UA-53771746-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28.10.2013

L'exil et le pognon

PICT3179w - Vautours.jpg

Le regard que l’on porte sur soi n’est bien évidemment jamais le bon.
Et comme je n’ai plus guère de vie sociale, je ne reçois plus guère de regards portés par la ruche sur mon individu.
C’est donc par l’écriture que je communique avec le monde. Une communication à sens unique.
Le regard que l’on jette sur le monde est
compliqué. Il cherche midi à quatorze heures. Il bafouille, suppute, spécule, s’indigne et j’en passe.
En vivant un exil, j'ai appris que ce regard critique est souvent un exutoire, un subterfuge pour éviter d’avoir à en jeter un véritable sur soi-même. Il faudrait commencer par se dire que le monde objectif n’existe que par le regard que nous lui portons et par ce que nous portons en nous. Qu’il n’existe aussi, dans sa force coercitive, que par les multiples concessions contraires à notre désir que nous lui faisons.
Car combien de méchants réclament-ils un monde qui soit bon ? Combien en ai-je vu, connu, côtoyé, de ces criards contre le monde injuste, de ces défenseurs de la veuve et de l’orphelin et qui, dans leur propre vie, se montraient radins, mesquins, âpres au gain, gagne-petit et pas généreux pour un traître sou !
Qui s’intéresse à ses sous, ne s’intéresse guère à l’humain et vice-versa, c'est bien connu. Et pourtant ! Combien de généreux poètes, de désabusés du dimanche, de désinvoltes de la plume ou de la parole, ne comptent-ils pas leurs sous, dans leur coin, avec la fièvre de l'angoisse du manque et l'hystérie d'Harpagon ?
Ah, les sous ! C’est comme la météo, les sous : un sujet futile. Pfft ! Recouvert, en plus, d’un fort tabou. Demander à quelqu’un combien il gagne, c'est aussi indiscret et malpoli que de lui demander avec qui il couche.
C’est d’ailleurs en dire beaucoup sur le comment il couche…

C’est, je m’en suis rendu-compte, une des raisons pour lesquelles je me sens bien en exil, malgré l’incontournable appel des racines.
Le regard que je jette aujourd'hui sur la France, côté finances, côté porte-monnaie, est exécrable jusqu'au dégoût. C’est le mien. Lié à ma propre histoire.
Toute ma vie, j’avais été tracassé par les sous. Plus exactement par leur absence. J’avais toujours emprunté dix sous à Pierre pour en rembourser neuf à Paul et ainsi de suite. Une suite d’expédients de plus en plus étrangleurs. Jusqu’à l’angoisse.
A tel point que les dernières années passées en France, épouvanté, je n’ouvrais même plus mes lettres officielles, banque, procès verbaux de stationnement ou autres, arriérés d’imposition, notes de téléphone et tutti quanti. J’avais un tiroir qui regorgeait de courriers tout neufs, vierges, aux tampons tous plus vindicatifs les uns que les autres et que je réduisais au silence et à l’impuissance en poussant le mépris jusqu’à ne les plus décacheter.
Alors, dans mon souvenir, c’est ça aussi, la France. Une horde de chacals toujours à mes trousses ! Des vols sinistres de vautours au cou décharné toujours prêts à becqueter les derniers lambeaux de mon portefeuille en décomposition. Un pays chafouin, avec toujours un avorton autorisé par la loi ou le règlement pour vous faire les poches.
J’ai tout envoyé valdinguer.
Et je me suis retrouvé tranquille, apaisé. Dans un pays où je ne dois rien, où on ne me demande pas ce que je fais, comment je vis, la largeur de ma maison, le nombre de pièces que j’habite, la superficie de ma cour, comment je me chauffe, si je rends tel ou tel service rétribué ou non, si j’ai une télévision, un poste de radio et quelle était la profession de ma grand-mère.
Qu'on me comprenne bien : je ne dis pas que la Pologne et les Polonais sont plus détachés des "coercitions argentières" que la France et les Français. Je dis que c'est ainsi que je les vis. Point.
Pour la première fois de ma vie, je n’ai pas de souci d’argent. On ne me harcelle pas. Je n’y pense jamais. J’en ai pour manger, m’habiller, acheter des clopes, me promener et vivre avec ma famille. J’en ai assez pour vivre en bonne intelligence avec le monde qui m’entoure.

J’ai réduit les sous à leur impuissance congénitale. Je les ai remis à leur juste place d’outils, même si, par principe, j’ai publiquement fait la guerre à un mesquin qui m'en devait deux ou trois, me les doit encore et me les devra sans doute toujours, parce que ce mesquin-là tenait un discours public contraire à ses pratiques privées.
Le facteur ne vient jamais salir ma boîte aux lettres de feuilles roses, vertes, marron avec en bas l’impérieuse sommation avant poursuites : SOMME A PAYER.
Oui, aussi bizarre que cela puisse vous paraître, la France, mon pays, notre pays, est un pays de racketteurs avides. Racketteurs de pauvres, un pays de pousse-à-la-misère, un pays de chicanes. Avec des légions de roquets aux dents pointues, toujours prêts à vous mordre le mollet si vous ne déliez pas bourse dans les huit jours qui suivent.
Tout cela pour votre bien, évidemment. Pour votre sécurité et pour que la nation soit en bonne santé. Exactement comme le gangster qui rackette un établissement de nuit en échange d’une protection contre d’autres éventuels bandits ou petits malfrats sans scrupules !
L’exil, là-dessus, est un havre de paix. Côté argent, on ne se sent concerné que par ce qui nous concerne vraiment.
C'est-à-dire par pas grand chose.

08:38 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Les commentaires sont fermés.