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14.09.2014

Lecture

littératureLes paysages - ceux que l’on voit, qui accrochent le regard - se lisent en trois langues, universelles et qui gouvernent notre sensibilité du monde : la géographie, le climat et l’histoire.
Si je viens m’asseoir ici, près d’un méandre de la rivière, je n’apporte pas de livre avec moi.
Longtemps, je lis à ciel ouvert.
Je lis que le sable des champs, celui sur lequel s’ébouriffent l’avoine et le seigle, qui fait ma pelouse chétive aussi, vient de son ancien, très ancien, cours qui éroda la roche et la fit poussière scintillante.
Je lis la continentalité de la végétation qui encombre les berges, bouleaux et mélèzes ; je lis, tant l’eau musarde en de lascifs détours, la faible déclivité de la grande plaine européenne et je lis le rempart oriental d’une Europe illusoirement bras dessus bras dessous.
Dans mon dos.
Je lis la fin de l’alphabet latin, la fin des liturgies romaines et la fin de ce que nous appelons, faute de mieux et en attendant un mot qui pourrait être pire, la démocratie.
Je lis l’impuissance des hommes à  habiter leur siècle en fraternité, toujours séparés par des rivières, par des langues et des visions-propriétaires d'un improbable dieu. Car je lis que ce qui est vrai dans ce que je vis du monde est absolument faux à dix mètres de moi seulement, sur l’autre rive, au pied de ces grands arbres étrangers, qui semblent pourtant demander au vent de me faire un signe, en balançant leurs branches.

Je lis le silence enjoué d’un exil ; je lis ce que tous les hommes lisent quand ils s’arrêtent devant leurs paysages et interrogent, l'espace d'un instant sans livre ni musique, sans frère ni écho, sans leurre ni idée, le sens intimement solitaire de  leur aventure.

15:05 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littératurem écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET

Commentaires

Très beau texte, merci de nous ouvrir les yeux avec ces mots choisis

Écrit par : corinne | 14.09.2014

Je me souviens non loin de là avoir été choqué, à la frontière entre Pologne et Biélorussie, par la présence -dans cet espèce de centre commercial où l'on retient soigneusement les routiers captifs- de machines à sous. Elle est là, la loi commune, hélas, il est là, le dieu commun, non ? ce satané euro.
Tout à ça n'enlève rien à votre lecture rêverie du Bug et de ses vertes rives.
Et au fait, qu'est devenu cet incipit aux quatre poètes chanteurs, les 2 B & les deux F, dont seuls quelques furtifs lecteurs auront, semble-t-il, eu la primeur ?

Écrit par : solko | 14.09.2014

Merci à Vous, Corinne. S'il est une récompense à l'écriture, la seule qui vaille sans doute, c'est de procurer plaisir à l'autre qui lit, avec son histore, son parcours, son "soi".

Solko, merci de vous souvenir... J'éclaire un peu le lecteur de passage :

A trente kilomètres environ de la rivière Bug, est le poste frontalier le plus gros et le plus important de toute l'Europe politique. Il est réservé aux transports de marchandises, aucune voiture ne peut passer par là et sa construction avait été posée comme condition "sine qua non" à l'entrée de la Pologne dans le susdit bordel en 2004.
Modernité protectionniste oblige, on peut y démonter un camion en 30 minutes. Il y a là parfois des files d'attente ( Russes, Biélorusses ou Ukrainiens principalement) de 40 km de long. Ainsi, les routiers étant bloqués là, c'est une véritable petite ville en pleins champs qui a été construite avec banques, magasins, restaurants, même chapelles et etc...

Après contrôle et remise des papiers, les camions pour rentrer en Biélorussie s'engagent sur une route d'une dizaine de kilomètres, fermée par de hauts grillages, avec caméras sur les deux côtés et tous les dix mètres ( interdiction absolue de s'arrêter).

Je me souviens, oui, que vous aviez été impressionné par tout ça, Solko. Et justement, ce gros truc un peu "surréaliste", symbolise pour moi, la juxtaposition de deux mondes. Quand nous avons pris un pot là comme dans un bar ordinaire, avec une serveuse ordinaire derrière un comptoir ordinaire, nous avons d'ailleurs dit, "on n'a pas l’impression d'être au bout d'un monde, et pourtant...."
Et en ces lieux ne circule pas une pièce d'euro sinon pour s'en débarrasser au bureau de change avant de rentrer au pays....L'euro, derrière, commence à 800 km de là.

Qu'est devenu le texte "incipit" ? Je l'ai viré après réflexion, l'expérience m'ayant appris qu'un texte publié sur un blog ne trouve pas facilement lecteur une fois couché sur le papier.
C'est comme ça, quoi qu'on en dise...
Et puis je ne suis pas certain de le mener à terme, ce texte. Un peu découragé par tout ça. L'écriture dans un monde aux immondes fourberies, dans un monde qui marche sur des œufs par impéritie ou calculs des puissants pendant que le citoyen ordinaire européen - qui n'a de citoyen que le nom - ferme sa gueule d'esclave quand il ne prend pas ouvertement parti pour le mensonge, me parait par moments bien dérisoire.

Bien à Vous

Écrit par : Bertrand | 15.09.2014

"Je lis le silence enjoué d’un exil ; je lis ce que tous les hommes lisent quand ils s’arrêtent devant leurs paysages et interrogent, l'espace d'un instant sans livre ni musique, sans frère ni écho, sans leurre ni idée, le sens intimement solitaire de leur aventure."

OUI.

Écrit par : cleeanthe | 21.09.2014

Les commentaires sont fermés.