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31.10.2008

Polska B dzisiaj - Chantier en cours -

PA260011.JPGJ’ai posé mon cul sur une pierre et mon dos repose sur le poteau rayé blanc et rouge qui marque le no man’s land, à deux mètres à peine de la rivière Bug.
Zone d’herbe folle et de sable.
J’ai posé mon cul hors de Pologne déjà mais pas encore en Biélorussie. C’est dire presque nulle part.
De l’autre côté, les mêmes poteaux, mais rouges et verts ceux-là. Deux drapeaux se font face dans la muette solitude des forêts et des champs, par-dessus une frontière liquide.
J’ai posé mon cul là.
Trois mètres en contrebas coule le Bug. Ses méandres ont dévoré les berges et les ravins creusés s’écroulent. La pierre roule et les parois dégoulinent. Des arbres sont en équilibre, une part de leurs racines suspendue dans l’air, l’autre désespérément accrochée à la terre rouge. Ce sont de vieux chênes aux ramures imposantes. Ils se penchent au dessus du vide et on dirait des géants aux prises avec les tentations du suicide et qui lanceraient les bras au ciel dans un dernier appel à l’aide.
J’ai posé mon cul là, à Neple.
Village tout de bois coincé entre le Bug infranchissable et les forêts. Je pense aux frontières. Il n’y a plus de frontières derrière moi. Que les plaines, les montagnes, les bois, les fleuves, les villes, les villages, les lacs, les rues, le vent, les rêves et les soucis d’un même espace politique. La voie est libre jusqu’à l’extrême sud de l’Espagne.
Plus de frontières. Plus d’explosion d’artillerie lourde, plus de terreurs incendiaires, plus de sang dégouttant sur les rides de la terre et plus d’épouvante hurlée sous la mort en furie. J’ai devant moi, avec cette rivière qui musarde entre ses gorges sablonneuses, ce pourquoi se sont entretués les hommes depuis qu’ils sont des hommes. Tout le débat des tueries tourne autour de l’endroit exact où doit être planté ce poteau rayé blanc et rouge et sur lequel je me repose, les yeux dans l’eau.
Ce poteau marque la fin d’une souveraineté et le début d’une autre. Il délimite le champ d’application des vérités et le moindre outrage à son égard ordonne réparation par le massacre. Ça me semble d’une désespérante simplicité.
J’ai pris appui sur la bombe qui a ensanglanté le monde.

