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16.12.2008

Polska B dzisiaj

jhjhjhjhjhj.JPGLa Pologne orientale vit cahin-caha à l’heure des vulgarités marchandes charriées par les vents de l’ouest.
Comme si elle lévitait cependant, légèrement décalée au-dessus du sol. Observée avec le recul de l'étranger, il semblerait qu’elle ne prenne cependant pas encore toute cette euphorie boutiquière très au sérieux. Qu’elle s’amuse aux marchands, en quelque sorte.
Car je les devine bien, ces Polonais de l’est. Avec leur gentillesse pleine de roublardise, je crois qu’ils ne jouent pas à fond le jeu qu’on voudrait leur faire jouer, soit qu’ils n’en connaissent pas encore toutes les règles, soit qu’elles ne leur conviennent pas tout à fait.
Alors on construit tous azimuts, en briques et en ciment. En bois pour ceux qui ne veulent pas tout à fait perdre leur âme. Pour les autres, le bois est révolu, le matériau de l’est et des pauvres. Ce sont, à l’envers, les mêmes dispositions d’esprit qu’en France où construire sa maison en briques ou en parpaings est d’une banalité affligeante tandis que la concevoir en bois participe d’un certain raffinement. Les paysages de l’habitat rural semblent vouloir se répondre par écho inversé.
C’est leur manière de rencontre.
On s’installe donc, on produit, on entreprend et on roule à tombeau ouvert au volant de grosses cylindrées sur la sinuosité étroite des routes. Ce sont de vraies voitures ou alors ce sont des épaves ramenées d’Allemagne ou de France et dont les morceaux ont été savamment recollés. Trois ruines finissent par faire un bolide flamboyant.
A Biała Podlaska, on rénove les vieux bâtiments laissés en état de délabrement par les années dites communistes. On en fait des galeries marchandes où domine le vêtement. Une orgie vestimentaire. Du lourd manteau d’hiver aux dessous affriolants pour dames et demoiselles, ces derniers souffrant d’une publicité tellement suggestive que je vois bien que la calotte, pragmatique, cède des pans entiers de sa morale devant les exigences nouvelles d’un libéralisme qu’elle a appelé de ses vœux et qui doivent sans doute, en juste retour, lui procurer quelque agréable confort bien de ce monde. Le string et l’habit de bure, d’instinct et sans table ronde préalable, ont trouvé leur modus vivendi.
Tout ça n’est qu’un vaste fourbi de pantalons, tailleurs, maroquineries rutilantes ou robes dernier cri. Que des boutiques de prêt-à-porter ou des parfumeries. L’heure est à la toilette et au chatoyant, mais je me demande quand même si cet étalage de richesses ne va pas s’écrouler tel un château de cartes. Je ne vois en effet pas trop comment la masse salariale distribuée va pouvoir satisfaire toutes ces appétences  excitées par l’odeur du profit.
Mais il faut dire que tous les visiteurs de l’ouest que j’ai vus ici ont froncé le sourcil au premier coup d’œil jeté d’une part sur le niveau de vie ostentatoirement mené et le salaire moyen officiellement annoncé, d’autre part. Difficile en effet d’établir une équation qui tienne la route. Beaucoup d’inconnues. La ruche coule son miel autant en plein soleil que dans l’ombre alors évidemment l’inflation galope contradictoirement aux côtés d’une croissance débridée et les économistes font mine de courir derrière des questions dont les réponses sont inavouables. Pour ces derniers en effet, pointer du doigt la vérité reviendrait à couper la branche sur laquelle ils sont douillettement vautrés.
Toujours, donc, ce carpe die - et noctem en l’occurrence - de l’éphémère, lisible en filigrane jusque dans les thèses et les discours officiels.
On ouvre boutiques dans une débauche d’initiatives pleines d’enthousiasme. Témoin cette pharmacie avec pignon fort avantageux sur rue et où les chalands défilent dans un va-et-vient perpétuel. Par l’odeur alléché, un autre apothicaire décide lui aussi de s’installer là, à quatre ou cinq mètres, pas plus. Personne ne songe à venir lui contester ce droit. On verra bien. Les pharmacies, d’ailleurs, poussent comme des champignons. L’enseigne d’une ou plusieurs apteka offre ses services le long d’une rue sur trois.
Les Polonais ne sont pourtant pas plus cacochymes que les autres et le remboursement des médicaments est très aléatoire.

