abstenir. Rémunération très incertaine cependant.

Tel : 00 56 765 444 800, aux heures de bureau

. Enfin, alors que j'allais boucler ma rubrique, on me prie d'insérer ceci :
C
ette bonne femme, souffrant d'inextricables névroses parmi lesquelles celle de la surenchère répugnante, recherche d'urgence un vétérinaire.

Contact : UMP, Assemblée nationale.

littérature


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07.03.2011

Le temps des cerises en forme de poires

poire.jpgL’hiver, c’est comme un tunnel dans lequel on s’engouffre aux premiers jours de novembre. Listopad en polonais. Littéralement, la chute des feuilles.
C’est ce mot chute qui me plaît bien. Chuter. Les chutes sont toujours plus  vertigineuses que les ascensions. Plus sûres de leur trajectoire aussi.
Pour ma part, je m’y glisse donc toujours le cœur léger dans ce boyau des mortes-saisons, plein de bonne volonté et d’idées d’écrire. Dans ma tête, c’est mythique. La décadence de la lumière va de pair avec l’envie d’écrire. Ça finit même par avoir quelque chose d’idiot, cette affaire que j’assume volontiers. Toute idiotie décalée s’assume d’autant mieux qu’on n’a de compte à rendre à personne et si, en plus, on trouve quelque plaisir à être idiot dans un monde d’idiots.
Quatre mois de neige et de gel et de verglas. Cette latitude sans altitude observe scrupuleusement le grand mouvement des choses. Vers la fin mars reviendront les premières cigognes et l’aube, ce trait rose de l'éternel sablier, bien avant cinq heures. Quelque chose change dans le grand basculement. Le tunnel sent comme un soupçon de lumière.
J’aurai bientôt traversé mon  sixième hiver en Pologne. C’est ma pendule à moi. Mes douze coups de minuit. C’est là, dans ces traversées des catacombes gelées, que se mathématise ma vie. Mon avancée dans le temps, plutôt. Je ne consacrerai donc jamais à l’expression j’ai X printemps. C’est peut-être parce que je préfère les endormissements aux réveils.
Se réveiller sur quoi, d’ailleurs ? Sur l’état d’un monde qui ne m’inspire plus guère que le dégoût. Et si ce monde est dégoûtant, c’est bien parce que les hommes le veulent ainsi. Il n’y a plus de dialogue possible avec toute cette merde. Les grands de ce monde, portés par les nains affreux, cacochymes, prétentieux, minables, des chaumières du suffrage universel, nous ont volé nos vies. Qu’au moins ils ne nous fassent pas perdre notre temps.
Si je devais exprimer mon plus fort regret, mon immense regret, ce serait d’avoir vécu à une des époques les plus lamentables pour l’esprit humain.
Et je suis encore assez con pour le dire.
Tout ça ne sert strictement à rien.
Notre parole ne vaut que par sa propre logique autonome. Intérieure. Sans incidence aucune sur rien. Un peu comme ces mélopées de prisonniers qui dégoulinent parfois sur le crépuscule des barreaux. Quand il n’y a rien à faire, sinon compter les nuits.
Parfois même les hivers.

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03.03.2011

La musique ça se conjugue au présent

A l'époque de la publication de mon bouquin sur Brassens, je recevais beaucoup de courrier. Par la poste.
Un monsieur québecois et médecin de son état m'avait ainsi fait parvenir une longue missive pour me dire tout le bien qu'il pensait de mon livre et aussi qu'il s'était acheté à Paris la même guitare que Brassens, chez le fameux luthier Jacques Favino, et qu'il s'évertuait à jouer exactement, au centième de mesure près, comme le bon Maître.
J'avais répondu - gentiment - que je n'en voyais ni l'utilité, ni le plaisir qu'on pouvait en tirer. Que l'éternité d'une oeuvre résidait précisément dans sa relecture subjective, affective, sensible, adaptée à soi.

Plus tard, beaucoup plus tard, comme pour faire écho à ma réponse, j'avais découvert ça.  C'est simple et c'est beau et c'est juste.
Contacté, l'artiste m'avait  donné l'autorisation de publier ici sa vidéo.
La musique, ça se conjugue vraiment  au présent.

Quand on prend sa guitare, il n'y a pas de concordances des tons au passé, sinon décomposé.


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