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21.01.2009

Polska B dzisiaj - Le haras de Janǒw podlaski (suite et fin)

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...La première guerre mondiale, première grande tuerie de l’ère industrielle.
Les Polonais ne parlent souvent que de la fin.  Le 11 novembre, la Pologne renaît de ses cendres. C’est la fête nationale. Ça m’a surpris et même choqué au début, le drapeau blanc et rouge pavoisant un peu partout aux balcons des immeubles et aux fenêtres des maisons. Outre mon aversion pour les drapeaux, dans le froid de novembre ils claquent triste, ces étendards. Mais j’ai intégré par la suite cette idée que pour un Polonais, le 11 novembre c’est le réveil d’un coma de plus d’un siècle. Le traumatisme est toujours douloureux. La plaie est refermée mais la cicatrise est sensible encore. Je ne sais pas si c’est bien, ces drapeaux. Je ne sais pas si ça nourrit un sentiment nationaliste, toujours dangereux, ou un sentiment humaniste, toujours de bonne augure, qui prévient que « plus jamais ça ».
Je ne peux pas en juger. Je viens d’un pays où les gens ne mettent plus depuis longtemps un drapeau à leur fenêtre. Ils y mettent leur nez, c'est déjà pas si mal.
Je dis que les Polonais ne parlent souvent que de la fin parce que cette guerre, ils l’ont faite sous des drapeaux, justement, qui n’étaient pas à eux. Pas de pays, pas de drapeau. Enrôlés dans les armées des empires centraux. Les mineurs émigrés dans le nord de la France et victimes du racisme parce qu’ils étaient, forcés, apatrides et contraints, du côté de l‘ennemi, en ont su quelque chose. Ils ont bu deux fois la même honte. Jusqu'à la lie. Violés et accusés du viol.
Je pense souvent à ces hommes, exilés de la tristesse infinie. J’y pense avec tendresse. J'y pense avec douleur. J'y pense avec respect. Comme si ça pouvait réparer quelque chose de l'incommensurable connerie humaine !

Pour notre haras, plus de chevaux à partir de 1914. Tous en première ligne. Pas un seul ne reviendra du carnage. Et puis ça va vite. Peut-être le guide se lasse t-il. Ou alors il doit rejoindre maintenant son service au pansage des bestiaux car je vois là-bas les troupeaux qui traversent les prairies en galop serré, soulevant la poussière et aiguillonnés par des gars qui lèvent les bras au ciel, lancent de grands cris et les poussent vers les écuries.
Le guide saute à 1939. Comme si pendant cette courte période où la jeune Pologne s’exerçait à l’autonomie, le cheval n’existait pas ou alors n’avait de rôle que pour brouter l’herbe des prairies.
Un écureuil gambade sur un vieux tronc, sa dernière sortie avant les neiges de l’hiver, nous dit le garçon d’écurie.  Il  dit aussi qu’il y en a beaucoup ici.
Premier septembre 1939, les chars du putois le plus sanguinaire et le plus désaxé de l’histoire de l’Europe enfoncent la frontière occidentale de la Pologne.
A l’ouest, on a la conscience facile. On donne des leçons à qui est assez con pour en demander et on lève la tête, on va fièrement son chemin. Car on a retenu ce 1er septembre comme étant la date du déclenchement de la deuxième guerre mondiale. Les démocraties ventripotentes forcées de prendre enfin parti, par le jeu subtil des alliances. Français donneurs de leçons, Français affublés aujourd’hui du plus ridicule et du plus saugrenu des Présidents, Français héroïques de 93, coupeurs de têtes de monarque, Français dont je suis, vous ne pouvez savoir combien vos amis Polonais vous ont attendus, ont guetté l’horizon du soleil couchant, désespérant de voir apparaître votre fierté, votre courage, votre honneur, combien on vous a attendus en mourant massacrés, anéantis, torturés, violés sous la botte infâme du Nazi !
A l’ouest on la conscience facile ! On retient donc le 1er septembre. On faisait la moue. Mourir pour Dantzig ? Bof…La cause est lointaine, floue…Ainsi on n’a pas retenu le 17 septembre…Ce jour-là, Staline étrangle aussi la Pologne. Le pays pris entre les tenailles dégoulinantes de sang  des deux plus grands criminels du 20ème siècle! Et à l’ouest, on faisait là-bas la drôle de guerre. Pourquoi n’a t-on pas parlé de l’invasion de Staline concomitante de celle d’Hitler ? Pourquoi, nom de dieu ?!
Si vous saviez comme ils vous ont attendus, vos amis Polonais ! Aujourd’hui encore, les yeux baissés, gênés, il leur arrive d’en parler tout doucement.
Ils ne croient plus beaucoup à l’amitié, les Polonais. Fût-elle auréolée d’un drapeau bleu à étoiles jaunes. On ne leur fera pas deux fois le coup des beaux sentiments. Trop cher !
C’en est donc fini, en septembre 39, de la liberté polonaise. Elle aura duré vingt ans. Vingt ans de liberté depuis 1775. Si on songe à la suite des évènements et comment les Alliés l’ont vendu ensuite à Staline, disons que le drapeau rouge et blanc, jusqu’alors, a flotté librement 40 ans depuis Louis XV et Voltaire ! On comprend encore mieux que les jours de fête, il ait du mal à s’embrasser librement et en public avec l’autre, le bleu et ses étoiles.

