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07.11.2009

La beauté des choses

PA140021.JPGLes champs ce matin sont blancs, tout blancs. Ils s’étalent, ils s’étalent, ils s’étalent jusqu’aux portes des villages et meurent aux pieds de noirs et hiératiques sapins.
Il y a du vent.  Vent de poussière blanche en voltige. Je regarde ce novembre continental qui vient de sonner le glas des jours intarissables. La machine ronde a basculé doucement de l’autre côté de la lumière.
Hier dans la nuit,  j'ai pissé sur l'herbe scintillante.
Le nez sur l'anonymat des ombres glacées. Des oies, ou des grues, ont cacardé longtemps leur errance sous la lune en brumes, au déclin
. Cap sur l’île de Ré peut-être. Cap sur les plages chatoyantes et les algues, cap sur le clocher noir et blanc d’Ars-en-Ré.
La force des ailes déployée pour la survie, plus forte que nos désirs, plus forte que nos mots, plus forte que nos voyages, plus forte que nos espaces. Chimère sublime de l'instinct !
Il y a du vent.  Vent de poussière blanche en voltige.
Et je marche dans la tourmente livide.
Cette phrase si simple et grandiose de Missak Manouchian à sa bien aimée, à l’heure de mourir debout sous le couteau des assassins :
« Toi qui vas  rester dans la beauté des choses.. », surgit dans une saute du vent.
Nous sommes dans la beauté des choses. Nous y sommes.
Qu’est-il besoin de tordre la phrase, de subjuguer le verbe, de renverser le propos, de couper le flux des mots pour le dire ?
Hier encore, pour la troisième fois consécutive, j’ai abandonné un livre contemporain. D’un auteur que j’aime, pourtant.  Exercice ciselé dune vaine érudition…
Pour qui parle la littérature si elle ne murmure la beauté des choses qu'aux oreilles d'un  esthétisme bientôt restreint à l'espace d'une schizophrènie de bon aloi ?
Je dois être d’ailleurs. Je dois être trop tard.
Un loup qui ne hurle pas reste t-il un loup ?

Je vais relire Balzac et Maupassant, encore, au coin des poêles, et laisser les vents éternels soulever la neige des éternels retours.

08:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

03.11.2009

Stéphane Beau : Le Coffret

PB030003.JPGOn ne sort pas intact de la lecture du livre de Stéphane Beau, Le Coffret, récemment paru aux éditions du Petit pavé.
On n’en sort pas intact parce qu’on y rencontre ses propres peurs et ses propres angoisses.
- Qu’est-ce que tu lis, papa ? m’a demandé ma fille.  Question récurrente, histoire que j’arrête de lire un peu et que je prête attention à ses dessins, ses peintures et ses images.
- Je lis un livre qui se passe vers 2100, que j’ai répondu, histoire de répondre à peu près.
-  Et comment il sait ce qui va se passer en 2100 , ton écrivain ? J’aurai cent ans, moi, et j’en sais rien comment ça sera quand j'aurai cent ans !

Ben oui. Comment il sait ?
Science fiction ?  Non. Pas plus que le Nautilus de Jules Verne n’était une science fiction.
Pas plus que Matin brun de Franck Pavloff ne relevait de ce domaine de l’art d’écrire.
Un apologue. Je dirais un apologue, oui. Et écrit avec une élégance et une conviction qui font de Stéphane Beau un véritable écrivain.
Je ne vous raconterai pas le livre. Bien sûr. Un livre se lit avec ce qu’on porte en soi. Je ne vous raconterai pas l’histoire de Nathanaël, de son grand-père et de son ami le libraire. C’est pas une histoire qu’on raconte. C’est une histoire qui se lit de l’intérieur. Un avertissement. Un feu clignotant de la nuit dans laquelle nous nous enfonçons.
En lisant Stéphane Beau on est en présence d'une conscience qui veille à ce qu’une nouvelle catastrophe majeure ne s’abatte pas sur l’humanité. Une catastrophe qui pour l’heure avance masquée, chafouine, drapeau à peine muet brandi par plus de 50 pour cent d’abrutis.
Ce que j’aime dans ce livre, qui porte l’éloquent sous-titre « À l’aube de la dictature universelle », c’est d'abord qu’il existe. Et que son existence  même, au cas où, sera et serait un déni à tous ceux et celles qui pourraient dire un jour : On savait pas. On n’a pas fait gaffe. On n’a vu venir le loup….
Car dans cette société de demain que l’écriture de Stéphane Beau explore, beaucoup de similitudes à peine voilées nous sont déjà bien actuelles. On sent bien cette évidence, en écoutant aujourd’hui les discours du pouvoir, en examinant l’évolution des esprits depuis une trentaine d’années, que ce demain envisagé est justement très près de notre pendule. Qu’il n’y a plus que le rideau à soulever, que les trois coups ont déjà été frappés…
Juste une petite phrase, aiguë comme une arme de précision :
« (….) C’est parce qu’ils* avaient oublié que le meilleur moyen de se soumettre un esclave, c’est de l’affranchir.»
Il y a, dans ce Coffret,  vraiment, de quoi réveiller tous les zombies, victimes ou consentants, qui peuplent notre monde presque parfait.

