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14.04.2010

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la si do ré.jpgVous poussiez la porte de votre maison et tous les objets dans leur agencement contemplatif et muet vous regardaient venir.
Votre quotidien s'étalait à vos yeux, immuable, serein, tel un désert au moindre grain de sable exploré et d'où se sont enfuis les sauvages espoirs de l'aventure.
Votre tête était pesante, accablée par l'épuisement des journées inutiles.
Votre être tout entier réclamait la chimie pour traverser, encore une fois, ce désert amical, ce vide aseptisé, vacciné, protégé des grandes tempêtes.
Vous aviez beau vous dire que
pousser des portes qui s'engouffraient sur du vide patiemment construit, c'était là le lot de tous les gens de la terre, que vous étiez un homme normal, vous n'arriviez pas à traverser seul les chemins balisés.
Alors votre gosier s'était creusé comme les gouffres de la mer et vous jetiez sans relâche dans ce tonneau des Danaïdes des bouteilles dénuées de tout message.

Vous en eussiez-vous ouvert à vos amis, de cette peur de rien, qu'ils ne vous auraient pas entendu, portant en eux, sans doute, le même effroi mais l'ayant, eux,  réduit au silence, sinon vaincu sous les feux de l'illusion maquillée en réel, du moins rangé au rang des tabous dangereux, des boites de Pandore à ne surtout  pas toucher.
Au mieux, pour les plus pressés à éluder, auraient-ils ouvert le premier tiroir à leur portée et déclaré que vous étiez  la proie d'un certain bovarysme.
D'ailleurs, aviez-vous des amis ?

Vous entendiez cependant au matin la première alouette monter à l'assaut des trémolos de l'azur. Oh, joie d'un ciel nouveau, comme une brosse blanche supprimant du tableau les noirs gribouillis de la veille !
Vous poussiez la porte dans l'autre sens et les arbres devant vous frémissaient d'attente, du soleil ruisselait à leurs branches pendantes et votre tête fomentait des chansons, des projets, des grandeurs de faire...Elle ouvrait sous vos pieds légers des avenues qui couraient vers des horizons flamboyants de toutes les promesses.
Comme l'astre du jour et comme l'alouette vous montiez à la conquête des espaces...Vous montiez, vous montiez, vous montiez....
Quelques heures durant.
Jusqu'à l'odeur d'essence, jusqu'au bruit poussiéreux des pas sur les trottoirs,  jusqu'aux grues suspendues aux nuages, jusqu'aux bouts de fer rouillés entrelacés sur la ville, jusqu'aux sourires idiots figés comme dans la cire d'un protocole assassin, jusqu'à ce  que ne s'étale devant vous la perspective assurée d'une nouvelle inutilité de vous.

Alors, lentement, inexorablement, vous redescendiez déjà vers les ombres du soir, vous vous arc-boutiez sous le poids  des convenances.
Huit heures sonnaient aux pendules des monuments gris. Le feu de paille se mourait.
La mer réclamait d'autres messages sans appel...
Et le monde dansait alors un moment, tel le bouffon d'une fête foraine.

Vous poussiez encore et encore la porte de la maison et tous les objets dans leur agencement contemplatif et muet vous regardaient sombrer.

Image : Philip Seelen

11:01 Publié dans Apostrophes | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Voilà un texte comme je les aime, bien noir et bien sombre.

Quant aux amis, sans doute portent-ils le même effroi. Le tout est de trouver ceux qui ne l'ont pas "réduit au silence". Mais il y en a bien peu. Vraiment bien peu. D'ailleurs, en général, il y a peu d'amis. Ce qui ne nous aide pas beaucoup.

Écrit par : Feuilly | 14.04.2010

C'est frappant, en effet, la manière dont le monde nous aura saisi au vif. Frappant aussi la manière dont au fond, nous sommes un certain nombre à écrire la même chose, sans nous concerter.

Écrit par : solko | 14.04.2010

Faire de nos transparentes "obscurités", celles dont nous avons saisi le sens, qu'elles soient plus claires, affrontées par l'écriture...Oui, tu as raison, Feuilly, l'ami, l'amie, c'est certainement celui ou celle qui n'a pas encore réduit au silence son mal de vivre.
Et, Solko, vrai que le monde nous aura pris à la gorge, pour début de preuve, ces "nous" que nous écrivons sans nous être concertés, comme vous dites...
Il y a dans ce texte, du moins dans ce qu'il tente de dire, beaucoup de votre "échouement", que je viens de lire.

Écrit par : Bertrand | 14.04.2010

Bien noir, bien sombre, mais lumineux aussi. Un rai. Merci

Écrit par : Natacha | 14.04.2010

Salut Filou, salut mon chien qui nous a quittés il y a peu de temps de ça, et salut au filou qui a commis ce beau texte, vraiment bien camarade.

Écrit par : JLK | 14.04.2010

"Oh joie d'un ciel nouveau!"...voilà ce qui nous mène aussi,et bien sûr les amis sont ceux qui ne restent pas silencieux...Comme le dit JLK: "vraiment bien, camarade"!bonne journée Bertrand.

Écrit par : Sophie | 15.04.2010

Des amis portant en eux le même effroi et qui ne l'auraient pas réduit au silence, les souhaite-t-on, qui ne seraient (sont) pas de tout repos ?

Salut à l'artiste-imagier Philip Seelen qui a rendu Filou immortel.

Écrit par : Michèle | 15.04.2010

Je suis bien touché de contribuer à l'immortalité littéraire du petit compagnon disparu de Jean-Louis...Bises fraternelles à Philip aussi...

Dites-donc, Madame Michèle, enfin, rejeteriez-vous sans vergogne un ami au prétexte futile qu'il est mal dans sa peau ou n'hurle pas avec les loups du bonheur normalisé ? Hein ? Hein? Hein ?

Écrit par : Bertrand | 15.04.2010

Je faisais seulement remarquer que ce n'était pas le repos assuré. Mais qui ici souhaite le repos? Hein? Hein? Hein?

Écrit par : Michèle | 16.04.2010

Les commentaires sont fermés.