Je peux le déplorer intellectuellement. Viscéralement cependant, je le comprends très fort.


Alors les chevaux lentement partent en exode. Direction plus à l’est, dans l’actuelle Ukraine où tous finiront par crever de froid et de faim. L’infâme croix nazie flotte cependant sur Janǒw, puis bientôt la faucille et le marteau du grand frère étrangleur. Et ainsi de suite, jusqu’à cet après-midi d’automne parmi les pur-sang destinés aux ventes aux enchères pour milliardaires.
L’histoire traverse mon présent à dos de cheval. Ses drames, ses politiques sanglantes et ses lâchetés ruissellent par les mots rapides et chuintants d’un jeune homme.
Un Polonais qui raconte, sans haine et sans passion, comment le cheval de Janǒw est aussi un livre ouvert sur sa mémoire.

17:31 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

19.01.2009

Changement de frontière

La rivière fougueuse, le Bug, l'intrépide et sauvage Bug qui fait ici office de frontière orientale de l'Europe, a baissé pavillon et changé de statut. C'est maintenant une frontière solide.
Solidifiée, je veux dire.

Et de l'autre côté, l'oeil de Minsk, inquiet de cette fourberie de la nature, s'affuble d'une caméra. De ce côté-ci, l'Europe veille également au grain : traces de pneus à gros crampons, allées et venues des pas inscrits sur la neige, témoignent d'une surveillance accrue.

Le paysage en tout cas, foin des paranoïas humaines, est d'une beauté singulière.

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Le Bug
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Le Bug
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Le Bug
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Le Bug
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Le monastère orthodoxe de Jabłeczna, adossé à la frontière et mentionné dans Chez Bonclou et autres toponymes

