21.01.2009
Polska B dzisiaj - Le haras de Janǒw podlaski (suite et fin)
...La première guerre mondiale, première grande tuerie de l’ère industrielle.
Les Polonais ne parlent souvent que de la fin. Le 11 novembre, la Pologne renaît de ses cendres. C’est la fête nationale. Ça m’a surpris et même choqué au début, le drapeau blanc et rouge pavoisant un peu partout aux balcons des immeubles et aux fenêtres des maisons. Outre mon aversion pour les drapeaux, dans le froid de novembre ils claquent triste, ces étendards. Mais j’ai intégré par la suite cette idée que pour un Polonais, le 11 novembre c’est le réveil d’un coma de plus d’un siècle. Le traumatisme est toujours douloureux. La plaie est refermée mais la cicatrise est sensible encore. Je ne sais pas si c’est bien, ces drapeaux. Je ne sais pas si ça nourrit un sentiment nationaliste, toujours dangereux, ou un sentiment humaniste, toujours de bonne augure, qui prévient que « plus jamais ça ».
Je ne peux pas en juger. Je viens d’un pays où les gens ne mettent plus depuis longtemps un drapeau à leur fenêtre. Ils y mettent leur nez, c'est déjà pas si mal.
Je dis que les Polonais ne parlent souvent que de la fin parce que cette guerre, ils l’ont faite sous des drapeaux, justement, qui n’étaient pas à eux. Pas de pays, pas de drapeau. Enrôlés dans les armées des empires centraux. Les mineurs émigrés dans le nord de la France et victimes du racisme parce qu’ils étaient, forcés, apatrides et contraints, du côté de l‘ennemi, en ont su quelque chose. Ils ont bu deux fois la même honte. Jusqu'à la lie. Violés et accusés du viol.
Je pense souvent à ces hommes, exilés de la tristesse infinie. J’y pense avec tendresse. J'y pense avec douleur. J'y pense avec respect. Comme si ça pouvait réparer quelque chose de l'incommensurable connerie humaine !
Pour notre haras, plus de chevaux à partir de 1914. Tous en première ligne. Pas un seul ne reviendra du carnage. Et puis ça va vite. Peut-être le guide se lasse t-il. Ou alors il doit rejoindre maintenant son service au pansage des bestiaux car je vois là-bas les troupeaux qui traversent les prairies en galop serré, soulevant la poussière et aiguillonnés par des gars qui lèvent les bras au ciel, lancent de grands cris et les poussent vers les écuries.
Le guide saute à 1939. Comme si pendant cette courte période où la jeune Pologne s’exerçait à l’autonomie, le cheval n’existait pas ou alors n’avait de rôle que pour brouter l’herbe des prairies.
Un écureuil gambade sur un vieux tronc, sa dernière sortie avant les neiges de l’hiver, nous dit le garçon d’écurie. Il dit aussi qu’il y en a beaucoup ici.
Premier septembre 1939, les chars du putois le plus sanguinaire et le plus désaxé de l’histoire de l’Europe enfoncent la frontière occidentale de la Pologne.
A l’ouest, on a la conscience facile. On donne des leçons à qui est assez con pour en demander et on lève la tête, on va fièrement son chemin. Car on a retenu ce 1er septembre comme étant la date du déclenchement de la deuxième guerre mondiale. Les démocraties ventripotentes forcées de prendre enfin parti, par le jeu subtil des alliances. Français donneurs de leçons, Français affublés aujourd’hui du plus ridicule et du plus saugrenu des Présidents, Français héroïques de 93, coupeurs de têtes de monarque, Français dont je suis, vous ne pouvez savoir combien vos amis Polonais vous ont attendus, ont guetté l’horizon du soleil couchant, désespérant de voir apparaître votre fierté, votre courage, votre honneur, combien on vous a attendus en mourant massacrés, anéantis, torturés, violés sous la botte infâme du Nazi !
A l’ouest on la conscience facile ! On retient donc le 1er septembre. On faisait la moue. Mourir pour Dantzig ? Bof…La cause est lointaine, floue…Ainsi on n’a pas retenu le 17 septembre…Ce jour-là, Staline étrangle aussi la Pologne. Le pays pris entre les tenailles dégoulinantes de sang des deux plus grands criminels du 20ème siècle! Et à l’ouest, on faisait là-bas la drôle de guerre. Pourquoi n’a t-on pas parlé de l’invasion de Staline concomitante de celle d’Hitler ? Pourquoi, nom de dieu ?!
Si vous saviez comme ils vous ont attendus, vos amis Polonais ! Aujourd’hui encore, les yeux baissés, gênés, il leur arrive d’en parler tout doucement.
Ils ne croient plus beaucoup à l’amitié, les Polonais. Fût-elle auréolée d’un drapeau bleu à étoiles jaunes. On ne leur fera pas deux fois le coup des beaux sentiments. Trop cher !
C’en est donc fini, en septembre 39, de la liberté polonaise. Elle aura duré vingt ans. Vingt ans de liberté depuis 1775. Si on songe à la suite des évènements et comment les Alliés l’ont vendu ensuite à Staline, disons que le drapeau rouge et blanc, jusqu’alors, a flotté librement 40 ans depuis Louis XV et Voltaire ! On comprend encore mieux que les jours de fête, il ait du mal à s’embrasser librement et en public avec l’autre, le bleu et ses étoiles.
Je peux le déplorer intellectuellement. Viscéralement cependant, je le comprends très fort.
Alors les chevaux lentement partent en exode. Direction plus à l’est, dans l’actuelle Ukraine où tous finiront par crever de froid et de faim. L’infâme croix nazie flotte cependant sur Janǒw, puis bientôt la faucille et le marteau du grand frère étrangleur. Et ainsi de suite, jusqu’à cet après-midi d’automne parmi les pur-sang destinés aux ventes aux enchères pour milliardaires.
L’histoire traverse mon présent à dos de cheval. Ses drames, ses politiques sanglantes et ses lâchetés ruissellent par les mots rapides et chuintants d’un jeune homme.
Un Polonais qui raconte, sans haine et sans passion, comment le cheval de Janǒw est aussi un livre ouvert sur sa mémoire.
17:31 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Comme ils sont beaux, ces chevaux dans la neige. C'est drôle, ce que vous dites des Polonais attendant les Français, je l'ai lu dans les mémoires de De Gaulle, des Français attendant les Américains.
Cette distorsion entre la parole et les actes, c'est le propre même du politique, cette distorsion, que l'écrivain lui, prend soin de tenter de réduire. Drôle de pate, ces mots. Cette Europe ni faite ni à faire, je comprends qu'elle ne satisfasse guère les Polonais. Se rappeler qu'en France comme au Danemark comme en Irlande, les peuples interrogés ...
Écrit par : solko | 23.01.2009
Si rares les cheveux dans la neige !
Écrit par : unevilleunpoeme | 27.01.2009
Saisissant, le contraste, entre l'image de chevaux bais gambadant dans l'herbe tendre et verte, et celle de cette grande plaine blanche où ils cherchent leur pitance, à deux pas (on n'a pas idée des distances) du Bug englacé.
Écrit par : michèle pambrun | 29.01.2009
Salut l'Ami,
oui l'abandon de tout un peuple, de toute une nation au sort de serfs que lui réservaient les Allemands dans leur empire de mille ans....vous faites si bien de le rappeler dans l'évocation de nos visites à vos côtés au haras de Janow podlaski...pas oublié les Polonais, abandonnés à leur triste sort de naufragés de l'histoire.
La Pologne coupée du reste du monde...on lâche les amarres, vous pouvez crever...écrasée par les Allemands pour en faire la base de leur extension plus à l'Est et y implanter les camps de l'extermination des juifs d'Europe... alors avec cette leçon d'histoire que mine de rien vous nous transmettez ici les onze chevaux présents sur votre photo, occupés à chercher un brin d'herbe, à brouter dans ce champ de neige, ces arbres sans feuille, ce ciel vide, bleu diaphane infini, c'est une belle allégorie de cette histoire.
Tout est peut être beau en apparence, mais si vous brûlez le haras, détruisez les réserves de foins, ces chevaux élégants qui font visiblement le bonheur de vos lecteurs, crèvent en quelques heures....imaginons le nombre de polonais qui sont morts exterminés comme ces chevaux abandonnés à leur triste sort....dans les hivers 39-45.
La voie est en ce monde comme le fil d'une lame : de ce côté l'enfer, et de l'autre côté l'enfer; entre les deux la vie...
Et si pour que l'humain redevienne vraiment l'humain, pour que l'humanité finisse par retrouver son homogénéité, renonçant à cette errance qui la dénature, ne faudrait-il pas que l'individu passe du néant où il se suicide tous les jours à la réalité d'une conscience éveillée...
Longue et douloureuse sera la route.
Et encore ceci pour vous cher Bertrand et chers lecteurs occasionnels, cet extrait de Ferdydurke ce petit livre de Witold Gombrowicz dont la vérité ne contient ni vestiges du passés ni culte idôlatrique...
""Arrière ! Je pressens que l'heure de la Retraite Générale sonnera bientôt. Le fils de la terre comprendra qu'il ne s'exprime pas avec sa véritable nature, mais d'une manière artificielle, toujours imposée de l'extérieur, soit par d'autres hommes, soit par les circonstances.
Il commencera alors à redouter cette forme qui est la sienne et à en avoir honte, tout comme jusqu'alors il s'en était montré fier et y avait cherché sa stabilité.
Nous commencerons bientôt à avoir peur de nos personnes et personnalités parce que nous saurons qu'elles ne nous appartiennent pas totalement.
Et au lieu de de vociférer et de rugir : je crois ceci, je sens cela, je suis ainsi, je défends ceci, nous dirons plus humblement : au travers de moi on croit - on sent - on dit - on fait - on pense - on produit...""
Shakehand chaleureux. Philip qui ne vous oublie pas mais vous dit qu'une autre connerie de guerre a bouffé toute son énergie...mais il en reste encore un peu à partager avec vous, juste une question de temps cher Bertrand... Fraternellement.
Écrit par : Philip Seelen | 29.01.2009
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