10.08.2014
La lourde responsabilité de l'artiste
Le 10 août 1792, le peuple de Paris et les fédérés venus de toute la France, principalement de Marseille, s’insurgent.
Lassé des atermoiements de l’Assemblée Nationale, pressé par la misère, indigné, révolté par les trahisons successives de la Cour et par ses sournoises accointances avec les puissances étrangères, russes, autrichiennes et prussiennes se proposant d’envahir le pays et d’exterminer un à un tous les Français ayant, de peu ou de loin, participé à la Révolution, le peuple des faubourgs prend d’assaut les tuileries où résident les résidus de la monarchie, tue, égorge, massacre et se fait égorger.
De cette insurrection victorieuse, insurrection spontanée, viscérale, naîtront la Commune dictant sa loi à l’Assemblée législative, les massacres de septembre, la Convention, l’élan national, Valmy et, finalement, le Comité de salut public et la Terreur.
En dépit de ses envolées lyriques et de quelques erreurs ou inexactitudes peu scrupuleuses, judicieusement relevées par Gérard Walter, Michelet éclaire adroitement le soulèvement spontané du 10 août 92 et déboulonne tout ce que nous avons pu ingurgiter de fallacieux dans nos livres, de littérature ou d’histoire.
La première leçon, c’est que nos héros, devenus les symboles de la Révolution, de la Fraternité avec un grand F, de l’Ègalité avec un grand È et de la Liberté avec un L gigantesque, se sont, en bons stratèges politiques, soigneusement tenus à l’écart des révoltes, des affrontements de rue, des indignations et des initiatives populaires.
Comme au 20 juin où ce même peuple investissait déjà les Tuileries, Robespierre était misérablement terré le 10 août dans sa chambre, effrayé de ne savoir où donner de la calomnie, de la paranoϊa et du slogan jacobin. Rien n'effraie plus un politique, de quelque bord qu'il se réclame, que de voir l'histoire passer sous ses fenêtres sans qu'il y soit pour quelque chose.
Danton, quoique légèrement plus en vue, allait et venait de-ci de-là, prenait le pouls, interrogeait mais ne conseillait rien, ne disait rien de précis, ne comprenait pas grand chose à ce qui se passait sous ses yeux, n’exhortait personne, attendant des événements qu’ils lui dictent l’attitude à adopter. La nuit sanglante du 10 août, il était bien au chaud dans son lit.
Marat, l'Ami du peuple, comme à son habitude enseveli dans une cave, vouait aux gémonies tous les traîtres et toutes les charognes de la terre, voyait partout des gens à pendre et à écarteler, appelait au massacre en gesticulant, mais prenait bien soin de ne point montrer le bout de son museau.
Il en va évidemment de même des Saint-Just, Desmoulins, Hébert et autres icônes a posteriori.
De ces hommes inquiets et pleutres, qui ont pris le train en marche, qui sont montés dans le wagon de queue avec l'unique espoir de remonter le convoi et de s'installer bientôt aux commandes de la locomotive, de ces renards uniquement préoccupés de leur avenir politique, rêvant de bientôt s'élever au pinacle en se targuant d’avoir été les investigateurs de la révolte et les prophètes de la Liberté avec un L gigantesque, nos artistes, nos peintres, nos écrivains, nos sculpteurs, nos poètes, plus tard encore, nos cinéastes, ont fait des héros, des martyrs et bientôt des légendes.
C'est là l’éternel nœud gordien de l’art qui, voulant s’emparer de l’histoire comme d'un poumon, se jugeant digne de transmettre de la mémoire, lui fait dire, par goût du grand, du beau, du directement perçu et, surtout, du plus facile à encenser, non pas ce qu’en vécurent réellement la puissance et l’intelligence de l’époque, en profondeur, mais ce que cette puissance et cette intelligence, par l’inéluctable mouvement de ressac de toute révolution, ont porté, après la tempête, sur la scène politique.
L’amalgame est alors complet quand le discours de l’art nous est transmis comme étant le discours de la mémoire ou de la vérité... On est alors en plein Social Realism et l'artiste en plein dans le rôle que Staline avait assigné aux écrivains d'être " les ingénieurs des âmes".
Telles sont les réflexions que m’a inspirées ce passage de Michelet à propos de la nuit du 10 août 1792 et, par-delà, l’interrogation s’est trouvée posée de la responsabilité énorme, accablante, d’être, en tout temps, un artiste de son temps :
« Je ne connais aucun événement des temps anciens ni modernes qui ait été plus complètement défiguré que le 10 août (……)
Plusieurs alluvions de mensonges, d’une étonnante épaisseur, ont passé dessus. Si vous avez vu les bords de la Loire, après les débordements des dernières années, comme la terre a été retournée ou ensevelie, les étonnants entassements de limon, de sable, de cailloux, sous lesquels des champs entiers ont disparu, vous aurez quelque faible idée de l’état ou est restée l’histoire du 10 août.
Le pis, c’est que de grands artistes, ne voyant en toutes ces traditions, vraies ou fausses, que des objets d’art, s’en sont emparés, leur ont fait l’honneur de les adopter, les ont employées habilement, magnifiquement, consacrées d’un style éternel. En sorte que les mensonges, qui jusque-là restaient incohérents, ridicules, faciles à détruire, ont pris, sous ces habiles mains, une consistance déplorable, et participent désormais à l’immortalité des œuvres du génie qui malheureusement les reçut.
Il ne faudrait pas moins d’un livre pour discuter une à une toutes ces fausses traditions. »
Jules Michelet – Histoire de la Révolution française – Tome 2 – Edition février 2007, Folio histoire, page 956.
14:51 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Dans le même ordre d'idée, regardons l'Ukraine. La révolte du Maïdan, populaire et justifiée au départ, a bien été récupérée (en fait elle avait même été initiée par certains, qui avaient senti qu'ils pouvaient exploiter la colère populaire). Où est aujourd'hui la démocratie réclamée? Quelques oligarques sont au pouvoir, avec quelques néo-nazis, la corruption est pire que jamais et le pays est en pleine guerre civile. On demande aux citoyens qui ne voulaient qu'un peu de bien être de tuer d'autres citoyens. Quant à l'économie, n'en parlons pas. Avec le FMI, l'endettement est assuré pour un demi-siècle.
Écrit par : Feuilly | 11.08.2014
Tu as raison... et il se trouvera bien quelques artistes putassiers pour faire des manisfestants du Maïdan des révolutionnaires démocrates.
Bref, qui prendront pour vérités historiques les honteuses fourberies de Hollande, Fabius et consorts....
Écrit par : Bertrand | 11.08.2014
Il reste quelques opposants sur le Maïdan, mais le pouvoir est en train de leur faire comprendre que la révolution est terminée.
Écrit par : Feuilly | 11.08.2014
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