14:52 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

16.01.2009

Polska B dzisiaj - Le haras de Janǒw podlaski

P6200022.JPGPosé sur la frontière, Janǒw Podlaski est au parc naturel de la vallée du Bug ce que Coulon est au marais poitevin, le fourmillement du tourisme vert en moins. L’eau aussi, bien qu’elle soit partout présente mais dissimulée dans la forêt, dans les fossés et les étangs marécageux. La forêt humide est un biotope exceptionnel en Europe, mais fréquent ici. Ça donne les cigognes et les grues du printemps, les moustiques exténuants de l’été, les brouillards des sous-bois l’automne et rien l’hiver. Que de la glace engloutie sous la neige.
Nous allons à Janǒw parce que je veux visiter le haras, le plus grand du genre en Pologne. En fait, j’ai lu son histoire étroitement liée, comme tout ici, à celle du pays, elle-même sanglante grille de lecture des grands antagonismes de l’Europe.
Et puis j’aime bien les chevaux. J’ai donc lu l’histoire. Je veux la voir au présent.
Nous sommes sous la botte d’Alexandre 1er, tsar de toutes les Russies. Napoléon quant à lui n’est plus qu’un nabot boursouflé dictant ses mémoires sur un rocher anglais harcelé par les tempêtes. Ici, Napoléon est un héros, un libérateur. Sa grande armée, son bicorne et son ulcère à l’estomac, ornent parfois les murs de telle ou telle salle, publique ou privée. On lui voue reconnaissance éternelle pour la création du grand Duché de Varsovie, un éclair d’espoir sous les ténèbres qui asphyxiaient le pays. Et puis, son idylle avec Madame Walewska reste un grand fait divers de l’histoire et qui alimente encore les points de vue. Walewska femme simplement aimante ou patriote acharnée se sacrifiant pour séduire le vainqueur des Prussiens, des Russes et des Autrichiens et le convaincre ainsi, sur l'oreiller , d’ordonner que l’étau soit desserré ? Si l’histoire ne peut évidemment dire si la première de ces femmes a été comblée, elle peut affirmer que la seconde a échoué. Mais peut-être, aussi, était-ce la même femme. Patriote et amoureuse. C'est celle en tout cas qu'il me plaît de retenir.
Héros ou pas,  Napoléon a massacré, outre des hommes par milliers, tous les chevaux de l’Europe de l’est. Sa chute consumée, il n’y en a pratiquement plus un seul digne de ce nom sur le territoire russo-polonais et un pays sans chevaux, c’est un pays désarmé. Un oukase du tsar ordonne donc en 1817 que soit créé à Janǒw un haras de reproduction de chevaux arabes, anglais, perses, turcs, danois et autres, prélevés sur ses propres troupeaux.
C’est donc ici.
Nous descendons une petite route fort ombragée et nous pénétrons dans le haras par un portail assez étroit. On dirait une vaste propriété seigneuriale. En fait, c’en est une, mais d’Etat. J’apprendrai bientôt que ce haras c’est aussi une exploitation de plus de 2000 hectares, dont une moitié en pâtures et l’autre en terres cultivées de céréales et plantes fourragères.
Il flotte dans l’air cette odeur tiède des bestiaux, de la paille et du foin. D’énormes tilleuls bordent les allées et des prairies s’étirent tout alentour, entrecoupées de haies sauvages. De magnifiques pur-sang y broutent.  Les écuries sont de belle facture aussi, des bâtiments blancs où le soleil oblique irradie. On les dirait posées un peu n’importe comment dans toute cette végétation déclinante, haute en couleurs. Un ordre doit y présider qui m’échappe.
On m’explique. Chaque écurie a son histoire et sa fonction. Là, sont les jeunes, là, les mères, là, les étalons, là, les vieux qui ne servent plus à rien, là, l’infirmerie vétérinaire, là, la maternité. Plus loin, un peu à l’écart, c’est le cimetière. Dans un bois.  Avec d’énormes pierres rondes, presque des mégalithes, chacune portant une plaque. Reposent ici les plus célèbres chevaux de Janǒw, ceux qui ont gagné des concours prestigieux. Les imperfectibles de la forme et du mental. Les absolus de l’eugénisme chevalin. Je calcule qu’un cheval vit en gros de vingt à vingt-cinq ans.