La voie est libre, alors on fonce. Et je le comprends bien. Nous aussi, nous avons foncé. Tête baissée et droit dans le mur. A tel point que nous y avons laissé une bonne part de notre soi-disant esprit. Je trouve quand même dommage cet usage fait de la liberté retrouvée.
Du gâchis. Toujours le même schéma dont on sait bien qu’il a maintes fois et partout fait les preuves de son incapacité à procurer le bonheur du plus grand nombre. Libéré de l’idéologie dite communiste, on s’engouffre à corps perdu dans son exact contraire, comme les prisonniers d’un boyau souterrain s’engouffreraient vers le premier soupçon de lumière.
Je crois que c’est une grossière erreur mais je ne m’en explique pas. On ne comprendrait pas ce que je veux dire. Ou on dirait encore que je suis un égoïste de l’ouest repu, un romantique décalé. Alors…Et puis, tout ça, c’est aussi dans la logique des choses et des hommes. Nous sommes des êtres inachevés qui manquons de l’inspiration nécessaire à la construction des mondes nouveaux. Les idées fusent mais l’imagination est tarie. Une imagination qui ne sait créer que du superflu a perdu depuis longtemps le sens d’une certaine beauté à réinventer le nécessaire.
J’aimerais tout de même bien que Norman Davies, historien dont les travaux sur la Pologne font autorité, nous explique maintenant si c’est pour l’aboutissement à cet immense souk, pour cette Pologne en train de brûler son âme de rebelle romantique sous les feux du pragmatisme libéral et de l’avachissement copie conforme occidental, qu’on a jeté l’ignoble mur de Berlin par terre.
Les assertions et les conclusions de cet universitaire anglais m’apparaissent être celles d’un idéologue aux prises avec une haine primaire des systèmes de l’ex-bloc de l’est, plus que celles d’un historien serein. C’est précisément ce prosélytisme farouche, plus que la justesse de ses analyses, qui ont fait sa notoriété en Pologne. La preuve : Solidarność en lutte traduisait ses ouvrages clandestinement.
Or, que je sache, les révolutionnaires de tous pays et de toutes époques traduisent les ouvrages de ceux qui défendent leur cause. Les historiens n’interviennent que sur des faits avérés où les spéculations sur l’avenir n’ont plus cours. Ça tombe sous le sens.
Bien sûr que je suis heureux que la Pologne soit débarrassée du système dit communiste. Mais si c’était pour en arriver là, au règne absolu de la marchandise au détriment de toute autre valeur, règne béni par les onctions obsessionnelles de la soutane, vraiment, ça me semble d’une hygiène douteuse, genre qui aurait traité des charançons avec une poudre propice à la reproduction des cancrelats.

Toute cette foule semble pressée comme si la foire risquait de fermer ses portes avant que tout le monde ne soit servi. Car plus que partout ailleurs, on a quand même ici cette modestie devant l’histoire dont on sait trop qu’elle n’est qu’une suite de moments, l’un pouvant radicalement et brutalement venir contredire l’autre.
Les prétentions des temps achevés n’ont pas cours sur ces territoires. « La grâce de dieu monte un cheval fou » dit un proverbe Polonais. Alors, on vit le moment, on profite de façon anarchique de cette accumulation anarchique des pacotilles de qualité.
Tout ça, c’est dans la ville. Moyenne ou grande. La ruralité, plus circonspecte, observe à distance et sur la plaine endormie où batifolent les fruits éternels d’une activité éternelle, on est plus serein, moins concentré sur le changement. On a tellement vu le monde changer de mains, qu’on a appris à le conduire par et pour soi-même. A quelques exceptions près, le paysan reste donc un modeste. Pas de grandes plaines céréalières, pas d’arrachages de haies et de bosquets, pas de canons à eau vidant les sous-sols de leurs fraîcheurs liquides, mais des vergers de pommes, de groseilles, de cassis ou de cerises griottes, des champs de camomille, des blés maigres où batifolent encore les coquelicots, des parcelles de seigle encore tout émaillées de bleuets.
Régulièrement apparaît un cheval de trait sur la route fraîchement recouverte d’une enveloppe européenne. Il est lourd, le plus souvent roux avec une crinière d’un blond phosphorescent, et conduit par un pépé qui regarde avec lenteur autour de lui, comme si son monde venait d’être brusquement envahi par des sauterelles.
Celui-ci n’a cure de la flambée des prix du pétrole. Il n’a d’yeux que pour le prix du baril d’avoine.
J’ai toujours cette impression que le décor est truffé de flash-back et que ce mélange cocasse des époques produit un temps quantique, un peu schizophrène, une sorte de film où le scénario indécis abuserait de ces retours en arrière à tel point qu’on ne saurait pas trop si l’essentiel du propos réside dans ces allusions vivantes au passé, dans ce présent en science-fiction désordonnée ou dans un avenir qu’on se refuserait à évoquer.
Revenant fort tard de prendre le thé chez un voisin, nous avons croisé l’autre nuit un homme en vélo sans lumière et qui tenait en laisse un énorme cheval. Tout ce singulier attelage piaffait sur le bas-côté quand il a surgi dans les phares de ma voiture, telle l’apparition fulgurante et désordonnée d’un autre monde.
D s’agace un peu de mes questions. Mais que fait-il ? Où va-t-il ? Qu’est-ce qu’il fout avec un cheval à cette heure ? Et le vélo ?
Elle n’a pas de réponse parce qu’il n’y a pas matière à questions. Pourtant, j’ai beau vouloir imaginer en amont une situation qui expliquerait le tableau, je n’en trouve pas. Je ne vois là qu’incident, évènement grave, chose louche, alors qu’il n’y a que de l’ordinaire.
Un homme promène son cheval de trait dans la nuit avancée du mois de mai et il le promène en vélo. Point.
En fait d’apparition, c’est moi qui surgis dans un monde qui n’est pas le mien.

10:08 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Heureusement, Colzor trio arrive, qui fera disparaître jusqu'au dernier coquelicot.

Écrit par : denis montebello | 16.12.2008

Méchant poète voyou de l'ouest ! Colzor trio, c'est dommage de galvauder des mots comme ça. On dirait plus une formation de Jazz qu'un redoutable poison....

Écrit par : B.redonnet | 16.12.2008

Plus le moindre coquelicot te dis-je, le colza fera un magnifique tableau, un superbe monochrome.
Les mauvaises herbes peuvent se marrer, bientôt elles riront jaune!

Écrit par : denis montebello | 16.12.2008

Un bien beau texte Bertand, un bien beau texte.

Écrit par : Feuilly | 20.12.2008

Merci, Feuilly...Tu sais combien ce choix du libéralisme le plus débridé dans l'ancienne Europe dite communiste me désole.

Écrit par : B.redonnet | 22.12.2008

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