10.03.2011
Scandale sur un titre
C’était dans une auberge perdue au milieu des prairies et des marais de Nuaillé d'Aunis et c’était l’hiver.
En février je crois.
Nous faisions, avec mon ami, un week-end performance : vendredi soir, samedi soir et dimanche après-midi.
Nous en sortions fourbus.
J'ai vraiment aimé ces concerts. Tout y était : un public sympa, sans prétention, du vin, le désert muet des campagnes et des nuits qui n'en finissaient pas d'être des nuits. Nous sommes venus deux années de suite.
J'ai vraiment aimé ces concerts. Tout y était : un public sympa, sans prétention, du vin, le désert muet des campagnes et des nuits qui n'en finissaient pas d'être des nuits. Nous sommes venus deux années de suite.
Pendant que les gens arrivaient, s’installaient en discutant dans la petite salle, nous allions prendre l’air, parlions de choses et d’autres et les brouillards gelés alentour s’accrochaient aux prairies. Mon ami rêvassait le nez dans des étoiles transies et les mains bien au chaud dans ses poches, son col de veste légèrement relevé. Il posait toujours un regard interrogateur, métaphysique sur ces intelligences lumineuses, là-haut, qui le fascinaient et le fascinent sans doute encore aujourd'hui.
Puis nous entrions. Les vitres ruisselaient de buée. Nous serrions des mains et nous nous préparions à jouer. Nous jetions aussi, toujours, un regard moqueur sur un affreux goupil empaillé, juste derrière nous, qui n'avait vraiment rien à foutre là.
Puis nous entrions. Les vitres ruisselaient de buée. Nous serrions des mains et nous nous préparions à jouer. Nous jetions aussi, toujours, un regard moqueur sur un affreux goupil empaillé, juste derrière nous, qui n'avait vraiment rien à foutre là.
On nous montrait du doigt ou du menton.
Ce soir-là, un petit gars un peu bedonnant, la mine poupine et le cheveu bien cranté, était venu nous saluer et nous avait présenté sa jolie petite femme. Il devait l’aimer, sa femme, parce que tout de suite il s’était mis à faire le fanfaron avec les artistes.
- Ah, quel plaisir ! On va entendre du Brassens ! J’les connais toutes. Toutes ! Ça fait quarante ans que j’l’écoute, moi, le gars Brassens…
Sa petite femme acquiesçait et buvait des yeux son petit bonhomme de mari au ventre discrètement replet.
Ils étaient vraiment charmants.
Mon ami est alors subitement monté sur la scène, il a récupéré sa grosse bible, les œuvres complètes du Maître, il a ouvert l’ouvrage vers la fin puis, étalant le livre sous le nez du couple médusé, à la page S’faire enculer :
- Et celle-là, vous la connaissez ?
La petite dame a rougi jusqu’aux deux oreilles, qu’elle avait d’ailleurs joliment duveteuses, mais elle a ri en même temps. D’un petit rire fripon, à peine étouffé.
Le petit ventre a froncé les sourcils, il a fait semblant de regarder la partition d'un air savant, en se triturant le menton, mais sans s’attarder sur le titre. Puis, grand seigneur :
- Non, celle-là, j’la connais pas.
Mon ami est alors subitement monté sur la scène, il a récupéré sa grosse bible, les œuvres complètes du Maître, il a ouvert l’ouvrage vers la fin puis, étalant le livre sous le nez du couple médusé, à la page S’faire enculer :
- Et celle-là, vous la connaissez ?
La petite dame a rougi jusqu’aux deux oreilles, qu’elle avait d’ailleurs joliment duveteuses, mais elle a ri en même temps. D’un petit rire fripon, à peine étouffé.
Le petit ventre a froncé les sourcils, il a fait semblant de regarder la partition d'un air savant, en se triturant le menton, mais sans s’attarder sur le titre. Puis, grand seigneur :
- Non, celle-là, j’la connais pas.
Sa p'tite femme a gloussé joliment derechef.
Un taquin, mon ami.
Je l’ai vu après, au cours d'une pause, prendre un pot avec ce couple sympathique.
Je me suis tout de même demandé de quoi ils causaient, ces trois-là.
13:42 Publié dans Brassens | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
une petite salle, une petite femme, un petit bonhomme,un petit ventre... tout est petit dans leur vie !!
Ce gentil petit peuple, tout en modestie, mais de quoi qu'on peut causer avec eux !! Quel mépris pour votre auditoire et pour ces gens tout simplement.
Écrit par : mars | 10.03.2011
Je crois que vous devriez apprendre à lire...Petit n'a rien de péjoratif...
Donc apprendre à lire et à signer aussi. J'aime bien savoir mon interlocuteur.
Écrit par : Bertrand | 10.03.2011
Et noter qu'il y a aussi "grand seigneur"...
Écrit par : solko | 10.03.2011
N'est pas petit maître qui veut; en revanche, les petits-maîtres ont la prétention aiguisée.
Écrit par : ArD | 10.03.2011
le second degré , cher Bertrand n'est pas connu de tout le monde; petit veut dire mignon, il y a une tendresse dans le mot; une femme (un peu féminine)s'achète un "petit" pull, elle se fait avec ses copines un "petit" restau,d'ailleurs, il serait temps que tu envisages un "petit" weekend à Paris don't worry,Bertrand, be happy! A.M
Écrit par : Anne-Marie Emery | 10.03.2011
Un grand merci pour votre soutien moral, lecteurs amis (es)...Cependant je ne m'inquiétais pas outre mesure : comment s'inquiéter d'un anonyme, ou d'une, qui signe du nom du dieu de la guerre avec un petit, un tout petit "m" ? Petit, petit, petit...Tout petit.
Écrit par : Bertrand | 11.03.2011
Les commentaires sont fermés.