J’entends le garçon blond avec des taches de rousseur qui nous a pris en charge et nous guide. Ses phrases interminables sont faites de mots rapides. C’est ce qu’il me semble. Je le regarde. Je compte ses dents. Deux en bas, trois ou quatre en haut. Ses yeux sont ceux de la bonne humeur et de la gentillesse. Il fait de longues pauses pour que D. ait bien le temps de me traduire. Les cataclysmes de l’histoire, que j’ai appris, des qui se sont passés chez nous aussi et des spécifiques à ce coin de terre,  à nouveau hantent le lieu. Je me dis que c’est bien normal. Guerre, conquête, occupation, attaque, révolte, tout ça eût été impossible sans les chevaux. Je jette un coup d’œil sur le troupeau qui pâture paisiblement, à deux pas de nous, de l’autre côté de la clôture. Au moins, ils ne font plus la guerre, ceux-là. Ils ne finiront pas éventrés par un boulet de canon sur un champ de bataille ruisselant de sang. Ils sont là pour assurer la pérennité de la race et pour les concours de la beauté pure.
De l’art pour l’art en somme.
Des hommes du monde entier viennent acheter de ces spécimens aux grandes ventes aux enchères du 15 août. Des riches et des célèbres, dont Charlie Watt. Grâce à Alexandre 1er, ou plutôt grâce à Napoléon exterminateur de chevaux,  qu’il a de beaux étalons, le batteur des Rolling Stones ! Ça relativise drôlement les relations de causes à effets en histoire. Ç’est ça le monde des hommes. Leurs ambitions et leurs appétits pétrissent les choses. Hier ces chevaux n’avaient de valeur qu’en tant que des armes pour tuer, attaquer ou se défendre. Ils sont aujourd’hui des objets d’art, trots particuliers, queue levée, naseaux comme ça, sabots comme ci et leur race n’est pérennisée que pour la beauté minutieuse des critères de perfection, invisibles à l’œil nu du néophyte. Ils sont des icônes.
De deux choses l’une, expose le garçon à la denture approximative : Pendant les  guerres, les chevaux sont laissés à l’abandon ou alors ils sont réquisitionnés pour le transport et le champ de bataille.
Je me demande si ce brave gars est content de nous expliquer, à moi surtout venu de si loin pour l’écouter, ou s’il est pressé d’en finir et de s’en retourner au vif de son sujet : les chevaux présents. Il y a un décalage énorme entre cet homme qui s’occupe chaque jour de chevaux bien en chair et moi qui veux qu’on me parle des chevaux morts il y a deux siècles. Je trouve qu’il parle vraiment vite. Ça doit être terrible pour lui qui raconte en sachant pertinemment que je ne comprends rien. Je me demande aussi si ce n’est pas pour tout ça qu’il parle si vite. Il fait confiance à ma traductrice. Pourtant, quand il parle, c’est moi qu’il regarde. Comme s’il avait deviné que c’était moi qui avais voulu venir là.  Comme s’il pensait aussi qu’une jeune et belle compatriote, ça s’en fout complètement des grandes tueries de l’histoire du cheval.
La première étape du développement du haras s’achève après l’insurrection patriotique de 1831, qu’il dit.
Terribles émeutes. A l’ouest, on ignore à peu près tout de ces révoltes armées du peuple polonais pour tenter de retrouver sa carte d’identité. Il y eut celle de 1863. Toutes les deux sauvagement réprimées dans le crime et le sang. On dit parfois que les Polonais sont paranos, en dessous, renfermés. Qu’on y regarde à plusieurs fois. J’imagine les Français avec leur pays rayé de la carte et leur langue interdite pendant cent-vingt-trois ans. J’imagine l’humiliation transmise de génération en génération, nous qui n’avons pas tout pardonné des guerres de cent ans aux Anglais ! En plus, les Polonais ne sont pas vraiment comme ça. Ils sont ailleurs. Il me semble que les exigences du monde moderne ne pèsent pas lourd sur leurs épaules. Ça les rend inciviques, tricheurs impénitents, la désobéissance érigée quasiment en devoir moral. Car elle fut longtemps liée à la survie, la désobéissance.
En 1831, donc, pas question de laisser à la portée de ce peuple de quoi équiper tout un régiment de cavalerie rebelle. Le tsar ordonne la fermeture du haras qui ne sera rouvert que cinquante ans plus tard.
Le guide ne dit ni pourquoi ni par qui. Peut-être l’ignore t-il lui-même. Il fait une pause le temps de la traduction. Il ajoute cependant - je l’apprendrai un peu plus tard- avec un geste vague en direction du rideau d’arbres situé à quelque deux cents mètres et qui marque la fin du territoire polonais, que les Russes ne changeront jamais. Poutine est un salaud de tsar. Il en veut terriblement à Poutine pour l’embargo sur la viande polonaise. Il me semblait effectivement avoir entendu Putin. Mais je ne pouvais pas faire le lien avec les chevaux. D’ailleurs, il n’y en avait pas. C’est souvent comme ça. Ça tombe comme des chevaux, des cheveux je veux dire,  sur la soupe.
Comme les félonies de l’histoire sur leur destin.

