12.09.2013
Quand les bots bottent en touche
Au début fut le minitel. Une trouvaille franco-française, fierté des télécoms, fleuron des nouvelles technologies de communication.
Un fleuron qui fit cependant long feu et qui mourut avant même d’avoir existé, avant même que nous n’ayons eu le temps de saisir à quoi il pouvait bien nous servir.
C’était joué d’avance. Ce que nous ignorions en effet pour la plupart d'entre nous, c’est qu’il était une pâle imitation de ce qui existait déjà à l’état larvaire outre-Atlantique.
Et soudain surgit la toile et le modem, un petit appareil périphérique qui crachait et grésillait un peu comme le truc des flics quand, interpellant un contrevenant sur le bord de la route, ces messieurs de la maréchaussée s'appliquaient à interroger leur fichier, pour voir si le malotru n’avait pas d’autres délits sur la conscience, n’était pas un évadé de Cayenne ou un voyou ayant des comptes à rendre dans quelque autre coin de France.
C’était lent. Le modem, je veux dire. Les flics aussi, mais c’est une toute autre histoire…
Alors, supplantant l’affreux modem, survint le vrai web. Plus besoin de modem, le tout incorporé ! La classe ! Et, enfin, naquit ce que l’on a appelé le web.2, c’est-à-dire, en gros, le web ne demandant aucune compétence technique particulière à l’utilisateur, le web interactif, le web d’échanges, de communication, les boîtes aux lettres, les sites, les blogs, les déclarations d’impôts, les librairies et tutti quanti.
Mais, car il faut bien un mais temporisateur à tout cet étalage de performances, dans le même temps et dans l'esprit de ce qui fut dit la net-économie (car rien ne se créée ni ne se transforme si ce n’est sous-tendu par une vision économique des choses), avec ce web.2 dont nous sommes si friands et qui nous est devenu incontournable, se sont développés ce que le novlangue appelle les bots.
Les bots ? Qu’est-ce donc que ce machin-là, encore ?
Plutôt que de nous lancer dans des périphrases amphigouriques et des explications que nous ne maîtrisons pas nous-mêmes, écoutons la sage et docte Wikipédia. Houellebecquisons en quelque sorte :
«Un bot informatique est un agent logiciel automatique ou semi-automatique qui interagit avec des serveurs informatiques. Un bot se connecte et interagit avec le serveur comme un programme client utilisé par un humain, d'où le terme « bot », qui est la contraction (par aphérèse) de « robot ».
On les utilise principalement pour effectuer des tâches répétitives que l'automatisation permet d'effectuer rapidement. Ils sont également utiles lorsque la rapidité d'action est un critère important, avec par exemple les robots de jeu ou les robots d'enchères, mais aussi pour simuler des réactions humaines, comme avec les bots de messagerie instantanée.»
Vous avez bien noté. La froide définition dit, l’air de rien : comme un programme client utilisé par un humain et pour simuler des réactions humaines.
On y est donc et, sans vergogne, on peut annoncer la couleur de la réification du monde !
Car figurez-vous qu’il existe désormais des blogs, des sites, avec aucun être humain derrière mais seulement un de ces fameux bots. Par exemple, un bot lit un blog de ceci ou de cela, et il est dès lors capable d’en retirer des éléments constitutifs pour ouvrir lui-même un autre blog. Plus : si vous marquez quelque intérêt pour le contenu de ce blog et que vous le faites gentiment savoir, l'auteur putatif répondra à vos commentaires et, en retour, vous gratifiera même de quelques-unes de ses appréciations sur votre propre site et ainsi de suite.
Et vous, là, devant votre clavier de la solitude et de la parole vidée de son origine cervicale, vous allez vous mettre à sympathiser avec un bot, échanger des avis, faire ceci ou faire cela. Ou bien vous engueuler avec lui. Ça dépend de comment il est programmé pour vous embobiner.
Si vous le trouvez tellement talentueux et sympathique au point que vous lui donniez rendez-vous sur une terrasse de bistro, là, ça peut se gâter. J’ignore ce qu’il vous répondra.
Peut-être vous posera-t-il un lapin.
En tout cas, sur les réseaux dits sociaux, un tas d'imbéciles, c'est certain, discutent avec une machine pendant des plombes ! Pendant ce temps-là, il y en a qui se remplissent les poches ! On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre...
Ce que j’appelle désormais le Web.3 des bots est donc une étape supplémentaire franchie dans la déshumanisation de la parole, dans la gestion assassine de la solitude, dans l’enfermement de chacun derrière les cloisons de son appartement.
Orwell avait beaucoup d’imagination. Mais quand même pas jusques là…
Et dans mes pires moments de doute, je me dis alors que peut-être Feuilly, Le Tenancier, Solko, Stéphane Beau, Philippe Ayraut n’existent même pas ! Qu’ils sont des bots super entraînés, performants, et que ma folie qui s’ignore les lit et discute avec eux.
Comme un dément dans une forêt redevenue primitive. Sur une planète où il n’y a plus trace d’hommes.
La planète des singes des bots.
Peut-être aussi que mes lecteurs qui se font connaître, Michèle, Alfonse, Anne-Marie, Otto, La Zélie ne sont que des cerveaux électroniques au service de mes angoisses existentielles !
Et moi ? Quelle preuve avez-vous donc de mon existence réelle ? En ai-je d'ailleurs moi-même une, de preuve, quand, sur tel ou tel blog, je réponds, en reproduisant des lettres déformées dans un petit cadre idiot, à l’injonction : veuillez prouver que vous n’êtes pas un robot !?
Misère ! J’éteins illico ce putain d’ordi et m'en vais la campagne courir !
