14.09.2013
L'air qu'ils boivent ferait éclater nos poumons
De Jean Richepin je ne connais que peu de choses.
J’ai retenu une anecdote : Il remplaça à l’Académie française un écrivain des plus obscurs, connu des seuls jeunes gens qui ont fréquenté le lycée qui porte son nom à Civray, André Theuriet.
Mais revenons à Richepin.
Je sais donc ça et deux de ses poèmes, Philistins et surtout Les oiseaux de passage, allégorie magnifique de la bohème et des poètes, opposés à la vulgarité du commun. Encore un cependant qui doit une fière chandelle posthume à Brassens. Sans la magistrale interprétation de ces deux titres, pas sûr que Richepin eût connu les honneurs de la postérité.
Son œuvre est assez plate, cabotine, et l’auteur aimait en fait jouir de popularité et de reconnaissance par le biais du blasphème social et de la révolte, peu viscérale sans doute. Un peu comme les professionnels du scandale et de la radicalité à notre ère spectaculaire.
N’empêche qu’il eut un trait de génie en écrivant Les Oiseaux de passage - dont Brassens ne conservera que les meilleures strophes - dans le recueil La chanson des gueux, qui lui valut quand même quelques mois de prison.
Il eut ce trait de génie tout comme Antoine Pol, autre obscur versificateur que Brassens a embarqué sur les chemins de la mémoire, en eut un avec ses Passantes, œuvre tiré d’un recueil de poèmes tous plus pitoyables les uns que les autres.
J'eus l'heur de rencontrer un jour le petit-fils d'Antoine Pol...
En ces saisons de lumière oblique sur les premières gelées blanches, je le vois toujours passer au-dessus de nos têtes, le grand triangle des exodes permanents. Je l’entends avant de le voir. Les vers de Richepin et les accords de Brassens, chaque fois me reviennent sur les lèvres :
Regardez-les passer, eux, ce sont les sauvages,
Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts
Et bois et mers et vents, et loin des esclavages
L’air qu’ils boivent ferait éclater vos poumons.
Il y a de la désespérance et du mythe de Sisyphe dans ces vols obstinément réguliers d’ouest en est, puis d’est en ouest, du sud au nord et du nord au sud.
Des êtres qui n’habitent nulle part et qui sont partout chez eux, d'un bout à l'autre de la terre.
Hier après-midi dans le froid limpide, les oies sauvages ont traversé mon coin de ciel. Je sais où elles vont, celles-ci : L’ île de ré. Ars en ré, son clocher à flèche noire et ses grands marais. Il me plait en tout cas de le croire.
Longtemps je les ai suivies des yeux et je me suis trouvé tout petit, avec mes billets d’avion et de train et mes horaires , mes dates et mon bagage…Elles seront là-bas en même temps que moi. Avant peut-être.
L'horizon, le mien, les a englouties. Elles en avaient déjà repoussé les limites, elles en voyaient déjà un autre et le vent gorgé de soleil leur était favorable. Elles caquetaient, elles semblaient discuter le bout de gras, le cou tendu vers les mers lointaines.
« Regardez-les ! Avant d’atteindre sa chimère,
Plus d’un l’aile rompue et du sang plein les yeux,
Mourra…. »
Les Polonais ne disent pas le triangle mais klucz, la clef.
La clef des oiseaux sauvages.
La clef d’une porte qui ne cesse de s’ouvrir et de se refermer.
La clef des grands espaces.
Celle qui, peut-être, manque à nos vies, aplaties sous les certitudes incertaines et la force des habitudes. Nous, avec une clef dans les mains, nous ne savons qu'ouvrir la porte d'un habitat.
Clefs en main...
Entre l’errance et la conquête identitaire, les hommes ont toujours opté pour les limites d’un territoire.
Aussi bien sous leurs pieds que dans leur tête.
Nous n’avons sans doute pas assez de force dans nos zèles, pour aller à la rencontre de ce que nous aimons en profondeur, en intime.
Nous ne peignons, sculptons, chantons ou n'écrivons que pour publier cet aveu :
Là-bas, c'est le pays de l'étrange et du rêve,
C'est l'horizon perdu par-delà les sommets,
C'est le bleu paradis, c'est la lointaine grève
Où notre espoir banal n'abordera jamais.
10:00 Publié dans Acompte d'auteur, Brassens | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Theuriet a été considérablement connu vers la fin du XIXe siècle, c'était un gros tirage des éditions Lemerre. Je veux bien croire qu'il est obscur maintenant, mais il ne l'a pas toujours été.
Bref...
Écrit par : Le Tenancier | 14.09.2013
Là-bas, c'est le pays de l'étrange et du rêve,
Oui, assurément notre obstination à rester collé à notre lopin de terre est désolante. Nous n'avons pas la force d'atteindre nos rêves.
Écrit par : Feuilly | 15.09.2013
Tenancier, vous m'alléchez.
J'ai regardé les titres des poésies, romans et nouvelles de Theuriet. Très envie de le lire.
Écrit par : Michèle | 15.09.2013
Oui, Feuilly... Nous reste l'imaginaire.Auquel il faut donner des ailes.
Le Tenancier et Michèle : Merci, Tenancier pour ces précisions. Je ne soupçonnais pas. Et dire que "j'ai fait mes humanités" au lycée André Theuriet de Civray ( avec un certain François Bon) sans jamais n'avoir lu une ligne de cet écrivain !
Honte à moi (!)
Écrit par : Bertrand | 16.09.2013
Vous ne perdez rien, je vous assure, c'est assez convenu comme littérature. Relisez Darien, si vous voulez rester à la même époque.
Ou du Redonnet, tiens !
Écrit par : Le Tenancier | 16.09.2013
Ce poème de Jean Richepin mis en musique de façon magistrale par Brassens est juste un petit chef-d'oeuvre!
Vous en parlez avec toute l'émotion et la justesse voulues...
Une fois de plus, je vais faire profiter (avec votre permission!) à mes "Amis de Georges" de votre prose!
..Je continue à dire que vous restez, pour moi, un de ceux qui parlez le mieux du "Grand Georges"!
Avec toute mon amitié!
Écrit par : Ninon | 17.09.2013
Pas de souci, Ninon. La permission vous l'avez sans me la demander. Et grand merci pour votre assidue lecture !
Amitiés
Cher Tenancier, si Theuriet avait eu la verve de Darien ou de d'Axa, il m'aurait sans doute moins échappé...
Ben à Vous, chenapan (!)
Écrit par : Bertrand | 19.09.2013
Les commentaires sont fermés.