La suite bientôt...

10:30 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

15.01.2009

Menteur !

Le mensonge, c’est un mensonge. Car il n’a pas d’existence autonome en ce qu’il est proféré :

- Par ignorance ou forfanterie et ça s’appelle de la bêtise,

- Par intérêt particulier et ça s’appelle de l’avarice ou de la démagogie ou de l’égocentrisme, selon la nature de l’intérêt,

- Par intérêt général et ça s’appelle de la finesse falsifiée à bon compte,

- Par séduction et ça s’appelle de l’hédonisme, de l’impuissance physique ou intellectuelle, selon les buts que poursuit la séduction,

- Par plaisir et ça s’appelle de la mythomanie,

- Par désir de nuire et ça s’appelle de la calomnie,

- Par bonté et ça s’appelle du judéo-christianisme, avoué ou subconscient,

- Par peur et ça s’appelle de la lâcheté,

- Par lassitude, et ça s’appelle du désespoir,

- Par l’Etat et ça s’appelle de la politique.

Si donc je vous dis, la main sur le cœur et dans un grand élan d’honnêteté, « je suis un menteur ! », je vous mens doublement en ce que je ne vous dis pas pourquoi et où. D’autant que l’espèce de nomenclature des motivations ci-dessus dressée est loin, très loin, d’être exhaustive.

Ainsi, il y a unLes chaussettes noires.jpge cesar.pngfoulphoto_1207485034777-1-0.jpgCPS.HLV99.120308235140.photo00.photo.default-341x512.jpge de gens qui mentent eSGE.UMZ74.121206090617.photo00.quicklook.default-245x164.jpgn disant la véritphoto_1212675066308-1-0.jpgé. Ceux qui ne le font pas exprès, par exemple.Ou q22.JPGui poursuivent un but inavoué.

 

 

 

 

 

 

 

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A l'ecole.jpgChamps d'horreur.jpgcretin.jpg1093779180939gu.jpghugo82.jpgHigelin.jpgDylan.jpgphoto_1208522524555-3-0.jpgphoto_1218042315923-2-1.jpg

11:44 Publié dans Considérations non intempestives | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

