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23.12.2008

Souvenir de quand j'étais bûcheron

P6180036.JPGDans la forêt de Benon, je pratiquais des tailles blanches, orientées du sud au nord, dans d’immenses parcelles de chênes noirs, d’érables et de gros noisetiers. Je coupais des bandes larges de dix mètres, laissais dix mètres de forêt et ainsi de suite. Dans ces bandes, sitôt la récolte débardée en grumes ou en stères, des machines dessouchaient, d’autres percaient des trous et des essences nouvelles étaient replantées.
Des merisiers, des noyers, des chênes truffiers aussi, à titre  expérimental.
Ce qui me faisait ricaner. Une fois à la barbe de l’ingénieur forestier,  pour des eucalyptus.
- L’orientation est parfaite et le terrain est bon, avait dit le jeune ingénieur.
- Ils gèleront, avais-je prédit pour le taquiner et parce que je n'aime pas les végétations exilées sous un climat qui n'est pas le leur. Je n'aime pas qu'on force la main aux paysages.
- Ils peuvent supporter jusqu’à moins dix. C’est exceptionnel chez nous. Tous les vingt, vingt cinq  ans, et encore…
- Et ils  sont exploitables au bout de combien de temps,  tes eucalyptus ?
- A peu près vingt ans. Le terrain est bon, avait répété le jeune homme,  au demeurant fort sympathique et qui, quand il n’était pas en train d’échafauder de nouvelles erreurs,  en  prenant  des échantillons de terre et en calculant des orientations, aimait s’entretenir avec moi. De politique, de livres, de nature. Ou alors d’histoire.
Nous nous asseyons tous les deux autour de la petite table de la cabane où je rangeais mes outils et faisais réchauffer mon déjeuner. Là, sous cet abri rustique, on sirotait un verre de vin chaud ou alors, si l’heure était propice, on allait manger un morceau à Saint-Georges, chez Mémène, petit établissement sombre aux plafonds bas où la lumière ne s’éteignait jamais et qui faisait tout, café, restaurant, coiffeur, bureau de tabac, grainetier, dépôt de pain, épicerie et...crédit.
- Ça tombe mal, avais-je insisté pour les eucalyptus …Voilà bien longtemps qu’il n’a pas gelé comme ça chez nous. Si tes prévisions sont justes, ils ne passeront pas au travers.
L’ingénieur m’avait chahuté et traité d’emmerdeur pragmatique. Il avait assuré aussi que rien n’était systématique en climatologie.

Sauf que, au tout début de janvier 85, le quatre exactement, sous un ciel livide, le vent avait brusquement tourné au nord. Un blizzard épouvantable qui avait fait se tapir, gémir et trembler les chiens au fond des granges.
La neige était tombée en abondance dans la nuit et le mercure, devenu fou, était descendu à moins dix, puis moins quinze et jusqu’à moins dix huit.
On eût dit que les thermomètres étaient brisés.
Huit jours d’un froid polaire avaient momifié la campagne. Les rivières et les canaux étaient devenus durs. Les vieux avaient bien dit qu’ils avaient déjà vu ça, « autfoué », pendant la guerre évidemment. Mais les vieux ont toujours ce privilège de l’âge de prétendre avoir tout vu, comme s’ils se plaisaient à vouloir banaliser l’exceptionnel et comme si cette banalisation était de nature à conjurer leurs peurs.
Il n’en reste pas moins vrai que des canalisations d’eau avaient éclaté, que les camions étaient restés coincés sur les routes, leur gas-oil gelé, et que sous les épaisses rangées de houppiers alignées le long de chaque coupe, j'avais ramassé par dizaines des oiseaux anéantis, des grives, des merles, des mésanges et des rouge-gorge qui s’étaient traînés jusqu’à cet ultime abri d’un dernier désespoir, petits squelettes de plumes et d’os.
Les quatre hectares d’eucalyptus avaient grillé sur place, foudroyés.
On avait tout arraché. Au printemps, lorsque j'en avais fait d’immenses brasiers, les feux avaient embaumé comme des pastilles de pharmacie.
L’ingénieur n’avait plus reparlé d’eucalyptus. En lieu et place, on avait mis des merisiers, plus rustiques. Mais les chevreuils, en dépit des protections installées autour de chaque plant, grignotaient une à une, méthodiquement, chaque nouvelle pousse.
Alors, on avait clôturé  les parcelles replantées.
- Une fortune partie en fumée, avais-je dit en haussant les épaules, goguenard.
- Une fortune, avait rétorqué l’ingénieur en embrassant d’un geste fier les plantations de merisiers, gaillardes et toutes ces belles ramures vert tendre, soigneusement alignées, que la brise de mai faisait trembloter.

11:26 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

19.12.2008

Une gigantesque fumisterie

Le capitalisme - surtout depuis qu'il est entré dans sa phase spectaculaire du pourrissement le plus achevé dans laquelle l'apparemment perçu se substitue à l'essentiellement vécu - prend les gens pour des imbéciles.

