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31.03.2018

Retours

20180322_132717.jpgL’hiver s’en va.
Aux lisières et sur les eaux dormantes, il a longtemps musardé, accroché ça et là les lambeaux de ses blancs oripeaux, hésité, lutté encore, dégelé l’eau le jour pour la congeler la nuit, sous la lumière tremblante des étoiles….
Mais il s’en va à présent.
Et cela s’entend alentour, qu’il s’en va.
Les grues sur l’eau des prairies crient vers le ciel, ailes déployées et cou levé en une folle sarabande.
La grive musicienne fait ses gammes, la fauvette donne le la, le pinson pérore, l'étouneau s'y met aussi, on se coupe sans vergogne le sifflet. Comme si chacun de la gent emplumée revendiquait d'avoir été le premier revenu au pays.
Au bord d’un étang, une cigogne arpente, à la recherche d‘un improbable vermisseau.
L’hiver s’en va donc. Vaincu par la rondeur du ciel et de la terre. Par l’éternel retour des saisons marchant derrière les saisons.
Sur mes balades à travers la campagne, il n’y a plus traces d’animaux sauvages. L’archéologue de leurs courses sous la lune n’a donc plus rien à lire.
Alors il lit ailleurs, dans sa propre histoire.
Il tourne les pages et fait défiler les chapitres.
Comme l’hiver, il voit bien que le temps s’en va, et il sait bien où il va, ce temps.
Mais il sait aussi que la peur n’évitera pas le danger.
Là comme partout ailleurs,

17:28 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent |  Facebook | Bertrand REDONNET

20.03.2018

Deux élans cheminaient

20180318_141842(1).jpgJe ne pensais plus cette année revoir le grand déferlement blanc de l’hiver.
Je supposais que, l’équinoxe ayant réglé sa balance et également réparti la lumière entre le jour et la nuit, nous allions maintenant monter doucement vers les plus beaux jours.
Mais le souffle du nord est violemment revenu secouer mes volets, comme si la nuit voulait se mettre à l’abri, rentrer au chaud, et implorait qu’on lui ouvre. J’ai entendu et, soulevant les rideaux, j’ai vu les tourbillons nerveux d’une neige épaisse.
Alors au matin, j’ai repris mon bâton de marcheur. C’est un bâton d‘acacia, de robinier diront les puristes non vernaculaires. Un bâton noueux, fidèle, par moi prélevé sur les halliers voisins.
J’ai voulu marcher sur mes chemins solitaires.
Plus de chemins ! Engloutis sous les congères et les monticules de poudreuse, mes sentiers ! M’y risquer serait risquer de m’enfoncer  jusqu’à mi-cuisses.

Przedwiośnie, qu'ils disent… Oui, vraiment Przed.
Car l’hiver, on le sait, précède toujours le printemps.
J’ai fait demi-tour.
Sur la petite clairière, deux élans cheminaient.
Je les voyais nettement dans les ténèbres enneigées. Leur gros museau carré fouillant l'air glacé, par vent debout, ils cherchaient à péniblement regagner la lisière des pins. L’un derrière l’autre. Et puis un court instant de front, comme si celui qui fermait la marche s'était agacé et avait voulu changer de rythme.
Ils ont disparu.
Me laissant ce message d’une errance neigeuse dans une  nuit de tempête.
Peut-être sont-ils encore là, tout près, à brouter les aiguilles gelées d’un pin rabougri.
Et leur œil anxieux interroge au-dessus d’eux ce ciel sans une tache, sans une ride, sans une flétrissure.
Ce ciel de renouveau sans le renouveau.  Il faudra encore et encore marcher dans les nuits d’un hiver qui s’obstine à braver les théories du calendrier.
Le calendrier. J’ai repensé à Malraux.
Si les animaux ne savent pas qu’ils sont mortels, c’est sans doute parce qu’ils ne mettent ni chiffres, ni nombres, ni noms, saints ou pas, sur le grand canevas de la fuite des jours.