14.01.2009

Polska B dzisiaj

P1070011.JPGAu dehors, la neige se couche presque à l’horizontale. Elle fuit comme paniquée devant les souffles gelés de janvier et  elle s’engouffre à toute vitesse sous le rideau noir des pins. J’essuie la buée de la vitre et jette un coup d’œil au thermomètre que le vent chahute de droite à gauche, tant qu’on dirait une pendule qui s’activerait pour que les heures ne se figent pas elles aussi sous la morsure du gel.
Moins dix neuf.
Je pense à mon grand père. S’il tombait trois flocons sur sa ferme délabrée et si d’aventure le thermomètre cloué sur la porte de sa grange indiquait zéro, il évoquait immanquablement la guerre et les loups. Il racontait les yeux mi-clos, sa voix vacillait et sa langue fourchait autant sous le poids du vin que sous celui des années perdues.
Sous la chandelle timide, nous l’écoutions en silence. Une bande de loups était venue vadrouiller dans les bois du Fouilloux pendant l’hiver 42 où il avait fait un froid de canards. Les gens s’étaient armés de fourches et de bâtons et les enfants avaient manqué l’école. Parlait-il des Allemands, mon grand père, ou de la bête famélique des bois ? Sans doute des deux puisqu’il parlait du mal. Mais je me demande encore pourquoi dans sa tête pleine de fatigue et d’ennuis, la guerre et les loups étaient ainsi associés aux velléités neigeuses de l’hiver.
Mon voisin Marek, lui, n’a pas connu la guerre. Il est né quelque douze ans après la fin des tueries. Il montre pourtant les lisières de la forêt où tourbillonne la tempête en neige et il dit y avoir vu des loups.
Je veux qu’il me raconte et il s’en étonne, un brin moqueur. Quoi d’intéressant là-dedans, hein  ?
Il ne peut bien sûr comprendre que son vécu fait partie de mes légendes. Que nous sommes décalés d’un monde et que, bien qu’étant quasiment un siècle plus jeune que lui, il parle comme mon grand père.
Il n’y a pas si longtemps. Dans les années soixante dix, celles de ses vingt ans.
La nuit, il entendait parfois hurler des loups depuis les profondeurs humides de la forêt. Ça n’était pas forcément l’hiver. Bien sûr,  il était arrivé deux ou trois fois que son père et lui s’arment de fusils et suivent sur la neige des traces qui s’étaient dans la nuit approchées de trop près des bâtiments. C’étaient comme les empreintes d’un gros chien, mais plus profondément creusées et avec les griffes nettement dessinées. Ils tâchaient d’éloigner la bête par des cris et des coups de feu en investissant une part de son territoire. La piste courait cependant très loin dans les sous-bois. Elle se perdait bientôt dans les marécages gelés tandis que la nuit revenait très vite à l’assaut du monde. Toujours, ils avaient abandonné la quête avant d’avoir pu rencontrer le rôdeur.
Mais c’était surtout les nuits d’été qu’il les entendait gémir depuis son lit d’enfant. Il n’aimait pas ça, c’était d’une tristesse effrayante. Comme la plainte d’un blessé qu’on aurait jeté aux fourrés et qui crierait son désespoir et sa souffrance aux mondes étoilés.
Marek parle aussi d’une brebis égorgée en plein après-midi et au beau milieu de cette prairie que j’aperçois aujourd’hui devant moi, engloutie sous le matelas neigeux. Il s’en souvient bien : son père l’avait violemment réprimandé. C’est lui en effet qui en avait la garde mais le printemps était vert, l’air bleu se réchauffait doucement et le soleil arrosait joliment les cimes de la forêt. Marek était parti  en vadrouille.

Comme mon esprit sous les chuintements de son histoire. Il a cinquante ans et il parle effectivement comme mon grand père à quatre vingt, il y a de cela plus de quarante ans. Comme si le monde avait été beaucoup moins vite ici, comme si, dans le même temps,  les « il était une fois » de là-bas étaient ici les présents.
Et je remonte le temps encore. Quand l’époque gallo-romaine resplendissait de toutes ses villas sur les bords de mer de la campagne charentaise, il n’y avait ici que de la forêt immense, sombre et inconnue, hantée par des tribus errantes et sans nom parce que sans histoire encore. La mémoire polonaise remonte aux Piast, la dynastie fondatrice de la nation, vers la fin du premier millénaire et la christianisation de 966.
Nous en étions déjà sur nos rivages, à presque 1000 ans de controverses politiques et de prises successives de pouvoir dynastique.
Pas étonnant alors que l’extermination des loups ait pris du retard et que, même, au hasard d’un hiver plus brutal, ils réapparaissent encore sporadiquement.
Mais les vrais loups aujourd’hui ne se cachent plus dans les profondeurs sauvages de la forêt. Ils ont su se faire aimer des hommes.
Las de saigner les brebis, ils hypnotisent plutôt les ouailles.