Et il a raison.
Nous le sommes vraiment.

Car comment faire avaler la pilule qu'un système planétaire bâti comme un jeu de cartes, un système dont les fondements ne sont que virtuels, jeu de hasard, jeu d'écritures de chiffres accumulant un argent phénoménal qui n'existe nulle part, jeu de voleurs et de menteurs, jeu de streap- poker où, des cartes biseautées dans ma manche, je te déleste de ton slip pour me payer une fourrure, comment faire avaler la pilule que ce système est bon, fiable, pérenne, et qu'on peut encore compter sur lui pour prodiguer le bonheur au plus grand nombre ?

Comment endormir le serf pour que le seigneur puisse continuer de galvauder son jardin, sans risquer la colère du jardinier et la lanterne vengeresse ?

C'est simple. Des spectateurs se gouvernent comme des spectateurs :

On sort de son chapeau un voyou, un play boy, un inconnu, un gars de rin mais capable, à lui tout seul, de faire s'écrouler les grandes banques de la planète, de bientôt priver des milliers de familles de leur emploi de survivance et de ruiner des épargnants du monde entier.
Que les gros ! nous dit Lagarde pour bien faire voir que la plèbe ne joue pas dans cette cour et qui devrait plutôt, à ce stade de l'ignominie, sinon mourir, du moins  se rendre avec dignité.

Le tour est joué.

Mesdames, Messieurs, le système est bon ! Il y a eu une erreur humaine ! Cependant oyez, oyez braves gens, on l'a mis en résidence surveillée, le desesperado de la finance, et on lui a passé un bracelet électronique. On l'a à l'oeil !
Dormez en paix, c'est encore ce que vous faites le moins mal !

Comme quand un avion s'écrase. Tout était parfait, pourtant. Le pilote, ce con, s'est endormi !

L'année 2009 - foin de voeux ridicules ! - sera donc ce que fut 2008 et plein d'autres années avant elle : l'empire consacré et sans partage du mensonge distribué sans vergogne et sans grand risque de ne point être gobé par une population de plus de trois milliards d'individus qu'on appelle encore, faute de n'avoir pas d'autres mots à sa disposition, des hommes.

Voir aussi les interrogations de Denis, ici.

15:18 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

17.12.2008

Franche répartie

Le colonel Bigeard à Brassens :

- Et vous, Brassens, vous aimez votre patrie ?

Brassens :

- Je n'aime pas ma patrie. En revanche, j'aime beaucoup la France.

 

 

12:38 Publié dans Musique et poésie | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

16.12.2008

Polska B dzisiaj

jhjhjhjhjhj.JPGLa Pologne orientale vit cahin-caha à l’heure des vulgarités marchandes charriées par les vents de l’ouest.
Comme si elle lévitait cependant, légèrement décalée au-dessus du sol. Observée avec le recul de l'étranger, il semblerait qu’elle ne prenne cependant pas encore toute cette euphorie boutiquière très au sérieux. Qu’elle s’amuse aux marchands, en quelque sorte.
Car je les devine bien, ces Polonais de l’est. Avec leur gentillesse pleine de roublardise, je crois qu’ils ne jouent pas à fond le jeu qu’on voudrait leur faire jouer, soit qu’ils n’en connaissent pas encore toutes les règles, soit qu’elles ne leur conviennent pas tout à fait.
Alors on construit tous azimuts, en briques et en ciment. En bois pour ceux qui ne veulent pas tout à fait perdre leur âme. Pour les autres, le bois est révolu, le matériau de l’est et des pauvres. Ce sont, à l’envers, les mêmes dispositions d’esprit qu’en France où construire sa maison en briques ou en parpaings est d’une banalité affligeante tandis que la concevoir en bois participe d’un certain raffinement. Les paysages de l’habitat rural semblent vouloir se répondre par écho inversé.
C’est leur manière de rencontre.
On s’installe donc, on produit, on entreprend et on roule à tombeau ouvert au volant de grosses cylindrées sur la sinuosité étroite des routes. Ce sont de vraies voitures ou alors ce sont des épaves ramenées d’Allemagne ou de France et dont les morceaux ont été savamment recollés. Trois ruines finissent par faire un bolide flamboyant.
A Biała Podlaska, on rénove les vieux bâtiments laissés en état de délabrement par les années dites communistes. On en fait des galeries marchandes où domine le vêtement. Une orgie vestimentaire. Du lourd manteau d’hiver aux dessous affriolants pour dames et demoiselles, ces derniers souffrant d’une publicité tellement suggestive que je vois bien que la calotte, pragmatique, cède des pans entiers de sa morale devant les exigences nouvelles d’un libéralisme qu’elle a appelé de ses vœux et qui doivent sans doute, en juste retour, lui procurer quelque agréable confort bien de ce monde. Le string et l’habit de bure, d’instinct et sans table ronde préalable, ont trouvé leur modus vivendi.
Tout ça n’est qu’un vaste fourbi de pantalons, tailleurs, maroquineries rutilantes ou robes dernier cri. Que des boutiques de prêt-à-porter ou des parfumeries. L’heure est à la toilette et au chatoyant, mais je me demande quand même si cet étalage de richesses ne va pas s’écrouler tel un château de cartes. Je ne vois en effet pas trop comment la masse salariale distribuée va pouvoir satisfaire toutes ces appétences  excitées par l’odeur du profit.
Mais il faut dire que tous les visiteurs de l’ouest que j’ai vus ici ont froncé le sourcil au premier coup d’œil jeté d’une part sur le niveau de vie ostentatoirement mené et le salaire moyen officiellement annoncé, d’autre part. Difficile en effet d’établir une équation qui tienne la route. Beaucoup d’inconnues. La ruche coule son miel autant en plein soleil que dans l’ombre alors évidemment l’inflation galope contradictoirement aux côtés d’une croissance débridée et les économistes font mine de courir derrière des questions dont les réponses sont inavouables. Pour ces derniers en effet, pointer du doigt la vérité reviendrait à couper la branche sur laquelle ils sont douillettement vautrés.
Toujours, donc, ce carpe die - et noctem en l’occurrence - de l’éphémère, lisible en filigrane jusque dans les thèses et les discours officiels.
On ouvre boutiques dans une débauche d’initiatives pleines d’enthousiasme. Témoin cette pharmacie avec pignon fort avantageux sur rue et où les chalands défilent dans un va-et-vient perpétuel. Par l’odeur alléché, un autre apothicaire décide lui aussi de s’installer là, à quatre ou cinq mètres, pas plus. Personne ne songe à venir lui contester ce droit. On verra bien. Les pharmacies, d’ailleurs, poussent comme des champignons. L’enseigne d’une ou plusieurs apteka offre ses services le long d’une rue sur trois.
Les Polonais ne sont pourtant pas plus cacochymes que les autres et le remboursement des médicaments est très aléatoire.

