07.11.2009
La beauté des choses
Les champs ce matin sont blancs, tout blancs. Ils s’étalent, ils s’étalent, ils s’étalent jusqu’aux portes des villages et meurent aux pieds de noirs et hiératiques sapins.
Il y a du vent. Vent de poussière blanche en voltige. Je regarde ce novembre continental qui vient de sonner le glas des jours intarissables. La machine ronde a basculé doucement de l’autre côté de la lumière.
Hier dans la nuit, j'ai pissé sur l'herbe scintillante.
Le nez sur l'anonymat des ombres glacées. Des oies, ou des grues, ont cacardé longtemps leur errance sous la lune en brumes, au déclin. Cap sur l’île de Ré peut-être. Cap sur les plages chatoyantes et les algues, cap sur le clocher noir et blanc d’Ars-en-Ré.
La force des ailes déployée pour la survie, plus forte que nos désirs, plus forte que nos mots, plus forte que nos voyages, plus forte que nos espaces. Chimère sublime de l'instinct !
Il y a du vent. Vent de poussière blanche en voltige.
Et je marche dans la tourmente livide.
Cette phrase si simple et grandiose de Missak Manouchian à sa bien aimée, à l’heure de mourir debout sous le couteau des assassins :
« Toi qui vas rester dans la beauté des choses.. », surgit dans une saute du vent.
Nous sommes dans la beauté des choses. Nous y sommes.
Qu’est-il besoin de tordre la phrase, de subjuguer le verbe, de renverser le propos, de couper le flux des mots pour le dire ?
Hier encore, pour la troisième fois consécutive, j’ai abandonné un livre contemporain. D’un auteur que j’aime, pourtant. Exercice ciselé dune vaine érudition…
Pour qui parle la littérature si elle ne murmure la beauté des choses qu'aux oreilles d'un esthétisme bientôt restreint à l'espace d'une schizophrènie de bon aloi ?
Je dois être d’ailleurs. Je dois être trop tard.
Un loup qui ne hurle pas reste t-il un loup ?
Je vais relire Balzac et Maupassant, encore, au coin des poêles, et laisser les vents éternels soulever la neige des éternels retours.
08:00 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Si j'en crois les précisions apportées sur ce site : http://michel.balmont.free.fr/pedago/fonction_poesie/affiche_rouge.html , "Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses" est, dans sa lettre, de Aragon. LA formulation de Manouchian est plus prosaique :" C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai Adieu ! à la vie ". Ce qui n'ôte rien à la beauté de votre chronique.
Écrit par : Jean-Michel | 07.11.2009
Et c'est le moment d'écouter encore une fois le texte d'Aragon interprété par Ferré:
http://www.youtube.com/watch?v=6HLB_EVtJK4
Écrit par : Feuilly | 07.11.2009
Une véritable histoire de page blanche que nous raconte doublement votre billet !
Écrit par : solko | 07.11.2009
Merci Jean-Michel, pour ce rétablissement, effectivement...La dernière lettre de Manouchian a été librement retranscrite, avec bonheur, par Aragon.
Et merci à toi aussi, Feuilly....Toujours cette émotion à l'écoute de ce texte. Toujours ce couteau qui prend à la gorge.
" Ils étaient vingt et trois étrangers et nos frères pourtant."
8 Polonais parmi eux...dont un n'avait que 18 ans...
Écrit par : Bertrand | 09.11.2009
Cher Solko et mufle que je fus d'oublier de répondre à votre judicieuse observation...
Oui, parfois, les paysages sont blancs comme des pages taries et, surtout, inversement...
Écrit par : Bertrand | 10.11.2009
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