Je suis de cette génération qu’on dit bénite des dieux pour être la première depuis que les temps sont humains à ne pas avoir vu déferler chez elle le fracas des armes. Puisque plus de vingt siècles n’avaient pas été suffisants pour déterminer l’emplacement exact de ces satanés poteaux, force fut bien de les mettre enfin au rebut. De guerre lasse.
Génération bénite des dieux, depuis ta naissance on s’est pourtant égorgé et mis les tripes à l’air sans retenue en Indochine, en Algérie, au Vietnam, en Cisjordanie, en Palestine, en Iran, en Irak, en Afghanistan, en Tchétchénie, au Liban, dans les Balkans et, aujourd’hui même, en Géorgie sans qu’on sache jusqu’où la poudre crachera la mort. Tout ça en soixante cinq ans. Autant dire sans relâche.
Alors c’est où chez toi ? Cette espace derrière moi ? Autant dire un mouchoir de poche. Je suis assis au bout de ce mouchoir. S’il me prenait la folie d’en sortir pour pénétrer en face, entre ces rangs broussailleux d’aulnes sauvages et de saules, une arme claquerait sans doute, avec ou sans sommations.
C’était une exigence, une condition sine qua non de l’entrée de la Pologne dans le mouchoir de poche : sécuriser à cent pour cent cette frontière qui ouvre sur tous les Orients, les extrêmes comme les moyens. La réciprocité s’applique œil pour œil, dent pour dent. Le poteau blanc et rouge est bien réel et revendique toute sa raison historique.
Et puis, les guerres sont-elles vraiment mortes ? En tous cas  les canons dans les têtes, eux, sont bien vivants.
Je me retourne.
Derrière moi vallonne un champ jusqu’à la route étroite et rocailleuse qui court de Terespol à Janow. Un vieux tank de l’Armée Rouge étrangement isolé est accroupi sur ce champ tel un gros crapaud endormi.
Un monument ambigu. Là comme dans presque tous les pays du bloc soviétique démantelé, s’est posée la question de savoir quel traitement réservé à ces chars de Staline, posés comme les témoins d’une armée victorieuse d’Hitler, certes, mais devenus symboles de la main de fer communiste.
Choix cornélien. Je me souviens du débat à Prague en mille neuf cent quatre vingt treize. Quelqu’un avait proposé de peindre un de ces chars en rose. De le tourner vers la fête. D’en faire une dérision. C’était plaisamment ménager la chèvre et le chou.
S’est posée aussi en Pologne la question du 8 mai, du 9 exactement. Le pouvoir post-communiste l’a supprimé en tant que  jour férié. Quelle mémoire veut-on ainsi ne pas transmettre ? On ne veut pas fêter l’arrivée de Staline. Bien sûr. Mais comment la Pologne du 1er septembre 1939, la Pologne de Treblinka, d’Auschwitz, de Majdanek et de Sobibor, peut-elle ne pas vouloir se souvenir de la défaite des bourreaux  qui firent d’elle un billot où tout le sang n'est pas encore coagulé ? Il y a là quelque chose qui me heurte profondément.
C’est parce que je suis un étranger. Je ne porte pas en moi cette blessure qui suppure toujours, l’insurrection de Varsovie d’août 44, les Polonais en train de se faire massacrer dans la ville, un à un, méthodiquement, tandis que l’Armée Rouge bivouaquait l’arme aux pieds aux portes de cette même ville, attendant patiemment que les Nazis en aient fini de leur ignoble boulot, fassent consciencieusement leur ménage ruisselant d’entrailles et de sang, tuent sans discernement telles des bêtes fauves, pour enfin entrer triomphalement dans une ville à sa seule botte. Un seul mouvement de cette armée et l’insurrection polonaise eût été pourtant un succès.
Mais on n’entre pas dans une ville que l’on se propose d’enchaîner, si elle est une ville victorieuse. Mieux vaut qu’elle soit vidée de son sang, mieux vaut marcher sur les décombres et le feu, enjamber les cadavres que de serrer la main d’orgueilleux vainqueurs.
Alors, forcément, un autre dilemme plus grand encore a surgi, et ce, dès la chute du mur. Comment en effet conserver l’énorme palais des sciences et de la culture érigé sur le cœur battant de Varsovie et offert par Staline aux Polonais ? Comment vivre sereinement à l’ombre monumentale de cette empreinte jetée sur la ville tel un gigantesque paraphe authentifiant le crime ?
De quelque côté que vous arriviez à Varsovie, la masse parallélépipédique de cette architecture très Kremlin s’impose à la vue. Elle monte à l’assaut des nuages et s’élance même au-delà par une fine aiguille.
J’ignore tous les tenants et les aboutissants de la polémique. Ce que je vois, c’est qu’on essaie de noyer cette lourde masse dans une forêt architecturale très moderne.
L’effet en est baroque. Comme un mot fautif mal raturé. Le remède quasiment pire que le mal.

Le décryptage de l’histoire plus récente fait aussi l’objet de controverses passionnées. Jaruzelski, le général aux lunettes noires, était-il ce dictateur impitoyable décrétant l’état de guerre et la loi  martiale pour étrangler le peuple et pérenniser le pouvoir des apparatchiks et des bureaucrates polonais ou, au contraire, prit-il ses décisions tyranniques pour éviter à son peuple l’humiliation subie par le printemps de Prague douze ans plus tôt ?
D’aucuns affirment avec force que l’histoire ne se répète pas, que l’Union Soviétique était alors exsangue, au bord du gouffre, que l’époque avait changé depuis soixante-huit, que les chars du Kremlin ne pouvaient pas envahir la Pologne, le pays du souverain pontife, sans  que le reste du monde, cette fois-ci, n’intervienne.
Jaruzelski est donc un tortionnaire qui doit répondre aujourd’hui de ses crimes devant le tribunal de la démocratie.
D’autres défendent becs et ongles la thèse inverse. Ils  rappellent avec force ce que le monde entier a vu : la flotte soviétique en manœuvres de débarquement sur les rivages de la Baltique et les troupes massées à la frontière orientale.
Et des détails plus microscopiques, vus seulement de quelques Polonais, resurgissent.
Un ami alors sous les drapeaux, donc le plus souvent en exercice en ces temps de troubles sévères, me certifie que de vieux numéros de la Pravda, chiffonnés et  souillés de merde, traînaient un peu partout au cœur de la forêt parmi les étrons. D'après lui, et en dépit du fait que j'en étais plié en quatre et, entre deux hoquets, tentais de lui dire que c'était là une lecture assez innovante, par le bas, des pages de l'histoire, cela constitue une preuve que les commandos russes étaient bien tapis dans l’ombre, prêts à museler le pays par la force si Jaruzelski ne se décidait pas à le faire lui-même.
Cette mémoire-là est polono-polonaise.
Ça n’est pas une mémoire théorique, acquise par les matériaux que laisse derrière elle l’histoire et lue dans ses archives, mais une mémoire directement enregistrée sur le vif, au coeur du combat pour la vie. Une mémoire douloureuse. Comme un deuil non encore refermé.
La mienne, de mémoire, elle remonte aux comités pour la Pologne, aux badges Solidarnosc et aux images des Polonais faisant la queue devant des étalages désespérément vides.
On ne confronte pas des images au directement vécu. Impossible alors pour moi de me faire une opinion tranchée.
Et ça n’est pas facile, une mémoire, quand les chemins en sont tortueux.
La mémoire, elle a besoin de grands boulevards, clairs et larges. De ceux qui ne transforment pas les présents en douloureuses cacophonies.
De ceux, aussi, qui font les imbéciles emmurés de certitudes.

 

12:13 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

30.10.2008

De l’inconvénient d’être à la fois étranger et presbyte

Des poésies en ébullition de la fin des années soixante et des années soixante dix, m’est resté, comme à beaucoup d’autres sans doute, un certain goût pour les cheveux longs.
Et une parano épidermique devant les cheveux coupés ras, les boules à zéro. Les individus d’« Ordre Nouveau » que nous avions à affronter à la fac et dans les manifs de nos vingts ans, arboraient ce crâne rasé des nostalgiques du IIIème Reich.
Les flics qui nous prenaient la main dans le sac à ne pas être d’accord avec la société d’accumulation du capital, aussi.
Les choses ont changé bien sûr et les signifiants ont évolué.
Je parle là de réflexes « culturels », pas de sociologie  de la chevelure.

Mais avec le temps, avec le temps, va, tout s’en va….Même les plus chouettes souv'nirs, ça t’a une de ces gueules….
Non, c’est pas ça. Avec le temps qui passe et qui ruine le temps qu’on a devant soi, disais-je, se réclamer d’une longue chevelure est de plus en plus délicat. La tête se dénude comme platane de novembre, le cheveu s’effiloche et s’éclaircit comme champ de blé biologique, le port altier d’une rebelle houppelande devient de plus en plus problématique.
Alors, on fait comme on peut.
Je laisse, moi, pousser sans soins, à l’aveuglette et je coiffe – des fois, pas souvent- en arrière, mes cheveux longs et blanchis, (pas toujours sous le harnois). Je laisse retomber tout ça loin dessous mes oreilles, puisqu’il semblerait désormais que mes épaules soient hors d'atteinte d'une éventuelle broussaille capillaire.
Reste au sommet du crâne une vénérable tonsure, comme si j’eusse là trop gratté à vouloir lire le monde et ses saloperies.
Tous les six mois, à peu près, la corvée du coiffeur s’impose donc.

Dans le réduit parfumé avec buée qui ruisselle aux carreaux, je montre, d’une parallèle approximative du pouce et de l’index, la longueur dont je veux être débarrassé. Je dis malencontreusement « kròtko ».
Je me le suis fait confirmer par la suite, en fait ça veut dire « court ».
Cours toujours, le message est passé à l’envers. Ce dont je voulais être délesté est devenu ce qui doit me rester. Et déjà la jeune dame, sourire écarlate et mèches blondes,  brandit ses armes redoutables, un peigne dans la main et des ciseaux rutilants dans l’autre.
Gentiment, elle m’a demandé aussi de déposer mes lunettes sur la petite tablette, devant moi.
Je suis presbyte. Certains camarades de France, usant d’un mot déjà usé jusqu’à la corde, prétendent que je serais plutôt casse - couilles. Mais bon…
Mon image dans le miroir est donc très floue. La jeune femme peut tailler à son aise. Massacrer sans retenue, comploter sur ma tête, atteindre les sommets de son art, dévaster impunément ce que la fuite du temps a généreusement épargné. Confronté à sa frénésie nihiliste, Attila ferait figure de bâtisseur.
Quand je remets mes lunettes, je pousse un petit cri de sincère effroi.
Une gueule d’adjudant.
Il me reste effectivement deux centimètres à peine.
Et l’espoir d’une guérison rapide.