La voie est libre, alors on fonce. Et je le comprends bien. Nous aussi, nous avons foncé. Tête baissée et droit dans le mur. A tel point que nous y avons laissé une bonne part de notre soi-disant esprit. Je trouve quand même dommage cet usage fait de la liberté retrouvée.
Du gâchis. Toujours le même schéma dont on sait bien qu’il a maintes fois et partout fait les preuves de son incapacité à procurer le bonheur du plus grand nombre. Libéré de l’idéologie dite communiste, on s’engouffre à corps perdu dans son exact contraire, comme les prisonniers d’un boyau souterrain s’engouffreraient vers le premier soupçon de lumière.
Je crois que c’est une grossière erreur mais je ne m’en explique pas. On ne comprendrait pas ce que je veux dire. Ou on dirait encore que je suis un égoïste de l’ouest repu, un romantique décalé. Alors…Et puis, tout ça, c’est aussi dans la logique des choses et des hommes. Nous sommes des êtres inachevés qui manquons de l’inspiration nécessaire à la construction des mondes nouveaux. Les idées fusent mais l’imagination est tarie. Une imagination qui ne sait créer que du superflu a perdu depuis longtemps le sens d’une certaine beauté à réinventer le nécessaire.
J’aimerais tout de même bien que Norman Davies, historien dont les travaux sur la Pologne font autorité, nous explique maintenant si c’est pour l’aboutissement à cet immense souk, pour cette Pologne en train de brûler son âme de rebelle romantique sous les feux du pragmatisme libéral et de l’avachissement copie conforme occidental, qu’on a jeté l’ignoble mur de Berlin par terre.
Les assertions et les conclusions de cet universitaire anglais m’apparaissent être celles d’un idéologue aux prises avec une haine primaire des systèmes de l’ex-bloc de l’est, plus que celles d’un historien serein. C’est précisément ce prosélytisme farouche, plus que la justesse de ses analyses, qui ont fait sa notoriété en Pologne. La preuve : Solidarność en lutte traduisait ses ouvrages clandestinement.
Or, que je sache, les révolutionnaires de tous pays et de toutes époques traduisent les ouvrages de ceux qui défendent leur cause. Les historiens n’interviennent que sur des faits avérés où les spéculations sur l’avenir n’ont plus cours. Ça tombe sous le sens.
Bien sûr que je suis heureux que la Pologne soit débarrassée du système dit communiste. Mais si c’était pour en arriver là, au règne absolu de la marchandise au détriment de toute autre valeur, règne béni par les onctions obsessionnelles de la soutane, vraiment, ça me semble d’une hygiène douteuse, genre qui aurait traité des charançons avec une poudre propice à la reproduction des cancrelats.