On ne sort pas intact de cette lecture parce que, aussi, plus convaincu encore que les loups-garous reniflent à nos portes.
Et Stéphane, qui termine quand même sur une note d’espoir, ne m’en voudra pas de dévoiler un petit bout de la dédicace qu’il me fit de son ouvrage  :  "Il faut espérer pourtant que tout ceci relève plus de la fiction que de l’anticipation."
Je joins évidemment mes espoirs aux siens.
Mais il n’y a plus vraiment de temps à perdre.

Les régimes autoritaires d’avant la dictature universelle

10:24 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET

02.11.2009

Vient de paraître, à l'enseigne de publie.net

POLSKA B DZISIAJ

arton279.jpg


" (....)Ses parents étaient venus d’Ukraine après la guerre, des environs de Lwów.  Poussés vers le nord-ouest, mais pas beaucoup, quelque deux cent kilomètres. Et il se mit à évoquer les grandes plaines de l’Ukraine avec ses yeux bleus qui vacillaient légèrement et le bras vigoureusement tendu qui montrait l’est. Et tandis qu’il racontait, je le regardais, interloqué. Moi l’étranger, j’étais venu voir un autochtone et j’étais assis devant un gars qui ne se sentait pas chez lui, là, à Gnojno, et qui parlait de son déracinement et dont la voix monocorde, je le sentais bien, était tout empreinte de tristesse.
Il inversait joliment les rôles et sans doute avait-il raison. Car moi j’étais tout de même là de mon pauvre chef, tandis que lui, c’étaient les chambardements frontaliers qu’il l’avait échoué dans ce village comme les tempêtes échouent sur les plages, les algues des fonds marins et les objets qu’on jette par-dessus bord des navires. Mais tous ces rejets, ça se ramasse, ça se conditionne, ça s’élimine. Lui, soixante ans après, il était resté tel qu’aux premiers jours, planté sur le même sable.
Il dit encore qu’avec les communistes, il avait trois vaches, un cheval, un cochon et des poules et, par-dessus tout, une paix royale. Personne ne venait fouiner dans ses affaires. Maintenant, il avait une vingtaine de vaches, une trayeuse électrique et il vendait tout son lait à la laiterie. Le lait devait être comme ci et pas comme ça, il avait fallu faire des évacuations, des aérations, des vaccins, des prévisions et il n’entendait rien à la paperasserie qu’on lui demandait. Et puis au final,  il n’avait pas plus de sous qu’avant avec des tonnes d’emmerdements en plus. Alors ? Hein ? A quoi ça avait servi tout ça ?  Hein ?
Il posait la question en se penchant en avant. D. balbutiait liberté, droit des gens, démocratie…Il haussait les épaules, hautement moqueur mais sans aucune brutalité.
J’ai appris beaucoup de cet homme. J’ai découvert en quoi, peut-être, résidait la force pérenne des dictatures. Pour ce paysan, comme pour bien d’autres qui m’ont tenu le même discours, le communisme tel qu’appliqué à l’est, c’était le droit de faire ce qu’il voulait dans son jardin. Pourvu qu’il ne s’y enrichisse pas de façon trop ostentatoire et ne fasse montre de ses opinions, on ne lui demandait rien. Il  avait un gîte, de la pitance et la course du soleil pour éclairer les jours et compter les années. Le reste, la liberté d’écrire, de parler à voix haute, d’écouter, de lire, de voyager plus loin que la rivière, c’était affaires d’intellectuels, de penseurs et de gens des villes parce que leurs maisons, leurs rues et leurs usines étaient trop étroites. Le petit paysan, lui, il s’en fout de ces libertés-là. On ne lui a jamais appris à s’en servir, alors leur privation ne le meurtrit pas. La muselière intellectuelle ne le gêne pas. La vie est ailleurs. Elle se mesure au jour le jour, saison après saison. Elle se joue au printemps avec les labours et les semailles, l’été avec les moissons, l’automne avec le ramassage des pommes de terre et l’hiver avec la lutte obstinée contre le froid, la neige et le vent. Ce qu’il y a par delà ces rideaux quotidiens,  il ne faut pas s’en mêler. C’est de la politique et la politique…La politique, ça fait des guerres et des morts.
Je pensais à la Makhnovchtchina. Que des paysans, incultes de notre point de vue, et pourtant vainqueurs de Dénikine. Et s’ils n’eussent été par la suite crapuleusement égorgés par Trotski, qu’auraient-ils fait de l’unique expérience anarchiste au monde qu’ils avaient mise en place en Ukraine ? Jusqu’où les tsars les avaient-ils volés et jusqu’où avaient-ils violé leur droit à l’existence, qu’ils aient pris une part aussi cruciale, intelligente et violente à la grande déferlante de l’histoire ?
Cet homme sec aux mains raboteuses, là devant moi, ce paysan d’origine ukrainienne, s’il était né seulement quelque trente ans plus tôt, aurait-il fait partie de l’épopée et été un compagnon de Makhno ?  J’étais sûr que oui, ça me plaisait d’en être sûr et je le regardais décliner ses phrases et ses mots nostalgiques et je me disais que l’histoire, les luttes, les trahisons, les échecs, les vérités, les morts, les prisonniers, les réussites, les idéaux, les tactiques, les alliances, les buts, les systèmes, tout ça, c’était les hasards du réel, les leurres d’un prisme déformant et que les hommes n’entendaient rien, absolument rien à la mise en scène de leur propre destin. Ils étaient des ombres. Des balbutiements.
J’en éprouvai une profonde tristesse.
"

10:07 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | Bertrand REDONNET