Et je m’en vais par le trottoir gelé, récitant approximativement et à mi-voix :

« J’ai de longs cheveux blancs comme des voiles de thonier
Mes longs cheveux qu’on m’a toujours coupés…
Dans ma tête ! »

 

14:49 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

24.10.2008

Le Plaideur

CET HOMME FINIRA PAR PORTER PLAINTE CONTRE LA FRANCE ENTIERE

SI LE BON PEUPLE DE FRANCE, CELUI DE MONTAIGNE ET DE VOLTAIRE, NE SE RÉSOUD PAS

À LE METTRE ENFIN SUR LE BANC DES

ACCUSÉS...

bonne.JPG

14:37 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

22.10.2008

The place to be et la Cour des miracles

pomme.jpegLa Pologne joue les grandes. Les grandes puissances libres et libérales, influente au cœur de cette bouffonnerie économico-financière qu’on appelle l'Europe.
Elle joue les grandes et bombe avantageusement le torse.
Je la comprends.
Quand on est un pays totalisant 40 ans de liberté seulement depuis Louis XV et Voltaire et que tout d’un coup on se fait riche et à la presque hauteur de ses grands voisins, qu'on a son mot à dire sur tout et son contraire, on perd le sens de la mesure.  Surtout celle de l’humain.
Abasourdie par 50 ans d’apathie collectiviste (salut à vous, vaillants communistes de France et d’ailleurs), on se jette à corps perdu dans ce qui semble être le chemin exactement inverse. Comme un mineur prisonnier des ténèbres de l’éboulement se jette sur le premier soupçon de lumière entrevu, celui-ci dût-il déboucher en enfer.

Alors ça construit, ça vend, ça échange, ça consomme, ça démolit à coups de bulldozers et ça élève à coups de grues des buildings/bureaux sur lesquels viennent se percher les grands vautours de l’espèce humaine réduite à son économie.
Le bonheur tel un charnier. The place to be.
Les journaux gloussent de plaisir et les revues - parfois françaises - n'ont de cesse que de dessiner et redessiner la croissance par un trait rouge qui monte, qui monte, qui monte, comme une bite prise d'érection débridée.
Le soleil brille. Y’a du fric dans les tuyaux branchés sur le ventre de Bruxelles et qui arrosent copieusement l’euphorie de la renaissance.
Quand les bourses du monde entier se dégonflent une à une, quand elles se font apparemment ce qu'’elles sont essentiellement, c’est-à-dire les baudruches d’un système conçu comme un jeu de hasard, les testicules de la Pologne restent puissamment gonflées. Toujours disposées à éjaculer de la richesse marchande plein la gueule de ses thuriféraires. Ou le cul, ça dépend dans quelle position on veut servir la grand messe du triomphe de la pacotille.

Mais je ne suis pas Polonais et j’ai déjà vu jouer ce bal vampirique. Deux atouts majeurs que je détiens là pour voir l’envers du décor.

Les couloirs des hôpitaux sont des Cours des miracles où s’entassent dans une attente anxieuse à la fois cent, deux cent, trois cent personnes atteintes de la plus terrible des maladies, celle qui vous bouffe, qui un poumon, qui un rein, qui la gorge, qui la tête, qui le nez, qui les seins,  qui les couilles, qui le tout à la fois.
Dans cette cohue immonde du désespoir, une femme sur son brancard, comme oubliée là, ne voit déjà plus rien et ses yeux blancs vacillent du plafond aux passants claudiquants, difformes, glabres, exténués.
Le service public ? Honni. Ca rappelle trop l’histoire récente. Tout aux mains de l’Etat, tout aux mains de bureaucrates avides et sans scrupules. Le peuple réclame qu’on s’occupe des maladies qui le tuent.  Le libéralisme répond qu’il est d’accord, qu’on va faire du fric avec tout ça, qu’il a pas le temps de subventionner ces niaiseries, qu’il a des routes, des ponts et des autoroutes à faire, parce qu’avec des routes, des autoroutes et des ponts on fait du commerce qui jute, alors qu’on va privatiser tout ce bordel….
Dehors, les feignants fonctionnaires qui vous laissent quatre heures ou cinq heures vautrés dans les couloirs comme des chiens à lécher vos souffrances et vos blessures !
Le peuple souffreteux applaudit des deux pattes.
Je gage cependant que le remède sera bien pire que le mal. Déjà, dans cette foule cacochyme aux abois et qui s’accumule dans la chaleur fétide des couloirs, je vois bien que les visages sont des visages d’ouvriers, de paysans, de coursiers, de facteurs, d’employés de grands magasins.
Les visages résignés de la plèbe.
Les grands de ce monde, eux,  doivent emprunter d’autres couloirs, frapper à d'autres portes. Capitonnées.
La main sur le cœur, je veux dire dans la poche intérieure de leur veston, là où palpitent, quoique discrets, des écus sonnants et trébuchants,  fruits de la croissance.