08:25 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

08.01.2009

Après la plaine blanche, une autre plaine blanche

hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii.JPGC’est toujours comme ça, comme si l’esprit enregistrait le réel avec un temps de décalage.
C’est toujours comme ça quand le désordre des choses est bousculé.  Après coup, on se demande comment c’est venu, s’il y avait des signes avant-coureurs, qu’est-ce qu’on faisait « avant ».
Puis on remet en place  ses repères, un à un, ceux plantés le long de sa route, pour éviter le fossé, la déviance. Pour tâcher d’aller là où l’on va sans plier le genoux. J’ai une horreur épidermique des genoux qui se plient.
Bref, on se remet à la construction quotidienne du bonheur d’exister.

Depuis quinze jours, trois semaines, le mercure n’était pas remonté au-dessus de moins trois. Il vagabondait parfois jusqu’à moins huit. Des badineries de l’hiver polonais. On est bien avec ce froid et il y a de la neige qui virevolte autour des bouleaux, des pins et le long des routes. Personne n’en cause. Le Polonais de l’est commence à parler « hiver » en-dessous de moins quinze.
C’est lundi 5 que j’ai eu des doutes…..Moins onze au lever, entendez par là cinq heures du matin. Moins onze, tiens, tiens, ça s’énerve un peu, on dirait. Puis, moins treize, puis moins seize à sept heures et le ciel, le ciel chargé de neige depuis des jours qui chassait tout ça et ouvrait ses grands bras bleus. C’est pas bon, un ciel qui ouvre ses grands bras bleus quand le thermomètre fait une dépression…Il y a comme une antinomie tumultueuse des humeurs.

L’après-midi est descendu à moins dix-huit, la soirée à moins vingt, la fin de soirée à moins vingt-deux, la nuit à moins vingt-sept…
Une nuit à moins vingt-sept, pour un occidental comme moi, ça fait peur. Oui, la nuit était livide, calme, avec la froideur silencieuse, sauvage et précise du cran d’arrêt et quand je suis sorti vers quatre heures du matin - parce que je suis sorti pour rallumer les chauffages tout étant gelé à l’intérieur -  je ne respirais pas bien. L’air qui s’engouffrait dans mes poumons semblait pailleté de cristaux aigus et descendre bien au-delà de ces poumons.
Des branches  chargées de givre se plaignaient sous la torture. Je les ai entendu gémir. La lune, elle, dans un cosmos irréel souriait de mes peurs. Un chien errant s'est engouffré sous les arbres lunaires.
La nuit suivante, ça s’est radouci d'un millimètre. Moins vingt-six et l’eau dans les tuyaux a refusé à nouveau de remplir son statut de liquide.
Je me suis surpris à penser au réchauffement climatique et aux conférences des imbéciles heureux qui passent leur vie au chaud et au frais des autres. Ils disent le monde avec des moyennes. Les moyennes sont la langue morte du monde. Dans tous les domaines.

C’est venu. Pas les imbéciles heureux, le réchauffement, je veux dire.

Ce matin, l’air à moins huit degrés est doux à la peau, je vous assure. Le plombier polonais – celui dont les Français, ceux handicapés d'un bout de cervelle poujadiste,  grippe-sous et paranoïaque, ont eu tant peur  - a réchauffé les tuyaux en badinant des mots de tous les jours, des mots de Pologne de l’est, des mots de voyageur, oui, il avait travaillé en France, les mots de ceux qui n’ont, parfois,  pas d’autre choix que l’exil alimentaire et qui n’en font pas toute une affaire.
Ce peuple a le courage opiniâtre des longues randonnées.