Toute cette foule semble pressée comme si la foire risquait de fermer ses portes avant que tout le monde ne soit servi. Car plus que partout ailleurs, on a quand même ici cette modestie devant l’histoire dont on sait trop qu’elle n’est qu’une suite de moments, l’un pouvant radicalement et brutalement venir contredire l’autre.
Les prétentions des temps achevés n’ont pas cours sur ces territoires. « La grâce de dieu monte un cheval fou » dit un proverbe Polonais. Alors, on vit le moment, on profite de façon anarchique de cette accumulation anarchique des pacotilles de qualité.
Tout ça, c’est dans la ville. Moyenne ou grande. La ruralité, plus circonspecte, observe à distance et sur la plaine endormie où batifolent les fruits éternels d’une activité éternelle, on est plus serein, moins concentré sur le changement. On a tellement vu le monde changer de mains, qu’on a appris à le conduire par et pour soi-même. A quelques exceptions près, le paysan reste donc un modeste. Pas de grandes plaines céréalières, pas d’arrachages de haies et de bosquets, pas de canons à eau vidant les sous-sols de leurs fraîcheurs liquides, mais des vergers de pommes, de groseilles, de cassis ou de cerises griottes, des champs de camomille, des blés maigres où batifolent encore les coquelicots, des parcelles de seigle encore tout émaillées de bleuets.
Régulièrement apparaît un cheval de trait sur la route fraîchement recouverte d’une enveloppe européenne. Il est lourd, le plus souvent roux avec une crinière d’un blond phosphorescent, et conduit par un pépé qui regarde avec lenteur autour de lui, comme si son monde venait d’être brusquement envahi par des sauterelles.
Celui-ci n’a cure de la flambée des prix du pétrole. Il n’a d’yeux que pour le prix du baril d’avoine.
J’ai toujours cette impression que le décor est truffé de flash-back et que ce mélange cocasse des époques produit un temps quantique, un peu schizophrène, une sorte de film où le scénario indécis abuserait de ces retours en arrière à tel point qu’on ne saurait pas trop si l’essentiel du propos réside dans ces allusions vivantes au passé, dans ce présent en science-fiction désordonnée ou dans un avenir qu’on se refuserait à évoquer.
Revenant fort tard de prendre le thé chez un voisin, nous avons croisé l’autre nuit un homme en vélo sans lumière et qui tenait en laisse un énorme cheval. Tout ce singulier attelage piaffait sur le bas-côté quand il a surgi dans les phares de ma voiture, telle l’apparition fulgurante et désordonnée d’un autre monde.
D s’agace un peu de mes questions. Mais que fait-il ? Où va-t-il ? Qu’est-ce qu’il fout avec un cheval à cette heure ? Et le vélo ?
Elle n’a pas de réponse parce qu’il n’y a pas matière à questions. Pourtant, j’ai beau vouloir imaginer en amont une situation qui expliquerait le tableau, je n’en trouve pas. Je ne vois là qu’incident, évènement grave, chose louche, alors qu’il n’y a que de l’ordinaire.
Un homme promène son cheval de trait dans la nuit avancée du mois de mai et il le promène en vélo. Point.
En fait d’apparition, c’est moi qui surgis dans un monde qui n’est pas le mien.

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11.12.2008

Polska B dzisiaj

Lublin.JPGPeut-être en compensation de ce vague à l’âme permanent du déracinement, l’exilé n’a pas de quotidien. Il observe, il touche, il interroge son monde. Rien ne lui est familier au point de devenir invisible.
Pour prix de cette pointe de mélancolie qui musarde dans son air du temps, il semble immunisé contre la lobotomie des habitudes.
Tellement que les gens pèsent moins lourd sur le décor des jours. Parce qu’ils se font tous artistes et qu’ils racontent un monde avec des mots à eux, déclinés dans leur musique propre, comme s’ils réinventaient spontanément ce monde ou comme s’ils s’en amusaient.
Une tournure plaisante par exemple, nous amuse par son sujet et par la singularité parfois grotesque des mots dont elle se compose. Brillant comme des couilles de chat, ça m’a toujours fait rire. C’est mon mécanicien, un copain et un maître dans son art, qui disait ça chaque fois qu’il exhibait une pièce qu’il venait d’astiquer au gas-oil.
Les Polonais disent błyszczący jak kocie jaja. Ça veut dire exactement la même chose, au mot à mot près, les mêmes petites couilles ridicules et lustrées des mêmes mistigris. Et ça les fait rire, les Polonais. Pas moi. Je ne comprends pas qu’on puisse rire avec des mots pareils, avec des sonorités où je n’entends ni brillant, ni couilles, ni chat.
C’est ça être un étranger. Ne pas rire quand il faut et être saisi par ce que personne ne voit plus.

