UA-53771746-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

14.09.2014

Lecture

littératureLes paysages - ceux que l’on voit, qui accrochent le regard - se lisent en trois langues, universelles et qui gouvernent notre sensibilité du monde : la géographie, le climat et l’histoire.
Si je viens m’asseoir ici, près d’un méandre de la rivière, je n’apporte pas de livre avec moi.
Longtemps, je lis à ciel ouvert.
Je lis que le sable des champs, celui sur lequel s’ébouriffent l’avoine et le seigle, qui fait ma pelouse chétive aussi, vient de son ancien, très ancien, cours qui éroda la roche et la fit poussière scintillante.
Je lis la continentalité de la végétation qui encombre les berges, bouleaux et mélèzes ; je lis, tant l’eau musarde en de lascifs détours, la faible déclivité de la grande plaine européenne et je lis le rempart oriental d’une Europe illusoirement bras dessus bras dessous.
Dans mon dos.
Je lis la fin de l’alphabet latin, la fin des liturgies romaines et la fin de ce que nous appelons, faute de mieux et en attendant un mot qui pourrait être pire, la démocratie.
Je lis l’impuissance des hommes à  habiter leur siècle en fraternité, toujours séparés par des rivières, par des langues et des visions-propriétaires d'un improbable dieu. Car je lis que ce qui est vrai dans ce que je vis du monde est absolument faux à dix mètres de moi seulement, sur l’autre rive, au pied de ces grands arbres étrangers, qui semblent pourtant demander au vent de me faire un signe, en balançant leurs branches.

Je lis le silence enjoué d’un exil ; je lis ce que tous les hommes lisent quand ils s’arrêtent devant leurs paysages et interrogent, l'espace d'un instant sans livre ni musique, sans frère ni écho, sans leurre ni idée, le sens intimement solitaire de  leur aventure.

15:05 Publié dans Acompte d'auteur | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littératurem écriture |  Facebook | Bertrand REDONNET