Mais quoi attendre d’autre des hommes, qu'au final je me dis ?
Depuis que nous sommes des hommes, nous n’avons pris jouissance qu’à la source de nos propres erreurs.
La Pologne, comme sans doute tous les pays d’Europe centrale, s’est jetée dans la gueule d’un loup qu’elle voyait, depuis son enclos, depuis son rideau de fer, comme un agneau batifolant dans la libre prairie.

Une neige furtive, un vol des grands oiseaux de novembre, le sifflement batailleur d’un merle dans les halliers d’avril, m’auront finalement plus donné que toutes les suffisances humaines.

14:14 Publié dans Critique et contestation | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

20.10.2008

Polska dzisiaj - chantier en cours -

P3250003.JPGA vingt kilomètres de la frontière, c’est un village d’une centaine d’âmes.
J’y habite.
La forêt est en arc de cercle tout autour et la morne solitude des champs ne s’ouvre qu’à l’est béant. Par là s’engouffre l’hiver continental.
Le vent mord jusqu’au sang et les fumées de cheminées fuient en se couchant sur les toits.
Notre maison est en bois. Nous l’avons entièrement reconstruite mais nous n’avons pas ceinturé la cour. Par une prairie brumeuse, elle se prolonge ainsi jusqu’à la lisière des pins.
C’est la première fois que j‘habite à champs ouverts. Sans frontières. C’est mon espace Schengen à moi et les limites n’en sont matérialisées que chez le notaire. Les notaires sont, partout, les garde-frontières de la propriété privée, plus sûrement armés que tous les soldats du monde.
Le chevreuil qui sort parfois des bois pour venir brouter sous ma fenêtre, il s’en fout, lui, du notaire. Il ne sait pas s’il est dans ma cour ou sur des champs anonymes.
Il pacage les premières pousses du printemps ou les dernières de l’automne là où elles sont. 
Quand on ne sait ni lire ni écrire on est partout chez soi. La terre est une maison et un ventre chaud. C’est seulement après que les choses se gâtent terriblement.
Je regarde l’animal. Quelle intuition lui indique soudain ce regard posé sur sa peau, même filtré par les carreaux ? Il lève la tête, il interroge les brouillards immobiles de son œil inquiet et en trois bonds regagne le couvert des bois.
Des errances nocturnes aussi.
Un matin de février, des empreintes sur la neige maraudaient jusques sous mes fenêtres. Elles avaient longtemps fureté dans la cour, elles avaient fait de larges cercles, dessiner des allées et venues, de savants détours, de prudentes tergiversations, puis enfin étaient venues piétiner devant la maison. C’étaient de grosses empreintes.
Un lynx a certifié un voisin. Ça m’a fait sourire. Sans doute le loup des temps modernes.
La bête des Vosges, m’a taquiné un ami à qui je racontais. Rochelais d’adoption, l’ami, mais ses premiers mots et ses fantômes sont restés accrochés aux versants de la vieille montagne. Quand il ne savait ni lire ni écrire encore.
L’air ce matin-là était figé à moins vingt-trois. L’orme gigantesque sur ma gauche touchait le ciel de ses grands moignons gelés, tout ruisselants de lune. Il était quatre et demi.
L’hiver, je me lève très tôt pour allumer les gros poêles de faïence.
Je suis un étranger égaré au milieu d’une campagne glacée qu’enveloppe l’obscurité moribonde d’un matin de février.
Au village, on ne me parle pas.
On me fait un signe de la main, ou de la tête, ou alors de rien du tout, en la baissant, la tête. La plupart des Polonais ne comprennent pas ce que je fais là. Ce n’est pas dans ce sens que se font les exils. Qu’est-ce qu’il y a ici ? Rien. De la forêt, des terres de pauvre sable, des vieillards échine meurtrie, de la neige et du vent.
En France, il y a des sous, de belles femmes et du soleil. Alors, qu’est-ce que je fais là ?

Le vent miaule dans les bras dénudés de l’orme. Quelle cassure s’est faite en moi pour que je sois tellement au chaud dans cette solitude ? Moi le bagarreur, le taquineur, le buveur, le plaisantin, le libertin, le facétieux, le couche-tard, le turbulent ?
Un jour peut-être, je saurai la cassure.
Les cassures les plus profondes nous apparaissent évidentes, souvent, qu’une fois seulement refermées.
Quand on a cessé de les vivre.

16:13 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

15.10.2008

L'Ami

Bonheur qu'un ami quelques jours me rejoigne en mon brillant exil.
Nous avons ri, nous avons d'instinct renoué le fil des vieilles complicités, nous avons fait honneur à la gastronomie traditionnelle polonaise, nous avons parlé de tout et de rien.

Du temps qui fuit sous nos pas. De ce qui s'écrit et de tout le reste qui ne s'écrit pas parce que c'est éternel en nous et que la littérature n'en a pas besoin.
Je l'ai beaucoup interrogé sur la France.
Un peu sur celle des pauv'mecs aux commandes. Mais plutôt sur celle qui sent encore l'algue marine, les sables en dunes, et que hantent mes souvenirs d'absent...
Le ciel d'automne brillait de tout son bleu.

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Regard sur l'automne polonais

 

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En compagnie - peu loquace - de l'écrivain Kraszewski

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Devant son musée ( à Kraszewski). Le sien n'est pas encore à l'ordre du jour

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Tout près de chez moué

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Conversation avec Priape ( n'ai pas écouté ce qui se disait)

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J'ai dû dire une connerie...

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Mais où est donc passée la poésie  ?

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Comment penser librement à l'ombre d'une statue ?

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A Lublin, la Jérusalem du Nord

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Deux vieux potes

 

 

14:23 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

01.10.2008

L'automne, simplement

Delegacja leśników 013.JPGJe dois être d’un émoi suranné, de ceux qui ne font plus recette depuis belle lurette et j'ai dû naître avec un siècle et demi de retard, tant les déclins de l’automne m’inspirent comme d'éternels retours.
Les forêts ici sont des lumières orange, même sous la pluie grise. La feuille s’envoie en l’air et les champs  sont plats. Ils ne disent plus rien. Que du vent devant lequel ont fui des oiseaux apeurés.

L’automne, c’est toujours un peu comme la succession de mes échecs que le grand mouvement des choses viendrait mettre en musique, chaque année et sur la même partition multicolore.
La fin des vanités aussi. Une mélancolie qui rend la tristesse joyeuse et tranquillise la solitude. L’hiver sera bientôt un retour à l’essentiel. C’est ce qu’annoncent les parures de l’automne.
C’est l’heure où je regrette une foule de choses. Confusément. Je ne sais pas exactement quoi. Sans doute de vieux rêves toujours remis aux calendes, des  sentiers sur la dune qui n'ont jamais vu la mer, des amours volées au quotidien des jours. De vraies envies que le monde a bafouées de ses misérables exigences.

C’est comme ça l’automne. Une saison pour tremper sa plume dans les regrets de n’avoir pas été à la hauteur de ses propres illusions. D'avoir trahi  finalement.

Et je regarde ce monde que balbutie une autre langue sous un ciel sans paroles.
Je pense à l’océan qui roule inlassablement ses orgueils et ses prétentions ridicules à l’infini, là-bàs d’où je suis venu.
Je pense aux amis que je n’ai plus revus. Disparus. Echoués sur d'autres plages.
Leurs larges mains parfois posées sur mes épaules.

Je me demande aussi si tout ça vaut la peine, ces blogs, ces sites, ces écrits, ces tentatives criardes de conjurer l'incertitude, ces mots, toujours les mêmes mais recousus de neuf, comme les dimanches du désespoir.
Quand l'après midi comme un corbillard traîne en longueur sur la certitude de lundis mortellement ennuyeux.

Et comme l’artiste accoudé à son comptoir devant sa bière allemande, je regarde au loin et je me dis qu’il est bien tard, qu’il est bien tard...
Qu’il a peut-être, va-t'en savoir, toujours été bien tard.

09:27 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET