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21.10.2013

Voyage

1.JPGLes oiseaux migrateurs, grands bohémiens des ciels d'équinoxes, ont cela de plus - ou peut-être de moins, - sur les hommes en exil, qu’ils savent que leur errance  est un éternel retour.
Même si plus d’un, l’’aile rompue et du sang plein les yeux, mourra, ils savent que le leitmotiv des saisons qui chavirent les ramènera au point d’un éternel départ.
Ils naviguent entre les nuages et sur un  demi-cercle du temps et de l’espace.
Perchés sur les bosquets de la Pologne orientale, à quelques coups d’ailes des  steppes de Russie, se souviennent-ils des rivages ocre jaune de l’océan ou de la luxuriance d’une forêt tropicale ? Se rappellent-ils ces climats comme des ports d’attache ou comme les points de chute d’un exode forcené pour la survie ?
Je peux les regarder et les écouter des heures et ne puis alors éviter de leur prêter mes songes, à des siècles de la critique facile de l’anthropomorphisme, dont je me fous, dans ces instants-là, vraiment.
Et mon esprit navigue alors d’eux à moi et aux autres. Aux gens que j’ai croisés et qui de leur vie avaient fait un vagabondage perpétuel, de l’espoir à l’angoisse, du bonheur à la détresse. Comme à ceux, hélas beaucoup plus nombreux, dont le seul horizon, réduit à un point vide d’émotions, tenait lieu de vérité définitive.
Ceux qui savent tout et mieux que quiconque.

Il y a des passerelles inconnues
entre la vie et la vie. Poétiques encore. J'appelle "poétique" ce qui laisse rêveur par-delà les froides contingences d'un monde scientiste et convaincu de sa justesse.
J’ai beaucoup de respect pour ces voyageurs ailés, par-delà tous les froids arguments de l’ennuyeuse  raison.
J’ai repéré le rouge-queue. Chaque année, il revient en avril et se glisse dans le même tout petit trou de mon vieux bâtiment. Chaque année, il se perche là, sautille là-bas, pérore ici, gazouille plus loin, picore un bourgeon du même sorbier. D’où vient-il et quelle mémoire l’anime ? Sa mémoire s’appelle-t-elle paysages ou conservation de l'espèce ?
Mon pays à moi, ce sont d’abord des paysages et un chant. Une langue. Des mots. Douceur et tendre mélancolie. Du vent sur les marais, des peupliers qui frémissent le long de lourds canaux, des livres lus, emportés avec moi ou reçus depuis.
Quand ce sont des hommes, ce n’est déjà plus un pays.
C’est un lieu.
Commun,  jusqu’à la «dépoétisation» de l’éternel retour des petits voyageurs posés sur mon jardin.

08:34 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Cette fascination que l’on a pour les oiseaux migrateurs prouve bien notre insatisfaction du présent et le désir ancré en nous d’un devenir meilleur, d’un ailleurs un peu mythique où notre vie trouverait enfin un sens.

Écrit par : Feuilly | 21.10.2013

Il y a de cela, oui. Et cette allégorie de la liberté de vaquer d'un point cardinal à l'autre, de survoler la terre.

Écrit par : Bertrand | 21.10.2013

Merci pour cette belle évocation métaphorique de l'imaginaire poétique.
La citation de Jean Richepin donne bien le ton de ce billet...

Je ne fais pour l'instant que découvrir et parcourir ce blog.

Au plaisir

Écrit par : Lesly | 21.10.2013

Vous êtes la bienvenue et merci d'avoir noté au passage le vers de Richepin.

Écrit par : Bertrand | 21.10.2013

[Les oiseaux], "des verbes qui traversent le monde et qui passent devant et derrière nous, nous entourant comme dans un filet qui serait le chuintement ou la bande-son du sensible...

A travers la forme verbale quelque chose malgré tout de la vie et de la vivacité animales est attrapé : très peu sans doute, mais juste assez pour qu'à ce contact le verbe lui-même se recharge et s'entrouvre.

Voler, soit quelque chose que nous ne savons pas faire et dont nous ne savons au fond quasiment rien.
Eh bien suivons cette ligne silencieuse telle qu'avec les [oiseaux] elle part devant nous.
La ligne du vol, qui est vraiment une ligne au sens le plus strict, une ligne rapide et éphémère, qui s'efface aussitôt qu'apparue, qui s'efface en apparaissant, faisant de celui qui la trace, si léger, parfois quelques grammes, un projectile qui s'envoie dans l'espace : envoyé en l'air, l'expression est connue et d'emploi trivial, mais si on la restitue à son sens premier, alors on voit que tels sont les oiseaux, ou les chauves-souris, envoyés en l'air, s'y envoyant et s'y voyant, et peut-être aussi envoyés, disposant en tout cas d'un savoir que l'on peut certes remiser comme un simple savoir-faire ou une technique acquise, mais qui semble pourtant tout autre et pouvoir figurer, comme Rilke l'indiqua, une entrée dans l'ouvert, et je précise, il le faut, que l'ouvert - auquel je pense qu'il ne convient pas de mettre de majuscule parce qu'il doit rester, lui aussi, infinitif, infini - n'est en rien une simple métaphore ou une abstraction, ou que du moins s'il en est une, c'est en s'établissant de façon absolument concrète comme un retrait ou une absence de matière, ce qui veut dire que voler c'est faire l'expérience de l'espacement et habiter à même l'intervalle, dans la plénitude vide de l'intervalle, et que cette expérience, visiblement, contient une joie, celle qui se donne - à entendre aussi - de façon éperdue avec les tournoiements des étourneaux ou les stries des hirondelles quand le jour finit, celle aussi, qui n'est sûrement pas moindre, de ces glissés nocturnes des diverses chouettes, ducs et hiboux froissant à peine l'obscurité d'un trait un peu plus descendu dans le silence. (...) "

(Jean-Christophe Bailly, Le parti pris des animaux, Christian Bourgois, 2013)

Écrit par : Michèle | 21.10.2013

Très bel extrait, Michèle !
Je ne connais pas ce livre. Un de plus (!)

Écrit par : Bertrand | 24.10.2013

Les commentaires sont fermés.