Depuis Varsovie, il faut partir résolument vers l’est. Quelque deux cent kilomètres en suivant toujours direction Terespol. C’est une route tout droite et c’est un pays plat. D’ailleurs, Pologne, c’est ce que ça veut dire. Pole, les champs. Quand on dit simplement les champs, même chez nous autres, on voit de mornes étendues. Des champs qui seraient bombés, on dirait des collines. Des qui seraient creux, on dirait des vallons.
Mais cette platitude-là n’est pas maussade. Elle ne procure pas ce désarroi du vide où le regard porte aussi loin que l’horizon vaincu par la distance, quand il s’enfonce, échine courbée, dans la terre avec le ciel qu’on dirait qu’il prend appui dessus. Avec aussi cette lumière nerveuse des plaines qui ne fournirait pas à arroser toute cette surface monocorde et qu’elle se dépêcherait comme si elle craignait que la nuit ne la surprenne avant qu’elle n’ait réussi à vider toute l’énergie accumulée dans ses lampions.
Avec de grands oiseaux de proie. Des buses et des milans à la queue fourchue, l’envergure déployée là-haut sur la tiédeur des courants. Pas un battement d’ailes dans leurs lents tournoiements ascendants et leur œil en feu qui guette le moindre mouvement rampant dans toute cette immobilité attentive.
Pour moi, le mot plaine désigne instinctivement l’avant Chartres, sur la nationale 10. Longtemps je suis passé par là pour aller jusqu’à Rouen via Evreux et je traversais ces grands espaces matinaux faits de labours, de blés naissants, blés en fleurs ou en épis ou alors chaumes dénudés. Là-bas, la terre est plate comme une galette blonde et la cathédrale est si haute qu’on n’en aperçoit que les toitures oxyde de cuivre. Elle est à droite, puis devant, puis derrière vous, posée sur les champs, étonnamment solitaire. Il n’y a pas de ville autour. Il y a les toits d’une cathédrale et il y a la plaine qui fait légèrement le dos rond. C’est tout. Pendant des kilomètres, ce gros monstre verdâtre échoué sur les blés vous suit du regard.
Zola s’impose à l’esprit du passant.
Ça, c’est la plaine. Mais ça n’est pas la Pologne. Ici, quoique la géographie soit à cent quatre vingt degrés, elle est sans cesse interrompue, brisée menue et divertie par la forêt de pins et de bouleaux et les chemins y sont creux comme ceux de nos vieilles montagnes. A chaque entracte du boisement, se déroulent les prairies sillonnées d’une rivière que je me demande bien comment parce qu’une rivière, il lui faut une montagne quelque part pour prendre son élan et que celles-ci, fluettes comme des rus, ne semblent pas venir de si loin, du plein sud où il y a des montagnes. Ou alors elles naissent de la terre elle-même, une terre saturée de neige fondue. Et cette terre a une petite pente, forcément, pour que ruissèlent les larmes du printemps.
Direction Terespol, donc, sur la platitude boisée. On ne traverse qu’une seule ville, assez moche, difficile, Minsk, et même que j’ai entendu de mes visiteurs abusés par le nom et s’interroger d’être arrivés si loin déjà, au cœur de la Biélorussie. Ça n’était pas de grands géographes. Ce Minsk-là n’est qu’à une quarantaine de kilomètres de Varsovie. Un rapide coup d’oeil sur la droite pour un vestige curieusement épargné par l’onde de choc de la chute du mur, un monument contendant, une sorte de tige, avec en haut la faucille et l’étoile rouge. C’est tout. On est pressé de traverser cette ville que les camions encombrent.
C’est indiqué sur les panneaux avec un BY au dessous de son nom : Terespol sur laquelle nous filons est la ville frontière avec la Biélorussie. De l’autre côté, elle s’appelle Brest et c’est une forteresse. Comme son nom l’indique, me dit-on. Ça me fait le sourcil dubitatif, moi qui me pique de toponymie. Brest en Bretagne, oui, un château, une forteresse, une place forte, une hauteur. D’accord. Mais comment le mot, en vieux breton bri, en gallois bre, en gaulois briga, aurait-il essaimé jusqu’ici ? Il me semble que ça n’est pas dans ce sens que se sont effectués les grands mouvements migratoires. Je le sais bien, moi qui suis un exilé à l’envers. Mais je me laisse dire quand même. Ça me fait du bien d’entendre ça si loin de la mer.
En tout cas c’est bien dans cette ville forteresse que Lénine signa la fin de l’engagement de la Russie dans la première tuerie mondiale. Elles s‘appelait alors Brest-Litovsk, Brest de Lituanie, quoique située dans le royaume de Pologne confondu à la Lituanie par l’union de Lublin.
Oui, c’est un peu compliqué tout ça.
Mais la Pologne sur la carte de l’Europe, c’est une goutte de mercure échappée sur une toile cirée. Nous allons à sa frontière orientale et on ne peut décemment évoquer les frontières de ce pays, encore moins ceux qui y vivent et leurs paysages, sans en évoquer les instabilités, tantôt grignotées au nord par les Prussiens et leur exigence d’une Prusse orientale ouverte sur la Baltique, tantôt au sud par les appétits des Austro-hongrois, tantôt à l’ouest par les insatiables Prussiens encore, et ce depuis le Saint Empire germanique, et enfin à l’est par les tsars, puis par les bolchos, et finalement, jusqu’à un nouveau sursaut toujours possible et toujours caractériel des puissants, par l’ogre Staline dictant sa loi à Yalta.

Cet incessant vertige d’un pays charroyé au gré des vents de folie, il est partout lisible encore. Une sorte de virtualité flotte autour des hommes et des choses. Ici on est slave, avec une pointe de désabusement, un laisser-aller sympathique, un laxisme de bon aloi, comme si toute cette nonchalance n’était qu’un regard absent jeté sur les choses d’un monde nouveau mais encore et toujours voué à l’éphémère.
On est difficilement adulte quand le berceau n’arrête pas d’avoir la tremblote.
Mais revenons à Lénine en même temps que nous roulons vers l’est.
Dans l’urgence, qu’il signa son traité de Brest la lituanienne. Il avait d’autres chats domestiques à fouetter, le gars. Les armées des empires centraux avaient de surcroît pénétré déjà très loin en Ukraine et en Biélorussie et même avalé les Pays Baltes. Le rusé Lénine s’était fait rouler comme un débutant. Pour avoir la paix nécessaire à ses entreprises intérieures, il devait en effet concéder tous ces territoires. Pour la Pologne, rayée de la carte depuis un siècle et demi bientôt, la Prusse s’adjugeait au passage, comme ça, en guise d’amuse-gueule, la part du gâteau dont jouissait jusqu’alors le tsar déchu. Perfide, la Prusse. Alors, Vladimir, tu ne vas quand même pas nous réclamer l’héritage expansionniste du tsar honni ? Ben non…Difficile en effet de prétendre déjà aux mêmes ambitions hégémoniques du despote, à qui l’on doit tout, finalement, puisque on n’est entré sur scène qu’en tant que son contraire déterminé.
Plus tard, Lénine ayant retrouvé ses esprits qualifiera ce traité de honteux. Bien inutilement. L’histoire immédiate se chargera de gommer la honte : les empires centraux écroulés, la Pologne renaît de ses cendres et ledit traité est caduc. Brest redeviendra pour un temps polonaise, Brześć nad Bugiem, Brest sur le Bug. Vingt ans exactement. Parce que Staline, fort des avancées victorieuses de ses armées jusqu’à Berlin, impose que Yalta entérine son hold-up du 17 septembre 39 qui, avec les armées nazies, prenait la Pologne entre deux redoutables tenailles. Il impose aussi, le petit père des peuples, que soit carrément décalé vers l’ouest tout le pays, comme un pion avec lequel on joue sur le grand échiquier des diplomaties.
Echec et mat. Qu’on se pousse un peu ! De l’air ! Il me faut de l’air de ce côté-ci !  Et à l’autre bout, à l’ouest, vous n’aurez qu’à amputer sur l’Allemagne défaite, si vous tenez absolument à faire de ces contrées un pays avec un nom et des bornes. Place pour l’Opération Vistule ! La déportation, la transplantation de millions de Polonais de Biélorussie et d’Ukraine actuelles, vers l’ouest, beaucoup sur Wroclaw emprunté à l’Allemagne. Des Polonais qui regardent toujours le lever du soleil avec mélancolie. Comme on regarde la maison dont l’huissier vous a chassé.
Tout cet honteux chambardement, toutes ces familles arrachées aux bras qui les tenaient debout, avec la complicité sereine des grandes démocraties qui clignent des yeux, qui opinent de leurs chefs auréolés et qui voudront donner bientôt des leçons de stabilité et de morale partout dans le monde.
Terespol. Sous les ponts coule le Bug.  Frontière indomptée, fougueuse, aux méandres incertains. Nous voilà enfin dans sa vallée, à quelque vingt kilomètres des pointillés politiques et virtuels des limites européennes.

C'est là que j'ai posé mes valises.

On le sait maintenant : Varsovie était une porte qui ouvrait sur les premières marches de l’Orient. La Pologne B, comme ils disent. L'orientale, la rurale, la slave, la frontalière, l'orpheline de son histoire.
Parce que pour la A, qui fait les yeux doux à l'ouest,  il eût fallu ouvrir la porte dans l’autre sens.

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05.12.2008

Quand le désespoir est beauté par force de poésie

 

11:56 Publié dans Musique et poésie | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

02.12.2008

Une obscure évidence

Dawno temu, il y a longtemps, c’est comme ça que commencent toujours les contes polonais pour enfants.lklklklklkl.JPG
Mais ce n’est pas un conte que je me propose de raconter et, en fait, il n’y a pas si longtemps que ça.
C’est une anecdote qui, ce matin, m’est revenue plaisamment en mémoire. Comme ça. Par association d’idées sans doute, mais je ne me souviens plus, comme toujours en pareils cas, des idées nourricières en amont. J’ai perdu le fil conducteur. Je n’arrive plus à démêler l’écheveau tissé au hasard de mon cerveau. Bref.

Dawno temu, donc, j’ai eu un voisin musicien. Un vieux monsieur violoniste. Quand je l’ai connu, il avait 99 ans et il semait encore ses fèves à la Sainte-Catherine. La terre qui semblait ne pas vouloir de lui comme locataire à l’étage en-dessous, n’était donc pas encore trop basse pour ses vieux reins.
Semer des fèves est un acte solennel. Et ça n’est pas Denis, grand semeur de fèves devant l’éternel du côté de Saint-Romans-lès-Melle, qui me contredira. Geste néolithique, sempiternel enfouissement dans le ventre de l’automne du germe qui donnera en mai le fruit succulent, vert pâle, qu’on croquera au sel et au beurre, arrosé d’un petit rosé frais, s’il vous plaît, et à l’ombre d’un marronnier en fleurs ou d’un vieux saule en feuilles.
Semer des fèves, c’est construire un pont entre l’automne et le printemps. Braver les grisailles de l'hiver. Dès décembre, insouciante des frimas, la plante pointera son nez verdâtre hors du labour et végétera ainsi jusqu’en mars, d’où elle prendra son élan.
Semer des fèves, c’est donc affirmer son espérance de vie.
Mon vieux voisin musicien semait de l’espoir.

Puis il eut cent ans. Il devint alors une icône communale. On le célébrait chaque mois d’avril dans la grande salle du conseil municipal, le maire se fendait d’un discours, le maire deux aussi et ainsi de suite…Et les jeunes, moyenne d’âge 80 ans, applaudissaient, pleins d’espoir pour eux-mêmes, à la longévité de l’ancêtre.
Lui, il apportait son violon. Il s’asseyait d’autorité, paraît-il, sur le fauteuil du premier magistrat et jouait une mélodie. Il grignotait ensuite un biscuit au beurre, prenait un verre de vin, puis, conscient du fossé qui sépare les générations dans la pratique de la fête, il laissait les susdits jeunes s’amuser un peu  entre eux en prenant congé sur un bon mot :
- A l’année prochaine….Si vous êtes encore là !

Au correspondant d’un  journal local qui l’interrogeait au cours d’une de ces célébrations – il y en eut six – il affirma que le secret de sa longue vie, c’était la musique. Selon lui, la musique, si elle n’adoucissait pas forcément les mœurs, du moins les prolongeait-elle considérablement dans le temps.
On lui pardonnera de n’avoir pas cité, pour exceptions qui auraient confirmé cette règle singulière, Chopin, Janis Joplin, Hendrix, Brian Jones et tutti quanti  ...

Las, las, las, trois fois las, la Camarde considéra un beau jour que la plaisanterie avait assez duré et d’un seul coup d’un seul, expédia un soir du mois de mars, alors que les fèves s’apprêtaient à boire à pleines jeunes feuilles les premières douceurs, le vieux monsieur chez les Gentils de l’au-delà, au pays du vieux Léon avec son accordéon, au pays des musiciens qui ne jouent plus que des silences…
Eût-elle patienté un mois encore, cette maudite Camarde, que le bonhomme eût encore grignoté un biscuit au beurre et bu un dernier verre de vin pour ses 106 ans !

Le journal, pas local cette fois-ci, mais carrément régional, fit sa une de l’événement. Le doyen, la fierté de la communauté communale de C.C. en Charente maritime, venait de casser son violon à 105 ans et 11 mois, qui dit mieux !?
Et c’est là, in cauda venenum, que survint l’anecdote qui, ce matin, m’est revenue impromptue en mémoire.

Je « travaillais » alors – je demande pardon à tous les autres travailleurs mais je n’ai pas un autre mot à ma disposition - dans une administration.
Un collègue s’empara du journal à la pause-café, la troisième ou la cinquième pause, je ne me souviens plus, et s’écria :

- Tu as vu, Bertrand, ton voisin est mort !
Oui, je sais…Il allait avoir 106 ans.
- Mais…Il est mort de quoi ? Ils ne le disent pas dans l’article.
… ?… ?…

Comme quoi, parfois, les évidences ne sont pas directement accessibles à tous.
Et je me demande bien encore, moi,  la nature de mon association d’idées matinales.

Me souviens vraiment plus.

