UA-53771746-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08.01.2009

Après la plaine blanche, une autre plaine blanche

hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii.JPGC’est toujours comme ça, comme si l’esprit enregistrait le réel avec un temps de décalage.
C’est toujours comme ça quand le désordre des choses est bousculé.  Après coup, on se demande comment c’est venu, s’il y avait des signes avant-coureurs, qu’est-ce qu’on faisait « avant ».
Puis on remet en place  ses repères, un à un, ceux plantés le long de sa route, pour éviter le fossé, la déviance. Pour tâcher d’aller là où l’on va sans plier le genoux. J’ai une horreur épidermique des genoux qui se plient.
Bref, on se remet à la construction quotidienne du bonheur d’exister.

Depuis quinze jours, trois semaines, le mercure n’était pas remonté au-dessus de moins trois. Il vagabondait parfois jusqu’à moins huit. Des badineries de l’hiver polonais. On est bien avec ce froid et il y a de la neige qui virevolte autour des bouleaux, des pins et le long des routes. Personne n’en cause. Le Polonais de l’est commence à parler « hiver » en-dessous de moins quinze.
C’est lundi 5 que j’ai eu des doutes…..Moins onze au lever, entendez par là cinq heures du matin. Moins onze, tiens, tiens, ça s’énerve un peu, on dirait. Puis, moins treize, puis moins seize à sept heures et le ciel, le ciel chargé de neige depuis des jours qui chassait tout ça et ouvrait ses grands bras bleus. C’est pas bon, un ciel qui ouvre ses grands bras bleus quand le thermomètre fait une dépression…Il y a comme une antinomie tumultueuse des humeurs.

L’après-midi est descendu à moins dix-huit, la soirée à moins vingt, la fin de soirée à moins vingt-deux, la nuit à moins vingt-sept…
Une nuit à moins vingt-sept, pour un occidental comme moi, ça fait peur. Oui, la nuit était livide, calme, avec la froideur silencieuse, sauvage et précise du cran d’arrêt et quand je suis sorti vers quatre heures du matin - parce que je suis sorti pour rallumer les chauffages tout étant gelé à l’intérieur -  je ne respirais pas bien. L’air qui s’engouffrait dans mes poumons semblait pailleté de cristaux aigus et descendre bien au-delà de ces poumons.
Des branches  chargées de givre se plaignaient sous la torture. Je les ai entendu gémir. La lune, elle, dans un cosmos irréel souriait de mes peurs. Un chien errant s'est engouffré sous les arbres lunaires.
La nuit suivante, ça s’est radouci d'un millimètre. Moins vingt-six et l’eau dans les tuyaux a refusé à nouveau de remplir son statut de liquide.
Je me suis surpris à penser au réchauffement climatique et aux conférences des imbéciles heureux qui passent leur vie au chaud et au frais des autres. Ils disent le monde avec des moyennes. Les moyennes sont la langue morte du monde. Dans tous les domaines.

C’est venu. Pas les imbéciles heureux, le réchauffement, je veux dire.

Ce matin, l’air à moins huit degrés est doux à la peau, je vous assure. Le plombier polonais – celui dont les Français, ceux handicapés d'un bout de cervelle poujadiste,  grippe-sous et paranoïaque, ont eu tant peur  - a réchauffé les tuyaux en badinant des mots de tous les jours, des mots de Pologne de l’est, des mots de voyageur, oui, il avait travaillé en France, les mots de ceux qui n’ont, parfois,  pas d’autre choix que l’exil alimentaire et qui n’en font pas toute une affaire.
Ce peuple a le courage opiniâtre des longues randonnées.

Là-dessus, la neige est arrivée en tempête pour signer en blanc  la fin des intempéries sibériennes.
Je ne frime pas. A moins huit ce matin, on dirait le printemps. Je n’entends pas pépier encore, mais presque.
Il y a des fleurs partout dans la tête des hommes. Ce sont des fleurs que les rigueurs ne gèlent pas.

Et mon expérience la plus singulière de tout ça ?  Puisque l’eau refusait désormais de chasser ce qu’on lui demande d’ordinaire de chasser, force me fut bien d’aller déposer chez Dame Nature surgelée ce que tout corps humain s'obstine à considèrer comme inutilisable.
J’ai fait ça par moins vingt-trois dans la neige et dans la nuit.
J’ai fait vite.
Puis, rentré au chaud, j’ai quand même tout recompté soigneusement. Jusqu’à deux.
Il ne me manquait rien.

celle là.JPG

10:38 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Je suis venue prendre la température aujourd'hui de ta vie Polonaise...Bien aise de constater que ta sortie nocturne t'a laissé bien entier, à moins que tu ne sâches plus compter( rire).... Quand je pense à la panique qui s'est emparé de tout le sud Est de la France pour quelques malheureux centimètres de poudreuse !!! autoroutes et voies rapides bloquées, le vieux port de Marseille paralysé, les écoles fermées etc,etc....
Bonne journée Bertrand que j'espère tout de même bien au chaud....

Écrit par : Débla | 08.01.2009

Merci Debla....Oui, vers moins dix, ca roule...

Écrit par : B.redonnet | 08.01.2009

Vingt quatre degrés celsius en dessous du zéro. Bonne image de l'exceptionnel et du banal. Et le portrait de votre futaille, sidérée par ce froid échappé des ruines des goulags sibériens, témoigne bien du figé figé. Vous me donnez là, cher B., le fil qu'il me manquait pour boucler ma première missive que vous recevrez sous peu. Merci pour vos lignes amicales inscrites sous mon "coming out" de "chien perdu sans dieu-collier" exprimé dans les accueillants "commentaires où l'on cause" de notre "romanesque" Feuilly.
A plus et sous peu. Philip

Écrit par : Philip Seelen | 08.01.2009

Haut les Coeurs, Philip, le libéralisme n'a pas réussi à nous tuer alors, le froid, à côté, c'est du pipi d'chat...Mais quand même, elle est incroyable, cette Pologne orientale et "ils" annoncent rebelote pour très bientôt...
Cette fois-ci, j'invite le plombier à demeure...

Écrit par : B.redonnet | 08.01.2009

Sur le fil des températures, entre vie et mort, bonheur et malheur, joie et peine, damnation et résurrection : vous le rendez bien, ce frêle et fort sentiment qui fait le lot commun des humains. Et la vaine et puissante connerie de ceux qui "disent le monde avec les moyennes". Ils disent le monde, l'amour, l'art, l'histoire, le temps... Ils disent tout avec la moyenne et le mal, c'est qu'on ne parviendra jamais les con-geler.

Écrit par : solko | 09.01.2009

On peu s'escrimer, faire le tâcheron, le journalier à cent sous le jour plein mais quand on est face à un texte comme celui ci on se dit qu'il est bien sot celui qui ne se souvient pas qu'il a d'abord été lecteur. Merci à vous.

Écrit par : Lephauste | 09.01.2009

Merci pour ces photos magnifiques. Sinon je me suis fait griller par Lephauste pour le commentaire de texte.

Écrit par : Loïs de Murphy | 09.01.2009

Les commentaires sont fermés.