16.09.2013
Les rêves à tiroirs
Ce sont les plus terrifiants car les plus malins, au sens fort. Ils savent se tellement travestir qu'ils arrivent à se nier en tant que rêves et qu'ils s’introduisent ainsi chez vous par la porte du subconscient négligemment laissée entrouverte et pour y tout mettre à l’envers.
Je ne sais comment les mécaniciens de l’âme les appellent, si tant est qu’ils les appellent.
Alors, je leur ai donné le nom de rêves à tiroirs.
Je suis un trouillard. J’ai une trouille bleue de la maladie, de celle qui ne finit qu’avec la vie. De la clause rédhibitoire qui signe la fin du contrat.
Il y a quelques nuits, donc, j’étais en consultation chez un médecin, un grand spécialiste. Mais, allez savoir pourquoi, ce bougre de médecin-là, tout spécialiste qu’il fût, me détestait au plus haut point de la détestation.
Ça arrive assez souvent, qu’on puisse me détester, et même que, parfois, tant il ne me déplaît pas de déplaire à certains, j'y mets même du mien. Je force le trait de ce qui est chez moi déplaisant, je donne un petit coup de pouce.
Mais là, ce n’était vraiment pas le moment ni le cas : j’avais besoin d’être rassuré. Ce médecin, donc, eut l’air fort désappointé d’être obligé de m’annoncer que mes analyses étaient excellentes et que le crabe n’était pas venu ramper jusqu’à moi…
Il me mit à la porte, fort mécontent. Mais, justement, ne soupçonnant pas encore le degré de son aversion à mon égard, ayant seulement conscience d’une vague antipathie, cela m’inquiéta beaucoup. En effet, pourquoi annoncer à un patient qu’il est sauvé du cercueil avec une tête d'enterrement ? Quel était donc cet Esculape au comportement ahurissant?
Je décide donc de consulter à nouveau quelques jours plus tard et demande des analyses plus sérieuses, plus approfondies. Bingo ! Le médecin est enjoué et m’annonce, triomphal, la gueule fendue jusqu’aux deux oreilles, que je suis perdu, que ce n’est plus un corps que j’ai, mais un abominable champ de bataille où ma vie est en train de succomber sous les coups de boutoir assassins de milliers de métastases.
Affreux désespoir ! Mais, aussitôt, l’effet inverse du précédent se produit. Non, que je me dis, c’est une plaisanterie, un médecin n’annonce jamais à son patient qu’il est foutu, perdu, à deux doigts du sapin éternel, en se tapant sur les cuisses ! C’était une plaisanterie, une galéjade - de fort mauvais goût, certes - mais une galéjade quand même ! De très loin, je préfère les canulars, fussent-ils ignobles, aux arrêts de mort !
Je me mis donc en devoir de ne pas le croire et en fut tout rasséréné. Pour peu, je me serais moi-même mis à rire aux éclats de la bonne blague ! Las ! las ! ma compagne était en larmes, elle avait lu les analyses, tout était vrai…Ma vie foutait le camp, ma vie avait commencé de brûler son dernier bout de chandelle ! J’étais effondré, je compris la haine du médecin, sans me l’expliquer.
La haine, c’est toujours trop long à expliquer, faut toujours remonter trop loin, digresser, pinailler.
Et puis, je retrouvai soudain le confort en me disant, en rêvant très exactement, que tout ça n’était qu’un mauvais rêve et que j’allais me réveiller, heureux et gai comme un pinson. Mais je me mis à rêver que je m’éveillais effectivement et la maladie mortelle était bien là, le cauchemar était réalité…Des larmes coulèrent…J’avais, avec ce réveil, détruit ma dernière planche de salut.
Je me réveillai en vrai et enfin. Mais pas bien du tout et même pas certain du tout que le rêve à tiroirs n’était pas en train de continuer ses sournoises facéties. Pour me persuader vraiment du contraire, il a fallu que je me lève, que je regarde par la fenêtre la nuit qui courait avec le vent sur la cime des arbres, que j’allume les feux, fasse le café et ouf, que je me mette in petto en rogne contre les funestes astuces du subconscient.
Et je me suis dit que peut-être, on peut devenir fou en dormant.
Inverser les pôles, balancer son conscient dans le subconscient et vice-versa. Vivre ainsi sa vie, communiquer, écrire, tout faire, avec le subconscient. Comme en rêvaient les surréalistes et, bien avant eux, Rimbaud. Et comme on roule avec une roue de secours.
Ce qui, peut-être, fit écrire à Chesterton le fameux paradoxe : un fou est quelqu’un qui a tout perdu, sauf la raison.
Vous êtes là ? Bon…Tout va bien : vous êtes en bonne santé, je vous le souhaite de tout cœur, la vie est belle et, si vous avez tout lu de ce petit texte, n’ayez crainte, vous êtes vraiment réveillés.
Illustration : Philip Seelen
11:40 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Oui on peut aller très bien dans cette pensée labyrinthique. Mais le texte est plus structuré et pensé que vous ne le dites,n'est-ce pas? C'est la rencontre entre le désordre et l'ordre qui le met en valeur qui, finalement, relève de l'art.
Écrit par : solko | 16.09.2013
Il y a un principe éternel et intangible pour lutter contre une certaine catégorie de rêve : ne jamais manger de boudin ou un plat de ce genre avant d'aller se coucher, mon cher Bertrand.
Écrit par : Le Tenancier | 17.09.2013
Oui, Solko : un texte, une chanson,quand il emprunte au tumulte de la pensée non structurée, le fait avec ses exigences à lui. Sa logique textuelle.
"C'est la rencontre entre le désordre et l'ordre qui le met en valeur qui, finalement, relève de l'art" dites vous. C'est ce qui fit écrire à Debord que l'art surréaliste était voué à l'échec car leurs tentatives d'écriture spontanée qui voulait retracer le désordre spontané de l’inconscient s'avérait pauvre, plate, sans envergure.
Tenancier, vous êtes un incorrigible jouisseur-matérialiste (!)
Écrit par : Bertrand | 19.09.2013
Oui, Solko : un texte, une chanson,quand il emprunte au tumulte de la pensée non structurée, le fait avec ses exigences à lui. Sa logique textuelle.
"C'est la rencontre entre le désordre et l'ordre qui le met en valeur qui, finalement, relève de l'art" dites vous. C'est ce qui fit écrire à Debord que l'art surréaliste était voué à l'échec car leurs tentatives d'écriture spontanée qui voulait retracer le désordre spontané de l’inconscient s'avérait pauvre, plate, sans envergure.
Tenancier, vous êtes un incorrigible jouisseur-matérialiste (!)
Écrit par : Bertrand | 19.09.2013
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