14.01.2014
Mal à l'aise du monde
Au début était le chaos…
De la survivance, des bois et des arbres et des chemins de plaine ou de sous-bois. Des oiseaux aux portes des granges, des matins qui frôlaient aux vitres des fenêtres, un cochon qui grognait dans l’étroitesse de son toit, des poules et des canards claudiquant dans la boue d’un enclos, des copains d’école qui n’aimaient pas l’école, des fermes, une rivière sporadique sur des prairies gibbeuses et une mère qui, seule, tenait tout son monde sous une autorité imparfaite, avec des règlements tacites, faciles à transgresser.
Puis, dans tout ça, un enfant mi-vagabond, mi sédentaire, mi doux, mi-méchant, pas très beau, qui rêvait - pressentant sans doute que son jardin ne serait pas éternel - de mondes remplis d’amusements et de simples joies. Pas des joies simples. De simples joies.
Au sortir de ce jardin l’attendaient, comme craint, d’autres règlements, d’autres lois partout inscrites, d’autres façons de concevoir la propreté, le maintien, le savoir, l’amitié, l’amour…
Et c’est comme si se fussent télescopés par inadvertance l’allumette et le frottoir.
Pour que le feu soudain ne brûle pas le doigt, il faut une allumette et un frottoir spécifiques. Prévus à cet effet de sécurité. Qui se connaissent et ont été l’un pour l’autre conçus.
Sortant d’une tribu où la liberté d’aller et de venir, d’apprendre, de concevoir et d’aimer était totale si on osait la prendre sous le bras, une tribu sans père ni dieu, je n’étais pas formaté pour brailler les mêmes morales et éthiques que le monde des gens comme il faut.
Tout ne m’a semblé alors que coercition et entraves perverses à suivre mon chemin.
Jamais de ma vie je n’ai pu dès lors trouver passionnant d’être le premier en latin, d’avoir de beaux habits, d’avoir un gros porte-monnaie, un travail qui gagne, une grosse voiture, des vacances aux antipodes, des enfants plus intelligents que ceux des voisins, des profits, des leçons à donner et tout et tout et tout.
Les pommes ne tombent jamais loin du pommier, dit un proverbe polonais. Est-ce à dire pour autant que les autres fruits ne sont pas les fils d’une fleur ? Non.
Le mal à l’aise du monde ne s’érige pas en morale, en jugement de valeur, en raison définitive, en bien ou en mal.
Le mal à l’aise du monde se comprend.
Condition sine qua non pour qu’il ait une chance de conduire aux bien vécus des solitudes.
11:24 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, écriture | Facebook | Bertrand REDONNET
Commentaires
Un très beau texte Bertrand. Une sacrée écriture.
Écrit par : Michèle | 14.01.2014
Où l'on trouve l'origine lointaine du contestataire d'aujourd'hui :))
Écrit par : Feuilly | 14.01.2014
Ouaip, Bertrand,
Je me retrouve aussi un peu dans ce texte.
C'est joliment tourné et dit avec élégance. Le "mal à l'aise du monde" serait pour ma part le sentiment d'être étranger au monde, ce qui, comme tu le dis justement, "se comprend", ou s'éprouve.
Quant au proverbe polonais, il est à peu près aussi con que toutes les sentences de la "sagesse populaire" universelle...
@+
Écrit par : Lesly | 15.01.2014
Merci, Michèle. Rendons grâce que tu aies, à l'instar des Anglais et des Polonais, pris soin de mettre l'adjectif avant le substantif (!)
Feuilly, je ne conteste que ce qui est contestable:)) Mais tu as raison, ça fait beaucoup de choses...
Lesly, je le trouve beau, moué, ce proverbe... En tout cas plus beau que son équivalent français "Les chats ne font pas des chiens".
Écrit par : Bertrand | 15.01.2014
Une colombe : http://www.youtube.com/watch?v=HgZ6V1MKpKU
Écrit par : Alfonse | 15.01.2014
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