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16.10.2013

La langue

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La parole qui ne maîtrise pas le langage a les charmes trébuchants de la parole enfantine.

Pour mettre à profit ce que je sais exprimer en polonais, il me faut des sujets simples, immédiats, pratiques, des sujets qui ne sont pas sous-tendus par de grandes préoccupations.
Ce n’est certainement pas demain la veille que je vais me mettre à disserter sur Schopenhauer !
Dès lors, avec un autochtone, je parle forcément de choses très courantes et je m’aperçois que j’utilise souvent, très souvent, les mêmes expressions. Puisque la météo est cataloguée par tout le monde comme le plus futile des propos, elle revient souvent dans ma conversation étriquée. Sauf que moi, elle m’intéresse, la météo. A  plus forte raison ici, où elle est exceptionnelle et quand elle est considérée par un natif.
S’exprimer dans une autre langue, celle-ci étant particulièrement ardue, demande, comme je l’ai déjà dit, que je dessine d’abord en français dans ma tête ce que je veux dire. Et j’ai de petites clefs qui ouvrent plaisamment le débat. Une de ces clefs m’a été donnée, une fois, par une vieille dame qui ne connaît pas un mot de ma langue et qui avait tout à coup entamé sa discussion par un à propos de, très bien prononcé. J’avais été estomaqué avant de comprendre que ce à propos de était une locution passée dans la langue polonaise, comme cul-de-sac, par exemple, est passé dans la langue anglaise. Et ce qui est plaisant, amusant, c’est que si j’entame avec un quidam une conversation par à propos de, celui-ci ne sait pas forcément que je suis sur ma langue et considère in petto que je maîtrise bien la sienne. Il en va de même pour une foule de mots tels amortisseurs, convecteurs, vétérans, bijouterie, et plein d’autres, même si l’orthographe polonaise en est complètement différente.
Mais on ne parle pas avec l’orthographe. Que vous disiez éléphant ou éléfant, votre interlocuteur n’en a cure. Alors… En revanche, on parle avec la grammaire, car il faut décliner et là, le tour de passe-passe apparaît au grand jour car je me perds évidemment dans la ronde infernale des génitifs, des vocatifs, et autres accusatifs.
De même pour le pluriel.
Le pluriel polonais a cette particularité d’être différent à partir de cinq. Je m’interroge souvent sur cette bizarrerie du pluriel-pluriel… J’ai demandé, on rigole, on dit qu'on ne sait pas, que c’est comme ça. Il est vrai que je ne saurais moi-même dire, comme ça, à brûle-pourpoint, pourquoi les hiboux et les poux prennent un x et les sous un s.
Donc, pour ce double pluriel,  peut-être qu’à partir de cinq, la conscience polonaise fait une distinction et pénètre dans le grand nombre. Dans le superlatif.
On dira dès lors dwa, trzy, cztery bociany  -deux, trois, quatre cigognes - mais on dira pięć, sześć etc.…  bocianów - cinq, six, etc.… cigognes. Tout cela passe, à partir de cinq, du nominatif au  génitif, lequel génitif change évidemment de couleur selon que le mot est féminin ou masculin. Souvent le contraire, d’ailleurs, histoire de compliquer la donne, de celui qu’il porte dans ma langue. Les Polonais, pour reprendre l’exemple ci-dessus, disent un cigogne. Ça change tout.
Si je pense une cigogne, je vais droit dans le mur…
Alors tout ça, dans la parole qui va vite, ça crée évidemment des entorses. Il faut apprendre par cœur.
Mais les Polonais sont très tolérants sur le sujet : du moment qu’on vient vers eux, qu’on parle leur langue et que le message est compréhensible, tout va bien.
Le verbe aller, aussi, n'est pas le même selon que l'on se propose d'aller à pied, en voiture, à cheval ou avec tout autre moyen de locomotion. Je connais les deux verbes. Mais j'arrive à me mélanger les pinceaux. Aussi ai-je voulu dire un jour à mon voisin que j'allais à Lublin dans l'après-midi. J'avais une chance sur deux. Pile ou face. Manque de chance, j'ai littéralement dit que j'allais à Lublin à pied cet après-midi... 130 kilomètres.
Rires.
Et comme j’aime le langage, la manière dont il est ciselé, je suis toujours admiratif quand le maçon, le menuisier, le paysan, parle à toute vitesse et décline tout ça sans une faute. C’est pour moi comme s’il analysait spontanément les mots, celui-ci est un complément d’objet direct, celui-là un complément du nom, cet autre un attribut du sujet…
Je suis admiratif, en fait, du berceau qui donne les réflexes, dans quelque langue que ce soit, d'une grammaire pourtant compliquée.
Et je mesure bien que tout vient de là, du berceau, de cette imitation fabuleuse, de cet écho, de cette répétition appliquée de ce que l'on a entendu.
De ce que j'appelais dans "Chez Bonclou et autres toponymes", la voix lactée.

09:08 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

C'est quand même dingue qu'[on] prenne les maçons, menuisiers et paysans pour des cons et "on" est un con :)

J'adore quand tu dis On ne parle pas avec l'orthographe mais avec la grammaire.

Et alors comment on place "amortisseurs, convecteurs, vétérans, bijouterie" dans une conversation ? :)

Écrit par : Michèle | 17.10.2013

Amortyzator, quand tu tombes en panne, Konwektor, quand tu payes ta note d'électricité, Weteran quand on me demande mon âge et biżuteria quand c'est l'anniversaire de D. ( !) Hi !!!!

Nota bene : Le ż se prononce comme notre "j".

Écrit par : Bertrand | 17.10.2013

la Weteran repasse par là...
amusant, bizuteria, un rapport avec bijou,s'offre t-on tant de joaillerie en Pologne?

la voix lactée, cette trouvaille est merveilleuse, je n'ai jamais eu la réponse à ma question(et pourtant, je l'ai posée à des linguistes distingués)comment se fait-il que je "comprenais parfaitement) avant d'aller à l'école le patois de la Creuse, dont ma grand-mère et ma tante usaient alors qu'à moi, on s'adressait en français; on m'a répondu imitation, assimilation , ce qui ne me satisfait pas, quelqu'un connait-il des bouquins sur la façon de comprendre des tout-petits??

Bertrand, je vais te décevoir mais je ne te rejoins pas sur Bertrand Cantat; OK, il a purgé sa peine mais on pourrait espérer un minimum de discrétion de sa part; ce serait en son honneur de faire profil bas


merci pour le cours de langue
amitiés Anne-Marie

Écrit par : EMERY Anne-Marie | 18.10.2013

Anne- Marie, on a le droit de n'être pas d'accord avec ce que j'écris, heureusement...
Mais dis-moi, profil bas, ad vitam aeternam ? ça fait plus de six ans qu'il est sorti de tôle !
Que lui demandez-vous ? De se renier ? De ne plus chanter ? De ne plus écrire ? De se tirer une balle dans le crâne ?
Mais c'est quoi, ça ? Et est-ce le rôle d'une ministre à la noix d'appeler implicitement au boycott ?
Comme le disait Valérie dans un commentaire, fallait le condamner à mort tout de suite ! C'eût été plus franc !
Lui trancher le cou. Comme ça on ne l'aurait plus entendu !

Écrit par : Bertrand | 18.10.2013

La société a fait son travail. Elle a condamné monsieur Cantat et il a purgé sa peine. Je pense que la société n'a plus à se prononcer là-dessus et bien entendu un(e) ministre non plus.

Reste tout un chacun. Et sa conviction intime.
Monsieur Cantat a le droit de continuer son métier, il le fait. Personnellement, c'est à sa production d'artiste et à elle seule que je m'intéresserais, si ça m'intéressait.
Et personnellement encore, je suis étonnée qu'il éprouve le besoin de continuer à exister sur scène. Il y a les disques, c'est déjà pas mal...

Écrit par : Michèle | 18.10.2013

"Personnellement, c'est à sa production d'artiste et à elle seule que je m'intéresserais, si ça m'intéressait."
Tout à fait d'accord, Michèle.

Écrit par : Bertrand | 18.10.2013

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