11:23 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

14.03.2018

Bertrand Cantat

texte.jpgJ’entends et je vois ça de ma fenêtre lointaine.
Un homme, un jour, il y a quinze ans, a, au cours d’une dispute, porté des coups à sa compagne, laquelle y a succombé.
Difficile d’imaginer… Moments de folie, d’alcool, de stups, de dérèglement des sens ? Personne, en tous les cas pas moi, est en mesure de savoir exactement.
Ce que l’on sait, ce que l’on peut dire avec certitude, c’est que cet  homme a commis un crime odieux, insupportable, dégueulasse.
Il ne s’est pas enfui, il ne s’est pas soustrait à la justice, il a été condamné à huit ans de prison, puis, comme tout détenu pouvant y prétendre un jour, il a bénéficié d’une liberté conditionnelle à mi-peine.
Voilà les faits. On en pense ce que l’on veut, ce que l’on peut, mais le misérable crime a été jugé et il a été puni.
Reste la douleur des familles, indélébile, comme toujours, comme partout.
Mais est-ce que la douleur a besoin de la haine et de la vengeance pour devenir un peu moins douleur ?
Et qui sont alors ces cohortes de crétins et de crétines qui, la babine retroussée, la gueule écumant de verte salive, tels des chiens enragés, veulent empêcher le repris de justice de chanter ou de jouer ? De faire son métier, celui-ci fût-il public ?
De se reprendre, justement ?
Qui sont-ils, ces gens ? D'où parlent-ils ?
Ils sont au-dessus des lois, au- dessus des juges d’instruction, au-dessus des juges du siège et des jurés d’assises, au-dessus de tout ; ils sont la mémoire en feu qui se cultive pour elle-même ; Ils  sont les dieux  qui savent et personne, dans un état qui pourtant en a plein la gueule de ses principes, ne vient les contredire et leur rappeler que nul n’a le droit de se substituer au jugement rendu.
J’ai les sentiments personnels que je veux, à moi, pour Bertrand Cantat. Pour l’homme et pour l’artiste.
Je ne dirai pas ces sentiments. Et je pense souvent à cette jeune femme, jolie, talentueuse, dont la course sous le soleil et les étoiles du ciel a été si brutalement interrompue.
Oui.
Et c’est même une des raisons pour lesquelles  je n’ai que mépris et dégoût pour ces émeutiers de westerns série B, pour ces lyncheurs en puissance, ces faiseurs de nœuds coulants, qui, si on leur promettait l’impunité, se feraient bien plus sauvages que le criminel qu’ils poursuivent de leur vindicte.

11:58 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture, justice |  Facebook | Bertrand REDONNET

09.03.2018

Przedwiośnie

20180307_141321.jpgA cet endroit ouvert aux quatre vents, entre bois et prairies,  la neige s’est éclipsée, laissant place à la fange du chemin.
Seules les allées forestières et les lisières exposées au nord sont encore blanches ; d’une blancheur qui scintille à la lumière.
L’hiver se retire. Brutalement. Par un bond de 30 degrés, sautant de moins 20 à plus dix.
Nous sommes entrés dans cette saison particulière que les Polonais appellent Przedwiośnie, le pré-printemps. Particulière car les nuits peuvent descendre à moins 10 et même au-delà et les jours monter à 15 degrés.
Une amplitude qui pèse sur la campagne, les dégels sont rapides et boueux… Et c’est dans ce dégel que s’impriment à présent les empreintes des errances  nocturnes.
Je me suis arrêté tout net.
Sur ce sentier malaisé, à l’orée des labours, le plus grand des cervidés, l’élan, était passé.
Impossible, hélas, de le suivre sur ces guérets limoneux. Des guérets ! Je n’habite au village que depuis dix ans et j’ai déjà envie de dire aux paysages : autrefois. Ici, il y avait une prairie entourée d’arbres et de haies, où paissaient deux maigres vaches. Mais le champ a changé de mains… Fini le temps des vaches maigres ! Un cuistre qui élève des gorets est venu  et  son  premier boulot a été d‘arracher la haie et d’éventrer la prairie.
Une sale manie, une manie de psychopathes, universelle chez les gens de son espèce, de l’Atlantique au Bug. Et sans doute au-delà…

L’élan, lui, par le travers de ce labour parvenait cependant aux abords du village. Comme si, de ses puissants naseaux, il était venu renifler le sommeil des hommes. Des chiens de ferme avaient dû aboyer sous la lune, effrayés  par l’énorme silhouette.
Plus loin, le grand mammifère du nord et du froid retraversait le chemin, comme désabusé, coupant nonchalamment ma route… Il s’en retournait vers la forêt, un territoire humide et sombre, à sa juste convenance.
Seules signatures de son intrusion près des hommes : ces sabots profonds sur le sable vaseux du chemin.
Il y a, pour moi, quelque chose d'énigmatique dans ce choix que font les animaux de ne voyager que la nuit, sous le chaos des étoiles dansantes.