Là-dessus, la neige est arrivée en tempête pour signer en blanc  la fin des intempéries sibériennes.
Je ne frime pas. A moins huit ce matin, on dirait le printemps. Je n’entends pas pépier encore, mais presque.
Il y a des fleurs partout dans la tête des hommes. Ce sont des fleurs que les rigueurs ne gèlent pas.

Et mon expérience la plus singulière de tout ça ?  Puisque l’eau refusait désormais de chasser ce qu’on lui demande d’ordinaire de chasser, force me fut bien d’aller déposer chez Dame Nature surgelée ce que tout corps humain s'obstine à considèrer comme inutilisable.
J’ai fait ça par moins vingt-trois dans la neige et dans la nuit.
J’ai fait vite.
Puis, rentré au chaud, j’ai quand même tout recompté soigneusement. Jusqu’à deux.
Il ne me manquait rien.

celle là.JPG

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05.01.2009

En vrac

J’ai commencé l’année par une étourderie.
A peine sorti de la douche que je me suis engouffré dehors. La neige était dure sous mes pas, il y faisait moins 16. Mes cheveux encore mouillés et dressés sur la tête ont aussitôt gelé et je me suis demandé soudain, nom de dieu, jusqu’à quelle profondeur ça a gelé là-dedans !? J’ai essayé de penser. Ça a à peu près fonctionné. J’en ai été un peu rassuré.
J’ai pensé à la Palestine. J’ai pensé à ce conflit de soixante ans et que le monde marchait dans sa conscience à la vitesse des escargots quand ils sont vraiment très lymphatiques.
En fait, cette nouvelle année n’a de nouveau qu’un nouveau chiffre à la clef. Un neuf ancien. Sarkozy fera tout ce qu’il est humainement possible de faire pour la paix. C’est-à-dire rien ou le contraire de rien. On sait trop de quel côté du canon il se trouve et ce dont humainement, il est capable.
Et ce genre de conneries, et ce genre d’agressions de l’impérialisme sauvage israélien, et tout le fourbi, continueront pendant 365 jours. Puis on s’embrassera une nouvelle fois, on fera un feu d’artifice et péter du champagne, et ce sera reparti pour 365 nouveaux jours de stupidités humaines.

De guerre lasse, j’ai choisi l’éloignement. Lâchement ? Mais ajouter quoi au bruit dément du monde ?  Ajouter quoi qui ait un sens et qui soit autre chose que de la bonne conscience pas trop chèrement payée et jetée comme bouteille à la fureur des océans ?
Rien.
Ne plus se sentir concerné, responsable, de la barbarie de son espèce. Pas moins. Ne pas mourir de la mort d’un monde répétitif. Essayer de rester debout.

L’hiver frappe dur. La neige et les températures ont tout statufié. Même mes doigts. Impossible de gratter la guitare. Le vent et le maniement du bois de chauffage les ont fendus à leur extrémité. Douleur au moindre appui sur la corde et je n’ai pas la dextérité de Django. J’ai besoin de mes dix doigts, moi.
Je ferai comme les oiseaux : Je chanterai aux beaux jours revenus.

Direction Włodawa samedi, sur la frontière ukrainienne, croisé deux énormes élans qui cheminaient sur la solitude des champs, entre deux morceaux de forêts où le soleil dégoulinait une agonie rouge sang sur la neige, la femelle devant et le mâle avec son imposante ramure derrière, qui suivait à distance. Première fois que je voyais ces grands cervidés en vadrouille. Impressionnant. Une errance glacée.  Et le vent qui hurlait et la neige qui soulevait ses cotillons blancs, comme au bal.
Je suis un triple idiot d'avoir laissé l'appareil photo à la maison. Philip pensera, écrira peut-être, que c'est impardonnable !

C’est cela que j’ai à dire…Rien de moins.
Peut-être que, finalement, ça a gelé en profondeur…

15:08 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET