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24.03.2011

Deux fois par mois, Stéphane Beau sur L'Exil des mots

Bienvenue Stéphane,

Nous avons tous croisé sur notre route incertaine des gens qui, vus sous l’angle trompeur et péremptoire de l’idéologie, ne correspondaient pas exactement à notre profil. Du moins exprimaient-ils complètement différemment leur soif de liberté et leur besoin de rêver. Des gens attachants, un peu fous, fantasques ou timorés, sans prétention.
J’en ai connu des comme ça, dans des bars interlopes où se passaient nos nuits, dans des bas-fonds, dans des endroits d’exclusion forcée, dans des hasards. Dans des fuites en avant.
Il arrive que ces paumés des petits matins reviennent habiter notre mémoire.

Alors, quand j’ai invité Stéphane à venir tous les quinze jours partager avec moi la plume et qu’il m’a proposé ses Humbles à lui, j’ai tout de suite été touché, parce que ces humbles-là, je les ai bien reconnus !  Ils sont universels pour qui a cherché à aimer le monde au-delà de sa surbrillance.
Faut dire aussi que je venais de lire la Semaine des quatre jeudis, le dernier opus de Stéphane. Comme je le supposais grâce à une complicité qui remonte à février 2009 avec les Sept mains, j’ai trouvé  dans ses aphorismes et ses textes plus longs, un écho à mes propres quêtes et à mon propre désabusement. Parfois désarroi. Une réflexion commune de soi, au milieu de ce bastringue social à la dérive. Comme là   :

Bien sûr que les médias ne disent pas la vérité. Et alors ? Quelle importance ? La vérité : quasiment personne ne serait en mesure de la supporter.

Ou encore :

J‘aurais tant aimé être un artiste maudit ! Hélas, il est plus facile d’être maudit que d’être artiste.

 les humbles.JPG 

OUVERTURE

Un grand merci, tout d’abord, à Bertrand qui a généreusement proposé de m’ouvrir, tous les quinze jours, les portes de son Exil des mots. Je vais essayer d’être digne de son accueil.
Je vais profiter de cet espace pour rendre hommage à des hommes et des femmes que j’ai croisés et côtoyés, plus ou moins longtemps selon les cas. Ce sont tous des sacrifiés, des brisés, des vaincus de la vie, des exilés, eux-aussi, à leur manière : des victimes de cet exil républicain que l’on nomme « exclusion ». Et pourtant ils étaient tous des êtres exceptionnels, humains, dignes, exemplaires. Des hommes et des femmes qui m’ont beaucoup appris, beaucoup donné. Des hommes et des femmes que j’ai aimés. J’ai su le dire à certains, pas à tous : je le regrette. Le temps est venu pour moi de réparer cet oubli.[1]

 JOHNNY

Johnny. Ce n’était pas ton vrai prénom, mais tu l’adorais tellement ce gars-là ! Tu possédais la panoplie complète du fan parfait : les disques, bien sûr, mais aussi le briquet, la boucle de ceinturon, la pendule, la caricature accrochée au mur de ta cuisine, mal dessinée, par un copain sans doute, un soir de beuverie. Et les tee-shirts, bien-sûr, aux couleurs criardes, représentant l’idole transpirante. Tu carburais à la bière à 11° et il fallait choisir son heure pour venir te voir : trop tôt le matin tu dormais encore ; trop tard, tu étais déjà dans le brouillard… Tu avais bien la gueule de l’ex-taulard que tu étais, avec ta grosse moustache, ton crâne rasé et tes traits bleus tatoués au coin des yeux. Au début, tu faisais peur à tout le monde avec ton blouson noir d’un autre temps. Il faut dire que tu aimais ça, jouer les durs. Lorsque tu rencontrais quelqu’un, pour la première fois, c’était systématique, tu alignais vacherie sur vacherie : un vrai festival. Si l’autre se vexait, c’était un con, et tu ne lui adressais plus jamais la parole. S’il avait le culot de te répondre sur le même ton, en soutenant ton regard, un large sourire – où manquaient quelques chicots – éclairait immédiatement ton visage. C’était dans la poche, il pouvait tout te demander.

La dernière fois que je t’ai vu, tu venais enfin de trouver un petit appartement, après des années passées à errer de squat en squat et de foyers sociaux en logements d’urgence. Je me rappelle qu’il y avait un noyer derrière chez toi et que, tous les ans, tu nous amenais un sac plein de noix. Tu grommelais en détournant la tête lorsqu’on te remerciait : pas toujours simple de jouer les durs quand on a le cœur sur la main.
Tu étais un chic type, Johnny, tu sais. Mais qu’ils sont rares ceux qui l’on  su !  As-tu réussi à vaincre tes démons ou es-tu retourné partager le quotidien de tes ex - compagnons de trottoir ?

Je ne t’oublie pas.

Stéphane Beau

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 [1] J’ai emprunté le titre de cette chronique à une revue intitulée Les Humbles, publiée dans les années 1920 par Maurice Wullens.

15:26 Publié dans Stéphane Beau | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Le parti-pris de votre écriture des "Humbles", m'évoque celui de Pierre Michon,
avec ses "Vies minuscules" :

p. 247 (Folio, 1998) :

"Qu'un style juste ait ralenti leur chute, et la
mienne en sera peut-être plus lente ; que ma main
leur ait donné licence d'épouser dans l'air une
forme combien fugace par ma seule tension susci-
tée ; que me terrassant aient vécu, plus haut et
clair que nous ne vivons, ceux qui furent à peine et
redeviennent si peu. Et que peut-être ils soient
apparus, étonnamment. Rien ne m'entiche comme
le miracle."

Écrit par : Michèle | 25.03.2011

Jamais rien lu de Pierre Michon ! Flûte... Que de lacunes à combler... Mais merci pour la citation qui pourrait effectivement servir d'exergue à ma série de portraits.

Écrit par : stephane | 25.03.2011

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