14:55 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

05.03.2018

Sur l'eau

littérature,écritureC’est au timbre un peu particulier que rendait le bout de mon bâton sur la neige - un peu plus sourd que d‘ordinaire - que je me suis soudain arrêté.
Et que j’ai frappé le sol. Sous l’épaisseur de la neige, d’autres neiges encore et puis, tout au fond, comme un miroir gris que moirait le bleu du ciel.
Je me suis accroupi.
D’un revers de la main j’ai balayé des poussières de flocons et, jetant un coup d'oeil alentour, je me suis aperçus que la petite végétation, pointue, un peu grasse, qui m’entourait, qui pointait légèrement son nez hors de tout ce blanc, était singulière, plus aquatique que champêtre pour tout dire.
Je marchais sur l’eau !
L’eau gelée, certes, mais sur l’eau quand même.
Foin cependant des allégories ! Je n’avais personne à sauver des eaux, alors j’ai eu peur.
Une peur irrationnelle, puisque je réfléchissais tout de même que ce petit étang était gelé depuis des semaines sous des moins vingt degrés. La glace y était dès lors assez épaisse pour supporter le poids d’un homme, et bien plus encore.
Mais qu’est-ce que la peur sinon une imagination de la conscience ? disait Pascal. Tellement que je me suis mis à faire le grotesque, à marcher doucement, à grandes et hautes enjambées tel un échassier, sans appuyer le pas et comme voulant léviter, tendant l'oreille au moindre craquement.
Et j’ai ainsi regagné un sentier des sous-bois.
La forêt est nettement plus franche que la prairie, ai-je soufflé.
Parce qu’elle a des sentiers, justement, et que ceux-ci ne traversent jamais les eaux.
Ou alors sur un pont.

10:39 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

02.03.2018

La piste

20180301_132421.jpgSur la solitude de la plaine et des chemins forestiers, longtemps je l’ai suivie.
En baissant la tête pour mieux comprendre son souvenir et me protéger de la gifle du vent.
Puis je l’ai perdue sous d’inextricables ronciers alourdis de neige.
Je pensais à Malraux.
Qui disait, ou écrivait, que l’homme était le  seul animal sur terre qui savait qu’il allait mourir. Ce qui en faisait, au  sein de la création, un être totalement à part.
Alors, me disais-je en suivant cette piste, quelle insouciance, quel bonheur, quelle sécurité pour ce renard en son radieux voyage !
Mais les empreintes cafouillaient soudain, tournaient en rond, revenaient sur leurs empreintes, sautaient au fossé, en sortaient, escaladaient le talus, regagnaient le sous-bois, revenaient au layon, se mordaient tant la queue qu’on eût dit que mon goupil avait rencontré là une cohorte errante de ses congénères et que tout ce petit monde s’était attardé à de turbulentes et joyeuses salutations.
Mais non ! Dans  le désordre de ces va-et-vient,  je lisais plutôt de l’inquiétude, voire de la panique, gravée sur la grande page blanche de la campagne.
C’étaient des traces fraîches de la nuit. Un être qui laisse de telles traces sous la lumière de la pleine lune et des étoiles gelées, par moins vingt degrés de froid, peut-il chercher autre chose que sa survie ?
Qu’une proie qui le sauverait de la mort ? Ou du moins qui en repousserait l’échéance ?
Pour moi, ce renard savait et se permettait de contredire Malraux.
Je me suis retourné.  Moi aussi je laissais des traces. Qui avaient l’air tellement paisible !
La trace ne se laisse lire que par supputations.
C’est pour cela qu'on l'aime tant !

10:21 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET