11.10.2013
La Pologne, l'église et la loi des contraires
Des évêques aux moindres curés de campagne, le clergé polonais tient aujourd’hui le haut du pavé.
Il est souvent incontournable.
Il est, quoiqu’en disent les Polonais eux-mêmes, l’éminence grise du pouvoir.
L’église est riche. Décomplexée, elle se montre âpre au gain et, parfois, à la limite de l’intégrisme. Je sais, par exemple, qu’un curé, dans un village voisin, a refusé d’enterrer un pauvre bougre qui dilapidait tous ses sous dans la vodka, parce que sa veuve n’avait pas d’argent pour le payer. Je sais aussi que ce même curé, décidément obtus jusqu’à la furie obscène, a refusé de marier un jeune couple parce que la promise était en espoir de famille. Je connais un prélat débonnaire et replet qui, avec les travaux de luxe que je le vois faire chez lui depuis plus de quatre ans, a déjà acheté au moins quatre fois ma maison !
L’église a récupéré tous ses biens, immenses, que lui avaient retirés les communistes et elle met désormais son nez partout, dans les écoles comme dans la politique, et je défie un maire d’être réélu à la prochaine échéance, s’il n’accompagne pas ostensiblement tous les dimanches matins ses administrés à la messe.
L’emblème de mort, glorificateur de souffrances et de tortures du Nazaréen, partout pontifie, et même dans des endroits où on l’attend le moins, jusqu’au ridicule : à la poste, à la boucherie au-dessus des quatiers sanguinolents de cochon, au supermarché et jusque dans la salle de saillies du haras de Janow.
Des fois qu'un étalon viendrait à saboter son érection, peut-être !
Cet état de grâce insolent, l’Eglise le doit à ses pires ennemis : les communistes. C’est parce qu’elle a été plus ou moins persécutée - un rôle qu'elle affectionne particulièrement - qu’elle s’est retrouvée du côté des opprimés et ces opprimés-là lui en sont aujourd’hui reconnaissants. Si les communistes n’étaient pas passés par là avec leur matérialisme historique à la noix qui tentait de la plus ou moins nier, la soutane n’aurait pas repris du galon jusqu’à cette impudique fierté. N’oublions pas en effet qu’elle était très critiquée entre les deux guerres et que le refondateur de la Pologne, le nationaliste Józef Piłsudski, vainqueur des bolcheviques en 1920, n'était pas particulièrement enclin à l'encenser.
J’ai dit à quelques Polonais qui voulaient l’entendre que l’Eglise était sous le communisme du côté des opprimés parce qu’elle était elle-même opprimée. Sans quoi, ai-je rajouté, l’Eglise est toujours du côté de ceux qui la servent, c’est-à-dire du côté du pouvoir et se fiche alors comme de l'an quarante des opprimés.
Pour moi, natif du pays de la loi de 1905, du pays où l’Eglise a été démasquée par le siècle des Lumières puis par la Révolution et l’abolition des privilèges ; du pays où elle n’a plus son mot à dire sur tout, ce fut au début très déroutant. Dans ma tête, j'étais mal à l'aise et j’avais l’impression d’avoir fait un bond en arrière de plus de cent ans.
Jusqu’à ce que je comprenne vraiment pourquoi.
C’est-à-dire que je comprenne l’éphémère de cette hégémonie. Et c’est ce mot éphémère qui m’a fait sourire et m’a rassuré. Ephémère fait toujours sourire quand il s’applique à une institution qui croit détenir les clefs de l’éternité.
D’ailleurs, les jeunes générations en ont soupé du matraquage idéologique et le font savoir.
A tel point que le parlement polonais est le seul en Europe, peut-être bien au monde, à compter en son sein un élu transsexuel. Non pas parce que le parti sous l’étiquette duquel il s’est présenté était bon et sérieux, mais parce que ce fut là, pour une part de la jeune population, l’occasion d’exprimer son ras le bol et une contestation sans ambages des valeurs catholiques.
L’Eglise en Pologne est donc le fruit d'une logique historique et, comme tout élément d'une logique historique ayant atteint les limites de ce qu’il pouvait "gratter" de l'époque, elle a entamé son déclin.
Et que les libres penseurs de France - fiers d'un héritage à la pérennité duquel ils n'ont en rien contribué - qui toisent la Pologne pour son catholicisme exacerbé, se souviennent que la France, partout, fut le bras armé de l’Eglise et que cette Eglise y a régné sur tous les aspects de la vie intellectuelle, politique, artistique, morale, civile, législative et individuelle pendant plus de 10 siècles.
Qu’ils laissent donc à la Pologne le temps de vivre et de résoudre les contradictions de sa dramatique histoire et gageons qu’à la vitesse historique - équation entre l’état de développement des esprits à un moment donné et les évènements qu'il génère - la Pologne ne mettra pas dix siècles à en finir avec la supercherie.
Et puis, la valeur d'un pays, son charme, son intelligence, sa gentillesse, ne se résument pas, fort heureusement, aux mascarades ostentatoires de ceux qui prétendent y tenir la dragée haute aux autres !
Image : Philip Seelen
10:40 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
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