13:30 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

01.12.2008

Polska B dzisiaj

Une idée peu à peu s’était imposée à nous.hautetfort.JPG
Écrire un ouvrage qui serait une manière d’ouverture pour cette région de la Podlachie du sud longtemps garrottée sous les armes des différents occupants. Un ouvrage pour francophones voyageurs et curieux. Pas exactement pour le touriste et ses vains loisirs, sa carapace de certitudes et sa convoitise pour les sensations nouvelles ou les cultures fort contrastées. Celui-là s’ennuierait à mourir ici et ne transmettrait au final que l’image de sa propre désolation.
Nous aurions voulu nous adresser à des engoués d’histoire et de géopolitique, soucieux de lire les hommes et leurs paysages, d’en défragmenter le présent par impulsion de la mémoire. Des voyageurs qui seraient venus pour palper les lieux comme autant d’images d’archives, à la recherche d’un lyrisme somme toute assez proche de celui de l’archéologue.
Pour connaître et se faire connaître. Ouvrir une porte à double battant.
Alors de village en village, de petits monuments en petits monuments significatifs, d’églises en bois en églises en bois, de cimetières orthodoxes en cimetières uniates, juifs ou mahométans, en proie aux halliers ou sommairement entretenus, de chemins creux en chemins creux, de forêts tragiques en forêts tragiques, partout où les luttes et les drames avaient laissé leur empreinte, nous avons fureté, interrogé, accumulé des notes et stocké des photographies.
Nous n’avions pas négligé les charmes environnementaux. La vallée du Bug est un site exceptionnel et la rivière est la dernière en Europe dont le cours n’ait pas été dompté ou détourné. Elle n’est d’ailleurs européenne que jusqu’en son milieu. Au-delà, elle est biélorusse ou, un peu plus en amont, ukrainienne. C’est à partir de ces froids tourbillons où se faufilent des silures énormes avec des moustaches telles qu’on dirait des éperons, que commence un immense bloc géopolitique qui s’étend jusqu’au détroit de Béring, quasiment de l’autre côté de la machine ronde. Un bloc qui intrigue, qui inquiète, qui fascine l’occidental.
Sur l’autre berge, on a déjà un pied dans l’antichambre de Dostoïevski et de Tolstoï. Une autre vision du monde. En cyrillique.
Mais pour calmes et singuliers que soient ces charmes environnementaux, ils n’atteignent pas ceux des chutes du Niagara et plus de deux mille kilomètres, c’est beaucoup pour des villégiatures aux motivations bucoliques. Pour ça, il y a le Limousin, l’Auvergne, la Corrèze, l’Ardèche. Que sais-je encore ?
Qui nous lirait alors et qui viendrait de si loin, seulement stimulé par son appétit d’histoire ? Un certain découragement s’est immiscé dans notre travail.
Par ailleurs, la Pologne n’est pas exactement le premier réflexe destinataire d’un qui se propose d’aller faire un tour en Europe. J’ai eu l’occasion de le vérifier maintes fois : ce pays souffre d’une réputation complètement fallacieuse de dénuement et de délabrement. Ça remonte à la force des images, dont la dernière, celle de l’état de guerre de 1981, est restée très présente à l’esprit du superficiel. Avec ces queues de gens debout sur les trottoirs devant les boucheries et les épiceries. Des images d’Occupation et qui frappent fort.
Si fort et si longtemps que je peux témoigner d’un fonctionnaire en mission ici, il y a quelques mois seulement, haut placé sur l’échelle de la connerie administrative française et qui de son minable portable téléphonait à sa fifille que si, si, je t’assure, ma chérie, ils ont même des voitures, du téléphone et de l’électricité ! Grotesque jusqu’au délit quand vous savez que cet imbécile était, là-bas où il y a des portables, de l’électricité et des voitures, porteur de responsabilités importantes dans le domaine de l’agriculture !
Ruminant toute cette bêtise des phototypes, une chanson de Renaud m’est revenue à l’esprit, p’tite conne, dédiée à une jeune fille misérablement morte d’une overdose. « P’tite conne, tu rêvais de Byzance et c’était la Pologne jusque dans tes silences. »  Quand un pays souffre de telles métaphores de la part d’un artiste qui est loin d’être le plus con et le plus méchant de sa bande, c’est en dire long sur l’inconscient collectif dépréciateur qui pèse sur lui.
Plus près de moi, c’était juste après l’ouragan de décembre 1999, j’étais invité chez un ami. Il n’y avait plus d’électricité, donc plus de chauffage, mais il y avait, en cette période de Noël, la fille de mon hôte vivant d’ordinaire aux Etats-Unis. Fort mécontente de l’inconfort, elle avait dit à son père : Mais c’est la Pologne, ici ! Vexé, qu’il avait été, mon ami.
Tout considéré, nous avons fini par ajourner jusqu’à plus ample motivés, sinon l’abandonner complètement, notre rédaction. Et puis, goutte d’eau dans un vase déjà suffisamment plein, des institutionnels auxquels nous nous étions adressés pour financer un peu notre entreprise, des qui avaient pourtant la prétention d’être fortement impliqués ici, nous ont fermé la porte au nez.
Doucement mais résolument. C’était peut-être leur manière d’ouverture à eux.
Outre notre recherche des empreintes de l’histoire, nous avions entrepris des chapitres purement pratiques où nous renseignions le voyageur putatif sur les possibilités d’hébergement. Aussi avions-nous visité, décrit et répertorié tous les agroturystica disséminés dans la campagne. Là, devant un thé ou alors devant rien, sinon la langueur d’un après-midi qui passe, la discussion s’engageait, tantôt anodine et tantôt grave.
C’est donc ainsi que j’ai commencé de sillonner ce territoire et ai côtoyé le sentiment, romantique ou j’m'en foutiste,  de ses habitants.

14:58 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET