14.10.2013
Résolution en germe
Un jour, il y a huit ans déjà, d’un seul coup d’un seul, j’ai décidé dans ma tête : j’arrête de boire.
Ainsi fut fait… et le monde y gagna en sympathie. Les joies furent enfin réelles, les déconvenues itou. Plus de médiateur. Affrontement direct.
Un jour, d’un seul coup d’un seul, je déciderai peut-être dans ma tête : j’arrête d’écrire.
L’idée en tout cas fait son chemin, comme l’autre avait fait le sien.
Si, il y a un rapport. Enorme, même.
Voyez le nombre d’écrivains, nantis d’un relatif succès, qui titubent sous l’effet de leurs quelques titres !
Et puis, qu’est-ce que l’écriture sinon l’ivresse permanente d’interpréter son rapport à la vie, faute, sans doute, de savoir donner vie à une interprétation ?
Et puis, noircir des pages, des écrans, des brouillons, pour se retrouver sans cesse avec la gueule de bois du nul et non avenu, comme l’ivrogne jeté à la rue par un tenancier chez qui il vient de noyer ses dernières illusions !
Quel plaisir peut-on trouver dans le rejet permanent, sinon celui du maso-paranoïaque, qui aime qu’on crache à la gueule de son plaisir ?
Et puis, et puis… Un tas d'autres choses.
Vous avez vu un buveur palabrer sur les choses du monde ? Oui ? Alors écoutez un écrivain. Vous entendrez la même musique décousue, généreuse ou hargneuse, dépitée ou suffisante… En tout cas toujours décalée de sa propre route.
L'ivrogne n'existe que dans sa représentation volant au secours de son sujet réel. Que fait d'autre l'écrivain ? Il arrive même, chez l'un comme chez l'autre, que le conflit entre le sujet et la représentation ne trouve résolution que dans le suicide.
Il faut penser sérieusement à tout ça.
Toutes les addictions se ressemblent : tentatives de conjuration de la fuite du monde.
09:40 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Oh ! ça n'a pas l'air d'aller fort. Essayez de faire comme lui :
"J'ai essayé d'avoir pour moi, à défaut d'admiration, une tolérance bougonne."
François Nourissier "A défaut de génie" (2000)
Écrit par : Alfonse | 14.10.2013
Oui, malheureusement il y a beaucoup de vrai dans tes paroles.
Ceci dit, je ne suis pas trop d'accord avec cette notion de "rejet permanent". Certes, il faut bien quelques lecteurs, mais si tu en avais 500.000, tu avouerais toi-même que ces gens ne te liraient pas pour toi, pour ce que tu dis vraiment, mais simplement parce que tu serais célèbre et qu'un éditeur avide serait parvenu à faire une belle publicité au sujet de tes écrits.
Tout cela pour dire que l'absence de lecteurs et de succès, même si elle est difficile à vivre, n'a rien à voir avec le contenu de tes textes. Et ce qui compte, c'est ce besoin de s'exprimer, de dire qui on est, finalement. Probablement pour se comprendre soi-même, comprendre ce qu'on fait dans ce monde. Se taire sera-t-il plus enrichissant ?
Écrit par : Feuilly | 14.10.2013
Dans le monde tel qu'il est, il n'y a sérieusement aucun résultat à pré-méditer d'un travail d'écriture. Il faut se situer dans le maintien en soi d'une zone de gratuité ou quelque chose comme ça. Zone de gratuité qui tient de la zone de survie.
Toutes les addictions se ressemblent, soit, mais toutes n'engagent pas la même part de soi avec la même vigueur et dans la même direction.
Écrit par : solko | 14.10.2013
Alfonse, je suis très tolérant vis à vis de moi-même. Souvent même jusqu'à la complaisance coupable.
Bien sûr, Feuilly, ce n'est pas ce genre de succès que poursuit l'écriture qui veut rester digne de ce nom. Mais entre la foire médiatique, tapageuse et répugnante, et le silence permanent, ou le rejet sans ambages, il y a une marge. Et c'est cette marge qui nous fait défaut et provoque, comme dans ce billet d'humeur, découragement et prise de conscience de la vanité.
Écrire est d'abord un plaisir. Mais boire aussi. Et il est normal que dans tout ça, il y ait un moment où la question se pose : pourquoi ?
Mais je sais que je "prêche" là pour un convaincu.
D'accord avec Vous, Solko. Une zone hors tumultes et qui ne poursuit pas d'autre but que la sauvegarde, peut-être, de cette zone. Dans un monde à l'envers.
Car en regardant d'un peu près les écrivains qui nous ont précédés, il faut bien se dire qu'à notre époque, la plupart d'entre eux connaîtraient un tout autre sort. Très proche du nôtre. Je ne parle pas là du talent. C'est tout autre chose.
Il n'y a qu'à lire l'excellente biographie de Balzac faite par Stéfan Zweig. En 2013, Balzac, tel qu'il fût, telles que furent ses aspirations sociales et ses conceptions littéraires, ne serait rien.
La littérature, par moments, souvent même, m'apparaît comme un art désuet, décalé, sans objet, dans un monde où seule est reine l'apparence et la pacotille...
Mais peut-être que je déconne. Je n'en sais rien. Tout cela est inconfortable intellectuellement, parce que sans doute trop voisin du dépit.
Écrit par : Bertrand | 15.10.2013
Non vous ne déconnez pas. Nous vivons bel et bien dans une société qui a confondu édition et littérature, pour ne pas dire marketing et littérature. Et qui ne cesse de déchoir.
On ne peut que faire avec ça et se souvenir de Stendhal et ses quelques 800 happy few.
Et aux grognons qui nous diraient : "vous avez du culot de vous comparer à Stendhal ! pour qui vous prenez vous ? " je répondrai : "je préfère me frotter à Stendhal qu'à Zidane, à Mark Zuckerberg, à François Hollande ou à Johnny Hallyday. A chacun son génie.
De toute façon, je n'ai jamais fait une religion de la littérature, et j'ai toujours pris les auteurs pour des copains. De vrais copains que je rencontrais ailleurs que dans la société contemporaine, où j'en aurai eu si peu.
Écrit par : solko | 15.10.2013
Beaucoup des grands que nous connaissons ne seraient plus édités aujourd’hui, en effet Parce que l’écrivain dit avec ses tripes ce qu’il ressent, il crie son malaise. Or notre société commerçante ne vise que la façade, pas l’authentique. Elle ne s’intéresse donc pas à ce cri de révolte.
Écrit par : Feuilly | 15.10.2013
Brassens ( encore lui, car je le prends pour un grand littérateur même s'il avait choisi pour écrire le mode éphémère qu'est la chanson) disait : "Une chanson, c'est un peu une lettre à un ami."
J'y pense tant il vrai, comme vous le dites, Solko, que ceux que nous lisons des temps révolus, nous apparaissent oomme des amis, des complices d'outre-tombe, des copains, des proches.
C'est une grande joie, ça. Vraiment. Stendhal avait ainsi proclamé : je serai célèbre vers 1935 !
Un toupet qui fait sourire et pourtant...
Feuilly, notre temps consomme de l'apparent au détriment complet de l'essentiel. Non pas que je prétende en être, de cet essentiel, mais comment ne pas se considérer au-dessus des miasmes du marché littéraire sans passer de la modestie à l'humilité, puis de l'humilité à la non considération de soi ?
Chaque époque produit ses écrivains, que le temps filtre. La nôtre considère l'écriture et la littérature comme une manie sans intérêt ou, au contraire, comme une marchandise juteuse. Dans les deux cas, donc, comme de la m....
Écrit par : Bertrand | 15.10.2013
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