11:42 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
oui, je suis également consternée de découvrir que depuis quelques semaines, mois, années, des amis , à cause de ces fichus tel. portables qu'ils ont en permanence en main ne s'appartiennent plus, sont capables de planter -là une conversation conviviale pour envoyer des SMS "urgents" à leurs relations, enfants , familles; j'ai le regret de dire que je trouve çà impoli; sommes-nous des gens si importants qu'on ne puisse attendre un peu avant de nous contacter; le mien est fermé;je ne le consulte que matin et soir et me refuse à devenir droguée
amitiés A.M
Écrit par : Emery | 12.09.2013
Me voilà donc percé à jour ! J en'étais qu'un robot (mais je ne le savais pas moi-même).
Écrit par : Feuilly | 12.09.2013
Anne-Marie, le bavardage est bien l'élément compensatoire de la parole éteinte. Moins on a de choses à dire qui mériteraient d'être entendues et plus on cause. "La folie portable" en est le signe le plus manifeste ! Il faut voir les heures de conversation qui se paient à travers ce machin, entre gens qui, mis en présence les uns des autres, ne trouvent pas un mot à se dire !
Ah, Feuilly, je te tiens ! T'en es un ! Mais comme tu ne le savais point, tu es pardonné (!)
Écrit par : Bertrand | 13.09.2013
Je partage le sentiment d'Anne-Marie.
Je découvrais l'autre soir lors d'une réunion qu'on pouvait, avec son portable, interagir sur un icône imprimé sur une affiche papier et obtenir ainsi tous les renseignements concernant la manifestation annoncée par l'affiche. Hallelujah :)
Écrit par : Michèle | 13.09.2013
Oh, oh, oh... Et de trois ! Anne.Marie Feuilly, Michèle... Bon, vous êtes sortis du champ de mes soupçons paranoïaques (!)
Ceci dit, cette histoire de bots-humanoϊdes, c'est pas de la blague.
Écrit par : Bertrand | 13.09.2013
Cette impertinence du téléphone n'est pas franchement nouvelle, notez-bien. On s'en plaignait alors qu'il était en bakélite et qu'il vous sonnait comme l'on sonne un domestique. Au lieu d'incriminer l'appareil, vitupérons leurs possesseurs et vérifions l'adage contemporain : "Le portable c'est comme les Tampax, c'est pas fait pour les trous-du-cul".
Après ce moment de poésie intense, je m'insurge et proclame ici que je suis ami des robots et ferai tout pour leur émancipation et leur libre-arbitre. Faisons attention qu'un jour nous ne traitions ceux-là comme les nègres des plantations...
Écrit par : Le Tenancier | 13.09.2013
Oh, là, ça, ça doit en être un ! Parce que faire le grand écart entre une machine programmée, un logiciel, et les nègres des plantations (!)
Et puis, si je fustige les bots - qui sont au besoin de communiquer ce que les poupées gonflables sont à l'amour - ma foi, je n'ai jamais maltraité un quelconque nègre dans aucune plantation et ne me sens jamais comptable d'aucun des crimes de l'humanité.
Bon,et de quatre ! Mais pour Le Tenancier, faudra vérifier ça de plus près....
Écrit par : Bertrand | 13.09.2013
1 Un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, restant passif, permettre qu'un être humain soit exposé au danger.
2 Un robot doit obéir aux ordres que lui donne un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la Première loi.
3 Un robot doit protéger son existence tant que cette protection n'entre pas en conflit avec la Première ou la Deuxième loi.
Écrit par : Le Tenancier | 13.09.2013
Hé bé, Tenancier, nous disons que vous êtes dans une super forme :)
Écrit par : bot Michèle | 13.09.2013
Et un robot rebelle, qui ne voudrait pas obéir, justement, bref qui s'empare d'une part de son autonomie, ça ne peut pas exister parce que, dès lors, ça n'en est plus un.
Mais c'est rare. Très rare.
Oui, vrai Michèle. C'est rassurant. J'en conclus que ça n'en est pas un.
Écrit par : Bertrand | 13.09.2013
Michèle, ces trois lois viennent d'Isaac Asimov, lequel s'est ingénié à transgresser celles-ci dans ses histoires...
Que je vous rassure tout de même, hein, d'après un roboticien de ma connaissance, les robots sont encore largement cons comme des manches. Mais il n'est pas dit que ça ne change pas un de ces quatre. C'est pour cela que pour une fois, si on pouvait être en avance d'une lutte et réclamer l'égalité pour les intelligences artificielles...
Écrit par : Le Tenancier | 13.09.2013
Ouh la la j'ai merdoyé dans mes envois ! Quatre d'un coup !
Écrit par : Le Tenancier | 13.09.2013
Asimov, oui, qui en 1964 imaginait le monde de 2014...
http://www.huffingtonpost.fr/johann-roduit/reincarnation-robotique_b_2132388.html
Écrit par : Michèle | 13.09.2013
Me suis trompée de lien, voici le bon :)
http://www.huffingtonpost.fr/2013/08/30/science-fiction-auteur-1964-monde-2014_n_3841777.html
Écrit par : Michèle | 14.09.2013
Quand Jules est au violon, dit la chanson...
Là, c'est quand Le Tenancier est à la mitraillette (!) M'en vais réparer cette salve...
Écrit par : Bertrand | 16.09.2013
A propos de robots, toujours, une info qui fait peur rétroactivement :
http://infosdumonde1994.centerblog.net/voir-photo?u=http%3A%2F%2Finfosdumonde1994.i.n.pic.centerblog.net%2Fo%2Fac26bb91.jpg
Écrit par : Le Tenancier | 17.09.2013
Effrayant, en effet !
Écrit par : Bertrand | 19.09.2013
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